Dans la dernière ligne droite, Joe Biden continue à appliquer sa stratégie avec une grande discipline

« Ne me jugez pas par rapport au Tout-Puissant, jugez-moi par rapport à l’alternative ». Cette phrase, une des favorites de Joe Biden, est peut-être le meilleur résumé de la campagne du candidat du parti démocrate, tant celle-ci diffère de celle de son adversaire Donald Trump, sur le fond, sur la forme et sur la capacité à appliquer une stratégie bien déterminée.

Biden aime répéter qu’il a réellement décidé d’être candidat pour l’élection de 2020 en 2017, lorsqu’après l’assassinat par un suprémaciste blanc d’une manifestante des droits civiques, le Président avait renvoyé les manifestants dos à dos en déclarant qu’il y avait des « gens bien des deux côtés ».

Il fallait dès lors à la fois écarter Donald Trump du pouvoir, et réconcilier l’Amérique – « restaurer l’âme du pays », pour reprendre un des slogans favoris de Biden. Dès le début de la primaire démocrate, Joe Biden s’est tenu scrupuleusement à cette ligne.

« Quatre ans de présidence seraient regardés comme une aberration dans l’histoire des Etats-Unis. Huit ans changeraient profondément ce qu’est notre nation ».

Phrase régulièrement répétée par Joe Biden depuis le lancement de sa campagne pour la nomination démocrate en 2019

Les événements exceptionnels de 2020 n’ont fait qu’accentuer la force et la pertinence son message, entre les manifestations pour la justice raciale révélant les fractures mal soignées du pays, et la pandémie, qui a mis à nu de façon flagrante (et mortelle, pourrait-on dire) l’incapacité de Donald Trump à assumer les fonctions présidentielles.

Dans la dernière ligne droite, après avoir consolidé cet été le soutien du parti démocrate en donnant des gages à l’aile progressiste (sur la lutte contre le changement climatique, les politiques sociales, etc.), Joe Biden ne s’écarte pas de sa stratégie initiale et continue à articuler en permanence les deux pans de son message : « Donald Trump est un danger pour les Etats-Unis alors que j’ai les principes moraux et le profil pour remettre le pays sur la bonne voie ».

A cette fin, Joe Biden, son équipe de campagne, et, encore plus remarquable – c’est à mettre au crédit du candidat démocrate – l’ensemble du camp démocrate applique avec une remarquable constance et une grande discipline plusieurs règles manifestement bien réfléchies.

Tout d’abord, ne jamais entrer dans le jeu des provocations, des attaques personnelles que cherchent à installer Donald Trump et de ses affidés.

C’est ainsi que Biden n’a que très prudemment utilisé le fait que le Président contracte le coronavirus : pas de moquerie, pas de remarque moralisatrice ou de « bien fait pour lui ». De l’empathie évidemment, et un simple rappel que lui, Joe Biden (et son équipe, puis Kamala Harris a interrompu sa campagne quelques jours suite à la contamination d’un des ses collaborateurs, le temps de vérifier si elle était ou non un « cas contact ») respecte les mesures de distanciation sociale préconisées par les autorités sanitaires, pour se protéger et pour protéger les autres.

Il faut dire que les faits parlent d’eux-mêmes et qu’il était sans doute inutile d’en rajouter sur l’inconséquence du Président (et l’auteur a la faiblesse de penser que Joe Biden ne fait pas partie des hommes politiques qui prennent leurs concitoyens pour des imbéciles incapables de penser par eux-mêmes).

Surtout Joe Biden traite le plus souvent par le mépris (ou en niant fermement sans rentrer dans les détails, comme pendant le débat du 29 septembre) les accusations de sénilité, les insinuations sur l’affairisme de son fils et d’éventuels trafics d’influence – d’autres auraient sans doute été tentés de renvoyer le Président dans ses buts en pointant le fait que ses enfants et leurs époux font des affaires dans le monde entier et travaillent à la Maison Blanche ou pour la campagne de réélection, les mensonges ou théories conspirationnistes sur la campagne de 2016, etc.

Pour autant, il devra être attentif jusqu’au bout à ces attaques, puisque le camp Trump paraît bien décidé à mettre les bouchées doubles dans la dernière ligne droite, avec une offensive massive pour relayer des allégations (qui semblent pourtant fragiles et qui pourraient bien n’être qu’une tentative de déstabilisation orchestrée par la Russie) sur des affaires louches menées par son fils Hunter Biden en Ukraine ou en Chine.

Pour éviter que les attaques personnelles ne portent, Joe Biden a un premier atout : ce n’est pas un adepte des réseaux sociaux et il n’a aucune envie de croiser le fer lui-même dans cet espace. Biden s’investit peu personnellement sur les réseaux sociaux1Ses réponses interminables pendant les interviews montrent qu’il serait de toute façon incapable de limiter son expression à 280 caractères., il préfère la discussion aux clashs par médias interposés.

Cela n’empêche pas son équipe d’investir dans une campagne digitale active (plutôt sobre en comparaison de celle du camp Trump) afin de ne pas être totalement absente des réseaux sociaux et de garder le contact avec l’électorat jeune ou peu politisé – on ne sait pas combien de voix rapportent les vidéos de chiens ou de chats mais dès lors qu’on a les moyens de mener une campagne digitale…

Biden a en quelque sorte délégué la gestion de cet arène médiatique à ses soutiens les plus actifs sur le plan digital (Biden a encore aujourd’hui, moins d’abonnés à son compte Twitter que Bernie Sanders, lequel mène campagne activement sur les réseaux), par exemple au travers des « Team Joe Talks » diffusés sur YouTube ou Instagram, ce qui, de fait, le préserve personnellement de la campagne de caniveau voulue par Donald Trump.

Surtout, il bénéficie de l’image plutôt positive dans l’opinion publique qu’il a su cultiver tout au long de la campagne (on en parlait plus longuement ici) : celle d’un père de famille exemplaire issu des classes moyennes ouvrières, finalement assez éloigné de l’affairisme politicien des élites de Washington, et qui s’intéresse sincèrement aux autres.

Et s’il a su assez largement imposer cette image, c’est sans doute parce qu’elle correspond à la réalité de ce qu’est Joe Biden au quotidien. Il en a encore fait la preuve lors du « Town Hall » (échange avec des citoyens) organisé par ABC le 15 octobre en remplacement du débat avec Donald Trump, en raison de la contamination de ce dernier par le coronavirus : alors que l’émission était terminée, il est resté plus d’une demi-heure sur le plateau pour poursuivre la discussion avec les participants.

Les témoignages de citoyens ordinaires et de personnalités politiques (y compris dans le camp républicain) sur le fait que c’est un « type bien », déjà au cœur de la convention démocrate, continuent d’ailleurs à émailler la campagne et à être mis en avant par le camp Biden.

Biden n’a donc aucun mal, avec cette posture, à accentuer le contraste entre sa personnalité et celle du Président sortant. A chaque défaut ou trait de caractère problématique de Donald Trump, Joe Biden oppose ses propres qualités relationnelles, sa capacité d’écoute, son empathie, son refus de la politique spectacle, sa capacité à s’excuser et à reconnaître ses erreurs (par exemple sur la loi répressive, le « Crime Bill » dont il état un des promoteurs dans les années 90), etc.

Une réponse de Biden lors des « Town Hall » diffusés simultanément sur deux chaînes différentes2On conseille la parodie par le « Saturday Night Live ». résume d’ailleurs très bien l’abîme entre les personnalités des deux candidats :

George Stephanopoulos : « Si vous perdez, qu’est-ce que cela signifiera en ce qui concerne la situation dans laquelle se trouve les Etats-Unis ? »

Joe Biden : « Cela pourrait signifier que je suis un mauvais candidat et que je n’ai pas fait une bonne campagne. Mais je pense, et j’espère, que cela ne voudra pas dire que nous sommes aussi divisés sur les questions raciales, ethniques, religieuses que semble le souhaiter Donald Trump.»

Joe Biden, répondant au modérateur du Town Hall organisé par ABC le 16 octobre.

Sa capacité à affronter Donald Trump le 29 septembre lors d’un premier débat réduit à une querelle de cour d’école, combinée à son « Town Hall » réussi le 15 octobre – et davantage regardé que la prestation du Président programmée à la même heure sur une autre chaîne – ont sans doute rassuré de nombreux électeurs, qui veulent « dégager » Donald Trump mais n’étaient peut-être pas définitivement prêts à « engager » Joe Biden.

Pour avoir été vice-président pendant 8 ans, Joe Biden sait parfaitement ce que représente la fonction présidentielle. Et s’il n’est pas, on l’a répété dans ces chroniques, le plus grand homme d’Etat que les Etats-Unis aient connu, ni le meilleur orateur, il a démontré pendant cette campagne qu’il connaît ses limites, qu’il sait s’entourer3De femmes notamment !, qu’il a des principes de gouvernance simples et bien établis, et qu’il veut être le Président de tous les américains et pas seulement le président des démocrates pour remettre le pays sur les bons rails.

Les américains semblent aujourd’hui largement convaincus que c’est Biden qui a le plus de qualités personnelles et morales, pour être un bon Président4On mettra de côté ceux qui pensent qu’un Président est là pour écraser ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, qui sans conteste préféreront Trump..

Le récent sondage de NPR et Marist Poll illustre parfaitement en tout cas les différences de perception des deux candidats et le fait que Biden a réussi sa campagne en la matière.

Il ne reste peut-être plus à Biden, pour asseoir définitivement sa stature présidentielle et écarté les doutes persistants sur son âge et ses capacités cognitives, à ne pas s’effondrer lors du troisième et dernier débat prévu le 22 octobre.

La deuxième règle appliquée scrupuleusement par le camp Biden consiste à se focaliser sur deux ou trois sujets de fond qui sont au cœur des préoccupations des américains, comme le prouvent tous les sondages récents, et qui sont les vrais points faibles du Président : la gestion catastrophique de la pandémie, ses conséquences sur l’emploi et la situation économique des américains les plus vulnérables, les menaces de remise en cause, par le Président et ses alliés républicains, des dispositifs publics d’assurance-santé. Quitte à mettre de côté des sujets porteurs pour le camp démocrate ou à se priver du plaisir de croiser le fer avec les conservateurs sur les « valeurs ».

C’est peut-être dans ce domaine que la discipline et l’habileté du camp démocrate sont les plus notables.

Habileté parce que ces sujets permettent de toucher des électeurs au-delà de base électorale habituelle du parti démocrate : les personnes âgées (et au-delà tous les personnes avec des antécédents médicaux, les plus vulnérables en cas de contamination par le virus), mais aussi les mères de famille, préoccupés par l’accès aux soins ou par les conséquences de la pandémie sur la scolarisation des enfants.

Mais ces thèmes de discussion permettent aussi de mettre en avant des sujets importants pour le cœur de l’électorat démocrate et qui le deviennent, au travers de la pandémie, pour le reste de la population : on pense notamment à la question des gardes d’enfants (« child care »), mise en évidence par la fermeture des écoles (depuis plus de 6 mois dans certains états) et l’aide à domicile en générale (pour les personnes âgées ou handicapées), et sur laquelle Joe Biden avait annoncé un plan très ambitieux dès le mois de juillet.

Les sondages, comme celui réalisé mi-octobre par NPR et Marist Poll, semblent prouver l’efficacité de cette approche puisque Joe Biden est légèrement en tête dans le segment des plus de 60 ans (que Trump avait largement gagné en 2016), au point qu’on parle d’une « gray revolt » (qui se manifeste jusqu’en Floride), et dans l’électorat féminin, y compris chez les électrices des banlieues résidentielles des classes moyennes ou les électrices peu diplômées, qui avaient déjà permis aux démocrates de reconquérir la chambre des représentants en 2018 (en faisant déjà à l’époque, campagne sur la volonté des républicains de démanteler l’ObamaCare).

Quant à la discipline, elle est illustrée par Kamala Harris, qui, lors du débat des candidats à la vice-présidence, est revenue systématiquement à la pandémie et à l’assurance-santé, malgré plusieurs hameçons tentants lancés par son adversaire pour déplacer le terrain sur la question de la « guerre culturelle » ou de l’économie.

Discipline aussi des sénateurs démocrates lors des auditions de la candidate nominée par Donald Trump pour pourvoir le poste vacant à la Cour Suprême. Loin de tomber dans le piège grossièrement tendu – et largement télégraphié – par les républicains, qui auraient les voir s’attaquer la personnalité et la religiosité de la candidate5Comme les démocrates l’avaient fait avec le juge Kavanaugh en 2018 : il faut dire qu’il était accusé d’avoir violé une étudiante pendant sa jeunesse., ils ont évité toute attaque personnelle ou remise en cause des compétences d’Amy Coney Barrett et simplement pris appui sur les prises de positions passées de cette dernière pour en faire tribune sur les risques pesant sur l’assurance-santé.

Puisque celle-ci avait contribué récemment à des articles juridiques regrettant que la Cour Suprême n’ait pas cassé l’« Affordable Care Act » (nom officiel de l’ObamaCare), ils ont, tel le sénateur Cory Booker, ancien candidat à la primaire dans un plaidoyer très réussi mais assez éloigné de l’objet de l’audition, passé le plus clair de leur temps à citer des exemples précis des dégâts que pourrait causer la remise en cause de l’Affordable Care Act.

Evidemment, les démocrates ont aussi au passage pointé le fait que le Sénat préférait consacrer le peu de temps de mandat qu’il lui reste à nommer une juge en urgence plutôt qu’à adopter des mesures de soutien des ménages américains.

Les républicains pensaient que ces auditions galvaniseraient leur base électorale chrétienne conservatrice autour de la nomination d’une juge ultra-conservatrice, et peut-être même permettraient de rallier quelques électeurs, et surtout électrices, qui n’auraient pas apprécié que les démocrates maltraitent une mère de famille exemplaire ou fassent preuve d’intolérance par rapport à ses convictions religieuses.

Mais les démocrates ont donc aussi largement su utiliser cette tribune pour faire campagne pour Joe Biden et pour consolider le soutien de l’électorat féminin et de leur base électorale progressiste : ils ont aussi su mettre en avant le fait qu’Amy Coney Barrett était résolument anti-avortement et « pro-gun », alors qu’une majorité d’américains sont en faveur de la légalité de l’avortement (malgré des nuances importantes dans les détails), mais aussi, et notamment les femmes, en faveur des règles plus strictes sur les armes à feu.

Ils ont aussi rappelé qu’elle avait tranché des contentieux davantage en faveur des employeurs que des salariés ou qu’elle avait dans un jugement considéré que le droit au port d’armes est un droit davantage inaliénable que le droit de vote (sujet qui prend une résonance particulière en période électorale et alors que de nombreux contentieux sont en cours s’agissant de lois adoptées par certains états pour restreindre l’accès au vote, des anciens condamnés par exemple). Kamala Harris a même réussi à lui faire dire que le « changement climatique » était un sujet « controversé ».

Il est donc bien possible que l’effet électoral de la nomination, espéré par le camp Trump et ses soutiens républicains soit finalement limité – ce qui ne retire pas l’importance d’une nomination à vie d’une juge qui a confirmé qu’elle était résolument – voire radicalement – conservatrice.

Les questions autour de la Cour Suprême constituent néanmoins une des rares épines dans le pied de Joe Biden, dont il n’arrive étonnamment pas à se débarrasser. Car il refuse toujours de se prononcer sur l’hypothèse d’un changement des règles de nominations à la Cour Suprême (ce qu’on appelle le « court packing » qui consisterait, pour compenser les nominations récentes et contestables, du point de vue démocrate, de deux juges conservateurs, à augmenter, si Biden est élu et si les démocrates deviennent majoritaires au Sénat comme à la Chambre des représentants, le nombre de juges au sein de la Cour et à y nommer des juges progressistes).

Très décrié par les républicains conservateurs, qui estiment que ce serait une perversion de la constitution (et craignent surtout de perdre le bénéfice des efforts en cours pour donner une coloration conservatrice durable à la Cour Suprême), mais soutenu par les militants démocrates progressistes qui rétorquent que tout est permis puisque les républicains ont abusé des règles en vigueur, le « court packing » n’est probablement pas un enjeu de premier ordre pour les électeurs.

Mais Joe Biden, dont on sait pourtant qu’il est plutôt un « institutionnaliste » qui veut préserver et faire fonctionner les institutions actuelles telles qu’elles sont, a refusé de se prononcer. De peur, s’il soutenait l’idée, de détourner l’attention de la pandémie et des sujets placés au centre de sa campagne et si au contraire il l’écartait, de fissurer le soutien impeccable que lui apporte aujourd’hui l’aile progressiste du parti démocrate.

En attendant, les médias ne cessent de le titiller sur cette question, le sujet est bien parmi les plus présents de l’actualité, et Biden risque de passer pour un politicien évasif qui refuse de donner son opinion sur certains sujets (alors même qu’il cherche à paraître honnête et à entretenir le contraste avec Donald Trump en la matière), ce qui n’était évidemment pas le but de l’opération. Biden a fini par dire maladroitement ce qu’il se prononcerait d’ici l’élection, attendant de voir si les républicains iraient au bout du processus de nomination.

A quelques exceptions près, donc, Joe Biden parvient remarquablement, depuis plusieurs semaines, à maintenir l’attention des médias et des électeurs sur la pandémie et ses conséquences. On notera, par, exemple que si les manifestations « Black Lives Matter » continuent sporadiquement, avec parfois des violences, et que si rien n’est réglé en la matière, le sujet est peu présent dans les médias. C’est un sujet à double tranchant pour Trump, que Biden a plutôt géré à son avantage jusqu’à présent.

Manifestement on considère dans le camp Biden que le candidat a donné suffisamment de gages aux électeurs afro-américains pour prendre le risque de mettre le sujet à la une et de dilapider les acquis en la matière. Côté Trump, on tente, malgré l’inefficacité manifeste de la démarche jusqu’à présent, d’agiter à nouveau le spectre de l’anarchie. Mais sans succès tant le Président semble incapable, lui, de se discipliner pour se focaliser sur un sujet précis.

C’est d’ailleurs là une des faiblesses de la campagne menée par le Président. Le camp Biden en joue, ce qui relève plus de l’adaptation au contexte et à l’adversaire que d’une règle de conduite volontairement édictée.

Biden a bien compris qu’il était quasiment impossible d’essayer de voler la vedette à Donald Trump sur la scène médiatique nationale et de chercher à imposer son propre agenda médiatique face à un Président prêt à tout pour faire la une. Mais comme ce dernier multiplie les polémiques, passe sans cesse d’un sujet à l’autre, et est souvent son meilleur détracteur, la campagne Biden a choiside réagir au tac au tac pour toujours remettre le Président face à ses contradictions et ramener le débat politique à la pandémie, à l’incompétence ou aux problèmes de personnalités du Président.

Un article de The Atlantic évoque des déclarations méprisantes du Président envers les militaires ? La campagne Biden diffuse un spot sobre (il ne reprend que les supposées déclarations de Trump) mais dévastateur.

Le New York Times révèle que le Président n’a payé que 750 dollars d’impôts sur le revenu en 2016 et 2017 ? On diffuse un spot comparant cette somme avec les impôts dont s’acquittent les « travailleurs essentiels » en première ligne pendant la pandémie.

Le Président déclare que le virus ne touche « virtuellement personne » ou multiplie les sorties sans mesures de distanciation sociale ? Joe Biden organise une rencontre avec des personnes âgées en Floride et rappelle combien il est difficile de ne pas voir ses petits-enfants. Le Président refuse d’encourager le port du masque ? Biden le rappelle à son devoir d’exemplarité et à sa responsabilité. Trump déclare que la pandémie est terminée ? Biden expose les faits.

Pour cela, les ressources financières record (il a collecté plus de 380 millions de dollars en septembre !) dont bénéficie Joe Biden sont très utiles, car elles lui permettent de diffuser massivement des spots de campagne au niveau national et, surtout, dans les états décisifs.

Selon les derniers chiffres disponibles analysés et relayés par le New York Times, Biden a récemment pu dépenser des sommes nettement plus importantes que Trump dans la plupart des états clés de l’élection, martelant partout ses messages tandis que Trump doit de son côté choisir entre les messages et les états dans lesquels il achète des espaces publicitaires pour diffuser ses spots de campagne.

Dépenses comparées des candidats dans les états les plus disputés pour l’élection présidentielle du 3 novembre – extrait d’un article du New York Times du 18 octobre.

Et c’est d’ailleurs un autre aspect de la campagne réussi par Joe Biden. Il s’est évidemment concentré sur les états décisifs des Grands Lacs et mène notamment une campagne très active en Pennsylvanie, qui semble bien être l’état le plus crucial pour garantir une majorité au sein du collège électoral (avec un « whistle-stop tour » à l’ancienne, c’est-à-dire un voyage en train ponctué d’arrêts dans de nombreuses petites villes6Biden adore le train et cela renvoie au fait que jeune sénateur, il rentrait tous les soirs chez lui dans le Delaware, en train, pour s’occuper de ses enfants.).

Mais il n’a pas hésité à se déplacer en Géorgie par exemple, obligeant le camp Trump à faire lui-même campagne dans cet état pourtant théoriquement acquis aux républicains. Rien ne dit que Biden puisse vraiment gagner la Géorgie, mais en poussant Trump à y passer du temps et de l’argent, il limite en même temps sa capacité à rattraper son retard dans d’autres « swing states ».

Et même si Biden ne tient pas de meetings rassemblant de grandes foules, comme le fait son adversaire (qui s’en vante sans cesse et félicite ses supporters qui vont « troller » les réunions publiques en mode « drive in » organisées par le candidat démocrate) il mène en réalité une campagne locale très active, accordant par exemple systématiquement des entretiens à la presse locale (journaux comme les antennes locales des chaînes de télé nationales, qui sont très regardés), ce qui lui permet de contourner son déficit d’exposition médiatique nationale, pour marteler ses messages directement auprès des électeurs concernés.

Même s’il le fait remarquablement bien, il est évidemment un peu triste ou frustrant de constater que la campagne de Biden repose essentiellement (pour ne pas dire uniquement) sur les défauts de son adversaire et que le débat de fond sur les politiques économiques, sociales, la justice raciale, les enjeux internationaux n’a jamais vraiment été abordé.

Reste qu’il est un peu inquiétant de se dire que si jamais Donald Trump, par miracle, se calmait pour les deux semaines de campagne restantes et se mettait à mener une campagne un minimum structurée, Joe Biden serait sans doute bien démuni pour recalibrer son message, mener campagne contre un candidat « normal » et basculer sur une stratégie mettant en avant son programme et ses mesures – côté démocrate, on a sans doute eu un instant d’angoisse quand Trump a été hospitalisé après avoir contracté le virus et que la possibilité de voir Pence devenir le candidat républicain est alors soudainement apparue.

Non pas que Biden n’ait pas des projets ou des plans précis : il les a d’ailleurs présentés dans une série de discours en juillet, ce qui lui a permis de rassembler le parti autour de lui. Il a délibérément choisi de peu les mettre en avant dans le détail, en partie parce qu’il est assez vain de s’engager sur le terrain du débat d’idée avec un adversaire comme Donald Trump, qui nie les plus simples évidences, martèle sans cesse des contre-vérités, refuse de s’appuyer sur des éléments scientifiques avérés (le changement climatique en étant l’exemple le plus évident), etc.

On se rassurera néanmoins en constatant que la piètre qualité du débat d’idées pendant cette campagne, ne traduit pas le fait que Joe Biden soit un simple opportuniste soucieux d’éviter à tout prix les sujets qui fâchent. S’il focalise sa campagne sur son adversaire, il n’a pas hésité à afficher des convictions fortes sur des sujets potentiellement clivants.

On pense au changement climatique évidemment, même s’il n’a peut-être pas été aussi loin que certains l’auraient espéré, et si sa position sur la fracturation hydraulique pourrait bien être un sparadrap du capitaine Haddock d’ici à l’élection et au-delà s’il est élu.

Mais aussi à son rejet éloquent des discriminations et de violences envers les transgenres pendant le « Town Hall » du 16 octobre. Certains rappelleront qu’il avait été un des premiers, pendant la présidence Obama, à soutenir publiquement le mariage gay, inquiétant alors les stratèges du Président. Cela correspondait à la fois à ses convictions personnelles et au sentiment, avéré par la suite, que la société américaine était, contrairement à ce qui était communément admis, prête à cette évolution importante.

Et ce n’est sans doute pas la moindre des qualités de Joe Biden que d’être capable, pour une homme politique de carrière, de garder un contact suffisant avec le « terrain » et de sentir ce type d’évolution – Barack Obama répète régulièrement qu’il s’était félicité, a posteriori, d’avoir choisi Biden comme vice-président, lorsqu’il avait constaté que ce dernier cherchait systématiquement, au moment de donner son avis sur des décisions et des arbitrages politiques, à se mettre à la place des « américains ordinaires ».

C’est grâce à cette qualité rare, que Joe Biden, plutôt modéré sur le fond et sur la forme, rechignant aux affrontements politiques partisans, est sans doute capable de faire avancer des politiques progressistes – et cela explique sans doute le rassemblement impeccable affiché par les démocrates derrière leur candidat.

Cette union sacrée s’explique aussi par le fait que les progressistes ne peuvent que constater qu’en réduisant volontairement la campagne de 2020 à un référendum sur la gestion de la pandémie de coronavirus par le Président Trump, comme illustration de son incapacité à diriger le pays, Joe Biden a choisi une stratégie qui paraît gagnante jusqu’à présent et qui pourrait amener les démocrates non seulement à la Présidence mais aussi à la conquête du Sénat7On y reviendra dans une prochaine chronique.. Même si en cas de défaite, toujours possible, les reproches envers la stratégie adoptée ne manqueront pas d’être violents, comme ils l’ont été en 2016.

L’auteur lui-même aurait préféré une campagne plus axée sur le fond. Mais dans le même temps, dans un pays qui a voté Donald Trump, où l’idée d’intérêt général semble avoir bien du mal à se faire une place dans le débat public, il se satisfait de voir Joe Biden mener avec constance et succès, pour l’instant, une campagne dont le principal message n’est pas négligeable : quelles que soient les idées politiques, la personnalité des responsables politiques doit être un élément déterminant au moment de voter.

Ce serait déjà bien si une majorité nette d’américains, et un nombre non négligeable de républicains, faisaient le choix le 3 novembre de voter Biden et d’écarter Trump, parce qu’ils ont été convaincus par Biden que, comme le résumait une des responsables de sa campagne, « who is President matters ».

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