Après la faillite monumentale des instituts de sondage concernant l’élection présidentielle de 2016 (ils avaient pronostiqué presque unanimement une victoire d’Hillary Clinton), Donald Trump a beau jeu de contester en permanence tous les sondages et analyses sur les intentions de vote qui le donnent perdant de façon constante depuis plusieurs mois maintenant.
Trump a toujours en réalité été accroc aux enquêtes d’opinion, obsédé qu’il est par son image auprès du grand public (en bon homme de télévision, Trump est particulièrement attentif aux audiences de ses prestations médiatiques et de celles de son adversaire, se félicitant des audiences de la convention républicaine ou du récent débat télévisé).
Selon des fuites de la Maison-Blanche, il aurait menacé fin avril d’intenter un procès à son directeur de campagne après que celui-ci lui eut présenté des sondages défavorables… et se serait calmé quand son équipe lui aurait ramené, après « révision », des sondages plus favorables quelques jours plus tard.
Le Président est donc le premier à relayer les quelques rares sondages favorables (qui émanent de l’institut Rasmussen, contesté au sein de la profession mais encensé par Trump) ou à se vanter de ses bonnes performances dans l’électorat latino par exemple1Et ce même si elles ont été identifiées par les instituts de sondages que Trump critique violemment par ailleurs..
S’il accorde autant d’importance à ces questions et passe autant de temps à critiquer publiquement les résultats, c’est parce que Trump est convaincu du pouvoir d’influence des résultats de sondages.
Il accuse ainsi les sondages négatifs de Fox News d’avoir une influence négative sur la bourse. Et ce n’est pas pour rien que Fox News, qu’il voit comme un instrument de sa réélection et qui de ce fait ne devrait, selon lui, diffuser que des informations positives à son propos, est sa cible favorite quand il s’agit de critiquer les sondages.
C’est pour cela que l’équipe de campagne de Trump a fameusement écrit à CNN début juin pour demander à retirer un sondage qui lui était défavorable. Avec pour le coup un effet contre-productif, CNN ayant évidemment refusé d’accéder à la demande et rendu publique sa réponse.
D’où aussi le dénigrement permanent des instituts de sondage et l’insistance sur la partialité des médias, pour limiter l’impact négatif des enquêtes d’opinion et continuer à mobiliser sa base électorale.
En critiquant la partialité des enquêtes qui le donnent perdant (comme en clamant haut et fort, par exemple lors du premier débat présidentiel, que le vote par correspondance est source de fraudes et que les démocrates veulent lui « voler » l’élection), Trump prépare peut-être aussi le terrain pour contester les résultats de l’élection du 3 novembre s’ils lui sont défavorables2Cela étant, le fait d’avoir contracté le coronavirus, et donc de ne pouvoir mener campagne comme il le souhaiterait au moins pour une partie de la dernière ligne droite fournit à Trump une excuse en cas de défaite : il pourra expliquer qu’il n’a pas pu vraiment défendre ses chances et qu’il n’a pas perdu à la régulière. Cela pourrait lui offrir une porte de sortie « honorable », diront les optimistes et ceux qui voient en lui un pleurnichard plus qu’un dictateur en puissance prêt à susciter une crise institutionnelle..
Cette rhétorique de Trump a d’ailleurs déjà porté en partie ses fruits et réussi à instiller le doute au sein du grand public, puisqu’alors que les sondages ne lui étaient pas franchement plus favorables en septembre qu’en juillet, une majorité d’électeurs voyaient Donald Trump gagner l’élection dans un sondage de Fox News (lequel sondage donnait Biden nettement en tête s’agissant des intentions de vote) début septembre, alors que ce n’était pas le cas en juillet. De même, lors d’un sondage sur le débat du 29 septembre, les personnes interrogées donnaient autant de chance de victoire aux deux candidats.
Mais il n’y a pas que de la tactique dans la contestation des sondages par Trump et son équipe. Ils considèrent en effet sincèrement avoir des arguments techniques solides, qui expliqueraient la faillite des instituts de sondage en 2016 et que ces derniers ne prendraient toujours pas suffisamment en compte cette année.
Le premier argument tient à la pondération par les instituts de sondage des différents segments de la population au sein des échantillons de personnes interrogées. De nombreux instituts de sondage avaient en 2016 insuffisamment tenu compte du niveau d’éducation dans leur échantillonnage, alors que cette caractéristique était en réalité déterminante.
Ainsi les électeurs « blancs non diplômés » sont, selon les études réalisées depuis, moins susceptibles de répondre aux sondages que les électeurs « blancs diplômés » ; ils constituaient par ailleurs un sous-segment démographique dans lequel Donald Trump avait obtenu de très bons résultats. Ces électeurs étaient sous-représentés dans les échantillons, faussant les résultats sur les intentions de vote.
Comme le taux de participation de cet électorat en 2016 s’est révélé plus faible que dans le reste de la population et en-deçà du niveau atteint par exemple en 2004, on considère côté Trump que le Président sortant va continuer cette année à ramener vers les urnes de nombreux abstentionnistes de ce segment démographique séduits par son bilan, son positionnement « sans filtre » sur les inégalités raciales, ses discours « anti-système », etc. Et donc que les sondages de 2020 donnent le Président perdant parce qu’ils reproduisent la même erreur qu’il y a 4 ans en sous-estimant l’importance des électeurs « blancs non diplômés ».
Du côté des experts en enquête d’opinion et des principaux instituts de sondage, on avait mené juste après le fiasco de 2016 un retour d’expérience approfondi et on admet sans hésiter que la question de la pondération des différents segments démographiques a joué un rôle dans les prédictions erronées de 2016 : en repartant des données brutes et en pondérant les différentes catégories de la population sur la base de leur participation effective au scrutin de 2016, une partie des écarts entre les sondages et le résultat final est ainsi comblée.
Mais les instituts de sondage expliquent que, partant de ce constat, les méthodes de pondération utilisées cette année ont été corrigées pour tenir compte de cette fragilité et que rien ne dit que les sondages sont à nouveau faussés sur ce point cette année. Au contraire, on estime que la pondération des différents segments démographiques utilisée en 2020, basée sur les niveaux de participation réellement enregistrés en 2016, pourrait surestimer le poids des électeurs « blancs peu diplômés ».
D’abord pour des raisons démographiques : la part de ces électeurs la population en âge de voter diminue (les jeunes générations qui deviennent en âge de voter sont plus diplômées et plus diverses du point de vue ethniques), notamment dans les états clés de l’élection.
Ensuite parce que la sous-représentation des électeurs « blancs non diplômés » dans les échantillons interrogées en 2016 était liée non seulement à une catégorisation trop grossière de l’électorat blanc, on l’a dit, mais aussi à une sur-estimation de la participation d’autres segments, notamment les électeurs afro-américains, dont le taux d’abstention avait été plus important que prévu. Ils avaient ainsi significativement moins voté que pour lors deux élections précédentes lors desquelles Barack Obama était en piste, et notamment en 2012, tandis que les « blancs non hispaniques » s’étaient eux, davantage rendu dans les urnes que lors des scrutins précédents.
Or l’électorat afro-américain semble à ce stade de la campagne électorale particulièrement motivé pour participer au scrutin du 3 novembre, comme il l’avait été pour participer aux primaires démocrates.
Le deuxième argument mis en avant par Trump est lié à la psychologie des électeurs prêts à voter Trump. Selon ce dernier, en raison de la « cabale médiatique » menée à son encontre depuis 2015, il serait politiquement incorrect de déclarer qu’on vote Trump et une partie de ses électeurs cacheraient leur vote ou refuseraient, pour ne pas dévoiler leur préférence par rejet de sondeurs qui feraient justement partie du « système » dénoncé par leur favori, de répondre aux sondeurs. Ainsi, dans tous les segments de la population, on sous-estimerait la part de électeurs pro-Trump.
C’est le même argument qui pousse Trump et son entourage à considérer que le soutien à « Black Lives Matter » identifié par les enquêtes d’opinion est artificiel et correspond à des réponses « politiquement correctes » mais pas nécessairement sincères. Ce qui explique par ailleurs qu’il persiste dans le refus de reconnaître l’existence d’un racisme systémique ou de traiter le sujet.
Cela correspond à la théorie de la « majorité silencieuse » régulièrement développée par le Trump notamment depuis les manifestations contre les inégalités raciales et les violences policières.
Certes, une enquête d’opinion du think tank libertarien de droite Cato Institute estime qu’une nette majorité d’américains a peur de partager publiquement leurs opinions publiques. Mais si cette crainte est, selon cette enquête, significativement plus importante chez les électeurs républicains, elle est aussi nette chez les électeurs démocrates. L’étude reflète donc d’abord le climat délétère du débat public aux Etats-Unis et la polarisation politique grandissante du pays, mais rien ne dit que ces phénomènes influencent les réponses des personnes interrogées à des sondages.
Du côté des experts, on est en effet beaucoup plus dubitatif, études à l’appui, sur cet argument dit des « shy voters » (les « électeurs timides »).
D’abord parce que cette théorie, appelé « effet Bradley » s’appuie sur un précédent désormais contesté : en 1982, un candidat afro-américain démocrate au poste de gouverneur de Californie, Tom Bradley, nettement en tête dans les sondages, aurait été défait parce que les personnes sondées n’auraient pas voulu déclarer leur préférence pour son adversaire blanc, de peur d’être jugés racistes. Mais depuis, d’autres explications ont été données, notamment une participation bien plus élevée que prévue de l’électorat républicain, opposé sur le fond à plusieurs mesures du programme de Bradley.
Ensuite, parce que le vote Trump n’est peut-être plus vraiment honteux (s’il l’a déjà été, dans un pays où la liberté d’expression est un droit fondamental largement revendiqué et en particulier du côté des conservateurs et de l’ultra-droite). Au contraire, certaines enquêtes journalistiques de terrain montrent aussi l’effet inverse : dans certaines zones où les partisans de Trump sont très actifs et démonstratifs, c’est plutôt le vote démocrate qui est honteux (avec des soutiens de Biden, qui hésitent à mettre des pancartes de soutien sur leur pelouse, pratique extrêmement répandue aux Etats-Unis).
L’argument du camp Trump est d’ailleurs assez contradictoire avec une autre de ses théories qui s’appuie d’ailleurs sur des sondages : celle de l’« écart d’enthousiasme », qui selon laquelle Trump susciterait un fort enthousiasme chez les électeurs prêts à voter pour lui, contrairement à Biden. Si le vote Trump était si honteux que cela, les électeurs le justifieraient sans doute davantage qu’ils ne le font par le souhait d’éviter une victoire de Biden.
Surtout, les sondeurs estiment que si des électeurs ne veulent pas révéler leur vote, ils vont se déclarer indécis (et non pas prétendre vouloir voter pour le concurrent de leur candidat préféré). Et le nombre d’électeurs se déclarant indécis en 2020 est remarquablement faible.
On peut donc se demander, si en estimant que le vivier d’électeurs potentiellement attirés par Donald Trump n’a pas été totalement exploité en 2016 et peut lui apporter la victoire en 2016, ou que ses électeurs se « cachent », le camp Trump ne prend ses désirs pour des réalités et ne cherche pas, avant tout, à se convaincre de la pertinence d’une stratégie de campagne qui mise tout sur le cœur de l’électorat « Trumpiste » sans jamais chercher à rallier de nouveaux profils d’électeurs.
Et ce alors même que la façon de mettre en œuvre cette stratégie (en attisant la « guerre culturelle » sur les « valeurs » ou en refusant d’aborder la question des inégalités raciales) motive autant l’électorat adverse afro-américain, jeune, féminin, etc. que son propre électorat.
En réalité quand Trump répète que les résultats des sondages prouvent que l’échantillon des personnes interrogées est mal réalisé, il ne s’agit que d’une conviction : sa principale critique envers les sondages, c’est d’abord qu’ils ne donnent pas les résultats qu’il espère.
C’est ainsi que Trump avait diffusé sur Twitter début juin un argumentaire d’un sondeur proche de son équipe3Et par ailleurs déconsidéré au sein de la profession., qui estimait que le nombre d’électeurs se déclarant républicains était trop faible dans les enquêtes d’opinion. Ce qui revient à dire que les sondages sont faux parce qu’ils ne trouvent pas assez d’électeurs prêts à voter Trump. Autant corriger les échantillons pour essayer de tenir compte de la composition démographique de l’électorat a un sens, autant les corriger en fonction des préférences affichées par les électeurs n’en a pas, puisque c’est justement ce que l’on cherche à mesurer dans les enquêtes d’opinion.
Cela étant, seule l’analyse précise des résultats et des sondages de sorties des urnes permettra de vérifier si ces faiblesses des sondages de 2016 ont été réellement corrigées s’agissant notamment de la pondération de cet électorat « blanc non diplômé ».
Car si les sondeurs défendent les corrections méthodologiques apportées entre 2016 et 2020 et expliquent avoir a posteriori4En sondage comme en économie, les explications a posteriori sont manifestement toujours plus faciles et convaincantes que les prédictions. bien compris et documenté ce qui s’était passé en 2016, ils sont sans aucun doute conscients que leurs corrections et leur méthodologie actualisée repose sur un paramétrage basé sur le passé, sans réelle capacité à intégrer les évolutions de l’électorat d’une élection à l’autre.
Comme le rappelle l’excellent « manuel » sur les sondages et leur usage réalisé par le Pew Research Center, on ne peut pas corriger une faiblesse méthodologique qu’on ne connaît pas.
Pour autant, les experts estiment que plusieurs facteurs d’incertitude présents en 2016 ne sont plus d’actualité en 2020, ce qui renforcerait théoriquement la fiabilité, à date, des sondages – on notera cependant que ces arguments sont eux-mêmes basés sur l’interprétation d’enquêtes d’opinion, ce qui en fait des arguments en quelque sorte récursifs.
En premier lieu, en 2016, courant septembre, les opinions négatives étaient majoritaires envers les deux candidats (l’un comme l’autre avait un peu plus de 40% d’opinions positives et environ 55% d’opinions négatives), ce qui rendaient incertain le choix final des électeurs nombreux qui n’aimaient aucun des deux candidats.
Cela renforçait aussi l’impact de la présence de « petits candidats » (le candidat libertarien Gary Johnson et la candidate verte Jill Stein) qui avait finalement à eux deux remporté plus de 4% des voix au niveau national, et parfois plus de 5% dans certains états clés, pénalisant ainsi notamment Hillary Clinton.
Or cette année, si Trump est à peu près dans la même situation qu’en 2012 en matière de popularité, Joe Biden bénéficie lui d’opinions favorables. Il y a donc moins d’électeurs qui détestent les deux candidats et qui peuvent changer d’avis au dernier moment.
A cela s’ajoute le fait qu’aucun autre candidat ne semble en mesure de remporter un pourcentage un tant soit peu significatif des votes, ce qui limite de fait les alternatives.
Ces éléments expliquent sans doute en partie un autre différence importante et déterminante entre 2016 et 2020 : le nombre d’électeurs indécis est faible (au maximum 10% – certains instituts l’estimant même plutôt à 5%, contre 15% à 20% lors de précédents scrutins à la même époque) et les électeurs déclarant une intention de vote semblent déterminés sur leur choix, ce qui réduit les possibilités de renversement de situation.
En effet, il apparaît qu’en 2016, les électeurs qui s’étaient décidé en toute fin de campagne avaient au final davantage voté pour Trump notamment dans les états clés, faisant basculer le résultat (cf. les sondages de sortie des urnes par exemple dans le Michigan ou le Wisconsin). Soit qu’ils aient été de « faux indécis » (c’est la théorie du camp Trump sur les « shy voters » ou les « hidden voters »), soit (et c’est l’explication privilégié des experts) qu’ils aient été fortement influencés par les derniers jours de campagne (on y reviendra). Même si une nette majorité des indécis votaient finalement Trump cette année, cela ne suffirait sans doute pas à combler l’écart actuel.
Enfin, échaudés par le précédent de 2016, que les électeurs ne considèrent pas l’élection comme jouée d’avance (ce qui était largement le cas il y a 4 ans) et tout le monde, y compris dans le camp Trump, prévoit une participation très forte. Auteur de facteurs qui a priori renforce la fiabilité des enquêtes d’opinions par rapport au scrutin de 2012.
Ces différentes explications paraissent plutôt convaincantes et on sent qu’experts politiques comme sondeurs sont assez solidement persuadés que leurs estimations sont nettement plus proches de la réalité qu’en 2016.
Reste que d’une part, les marges d’erreurs techniques sur les résultats sont importantes et peuvent significativement changer le résultat final, et que d’autre part il reste encore un mois avec le scrutin.
En effet, pour fiable qu’il soit, un sondage n’est qu’une photo de la situation à date et n’est pas prédictif du résultat final. C’est d’ailleurs une des explications majeures du décalage constaté en 2016 entre le résultat de l’élection et les derniers sondages disponibles : ces derniers n’avaient pas matériellement pu mesurer l’effet de l’annonce par le FBI de l’ouverture d’une enquête sur l’usage par Hillary Clinton de sa messagerie électronique personnelle dans l’exercice de ses fonctions de Secretary of State, puisque cet événement était intervenu quatre jours seulement avant le scrutin.
Autant que les problèmes méthodologiques des enquêtes d’opinion, le résultat inattendu du scrutin de 2016 traduit l’effet dévastateur de cet événement sur la candidate démocrate.
Depuis de longues semaines, tout en rappelant la remarquable stabilité des sondages, les instituts comme les grands médias rappelaient l’importance que pourraient prendre les événements de dernière minute, qu’on appelle les « october surprise ».
Ils le faisaient encore plus récemment puisque Donald Trump se cache à peine par exemple de vouloir annoncer juste avant l’élection l’homologation d’un vaccin contre le coronavirus. De même, les observateurs s’interrogeaient sur l’impact possible de la validation par le Sénat de la nomination d’une juge ultra-conservatrice à la Cour Suprême puisque le vote définitif du Sénat est à ce stade5Plusieurs sénateurs membres de la commission chargée des auditions ont contracté le coronavirus (peut-être d’ailleurs pendant l’événement organisé à la Maison-Blanche pour présenter la juge choisie par le Président, qui semble bien avoir été un cluster), ce qui pourrait remettre en cause le calendrier très serré. prévu cinq jours avant le scrutin.
Mais la campagne électorale, qui avait déjà connu des rebondissements extraordinaires (avec une pandémie entraînant une crise économique et un mouvement social historique pour la justice raciale), s’accélère encore depuis quelques jours, avec en moins d’une semaine, des révélations du New York Times sur la situation financière personnelle du Président (montrant qu’il n’est pas un aussi bon businessman qu’il le prétend et qu’il paye un montant dérisoire de taxes sur le revenu), un débat particulièrement chaotique, et enfin de l’annonce que Donald Trump avait contracté le coronavirus. Autant d’élements susceptibles de modifier l’opinion des électeurs sur les candidats et leurs intentions de vote.
Mais c’est surtout l’annonce que Trump était hospitalisé suite à son test positif au coronavirus qui plonge les commentateurs dans le doute et suscite de mutliples interrogations.
Trump peut-il par exemple bénéficier d’un élan de sympathie lié sa maladie ? l’opinion publique pouvant avoir tendance à faire bloc derrière un Président en cas de crise ? Cela paraît peu probable tant le Président est clivant et parce que Joe Biden, conscient qu’il fallait trouver le bon ton dans ce contexte particulier, a immédiatement demandé de retirer les spots de campagne négatifs sur le Président et adopté le ton empathique qu’on lui connaît6Du côté républicain, on a carrément demandé à ce que la pandémie ne soit plus un sujet de la campagne présidentielle par respect pour l’état de santé du Président. Qui ne tente rien n’a rien.. Mais l’opinion publique américaine a aussi l’habitude de faire bloc derrière le Président en temps de crise.
Comment réagiront les électeurs s’il se confirme que le Président a tardé à tenir compte de premiers symptômes et du test positif d’une de ses plus proches collaboratrices et de ce fait a continué à tenir des réunions publiques sans gestes barrière alors qu’il était sans doute conscient d’être potentiellement contagieux ? Ceci risque surtout de mettre encore plus en colère les américains contre un Président qui n’aura cessé depuis le début de la pandémie de minimiser les risques du virus7Il se moquait encore de Joe Biden et de son masque lors du débat du 29 septembre. par pur intérêt électoral.
Quoiqu’il en soit, selon l’évolution de l’état de santé de Donald Trump, la situation pourrait être très fluctuante dans les prochains jours voire jusqu’au scrutin lui-même.
Va-t-il pouvoir reprendre sa campagne et les meetings auxquels il tient tant8Il n’a pu s’empêcher de faire, dimanche 4 octobre, un tour en voiture à proximité de l’hopital où il est soigné pour saluer – depuis sa voiture, quand même – des supporters venus le soutenir, au risque de contaminer les gardes du corps entassés dans sa voiture, suscitant un tollé. ? Mike Pence mène une campagne de terrain active (mais jusqu’à présent largement sous les radars médiatiques) mais peut-il facilement mener la campagne9Certains lui demandent d’ailleurs de mettre la pédale et de se protéger dans la mesure où si Trump venait à ne plus être en capacité d’exercer ses fonctions, ce serait à Pence de le remplacer. pour un Président qui en était jusque-là le pilote unique, tout-puissant et imprévisible ?
Si Trump se remet rapidement, va-t-il faire profil bas ou bien (on l’en sent capable) jouer au dur et se glofirier d’avoir terrassé le « virus chinois » ? Si au contraire il ne se remet pas rapidement (voir si son état s’aggrave), va-t-on voir apparaître des spéculations sur son remplacement par le vice-président Mike Pence comme candidat républicain ?
Ce serait un bouleversement complet du jeu électoral : Biden ayant d’abord campagne contre Trump, que ferait-il fasse à Pence qui pourra difficilement se désolidariser de la gestion catastrophique de la pandémie ou du mouvement pour la justicie raciale, mais qui n’a pas du tout les mêmes problèmes de personnalité que le Président ?
On voit bien que non seulement certains des scénarios évoqués chambouleraient totalement l’élection en cours et rendraient totalement caducs les sondages passés, mais qu’en plus les événements peuvent évoluer très rapidement dans diverses directions.
Le problème pour les instituts spécialisés va dès lors être de réussir à suivre ces évolutions en temps réel. Ils comptaient diffuser le week end du 3 et 4 octobre les premiers résultats d’enquêtes réalisées après le débat du 29 septembre, mais ces sondages sont déjà périmés puisqu’ils ne tiennent pas compte du fait que le Président a attrapé le coronavirus. Et les sondeurs se demandent s’ils ne vont pas passer leur temps à courir derrière les événements jusqu’à l’élection.
Dans le même temps, compte tenu de la pandémie en cours, une partie significativement plus importante qu’en 2016 des électeurs se rendra dans les urnes ou votera par correspondance avant le 3 novembre, et plusieurs millions d’entre eux ont déjà voté. Certes, cela peut limiter l’effet des surprises de dernière minute.
Mais l’étalement du scrutin sur un mois rend également plus difficile le travail des sondeurs, qui ne savent pas précisément quels profils d’électeurs auront voté par anticipation (avec là encore, des estimations par sondage mais aucun point de comparaison historique et une situation manifestement très mouvante sur le sujet, suite aux critiques du Président sur le vote par correspondance) et si tous les segments de l’électorat seront dès lors touchés de la même manière par les derniers rebondissements de la campagne.
Nul doute dès lors que les analystes politiques et les instituts de sondage les plus sérieux vont redoubler de prudence par rapport aux conclusions tirées des sondages qui sortiront dans les prochains jours.
On avait déjà pu constater depuis le début de la campagne les efforts réalisés par certains médias, instituts de sondage et analystes pour rappeler les limites des sondages (voir noter la fiabilité des différents instituts de sondage), préciser les marges d’erreur, insister davantage sur l’évolution des sondages que sur les valeurs brutes, comparer et compiler les différentes enquêtes avant de tirer des enseignements.
Dans ce contexte, on pourrait citer en exemple les efforts de pédagogie du New York Times, dont les infographies traduisent les sondages en plusieurs scénarios pour le résultqt du duel Trump – Biden dans les différents états (si les sondages actuels sont justes / si les sondages se trompent autant qu’en 2016 / si les sondages se trompent autant qu’en 2012) ou pour le collège électoral (si les sondages actuels sont justes / si on ne prend que les écarts significatifs / si les sondages se trompent autant qu’en 2012).
De même, la presse a tout au long de la campagne électorale mis beaucoup plus en avant les sondages locaux réalisés dans les états clé que les sondages nationaux. Il faut dire que conformément aux sondages, Hillary Clinton avait en 2016 remporté plus de suffrages au niveau national que son concurrent (remportant ce qu’on appelle le « vote populaire » avec près de 3 millions de voix d’avance) mais c’est bien Donald Trump qui avait été élu Président par le collège électoral, ayant obtenu plus de grands électeurs en remporté à la surprise générale plusieurs états dans lesquels les sondages le donnaient perdant.
Faut-il rappeler qu’Hillary Clinton n’avait pas fait campagne dans le Wisconsin ou le Michigan, persuadée à tort de gagner ces deux états, alors que Trump y avait passé beaucoup de temps, sous les regards sceptiques pour ne pas dire amusés des experts démocrates pourtant alertés par leurs bureaux locaux sur l’impact de cette campagne agressive ? Consciente de ce risque, la campagne Biden a d’ailleurs cherché à déployer beaucoup plus d’« antennes » sur le terrain pour utiliser davantage les retours qualitatifs que l’équipe de Clinton avait négligés en 2016.
Reste que malgré toutes ses précautions et malgré le précédent de 2016, tous les commentateurs de l’élection américaine, professionnels ou amateurs10Et l’auteur de ces chroniques aussi, évidemment !, se passionnent pour les sondages qui fourmillent d’information non seulement sur les intentions de vote au niveau national et dans la plupart des états où se jouera l’élection, mais aussi sur les préoccupations des américains, leur perception des candidats, les préférences selon les segments démographiques, etc.
Et médias comme équipes de campagne des candidats (qui usent et abusent, comme celles qui les ont précédées, des enquêtes d’opinion, des croisements de données, pour déterminer leur stratégie de campagne, choisir quel spot pourrait avoir le plus d’effet sur les télespectateurs de telle émission ou les électeurs de tel état, etc.) tirent encore largement des conclusons trop rapides de ces enquêtes.
Pour prendre un exemple, il aura suffi d’un sondage montrant que les électeurs latinos de Floride (qui ont un profil assez spécifique au sein de l’électorat latino en général11On essaiera de revenir dans une chronique dédiée avant l’élection sur la question du vote latino, qui varie selon les pays d’origine, les génerations, etc.) paraissaient prêts à voter Trump davantage en 2020 qu’en 2016 pour que les difficultés possibles de Biden auprès de l’électorat latino devienne le sujet médiatique à la mode, pour que Biden dépense des sommes importantes pour diffuser des spots en espagnol, etc.
On note également que la tentation de résumer les sondages en une « probabilité » de victoire, qui présente manifestement de nombreuses limites méthodologiques (en plus de potentiellement dissuader certains électeurs de participer au vote), est toujours bien présente, même chez les observateurs jugés les plus sérieux comme le site FiveThirtyEight et même si les précautions quant à l’usage de cette « probabilité » sont souvent rappelées.
Et ce alors même qu’une des grandes leçons qui aurait dû être retenue de 2016 est que la photo à un instant donné que sont les sondages sur les intentions de vote ne devrait en aucun cas être transformée en une prédiction sur l’avenir ou résumée en un seul chiffre12Notons que FiveThirtyEight s’auto-congratulait après l’élection de 2016 d’avoir été meilleur que la concurrence en donnant à Trump 29% de chances de gagner, alors que la plupart des autres « prévisionnistes » lui en donnaient beaucoup moins….
On préfèrera du coup renvoyer les lecteurs avides de scénarios possibles en matière de répartition des grands électeurs entre Biden et Trump, au Cook Political Report.
Ce dernier met en effet à disposition son « swingometer », avec lequel chacun pourra s’amuser à voir l’impact sur le résultat des élections dans les différents états du taux de participation et des préférences des grands segments démographiques de la population américaine. Et il présente l‘état de la course à la Présidence en répartitissant, sur la base des enquétes d’opinion disponibles, les états entre différentes catégories (« à coup sûr gagné par les républicains », « probablement gagné par les républicains », « penchant vers une victoire républicain », « 50 / 50 », « penchant vers une victoire républicain », « probablement gagné par les républicains », « à coup sûr gagné par les républicains »).
Quant aux lecteurs qui veulent vraiment un pronostic, on leur conseillera de regarder régulièrement les paris sur le résultat de l’élection13Ils sont interdits aux Etats-Unis mais il est évidemment possible de parier en ligne. qui sont en général considéré comme de bien meilleures prédictions que les sondages, et qui ont le mérite de réagir aux événements en temps réel ou presque14On perçoit d’ailleurs nettement dans l’évolution des côtes l’effet du débat du 29 septembre, puis de l’annonce par le Président dans la nuit du 1er au 2 octobre qu’il avait été positif au coronavirus..
Et on notera qu’alors que Trump et Biden étaient au coude à coude chez les bookmakers début septembre, les paris sont début octobre très nettement en faveur de Joe Biden.