L’agitation autour de la vacance à la Cour Suprême ferait presque oublier que mardi 29 septembre aura lieu le premier débat entre les deux candidats à la présidentielle. Il constitue pourtant un événement marquant de la course à la Maison Blanche et on est conscient dans les deux camps de l’importance de ce débat pour la suite de la campagne électorale.
Les présidents candidats à un deuxième mandat, comme l’est Donald Trump, ont deux options. La première est de faire de l’élection un referendum sur leur premier mandat, à l’image de Ronald Reagan en 1984 (et de son spot de campagne resté dans les mémoires) ou Bill Clinton en 1996.
Mais si le bilan du premier mandat est mitigé et si le président sortant ne bénéficie pas d’une côte de popularité suffisamment élevée, il doit alors s’efforcer de sortir de la logique du referendum et transformer l’élection en un choix entre deux candidats, deux projets, etc. Ceci suppose que l’opinion ait également une image suffisamment négative de leur adversaire, et donc de consacrer une grande partie de la campagne à l’attaquer.
C’est ce qu’avaient fait, avec succès, George W. Bush en 2004 (en réussissant à faire passer John Kerry pour une girouette ou en mettant en avant des vétérans critiquant les témoignages de Kerry envers les atrocités commises par l’armée américaine au Vietnam) ou Barack Obama (qui avait pendant de long mois avant l’élection en 2012 diffusé des spots de campagne présentant le candidat républicain Mitt Romney comme un représentant des élites économiques indifférent aux préoccupations des américains ordinaires).
C’est, en revanche ce que n’avait pas réussi à faire Jimmy Carter en 1980. Très en retard dans les sondages et très impopulaire (en difficulté face à la crise économique, il était également jugé faible après la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en novembre 1979), il avait cherché tout au long de la campagne à faire de Ronald Reagan un candidat conservateur, va-t-en-guerre et n’ayant pas la carrure pour être Président.
Lorsque Reagan, doté d’un très fort charisme, était apparu sympathique et modéré lors des débats présidentiels, le narratif de Jimmy Carter s’était effondré : les doutes que encore pouvaient avoir les électeurs concernant Reagan avaient été définitivement dissipés et le candidat républicain avait nettement remporté l’élection.
L’élection de 2020 est, de ce point de vue, assez comparable à celle de 1980, et même probablement encore plus délicate pour Trump que pour Carter à l’époque.
Les électeurs ont déjà une opinion bien tranchée et très stabilisée sur Donald Trump – comme en témoignent les enquêtes de popularité remarquablement constantes qui lui donnent un peu plus de 40% d’opinions favorables et un peu plus de 50% d’opinion défavorables.
Et on voit mal comment cela pourrait changer : d’abord parce que Donald Trump n’essaye pas d’améliorer son image personnelle (pense-t-il, aveuglé par le fanatisme de ses supporters, que cette personnalité le sert ? Ou est-il conscient qu’il est trop tard ?).
Ensuite parce que le Président tente de jouer sur le bilan de la première partie de son mandat mais a un bilan catastrophique en 2020, entre une mauvaise gestion de la pandémie ayant accentué la gravité de la crise économique et une incapacité à répondre aux mouvements sociaux accentuant les fractures sociales au sein du pays.
Les sondages électoraux indiquent dès lors logiquement depuis des mois que la majorité des américains n’a pas très envie de reconduire Donald Trump à la Maison-Blanche. Reste à savoir s’ils sont prêts à accorder leur confiance à Joe Biden pour occuper la place.
Cela semble être le cas aujourd’hui si on en croit les sondages et le niveau de popularité de Joe Biden. Les débats présidentiels à venir représentent probablement la dernière chance significative qu’aura Donald Trump de faire évoluer l’opinion du grand public1L’audience sera en effet probablement très importante, la pandémie limitant largement les possibilités de sortie pour de nombreux américains. sur Joe Biden, c’est-à-dire d’instiller le doute dans l’esprit d’un maximum d’électeurs pour les inciter à ne pas voter Biden.
Trump, ses relais médiatiques et la Trumposphère (qui mène sur les réseaux sociaux une campagne ordurière sur Joe Biden, présenté par exemple comme soutenant la pédophilie2On reconnaît là les théories conspirationnistes de la mouvance Qanon – dont on a déjà parlé, responsable de la théorie de la conspiration du Pizzagate destinée à fragiliser Hillary Clinton en 2016.) ont réussi à forger une image très négative de Biden dans l’esprit des militants et supporters pro-Trump et essentiellement des électeurs qui lui sont déjà acquis, même si Trump mise bien sûr sur les réseaux sociaux et sur Facebook notamment pour toucher plus d’américains.
Mais le retard accusé par Trump, selon les sondages électoraux, est tel qu’il doit impérativement toucher les électeurs indécis et surtout les électeurs peu politisés, largement indifférents aux péripéties quotidiennes de la politique américaine et qui ne s’intéressent à la course à la Maison Blanche que dans la dernière droite.
Les débats peuvent être alors, pour ce type d’électeurs, la première occasion de se forger une opinion sur les candidats et celle qu’ils se feront de Joe Biden (qui n’est pas un inconnu mais sur lequel, à l’inverse de Trump, beaucoup d’américains n’ont sans doute pas une opinion totalement arrêtée) sera peut-être définitive.
C’est donc la prestation de Joe Biden qui sera scrutée avec le plus d’attention et la pression est sans aucun doute d’abord sur le candidat démocrate, qui a beaucoup à perdre : en cas de débat raté, il pourrait relancer son adversaire et modifier la cours du dernier mois de campagne.
On pourrait dès lors, comme de nombreux démocrates, être très inquiets pour le premier débat, compte tenu des fragilités affichées par Joe Biden lors de certaines interventions publiques au long de la campagne – n’est-il pas connu, y compris dans le camp démocrate, pour quelques gaffes célèbres largement relayées par les médias d’ultra-droite (qui confondent souvent d’ailleurs bégaiement et gaffe) ? N’a-t-il pas parfois paru confus lors de certains débats de la primaire démocrate ?
Mais aussi parce que la position d’outsider ayant l’objectif de déstabiliser et d’attaquer son adversaire est semble-t-il la configuration qui convient le mieux à la personnalité de Donald Trump.
Donald Trump et son entourage affichent d’ailleurs une très grande confiance sur la capacité du Président à écraser Joe Biden lors des débats – il y a bien sûr une part de méthode Coué et c’est aussi une façon de répéter en permanence combien Joe Biden serait faible, manquerait d’énergie, et serait donc incapable d’être Président.
Mais c’est sans doute aller un peu vite en besogne que de considérer, comme beaucoup d’observateurs le mettent en avant depuis plusieurs semaines, que Biden, un peu gaffeur, un peu trop gentil, risque bien d’être une proie facile pour le showman habitué des plateaux télévisés et des coups d’éclats qu’est indéniablement Donald Trump.
D’abord, parce que, dans le camp Trump, on part du principe que l’« écart d’enthousiasme » entre les deux candidats (certains sondages disent que les électeurs prêts à voter Trump le font majoritairement par adhésion tandis que les électeurs prêts à voter Biden le font d’abord pour éviter un deuxième mandat Trump) peut facilement, si Biden est peu convaincant, faire changer d’avis les électeurs de Biden.
Or le camp Trump sur-interprète sans doute cet « écart d’enthousiasme » et minimise plusieurs phénomènes : tout d’abord, l’opposition que suscite Trump lui-même. Le fait de voter pour faire barrage à un candidat peut être, aux Etats-Unis comme ailleurs, un moteur très fort et inébranlable, même si on vote en fermant les yeux ou en se bouchant le nez. Il est ainsi très clair, par exemple pour les électeurs progressistes, que la haine de Trump et la peur d’un deuxième mandat sont telles qu’il sera difficile, malgré toutes les préventions qu’ils peuvent avoir envers Joe Biden, de les faire renoncer à voter pour ce dernier.
Ensuite, peu d’électeurs sont prêts à voter pour Biden par adhésion mais il bénéficie, on l’a dit, d’opinions globalement positives. Malgré les tentatives menées par Trump depuis plusieurs mois pour décrédibiliser et dénigrer Biden, les intentions de vote en faveur de ce dernier sont toujours restées très solides et Biden semble même combler le fameux « écart d’enthousiasme »3Cf. le passage sur le sujet à la fin d’une présentation d’un sondage de Fox News..
Enfin, les deux candidats ont suffisamment mis en avant les enjeux et le caractère historique de l’élection de 2020 que tous les pronostics misent sur une très forte participation4Qui peut aussi avantager Trump qui mise largement sur la mobilisation en sa faveur d’abstentionnistes de 2016.. Mais contrairement à 2016, il n’y a pas de « troisièmes candidats » suffisamment connu et attractif pour attirer les tenants d’un « ni ni » : Trump avait en effet gagné en 2016 parce que la candidate du parti vert et surtout le candidat libertarien avaient recueillis des pourcentages de voix significatifs dans certains états clés, remportés souvent par Trump avec moins d’1% d’écart et sans qu’il obtienne une majorité des voix. Cette configuration ne se reproduira pas cette année.
Il faut dès lors, pour que Trump puisse capitaliser sur le débat, que Biden réalise une prestation catastrophique. Or, il est à peu près certain que Trump surestime sa capacité à mettre Joe Biden en difficulté et sous-estime les capacités de Joe Biden à bien figurer dans le débat.
Commençons d’abord par Donald Trump.
Il y a sans doute du côté de Trump une vision un peu idéalisée du déroulement de la campagne de 2016 et des raisons qui ont conduit à la défaite d’Hillary Clinton.
Les débats avaient en réalité été loin d’être décisifs et si Trump avait tenté de déstabiliser la candidate démocrate (on se souvient notamment des pas de danse autour d’Hillary Clinton pendant qu’elle s’exprimait, remarquablement parodiés par Saturday Night Live), il n’avait pas du tout remporté les débats.
C’est davantage la personnalité d’Hillary Clinton, largement détestée par une partie de l’opinion publique américaine, l’enquête ouverte par le FBI sur l’usage par Mme Clinton de sa messagerie électronique privée dans l’exercice de ses fonctions (dont l’écho dans l’opinion avait certes était d’autant plus important que Trump traitait à longueur de meetings son adversaire démocrate d’« escroc ») ou encore la certitude que Trump ne pouvait pas gagner, qui avaient détourné les électeurs vers d’autres candidats ou vers l’abstention.
Car en réalité Trump n’est pas vraiment un bon débatteur. Il a bien sûr une forme de magnétisme, largement lié à son absence totale de scrupules, son art de la provocation et son refus de respecter les règles tacites d’un débat classique.
Mais si cela lui avait donné un avantage sur des concurrents surpris pendant la primaire républicaine, il n’en demeure pas mois qu’il déteste la contradiction5Les exemples de réactions infantiles face à des questions gênantes sont nombreux. et n’aime pas, en réalité, la confrontation. Il est particulièrement brillant, à sa façon, en meeting ou sur Twitter (ou quand il est en position de force comme dans son émission de télé-réalité censée reproduire une procédure de recrutement ), mais mal à l’aise face à une opposition coriace.
Il a aussi vieilli depuis 4 ans : on le voit beaucoup plus fringant , à l’aise et incisif, lors des débats de 2016 ou dans des interviews datant de 2015 ou 2016 (il pouvait même faire preuve à l’époque d’auto-dérision6Voir par exemple cette séquence fameuse au cours de laquelle il critique John McCain, ancien candidat républicain en 2008, avec un certain talent dans la forme.) qu’il ne l’est aujourd’hui.
Il faut dire aussi qu’il s’est sans doute habitué à n’être interviewé que sur Fox News ou presque, avec des « journalistes » (ou plutôt des animateurs de Talk Show) qui sont ses premiers supporters et qui cherchent en permanence à le valoriser et à lui faire la partie facile.
Tous les experts soulignent aussi combien il est difficile pour un Président sortant de se remettre dans l’arène du combat politique après 4 ans et rappellent qu’Obama, condescendant et insuffisamment préparé, avait complètement raté sa prestation lors du premier débat présidentiel en 2008, remettant son adversaire Mitt Romney dans la course.
Trump, entouré de courtisans, enfermé dans une bulle de flatteries dont il ne sort que pour des meetings, ). Il pourrait donc bien avoir du mal à trouver le ton juste et à être performant lors du premier débat, alors même qu’aux Etats-Unis comme ailleurs, les premières minutes du premier débat sont déterminantes.
On l’a ainsi vu en difficulté dès lors que la configuration changeait, que ce soit lors d’une ou deux interviews sérieuses récemment, ou lorsqu’il a été récemment confronté à des « électeurs indécis » dans un « Town Hall » 7Nom donné au format dans lequel un homme politique répond aux questions de citoyens américains. organisé par ABC : mal à l’aise face à une intervenante particulièrement remontée sur l’assurance santé, il avait par ailleurs été contredit en direct par le journaliste présentant l’émission qui avait pris le temps de rectifier plusieurs allégations trompeuses du Président sur l’ObamaCare.
Il avait aussi paru en difficulté face à un pasteur afro-américain, qui, se référant à son slogan « Make America Great Again » lui demandait en quoi les Etats-Unis avaient été, par le passé, un « excellent » pays pour la population afro-américaine, expliquant maladroitement que tout allait bien puisqu’il avait de bons sondages au sein des minorités ethniques.
On se souvient aussi d’une interview réalisée fin juillet par Chris Wallace, qui sera le modérateur du premier débat. S’il officie sur Fox News, c’est un vrai journaliste8Il est peut-être le seul sur cette chaîne. vétéran renommé pour son sérieux et son intégrité et qui n’avait pas hésité à contredire le Président s’agissant de sa présentation du bilan de la pandémie de coronavirus ou de ses allégations sur la position de Joe Biden sur la police.
La question du « fact checking » pendant le débat fait d’ailleurs l’objet de discussions intenses, tant il est certain que Trump multipliera les contre-vérités. Biden doit-il lui même jouer au « fact checker » au risque de s’y épuiser et surtout d’entrer dans le jeu de son adversaire sans pouvoir passer ses propres messages ? Son équipe lui aurait plutôt conseiller de ne rectifier que les plus gros mensonges ou ceux portant sur des sujets décisifs (sur la pandémie, l’assurance santé et peut-être sur certains attaques personnelles) espérant que le modérateur participe aussi à l’exercice.
La commission chargée de l’organisation des débats a cependant rappelé qu’il ne revient pas au modérateur de jouer ce rôle. Mais la presse a fait monter la pression sur la question ces derniers jours (et l’opinion publique est demandeuse) et on peut supposer (ou espérer) qu’un journaliste expérimenté comme Chris Wallace, même s’il déclare que le débat sera réussi si on oublie très vite qui en était le modérateur, trouvera le moyen de placer le Président devant ses plus graves mensonges9Ne serait-ce que pour préserver sa propre crédibilité..
Venons-en donc à Biden lui-même. A force de voir en Joe Biden un vieillard sénile incapable d’aligner trois mots de suite ou perdu sans prompteur, Trump pourrait bien être surpris par la résistance de ce dernier.
Certes Biden a 77 ans et le bégaiement contre lequel il a lutté depuis son enfance transparaît encore de temps à autres et peut l’amener à être confus dans son expression. Mais Trump n’est pas le dernier à peiner à finir certaines phrases ou à se tromper de mots10Il a encore récemment parlé, à propos du coronavirus, de « herd mentaliy » – instinct grégaire au lieu de « herd immunity » – immunité de groupe., et il peut sortir des énormités à tout moment, ce que ne manque pas de rappeler le camp Biden.
Une récente enquête de Fox News révélait d’ailleurs que les américains doutent davantage de la « solidité mentale » du Président que de celle de Joe Biden (ce qui doit passablement énerver le Président, très susceptible dès lors qu’on évoque sa santé11On en parlait ici.).
Surtout Biden est un homme politique expérimenté qui n’en est pas à son premier débat. Il a notamment à son actif deux débats réussis entre candidats à la vice-présidence. Evidemment lorsqu’il avait affronté Sarah Palin en 2008, on avait d’abord retenu la prestation catastrophique de cette dernière, mais les observateurs avaient aussi remarqué que Biden avait su faire preuve de retenue pour éviter de paraître condescendant et méprisant face à celle qui était la première femme à figurer sur un ticket républicain.
Il est par ailleurs suffisamment sérieux pour consacrer beaucoup de temps à la préparation des débats et pour préparer des « punchlines ». Ses prestations se sont nettement améliorées au fil des primaires démocrates. Il avait ainsi été combatif et incisif lors du dernier débat mi-mars dans un duel (format qui lui convient sans doute mieux qu’une foire d’empoigne avec 6 à 10 participants) avec Bernie Sanders.
Par ailleurs, cela fait six mois que Biden se prépare à ce débat – alors que Trump, fanfaron comme à son habitude, déclare ne pas avoir besoin de préparation. Trump multipliant depuis des mois les attaques personnelles sur Biden de façon publique et transparente, celui-ci aura largement eu le temps de préparer les parades sur la plupart des sujets, même si on imagine que l’équipe de Trump essaye de préparer des surprises.
Par le simple fait de participer normalement au débat, Biden ne devrait guère donc avoir de difficultés à faire pièce aux accusations selon lequel il est sénile ou insuffisamment en forme pour tenir le rythme imposé par la fonction présidentielle.
Trump a bien essayé d’en remettre une couche en réclamant encore à deux jours du débat une sorte de contrôle anti-dopage, puis en s’étonnant du refus de Biden d’entrer dans ce jeu, mais on doute d’ailleurs que le grand public soit vraiment disposé à acheter ces attaques.
Biden s’est probablement également préparé à répondre aux attaques personnelles et notamment aux accusations de népotisme et de conflit d’intérêt.
On se souvient que les tentatives de lancer une polémique sur l’implication de Hunter Biden (recruté par une entreprise ukrainienne pendant que son père était vice-président) dans un scandale de corruption en Ukraine sont à l’origine de la procédure de destitution lancé par les élus démocrates à l’automne 2019 (Trump avait en effet bloqué une aide militaire au gouvernement ukrainien, votée par le Congrès, pour essayer de la monnayer contre l’annonce par le gouvernement ukrainien de l’ouverture d’une enquête pour corruption contre Hunter Biden).
Les élus républicains ont d’ailleurs essayé de remettre récemment le sujet sur le devant de la scène au travers d’une commission d’enquête parlementaire sur Hunter Biden – le rapport n’était guère concluant mais a tout de suite était présenté comme accablant par l’entourage de Trump et relayé par le Président.
On peut aussi penser que Trump tentera de remettre sur la table les accusations d’agression sexuelle envers Joe Biden, formulée au printemps par une de ces anciennes collaboratrices. La polémique n’avait pas du tout pris à l’époque, après les dénégations vigoureuses de Biden, les témoignages nombreux en sa faveur recueillis par la presse et compte tenu de la crédibilité douteuse de la plaignante.
Sur chacun de ces sujets, Biden est sans doute préparé et pourrait probablement renvoyer facilement la balle dans le camp de Trump : ses enfants font des affaires en Chine et ailleurs (Inde, Royaume Uni, Russie, etc.), une vingtaine de femmes l’ont accusé de viol ou d’agressions sexuellesIl a toujours réussi à échapper aux poursuites, etc.
Surtout, Joe Biden bénéficie d’un a priori du grand public beaucoup plus favorable que cette dernière il y a 4 ans. Un sondage de CNN indiquait en septembre 2016 que seulement 41% des électeurs avaient une opinion favorable d’Hillary Clinton contre 57% d’opinions défavorables. En septembre 2020, dans un sondage réalisé toujours par CNN, Biden recueille 48% d’opinions favorables et 43% d’opinions défavorables.
Car si Biden n’est certainement pas la personnalité politique américaine la plus brillante du début du 21ième siècle, il a su cultiver une image publique plutôt positive, qui correspond d’ailleurs probablement à la réalité de sa personnalité – et qui explique aussi sans doute les difficultés rencontrées par Trump pour efficacement casser cette image.
Il a su jouer habilement sur son histoire personnelle jalonnée de drames (y a-t-il encore beaucoup d’américains qui ne savent pas que Biden a perdu sa première femme et sa fille âgée d’un an dans un accident de voiture à la veille de sa première prestation de serment au Sénat, ou que son fils Beau est décédé d’un cancer foudroyant pendant qu’il était vice-président ?) et sur ses origines modestes.
Et s’il a une longue carrière politique nationale derrière lui (il a été élu pour la première fois au Sénat en 1972), il a su rappeler qu’il était le premier candidat démocrate depuis 1984 à ne pas avoir fait ses études dans les grandes universités de la côté Est de la « Ivy League » (Harvard ou Yale en particulier, contrairement aux deux président Bush père et fils, à Barack Obama ou à Bill et Hillary Clinton), ou que, juste veuf, il rentrait tous les soirs en train à son domicile pour s’occuper de ses deux fils, s’attirant selon lui, pour ces deux raisons, les regards condescendants de nombre de ses collègues.
Il ne manque jamais de souligner ses origines modestes, opposant récemment sa ville de naissance Scranton à Park Avenue (avenue très chic de New York) pour souligner que Trump est d’abord un héritier, ce qui rend fou ce dernier, qui cherche à passer pour un « self made man » qui doit sa fortune à ses talents de businessman12D’où une réponse particulièrement ratée sur Twitter..
Et on ne doute pas que Biden devrait en remettre une petite couche lors des débats, après le scoop du New York Times révélant le 27 septembre, d’une part que les entreprises ont régulièrement perdu de l’argent et sont lourdement (mais artificiellement pour éviter les taxes ?) endettées et d’autre part que Trump a payé seulement 750 dollars d’impôts sur le revenu en 2016 (la campagne Biden a évidemment déjà utilisé ces révélations).
Il cultive une image de proximité vis-à-vis des américains ordinaires, insistant (par exemple dans son profil Twitter) sur son amour des glaces (on voit dans un clip diffusé lors de la convention démocrate ses petites-filles débattre de son parfum préféré), des lunettes « aviateur » ou des vieilles voitures américaines (dans un spot de campagne assez improbable13On voit mal Hillary Clinton ou Donald Trump dans un tel clip… qui se termine par des considérations sur le potentiel d’emplois que revêt une conversion de l’industrie automobile vers les voitures électriques).
Il a su mettre en scène de nombreux témoignages de sa gentillesse envers les américains croisés au quotidien (de l’employé du train ou à la préposée aux ascenseurs dans les locaux du New York Times). Enfin, il ne manque jamais de mettre en avant sa foi catholique ou son sens dans le famille.
Alors, évidemment, on pourrait considérer qu’il en fait beaucoup (trop) sur le sujet, mais cela fait partie des passages obligés quand on veut réussir en politique américaine et cela permet à Biden d’accentuer le contraste avec Donald Trump. Joe Biden est sans doute un « type bien et honnête » (pour reprendre l’expression utilisé par de nombreux intervenants lors de la convention démocrate). Il est aussi capable de reconnaître ses erreurs, d’un peu d’auto-dérision et préfère les petites piques à la méchanceté gratuite.
Bref, il est tout le contraire de son adversaire et cela peut être un atout pour convaincre les nombreux américains lassés du cirque permanent animé par Donald Trump et des affrontements politiques stériles.
Dans le même temps, il est loin d’être, comme l’était Hillary Clinton, l’incarnation d’une élite politique hautaine et déconnectée de la vie quotidienne de la plupart des citoyens américains.
Il est donc une cible beaucoup moins facile pour Donald Trump : une partie des électeurs, et notamment les électeurs blancs de la “petite classe moyenne”, que Trump avait réussi à éloigner d’Hillary Clinton en 2016, se reconnaît probablement bien dans l’histoire personnelle et les valeurs de Joe Biden. Et Trump ne peut pas rejouer la partie de 2016, dans laquelle il prétendait défendre les américains ordinaires contre les élites.
Au contraire, ses qualités donnent à Biden une vraie capacité à se mettre à la place des américains ordinaires (on rapporte souvent que c’est pour cela qu’Obama, conscient de n’avoir pas forcément cette capacité, appréciait et tenait compte des conseils de son vice-président) et à jouer de ce ressort en abordant des sujets concrets de préoccupation quotidienne pour les américains comme l’assurance santé, les difficultés de garde d’enfants, etc.
Cela devrait d’ailleurs lui permettre d’être beaucoup plus à l’aise que son concurrent dans le format de « Town Hall », prévu pour le deuxième débat (il était ainsi très à l’aise dans un récent « Town Hall » organisé par CNN).
Trump ne compte bien sûr pas attaquer Biden uniquement sur sa personnalité, son âge et sa capacité à occuper la fonction. Il sera intéressant de voir l’angle d’attaque privilégié par Trump s’agissant des propositions de fond portées par les deux candidats.
Va-t-il chercher à présenter Biden comme l’archétype de l’« establishement » de Washington qui depuis des dizaines d’années, n’a réglé aucun des problèmes des américains ? Jusqu’à début 2020, Donald Trump comptait faire campagne sur son bilan et traiter les démocrates de « do nothing democrats » (« les démocrates qui ne font rien »).
Trump revient régulièrement sur le fait que Biden n’aurait rien accompli tout au long de ses 47 ans de carrière politique – ou uniquement pris des mauvaises décisions. Trump ne manquera pas d’attaquer Biden sur son soutien à une politique pénale répressive dans les années 90, à la guerre en Irak, au libre-échange, mais surtout sur son prétendu manque de fermeté envers la Chine, etc.
Mais il semble plutôt avoir choisi depuis plusieurs mois une autre approche, consistant à présenter Joe Biden comme le fer de lance, ou plutôt, pour être cohérent avec la propension de la galaxie Trump au conspirationnisme, le cheval de Troie, de l’extrême gauche.
On comprend bien la stratégie : cela relègue son propre bilan au second plan, vise à placer le débat sur le terrain de la « guerre culturelle » (que la vacance de la Cour Suprême a remis au premier plan), et permet d’essayer de capitaliser sur les craintes suscitées dans une partie de l’opinion publique par les manifestations contre les violences policières et les inégalités raciales et sur la peur de l’insécurité, ou sur le fait qu’une partie de l’aile gauche du parti revendique le qualificatif de « socialiste ».
Mais Joe Biden est clairement un modéré du point de vue politique : c’est l’étiquette qu’il porte depuis toujours et son bilan au Congrès en atteste (et fait partie des reproches qui lui sont adressés par les progressistes).
S’il a effectivement travaillé avec l’aile gauche du parti pour la construction du programme démocrate14On en parlait ici., il s’est bien gardé d’endosser certaines propositions radicales de nature à lui aliéner une partie de l’électorat modéré (il ne souhaite ainsi pas mettre en place un système strictement public d’assurance santé, ou a encore récemment déclaré être contre l’interdiction à court terme de la fracturation hydraulique).
La rhétorique de Trump a néanmoins rencontré un certain succès, à force de messages outranciers et mensongers : divers sondages montrent que les américains s’inquiètent le position de Joe Biden par rapport à une baisse du budget de la police (revendiqué par une partie de l’extrême gauche via le slogan « defund the police ») malgré les dénégations répétées du candidat démocrate.
Cela étant, le candidat démocrate étant Joe Biden et non Bernie Sanders15Même si on a souvent l’impression que Trump mène la campagne qu’il aurait mené contre ce dernier., la tactique consistant à agiter la menace d’une prise de pouvoir des gauchistes et du socialisme repose sur une construction rhétorique un peu alambiquée et fragile : elle ne tient debout que si Biden est effectivement perçu comme faible et donc manipulable par les démocrates progressistes.
Si Biden est aussi tonique et combatif que lors de ses dernières prestations publiques, on peine à imaginer que les téléspectateurs en ressortent avec l’impression qu’il ne sera qu’une marionnette.
Pour autant, c’est sans doute sur ces sujets de fond que Biden devra veiller le plus à ne pas trébucher. Car autant Trump a pour seul objectif d’attirer un maximum d’électeurs qui partagent des convictions idéologiques finalement assez uniformes, autant une victoire de Biden repose sur sa capacité à maintenir une coalition de segments électoraux qui va des modérés (y compris à tendance républicaine) aux mouvements progressistes.
Biden devra essayer de convaincre les électeurs modérés que son programme est raisonnable et en même temps les progressistes qu’il n’est pas qu’un politicien du passé et est capable de porter des réformes ambitieuses – tandis que Trump essaiera de convaincre les électeurs du contraire.
Le candidat démocrate devra aussi faire face aux questions sur le sujet du modérateur du débat qui cherchera à clarifier ses positions, sur le rôle de la police et les manifestations violentes, ou sur les réformes constitutionnelles poussées par certains démocrates (on en parlait dans la dernière chronique). Et Biden a, tout comme Trump, été finalement relativement peu mis sur le grill par des journalistes depuis le début de sa campagne, limitant les interviews, évacuant largement les questions délicates, évitant de répondre à chaud et préférant publier des communiqués a posteriori.
A force de décrire les lignes d’attaque que pourrait adopter Donald Trump et les fragilités potentielles de Biden, on en oublierait presque que ce dernier ne compte probablement pas être uniquement sur la défensive. Il va sans aucun doute essayer de se focaliser sur ses propres messages et de ne pas rentrer dans le jeu du Président, afin de renforcer encore l’adhésion autour de sa candidature.
Ainsi Biden devrait essayer de confirmer qu’il a la stature d’un Président des Etats-Unis (il l’a démontré lors de ses discours fin août devant la convention démocrate ou à Pittsburgh sur les violences urbaines) et insister sur le fait que Trump n’a jamais pris la mesure de la fonction (et encore moins ces derniers mois pour affronter les crises sanitaire économique, et sociale en cours).
C’est aussi avec l’idée de montrer que lui se soucie d’abord de l’intérêt général et de la situation des américains, qu’il va sans doute, chaque fois que Trump cherchera à le provoquer ou à l’attaquer personnellement, chercher à ramener le débat sur les problèmes concrets actuels des américains.
C’est en effet la meilleur manière de poser la question que Biden a mis au cœur de sa campagne depuis la primaire et qui semble jusqu’à présent être décisive dans le choix des électeurs : « Est-ce que vous voulez 4 ans de plus de Donald Trump ? »
Il ne manquera pas ainsi de ramener au maximum le débat sur la gestion catastrophique de la pandémie – et si Trump se défendra évidemment (il accusera par exemple Biden de vouloir confiner tout le pays), le Président sera alors en terrain très dangereux pour lui, incapable qu’il est de faire profil bas sur le sujet.
Joe Biden insistera certainement également sur la question de l’assurance santé, au cœur des préoccupations des américains et particulièrement d’actualité : la pandémie en cours a révélé les difficultés qu’ont de nombreux américains à financer des soins ; les pertes d’emplois suite à la crise économique ont privé de nombreux américains de l’assurance santé fournie par leur employeur.
Et dans ce contexte, le Président Trump a désigné pour siéger à la Cour Suprême une juge ayant fortement et publiquement critiqué l’« Affordable Care Act » (plus connu sous le nom d’Obamacare), alors même que la Cour Suprême doit examiner courant novembre le contentieux mené par l’administration Trump pour démanteler l’ObamaCare, ce qui pourrait priver d’assurance santé de nombreux américains.
Conscient du danger, Trump a en urgence tenté d’annoncer un « plan santé » en utilisant son arme favorite, les « executive orders » (qu’on pourrait comparer à des décrets présidentiels) : il en a ainsi publié deux, qui comme dans de précédents cas16Il a déjà eu recours à ce procédé sur les violences policières ou s’agissant du soutien à l’économie. sont davantage des déclarations d’intention que des documents ayant une portée juridique (et ce d’autant plus que la question de l’assurance santé relève du Congrès). Mais si Trump continue à prendre des engagements grandiloquents sur le sujet, comme il l’a fait depuis 4 ans, c’est parce qu’il sait sans doute qu’il aura sans doute fort à faire pour convaincre les téléspectateurs sur cette question.
Joe Biden a donc des atouts certains pour faire un bon débat et pour en sortir sans trop de dommage.
Il devra garder son calme et résister aux provocations, notamment sur sa famille qui est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, comme il l’a fait jusqu’à présent en traitant souvent par le mépris les attaques de son adversaire (il est certes plus facile de ne pas rentrer dans ce jeu à distance que sur la scène d’un débat) et chercher d’abord à faire passer ses messages. Il doit éviter un débat qui ressemblerait à une dispute de cour de récréation et qui le desservirait davantage que Trump, dont tout le monde sait déjà qu’il se comporte comme un enfant gâté.
On peut compter sur Donald Trump et ses relais médiatiques d’ultra-droite pour crier victoire (ou pour critiquer le modérateur et la partialité de la presse17Trump le fait déjà par anticipation., crier à nouveau au dopage, etc.), de la même façon que les soutiens de Biden (et probablement la plupart des médias mainstream qui ont déjà résolument pris parti contre Donald Trump),se déclareront satisfaits de la prestation de Biden ou minimiseront une prestation en demi-teinte de leur favori.
Mais en réalité, les doutes exprimés sur la capacité de Biden à faire face à Trump, dans la galaxie Trump comme dans les médias (qui en rajoutent pour dramatiser l’enjeu) et dans son propre camp placent Biden dans une situation favorable : les attentes du grand public vis-à-vis de sa performance sont sans doute très limitées. Une prestation passable pourrait donc bien être suffisante pour rassurer les électeurs.