La Cour Suprême fait des misères à Donald Trump… et lui donne un argument électoral

La Cour Suprême, la plus haute juridiction des Etats-Unis, a rendu lors de sa session de printemps – été qui s’est achevée le 9 juillet dernier plusieurs décisions importantes qui constituent des revers importants et des défaites symboliques pour le Président Trump et son administration, sur les droits des minorités sexuelles, la protection de certains immigrés illégaux et la protection du droit à l’avortement.

Elle a tout d’abord confirmé le 15 juin dernier qu’il était illégal de pratiquer des discriminations à l’emploi sur la base de l’orientation sexuelle, décision très attendue par les mouvements LGBTQ+ et qui pourrait faire jurisprudence y compris au-delà du monde du travail, au motif que le Civil Rights Act de 1964 interdisait les discriminations basées sur le sexe1Ironie du sort, si on peut dire, le terme « sexe » avait été ajouté en 1965 par des élus ségrégationnistes qui pensaient, à tort, qu’en rajoutant la question des discrimination sur le genre, ils élargiraient la coalition contre le Civil Rights Act et empêcheraient son adoption. Le texte avait finalement été adopté en maintenant la référence aux discriminations basées sur le sexe..

Elle a ensuite annulé le 18 juin les dispositions adoptées par l’administration Trump pour mettre fin à la protection accordée par une loi adoptée pendant la présidence Obama (le « Deferred Action for Childhood Arrivals », ou DACA) à certains immigrés illégaux arrivés enfants aux Etats-Unis, désormais adultes et remplissant un certain nombre de conditions (avoir fait un minimum d’étude, s’être engagé dans l’armée, etc.) qu’on appelle les « dreamers ».

Elle a également annulé le 29 juin une loi adoptée par la Louisiane qui compliquait considérablement la pratique de l’avortement en imposant aux médecins des conditions difficiles à remplir2Ils devaient avoir un « contrat » en bonne et due forme avec des hôpitaux proches de leurs lieux d’exercice pour pouvoir admettre des patientes en cas de problème., confirmant ainsi une décision sur une loi similaire du Texas, rendue en 2016.

Enfin, le 9 juillet, elle a donné raison à un plaignant qui souhaitait être jugé selon les lois en vigueur dans les réserves indiennes, en considérant qu’environ la moitié de l’état de l’Oklahoma était, de fait, une réserve indienne en vertu d’un traité signé en 1866 mais jamais respecté par le gouvernement fédéral, à l’instar de très nombreux traités signés par le gouvernement des Etats-Unis avec des tribus indiennes pour mettre fin aux multiples conflits – et massacres d’indiens – ayant émaillé le 19ième siècle.

Si elle n’est pas « libérale » ou « conservatrice », cette décision n’est pas passée inaperçue. Non seulement parce qu’elle représente un acquis majeur pour les indiens qui demandent à être rétablis dans leurs droits, mais aussi parce qu’elle intervient en plein débat sur les discriminations envers les minorités ethniques3Notons que les réserves, souvent mal équipées du point de vue des structures médicales, ont été très touchées par le coronavirus et ses conséquences économiques. et sur la nécessité d’une réflexion sur l’histoire « officielle » des Etats-Unis et ses héros, pour enfin mieux prendre en question la question de l’esclavage mais aussi celle des relations avec les populations indiennes autochtones4C’est ainsi que le culte voué à Christophe Colomb en tant que « découvreur » de l’Amérique est fortement remis en cause..

Le Président Trump ne s’est pas prononcé sur le sujet mais il se trouve qu’il a choisi comme modèle pour sa présidence Andrew Jackson5Le Président a accroché son portrait dans le bureau ovale et le cite actuellement régulièrement dans la liste des héros américains que le « fascisme d’extrême gauche » voudrait déboulonner., resté dans l’histoire comme le premier président « populiste » et adulé par les penseurs d’ultra-droite comme Steve Bannon en tant qu’inventeur en quelque sorte de la doctrine de l’ « America First ».

Or Andrew Jackson est aussi tristement célèbre pour avoir conduit, avant d’être élu président, des expéditions militaires contre les indiens et parce que c’est pendant sa présidence qu’a été voté puis mis en œuvre le « Indian Removal Act » qui entérine le déplacement des indiens de leur territoires traditionnels vers des réserves6La mise en œuvre de cette législation occasionnera par exemple le « trail of tears » ou « piste des larmes » lors duquel 4000 cherokees – 25% de la population cherokee – perdront la vie..

Andrew Jackson symbolise donc, pour les indiens, massacres et promesses non tenues, et la décision de la Cour Suprême est venue remettre en lumière le fait que le Président n’accorde aucun intérêt à ces questions là. Par une ironie du calendrier, il se trouve aussi qu’alors que les indiens refusent d’utiliser les billets de 20 dollars sur lequel figure le portrait d’Andrew Jackson et que Barack Obama avait décidé en 2012 de remplacer à partir de 2020 ce portrait par celui d’Harriet Tubman, figure de la lutte contre l’esclavage, Trump a repoussé le 21 mai 2020 cette décision à 2028..

La Cour Suprême a également, lors de cette session, repoussé à plus tard, et donc au-delà des élections générales de novembre prochain, l’examen de contentieux eux aussi très chargés politiquement : contentieux intentés par le lobby pro-armes contre les réglementations restrictives de certains états ou actions, soutenues par l’administration Trump, visant à détricoter la réforme de l’assurance santé votée sous le Président Obama.

Elle a enfin refusé d’examiner le recours de l’administration Trump contre les mesures adoptées par certains états et notamment la Californie pour limiter la coopération entre les exécutifs locaux et les services de l’immigration pour l’identification des immigrés illégaux (la création de ces « sanctuary cities » – ou villes sanctuaires – avait déclenché l’ire du Président Trump).

Ces revers, qui viennent grever le bilan du mandat en cours, ont été d’autant plus remarqués que le Président Trump a eu l’opportunité depuis son investiture de nommer de deux juges conservateurs7Dont Brett Kavanaugh, dont la nomination avait fait couler beaucoup d’encre, dans la mesure où il était accusé d’avoir violé une étudiante dans sa jeunesse. et ainsi d’inverser la tendance idéologique majoritaire au sein de la Cour Suprême, qui compte donc actuellement cinq membres « conservateurs » et quatre membres « libéraux » (au sens de « progressistes »).

On pourrait s’étonner que la composition de l’instance judiciaire la plus haute des Etats-Unis, qui est constitutionnellement indépendante, soit ainsi présentée et que les tendances idéologiques voire politiques des juges soient publiques.

Rappelons que les juges de la Cour Suprême sont nommés à vie, par le Président des Etats-Unis, les propositions devant être validées par le Sénat – c’est le cas également des juges exerçant dans les tribunaux fédéraux en place dans les différents états. Chaque Président, quant il en a l’opportunité (c’est-à-dire au décès ou à la démission d’un juge), utilise ce pouvoir extrêmement important pour placer des juges partageant les convictions idéologiques de son camp8En se basant sur une analyse des décisions rendues par ces juges qui ont le plus souvent exercé dans des juridictions de moindre importance. et ainsi influencer durablement l’approche de la Cour et les décisions rendues.

Ce n’est certes pas la première fois que la Cour, dans cette composition, donne tort à l’administration Trump ou a tranché dans un sens opposé aux positions idéologiques du Président et de ses soutiens électoraux, souvent d’ailleurs pour des questions de forme. On se souvient par exemple que la Cour Suprême avait annulé en juin 2019 le projet de l’administration Trump d’inclure une question sur le statut en matière de citoyenneté dans le questionnaire du recensement décennal de 20209Le sujet était là encore hautement symbolique puisque c’est sur la base du recensement que sont attribuées une partie des budget fédéraux par exemple pour les écoles publiques, ou que sont déterminées le nombre d’élus à la chambre des représentants. On imagine facilement que les foyers comptant des immigrés en statut précaire ou illégaux auraient hésité à se faire recenser et certaines villes ou communautés auraient ensuite été pénalisés en matière de représentation ou de moyens alloués aux services publics..

Mais la Cour Suprême dans sa composition actuelle a aussi rendu des décisions favorables aux républicains et au Président, validant par exemple l’interdiction d’entrée applicable aux citoyens d’une petite dizaine de pays musulmans considérés comme terroristes en juin 2018, ou encore récemment en s’alignant sur le parti républicain dans un contentieux électoral relatif au vote par correspondance, que le Président Trump critique fortement.

Elle a aussi pendant la session qui s’achève rendu deux décisions dont le Président et ses soutiens se sont félicités dans la mesure où valident des positions conservatrices : sur le financement public des écoles privées religieuses en annulant le 30 juin l’exclusion par certains états de ces écoles de programmes de financement et sur la contraception en autorisant le 8 juillet des employeurs qui invoqueraient des arguments religieux ou moraux à ne pas inclure le financement des actes de contraception dans la couverture santé qu’ils offrent à leurs salariés.

Par ailleurs, si les décisions finales vont à l’encontre de ce que souhaitait le Président, elles reposent sur des arguments juridiques traditionnellement assimilés aux positions « conservatrices » : lecture littérale des textes juridiques et refus de remettre en cause de précédentes décisions sur des cas très similaires (ces deux arguments permettent habituellement aux juges conservateurs de repousser des interprétations des textes tenant compte des évolutions sociétales libérales en matière de mœurs), rejet d’une décision de l’administration sur les « dreamers » insuffisamment justifiée (approche conservatrice en ce qu’elle limite la latitude du pouvoir exécutif). Sur ce dernier point, l’administration Trump pourrait d’ailleurs rédiger un nouveau texte avec des chances d’aboutir10Le Président semble cependant hésiter : si le sujet de l’immigration est un de ses marqueurs politiques et idéologiques, et il compte bien d’ailleurs agité le spectre d’une ouverture des frontières et des vannes de l’immigration en cas d’élection de Joe Biden, les derniers sondages montrent que près de 80% des américains sont opposés à l’expulsion des « dreamers », compte tenu des conditions à remplir pour rentrer dans cette catégorie..

Pour autant, ces décisions constituent à premier vue des revers importants pour le Président, qui voit encore une fois une des ses promesses électorales, qu’il semblait avoir tenue, à savoir celle de faire pencher la Cour Suprême du côté conservateur, battue en brèche.

Elles ont d’ailleurs déchaîné la colère du côté des républicains conservateurs, de l’équipe de campagne du Président ou de la Maison Blanche, notamment à l’encontre du Président de la Cour Suprême, le « Chief Justice » John Roberts11Qui avait été nommé par George W. Bush., que Trump avait déjà critiqué par le passé, désormais accusé d’être un traître, de vouloir se faire « bien voir » des démocrates et des libéraux, de « politiser » la justice alors qu’il n’est pas élu, et de se substituer au pouvoir législatif, dans un pays où la séparation des pouvoirs est perçu comme fondamentale.

Le Président lui-même, qui n’aime rien tant qu’à personnaliser les sujets politiques et à se faire passer pour une victime harcelée par l’ « establishment », a considéré après les jugements sur l’avortement et les « dreamers » que la Cour Suprême « ne l’aimait pas ».

Il faut dire que parmi les décisions marquantes de cette session figure aussi celle relative à une affaire impliquant le Président à titre personnel et privé. La Cour Suprême, appelée à se prononcer sur les requêtes du Congrès d’une part, et d’un juge new-yorkais enquêtant sur d’éventuelles irrégularités financières lors de la campagne de Donald Trump en 2016 d’autre part, demandant aux comptables du Président de communiquer sa situation financière et ses avis d’imposition.

Devant les premières juridictions appelées à se prononcer sur l’ordre intimé par Trump à ses comptables de ne pas donner ces informations, les avocats de Trump avaient plaidé pour une immunité totale du Président en exercice lui permettant de se soustraire à toute procédure juridique12C’est à cette occasion que ses avocats avaient expliqué que le Président ne pouvait pas être poursuivi pendant son mandat « même s’il tuait quelqu’un en pleine 5ième avenue ».. La Cour Suprême a récusé ces arguments et indiqué le Président n’était pas « au-dessus des lois » qui donnent obligations aux citoyens de communiquer à la justice les informations nécessaires au traitement de dossiers criminels.

Si elle fixe des limites claires à l’immunité présidentielle13Reprenant d’ailleurs des positions tenues lors des procédures d’impeachment menées contre Richard Nixon ou Bill Clinton., la décision n’est cependant pas totalement défavorable à Donald Trump puisque d’une part la Cour Suprême a estimé que la requête du Congrès était abusive et sans lien avec l’exercice du pouvoir législatif et d’autre part elle a renvoyé devant les juges des juridictions inférieures le soin de déterminer les éléments précis qui devaient être transmis au juge new-yorkais pour la bonne fin de son enquête.

Ainsi, compte tenu des délais et des contestations prévisibles, Trump ne sera pas, malgré cette décision de la Cour Suprême, amené à transmettre ses comptes à la justice avant l’élection de novembre et, comme en 2016 où il avait rompu avec une tradition de transparence bien établie, il pourra à nouveau se présenter devant les électeurs en arguant de ses qualités d’homme d’affaires sans que personne puisse vérifier la traduction concrète de ce « talent ».

Pour autant le Président a immédiatement dénoncé le harcèlement dont il ferait l’objet et une chasse au sorcière menée par la justice à son encontre, comparable aux enquêtes sur les ingérences russes pendant la campagne de 2016, etc.

Au-delà de ces premières réactions outrées bien dans le style paranoïaque du Président, les différentes décisions défavorables ou reports d’examen sont en réalité une aubaine dans la perspective de l’élection du 3 novembre prochain.

Trump et ses partisans n’ont pas tardé à s’en saisir : voilà en effet un argument majeur pour ­mobiliser l’électorat conservateur et en particulier chrétien et le pousser à voter à nouveau Trump pour tenter d’accentuer encore la majorité conservatrice au sein de la Cour Suprême.

C’est ainsi que le Président a annoncé qu’il rendrait publique en septembre, , comme il l’avait fait en 2016, une liste de nominés potentiels à la Cour Suprême ou à d’autres postes judiciaires et rappeler que le vote de novembre serait décisif pour la protection du second amendement de la constitution (il s’agit de l’amendement sur lequel se base les défenseurs d’un contrôle le plus limité possible du port d’armes), pour revenir sur le droit à l’avortement, pour protéger la liberté religieuse (y compris en matière d’éducation), etc.

Les dernières décisions de la Cour Suprême, pas seulement sur les “dreamers”, les villes sanctuaires ou le recensement mais aussi d’autres, disent une seule chose : il nous faut des NOUVEAUX JUGES à la Cour Suprême. Si les démocrates radicaux et gauchistes prennent le pouvoir, ce sera la fin du deuxième amendement14Sur lequel repose le droit de porter des armes., du droit à la vie, des frontières sûres et de la liberté religieuse, parmi beaucoup d’autres choses.

Donald Trump sur Twitter le 18 juin

L’argument est d’autant plus susceptible de porter qu’une des juges « libérales » et dont les positions pour l’égalité femme – homme et en faveur du droit à l’avortement, Ruth Bader Ginsburg, nommée en 1993 par Clinton, est actuellement gravement malade et régulièrement hospitalisée15Pendant le « confinement », elle a participé aux sessions en audio-conférence depuis son lit d’hôpital, et a annoncé le 17 juillet qu’elle souffrait à nouveau d’un cancer, pour l’instant contenu. Si elle fera tout son possible pour ne pas quitter son poste avant l’élection présidentielle, elle pourrait être amenée à quitter son poste pendant les 4 ans qui viennent, donnant l’opportunité à un Trump qui serait réélu d’accentuer encore la teinte conservatrice de la cour Suprême.

On se souvient qu’en 2016, le Sénat, sous la houlette du leader de la majorité républicaine Mitch Mc Connell, avait refusé d’examiner la proposition de nomination du juge Merrick Garland, considéré comme un libéral modéré, présentée par Barack Obama, au motif qu’à l’approche de l’élection et alors que le Président ne pouvait pas se succéder à lui-même, il était préférable d’attendre le futur président.

Cela avait suscité un tollé au sein des démocrates mais aussi chez les constitutionnalistes, mais Mitch Mc Connell avait tenu jusqu’au bout16Il explique aujourd’hui sans vergogne que si un juge devait être remplacé d’ici l’élection, il n’hésiterait pas à examiner la proposition du Président Trump. La rumeur court d’ailleurs que certains juges conservateurs âgés pourraient démissionner cet été pour permettre au Président de nommer deux juges conservateurs jeunes et ainsi garantir, avec les deux juges déjà nommés, la présence de quatre juges conservateurs pour une longue durée.. Et de fait, en lieu et place d’un juge libéral modéré que proposait Barack Obama, c’est un juge conservateur qui a été nommé par Donald Trump.

Mc Connell déclare d’ailleurs à qui veut l’entendre que c’est sans doute la décision la plus importante et la meilleure qu’il ait prise de tout son mandat de leader républicain au Sénat. De fait, en 2016, la question du choix des juges de la Cour Suprême avaient été un facteur important pour les électeurs de Trump.

Cet électorat fondamentaliste ou attaché aux valeurs familiales traditionnelles s’était sans doute un peu bouché le nez en votant Trump, mais on sait qu’une grande partie des électeurs américains détermine son vote sur la base de la position des candidats sur un ou deux sujets sociétaux clivants qui leur tient à cœur (port d’armes, avortement, droit des minorités, etc.).

Or non seulement Trump a respecté sa promesse en nommant deux juges conservateurs à la Cour Suprême, et environ 200 juges fédéraux17Là encore, ce « score » élevé a pu être atteint parce que l’obstruction du Sénat pendant les derniers mois de présidence Obama avait laissé un certain nombre de postes vacants. (dont les commentateurs jugent qu’ils sont très majoritairement, et sans commune mesure avec les pratiques passées, très conservateurs), mais la composition actuelle n’est pas encore suffisamment « conservatrice » pour rendre les décisions déterminantes qui permettraient de réaliser la contre-révolution conservatrice tant espérée par le camp conservateur.

La Cour Suprême est donc à nouveau un enjeu pour la prochaine élection et cela pourrait conduire à nouveau une partie des électeurs à voter Trump. Une partie de cet électorat aurait pu considérer que l’objectif était rempli avec la composition actuelle et, fatiguée des errements du Président à la fois sur le fond sur la forme, se détourner de Trump. Mais, même si elle juge par ailleurs durement le comportement au quotidien du Président ou son bilan sur d’autres sujets, ces électeurs, avant tout attachés à la défense de leurs valeurs, pourraient bien reconduire leur vote de 2016 (ou a minima ne pas voter démocrate).

C’est donc un sujet majeur de campagne pour le Président, qui ne peut pas (à ce stade) faire campagne sur son bilan économique et dont la gestion de la pandémie de coronavirus comme du mouvement de protestation contre les violences policières et les discriminations raciales est jugée sévèrement par une majorité d’américains.

Les démocrates en font aussi un argument pour mobiliser leur électorat en faveur de Joe Biden mais aussi pour essayer de faire basculer de leur côté la majorité au Sénat. En effet, dans la mesure où le Sénat peut refuser la nomination d’un juge, la composition du Sénat qui sortira des urnes en novembre prochain sera en effet également déterminante pour l’évolution de la Cour Suprême. Et les démocrates ont donc un argument de poids pour contrecarrer l’idée selon laquelle le Congrès est bloqué, impuissant et inutile et inciter les électeurs à s’intéresser aux scrutins sénatoriaux.

Si les républicains conservaient leur majorité – et dans la mesure, très probable, où les démocrates conserveraient la majorité à la Chambre des représentants, et même si le Président Trump n’était pas réélu, on se retrouverait de nouveau avec un Congrès incapable de légiférer et un pouvoir législatif bloqué de fait18Dans les faits, ce blocage ne pose pas vraiment de problème aux républicains : Mitch Mc Connell, fervent opposant à toute forme d’interventionnisme, assume tout à fait de limiter le rôle du Sénat à celui de d’enregistrement des propositions de nomination pour les postes du pouvoir judiciaire., ce qui renforcerait encore le rôle du pouvoir judiciaire qui devient, comme c’est le cas actuellement – et encore plus compte tenu de l’incompétence de l’administration Trump qui accentue la faiblesse du pouvoir exécutif– le seul des trois pouvoirs qui soit opérationnel.

La Cour Suprême a toujours eu un rôle majeur dans la vie politique américaine et s’est souvent substituée au pouvoir législatif sur des sujets trop clivants et politiques pour que le Congrès arrive à des compromis : c’est ainsi que le droit à l’avortement se base actuellement uniquement sur un arrêt19Le fameux arrêt Roe vs Wade de 1973. rendu par une Cour Suprême – et c’est justement ce type de jurisprudence que les conservateurs espèrent remplacer par des décisions restreignant ce droit, faute de capacité du Congrès à légiférer sur le sujet20De leur côté les progressistes espèrent pouvoir disposer d’un Congrès et d’un Président démocrate pour inscrire définitivement dans la loi le droit à l’avortement..

Mais c’est aussi la Cour Suprême qui a relâché en 2013 la surveillance que le gouvernement fédéral exerçait sur les états quant à leurs modalités d’organisation des élections – ce qui a un impact déterminant sur le poids du vote des minorités – ou qui a également levé des contraintes sur le financement des campagnes électorales21Il s’agit de l’arrêt dit « Citizen United » qui, au titre de liberté d’expression, permet à des entreprises ou à des syndicats d’investir autant qu’ils le veulent dans les campagnes électorales fédérales au moyens de structures non directement affiliées à des candidats car censées plaider sur des sujets précis, mais qui, en pratique, servent de relais aux candidats., exacerbant encore le poids de l’argent dans les élections, alors que là encore le Congrès était incapable de légiférer sur ce thème.

Aussi redonner une majorité démocrate au Sénat permettrait à la fois de débloquer le pouvoir législatif mais aussi de contrôler les nominations dans le pouvoir judiciaire, offrant un terrain propice à des réformes sociétales structurantes.

Pour les démocrates et en particulier pour les plus progressistes d’entre eux sur les sujets sociétaux, l’élection de 2020 revêt donc une très grande importance en ce qu’elle pourrait consolider pour une longue période (Trump n’ayant pas hésité à nommer deux juges assez jeunes qui pourraient donc siéger pendant vingt ou trente ans) une Cour Suprême conservatrice et très puissante, ou au contraire ouvrir le jeu et permettre d’envisager de revenir à une Cour plus équilibrée voire progressiste.

Mais l’utilisation de cet enjeu comme argument électoral est à double tranchant : est-ce davantage mobilisateur pour les électeurs progressistes ou pour l’électorat conservateur ou chrétien fondamentaliste ? Les sondages de sortie des urnes de 2016 montrent que Trump avait un très net avantage parmi les électeurs indiquant que la question des nominations à la Cour Suprême était le facteur le plus important de leur vote.

Aussi à ce stade Joe Biden n’a pas souhaité mettre ce sujet très en avant. S’il avait annoncé fin mars qu’il nommerait une femme afro-américaine à la Cour Suprême s’il était amené à procéder à une nomination, il a refusé à ce stade de divulguer une liste de potentiels candidats comme l’a annoncé son adversaire.

Il préfère manifestement focaliser l’attention des électeurs sur la personnalité du Président, son manque de leadership, sa gestion catastrophique de la pandémie de coronavirus et l’impact de celle-ci sur l’économie, ses réactions outrancières au mouvement de protestation après la mort de George Floyd, autant d’arguments qui peuvent porter aussi bien sur l’électorat démocrate (et qui peuvent en eux-mêmes suffire à mobiliser fortement ce dernier) qu’indépendant ou même républicain modéré.

Par ailleurs, d’autres mouvements démocrates se chargent à sa place de faire campagne sur le sujet, au travers par exemple d’une campagne digitale menée par une coalition d’organisations progressistes (syndicats, mouvements pro-avortement ou pro-immigration) sur les réseaux sociaux et ciblant plus spécifiquement des électorats mobilisables sur le sujet dans les états qui seront le plus disputés en novembre prochain.

On retrouve là les techniques de campagne présidentielle américaine : le candidat développe un discours général rassembleur dans son camp et censé éviter de lui aliéner trop d’électeurs, tandis que ses mouvements de soutien procèdent à des campagnes plus circonscrites et ciblés dans lesquelles ils insistent davantage sur certains messages précis moins consensuels.

A contrario, faire des nominations de juge un des principaux arguments de campagne de Trump ne présente que des avantages dans sa stratégie électorale : dans la mesure où il n’a probablement plus beaucoup d’espoir de récupérer des voix progressistes, Trump doit mobiliser au maximum l’électorat chrétien et ultra-conservateur, et autant que possible inciter les hésitants à ne pas voter Biden (quitte à ce qu’ils s’abstiennent comme en 2016).

Alors que le Président développe actuellement sa rhétorique sur les menaces qui pèsent sur la société américaine, quand l’automne viendra, la question de la Cour Suprême et de son rôle pour préserver les « valeurs » américaines devrait revenir au premier plan et pourrait constituer une des clés du vote susceptible de renverser la tendance actuelle, très favorable à Joe Biden.

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