Après l’interruption habituelle liée aux festivités de la fête nationale le 4 juillet, le Congrès américain reprend ses travaux le 15 juillet, avec en première ligne à l’agenda le débat sur le soutien à l’économie dans le cadre de la pandémie de coronavirus, et une pression forte pour agir vite. En effet, certaines mesures de soutien de l’économie américaine votées au printemps, et notamment le complément de 600 dollars par semaine, financé par le budget fédéral, aux indemnités chômage attribuées par les états et la protection contre les expulsions locatives, arrivent à échéance fin juillet, tandis que la situation sanitaire continue à se détériorer dans de nombreux états.
Le Sénat républicain a jusqu’à présent refusé d’examiner le projet de train de mesures économiques voté le 15 mai par la chambre des représentants à majorité démocrate qui prévoyait d’injecter à nouveau 3000 milliards de dollars dans l’économie pour reconduire les premières mesures d’urgence mises en place pour soutenir les ménages et élargir le financement à d’autres aspects de la gestion de la pandémie (soutien aux états, etc.).
Le débat sur les mesures à adopter risque de faire rage, compte tenu des divergences idéologiques sur les politiques économiques entre républicains et démocrates mais aussi d’une analyse divergente sur la réalité de la situation sanitaire et économique des Etats-Unis.
Les dernières statistiques de l’emploi (chômage ramené de 13,3% en mai à 11,1% en juin) ont été présentées triomphalement le 2 juillet par le Président Trump : en conférence de presse il a une nouvelle fois annoncé que le 3ième trimestre verrait une croissance importante, et que « ces chiffres sortiront juste avant l’élection » et que l’année 2021 serait une année « incroyable » pour l’emploi et la croissance1Prédiction répétée régulièrement depuis..
Mais derrière les chiffres positifs, il est vrai assez inattendus, égrenés par le Président le 2 juillet, se cache une réalité probablement nettement plus sombre pour l’économie américaine : certes 4,8 millions d’emplois ont été créés entre mi-mai et mi-juin – qui s’ajoutent au 2,7 millions créés le mois précédent, mais cela vient après la destruction en mars et avril de plus de 22 millions d’emplois. Il reste donc près de 15 millions d’emplois à recréer pour revenir à la situation pré-Covid 19.
Surtout, les statistiques ont été effectuées mi-juin soit avant l’explosion du nombre de cas dans plus de la moitié des états américains, ce qui a conduit depuis fin juin des états comme le Texas, la Floride ou la Californie à revenir en arrière sur la « réouverture » de l’économie (en fermant à nouveau les bars et restaurants, par exemple) et d’autres, comme l’état de New York et le New Jersey, qui avaient engagé une phase de réouverture progressive de l’économie à interrompre ce processus.
Dans ce contexte et alors que ce coup d’arrêt frappe des états qui représentent une part importante du PIB américain2Texas, Californie et Floride représentent près de 30% du PIB des Etats-Unis., ce que vient confirmer le nombre hebdomadaire d’inscriptions au chômage qui s’est remis à augmenter depuis fin juin (encore 1,5 millions de personnes la semaine du 25 juin au 1er juillet, puis 2,3 millions pour la semaine du 3 au 9 juillet) : la situation économique et sur le front de l’emploi pourrait donc s’être à nouveau dégradée depuis mi-juin.
Quant à la situation sanitaire, le Président a beau répéter que la pandémie est maîtrisée et qu’il ne faut pas surinterpréter la hausse du nombre de cas, les experts sont très inquiets sur la capacité du système hospitalier à gérer la situation en Arizona, au Texas ou en Floride et sur l’évolution de la situation dans les semaines à venir. Le Président lui-même, dans un geste qui ne pouvait pas passer inaperçu, a pour la première fois porté un masque en public lors d’un déplacement le 11 juillet à l’hôpital des anciens combattants (ceci expliquant peut être cela).
Dans ce contexte, les américains sont à nouveau très inquiets. Compte de la grande fragilité économique d’une partie de la population, la forte incertitude sur la reprise de l’économie et le virus et l’absence de visibilité sur d’éventuels soutiens financiers à venir risquent de porter à nouveau un coup à la consommation.
Car si la bourse de New York s’emballe (à la grande joie du Président) à chaque statistique positive ou à chaque annonce triomphale de Donald Trump, les américains ordinaires semblent eux beaucoup plus prudents et nettement moins enclins à prendre pour argent comptant les déclarations du Président (selon un sondage diffusé fin juin par le Pew Research Center, seules 30% des personnes interrogées font confiance aux déclarations du président sur le virus alors que 64% croient les autorités sanitaires).
En attestent, la faible assistance à Tulsa le 20 juin lors du premier meeting tenu par Donald Trump depuis le début de la pandémie (il faut dire que les participants devaient signer une décharge dans laquelle ils s’engageaient à ne pas attaquer les organisateurs s’ils contractaient le virus…) ou une étude réalisée par l’université de Chicago, qui montrerait que la réduction de la consommation aux Etats-Unis depuis le début de la pandémie est davantage liée aux craintes des américains qu’aux mesures de fermeture d’un certain nombre d’activités économiques et commerciales.
Dans ce contexte, les experts – et en premier lieu le président de la banque centrale – sont moins confiants que le Président et son administration sur la vigueur de la reprise de l’économie et appellent le gouvernement et le Congrès à maintenir les mesures d’urgence et de soutien à l’économie.
« La suite des événements dépend des mesures adoptées à tous les nouveaux du gouvernement pour apporter des aides d’urgence et soutenir la reprise économique aussi longtemps qu’il sera nécessaire. »
Jerome Powell, président de la Banque Centrale, auditionné par le Sénat le 30 juin
En découlent des visions divergentes, et non sans arrière-pensées politiques et électorales compte tenu de la proximité des élections de Novembre, sur les mesures à prendre pendant la période actuelle.
Le Président croit essentiellement, en matière de politique économique, en la psychologie et les prophéties auto-réalisatrices. S’il a déclaré le 2 juillet en présentant les chiffres de l’emploi souhaiter que le Congrès adopte « rapidement » un nouveau de paquet de mesures économiques pour accompagner la « reprise », il souhaite aussi éviter toute mesure qui donnerait à penser que la pandémie n’est pas terminée et la reprise incertaine, à la fois pour éviter une rechute de la bourse, pour encourager les entreprises à ré-embaucher et les consommateurs à consommer et pour garder sa ligne de communication sur le retour de l’économie américaine au premier plan à très court terme – rappelons que son slogan actuel est « transition to greatness ».
Il est donc favorable à des mesures incitatives pour les entreprises comme des exonérations de charge patronales ou la protection juridique des employeurs contre les recours de leurs salariés en cas de contamination au virus3Sujet dont on a déjà parlé ici..
Il souhaite aussi, à en croire son secrétaire au Trésor4Il s’agit de l’équivalent du ministre de l’économie et des finances., allouer des fonds aux écoles pour qu’elles puissent prendre les mesures nécessaires à une réouverture pour la rentrée de septembre. Les écoles restent à ce stade fermées dans la très grande majorité des états ce qui est un sujet d’agacement profond pour le Président, qui en a fait un de ses chevaux de bataille depuis une quinzaine de jour. Quitte à contester les recommandations sanitaires de l’agence de santé publique américaine ou à menacer de couper les vivres aux écoles ou universités qui ne souhaitent pas reprendre les cours en présentiel5Alors même que l’état fédéral finance très peu ces institutions. Il avait aussi annoncé qu’il envisageait de ne plus attribuer de visas pour les étudiants d’universités qui ne feraient plus que des cours en ligne, avant de revenir sur cette décision, compte tenu du tollé suscité et après avoir réalisé que ces étudiants étaient aussi des consommateurs qui engendraient plus dizaines de milliards de PIB chaque année pour l’économie américaine..
Le Président semble enfin enclin à apporter au nouveau un soutien aux ménages, sans qu’on sache si cela passerait par un nouveau « chèque » (à l’image du chèque de 1500 dollars versés sous conditions de ressource à tous les ménages américains, qui a été une des mesures emblématiques du paquet financier adopté fin mars) ou par une baisse des taxes sur les salaires – ce qui ne ciblerait pas du tout les mêmes ménages.
Les républicains, et notamment la majorité républicaine au Sénat, sont sur une ligne assez différente car davantage marquée par l’approche idéologique selon laquelle les mesures de soutien des ménages sont contre-productives et désincitatives pour la recherche d’emploi et donc pour la relance de l’économie.
Déjà réticents envers les mesures d’indemnisation des chômeurs adopté fin mars, ils envisageaient initialement, plutôt que de reconduire un soutien aux américains privés d’emploi au travers du complément fédéral de 600 dollars apporté aux indemnités chômage versées par les états, de créer une prime à l’embauche que recevrait les américains qui reprendraient un travail.
Non sans un certain cynisme compte tenu de la situation sanitaire, mais aussi avec le risque que cela soit économiquement inefficace : alors que la consommation est en berne, ce sont sans doute les offres d’emploi qui font défaut, et non les personnes volontaires pour travailler.
Depuis début juillet, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Micth Connell a cependant laissé entendre qu’il était prêt à envisager de continuer à soutenir certains chômeurs mais en limitant le soutien aux faibles revenus (moins de 40 000 dollars par an contre moins de 99 000 dollars par an pour la mesure en cours) et en ciblant sur certains secteurs, notamment le secteur de l’hôtellerie – restauration, compte tenu des mesures de restriction de cette activité encore en vigueur ou réactivées dans certains états.
Pour une partie des républicains et pour les milieux économiques, il s’agit aussi de limiter au maximum l’intervention financière publique6On citera ainsi la déclaration de Stephen Moore, un journaliste économique conservateur qui avait fait partie de l’équipe de campagne de Trump en 2016 et a continué à le conseiller depuis « : « tout ce que le gouvernement peut faire maintenant ne fera qu’empirer la situation et n’améliorera rien. ». et se focaliser sur la levée de barrières à la reprise de l’économie, d’où l’insistance sur la protection juridique des entreprises en cas de contamination sur le lieu de travail de salariés ou la volonté affichée de profiter de l’occasion pour supprimer un certain nombre de règles et de normes – en particulier environnementales.
Le Président Trump avait d’ailleurs annoncé dès le 19 mai, reprenant les arguments de think tank ultra-libéraux, qu’il demandait à toutes les services et agences fédéraux de lever les freins réglementaires susceptibles de nuire à une reprise rapide.
Il avait alors cité explicitement l’agence de protection de l’environnement, l’EPA, qu’il a dans le collimateur depuis le début de son mandat7On se souviendra qu’il avait nommé à sa tête un climato-sceptique, remplacé ensuite par un lobbyiste connu pour son activité anti-EPA.. C’est ainsi qu’il a depuis émis des décrets présidentiels pour alléger les procédures relatives à la construction des infrastructures énergétiques et de transport, pour notamment limiter ou dans certains cas supprimer les obligations existantes en matière d’études d’impact environnemental. L’EPA a de son côté réduit les obligations d’étude en matière d’émission de gaz à effet de serre et d’impact sur la qualité de l’air8Au-delà de l’impact qu’il prête à ses mesures sur la reprise économique, Trump compte manifestement faire de la question du poids des normes environnementales et de l’impact économique « négatif » qu’aurait les mesures de lutte contre le changement climatique promu par son adversaire démocrate Joe Biden un enjeu de l’élection présidentielle de novembre..
Si ces mesures, largement mises en avant par la Maison Blanche, ont été saluées par les républicains (et par les lobbies de la construction et des énergies fossiles), elle ne résolvent pas une différence importante de positionnement entre le Président et les républicains.
Le Président pourrait souhaiter dès maintenant profiter de la nécessité de relancer l’économie pour remettre sur la table le plan de développement des infrastructures promis lors de sa campagne électorale. Les républicains n’ont jamais souhaité travaillé sur ce projet très coûteux. Même si on perçoit qu’à défaut de grand plan, Trump mettra en avant la simplification des procédures pour la construction d’infrastructures comme une mesure d’effet équivalent, on peut imaginer qu’il insistera pour lancer quelque chose avant l’élection de novembre, d’autant que Joe Biden a inscrit dans son programme un plan de rénovation des infrastructures.
Mais les républicains (ainsi que les think tank conservateurs9Comme l’Heritage Fondation.) sont préoccupés par le déficit budgétaire et ne veulent pas continuer à dépenser des milliers de milliards de dollars, malgré l’efficacité des premières mesures qui ont maintenu à flot un certain nombre d’américains et en dépit des déclarations du président de la banque centrale (cf. supra) ou des demandes fortes du patronat américain dès l’adoption du dernier train de mesures.
Les républicains refusent, également au motif de la rigueur budgétaire, tout soutien financier aux états fédérés, pourtant gravement mis en péril budgétairement par la pandémie, entre la hausse des dépenses pour assurer la mise en place de tests, soutenir les hôpitaux publics, financer les soins liés au Covid-19 ou pour prendre le relais des assurances santé fournies par les employeurs pour les personnes licenciées (dans les états ayant choisi de mettre en œuvre toutes les possibilités offertes par l’ObamaCare pour prendre en charge certains soins) et les moindres recettes liées à l’arrêt d’une partie de l’économie qui privera les états d’une partie des recettes liées aux taxes sur les salaires.
Les républicains s’étaient dans un premier temps saisis du sujet pour dénoncer la « mauvaise gestion financière » des états gouvernés par les démocrates, pensant en faire un argument électoral. Il faut dire que dans la mesure où ce sont plutôt ces états qui ont pris en premier des mesures de lutte contre la propagation du virus et qui ont donc eu en premier des difficultés budgétaires. Rapidement de nombreux états – y compris républicains – ont réclamé un soutien financier face à l’ampleur des difficultés, puisque le trou à combler est évalué à plusieurs centaines de milliards de dollars.
De son côté, le Président Trump a également saisi le sujet pour critiquer la gestion budgétaire des états, et profité de l’occasion pour indiquer qu’il ne souhaitait pas non plus soutenir financièrement le service postal public américain (le fameux US Postal Service).
Loin de s’intéresser à la sauvegarde des 600 000 emplois concernés et au service public apporté, le Président est en effet obnubilé par le fait que, selon lui, le contrat entre le service postal et Amazon serait beaucoup trop favorable à ce dernier, ce qui expliquerait les difficultés financières de l’US Postal service. Or Amazon est une des bêtes noires du Président, non par pour sa situation monopolistique, pour les conditions de travail des salariés ou la protection des données, mais parce que son fondateur et dirigeant Jeff Bezos est propriétaire du Washington Post, journal férocement anti-Trump.
On peut quand même penser que les républicains auront du mal à tenir sur la durée une position dure sur le soutien budgétaire aux états fédérés, tant l’impact que pourrait avoir ce refus de financer risque d’être immédiatement visible pour les électeurs : suppression de certains services publics (y compris les forces de l’ordre, qui sont de la responsabilité des états ou localités, ou les pompiers), fermeture d’école ou d’universités publiques, faillite possible des fonds de pension gérés par les états pour leurs anciens employés, etc., le tout avec à la clé de nouveaux licenciements dans le secteur public, alors que les états et gouvernement locaux auraient déjà depuis fin février licencié 1,5 millions de personnes.
L’objectif est donc probablement pour les républicains de monnayer leur accord sur ce sujet contre, par exemple, l’immunité accordée aux employeurs.
Alors que les sondages confirmait que les américains étaient favorables à un nouveau train de mesures de soutien et à une intervention forte de l’état fédéral10Voir par exemple ce sondage – réalisé par des organisations progressistes – qui montre qu’une nette majorité d’américains soutient le projet voté par les démocrates en mai., Mitch Mc Connell a fini par évoquer le chiffre de 1 000 milliard de dollars comme plafond pour un éventuel nouveau train de mesures, bien loin des 3 000 milliards proposés par les démocrates. Il a en même temps et sans surprise cité les quatre objectifs que devrait poursuivre les prochaines mesures : le retour à l’emploi, la réouverture des écoles, les mesures sanitaires liées au coronavirus et la protection des employeurs contre les recours de leurs salariés.
Côté démocrate, on s’en tient à la proposition de paquet financier voté dès le 15 mai par la chambre des représentants, qui tient plus du plan de soutien aux ménages et à la lutte contre la pandémie que d’un plan de relance : reconduction du complément fédéral aux indemnisations chômage de 600 dollars jusqu’en 2021, deuxième chèque de soutien aux ménages, renforcement du budget fédéral octroyé à l’aide alimentaire pour les plus démunis, soutien financier aux hôpitaux et financement des tests, etc.
A cela s’ajoute évidemment un soutien aux budgets des états et municipalités (à hauteur de 1000 milliard de dollars), que les démocrates – mais aussi des personnalités comme l’ancien président de la Banque Centrale, nommé par George W. Bush, Ben Bernanke – défendent fortement en rappelant que les restrictions budgétaires auxquelles les états avaient été contraints à la suite de la crise de 2008 avaient ralenti la reprise de l’économie11On se souvient des conséquences catastrophiques pour la ville de Detroit lorsque la municipalité a fait faillite en 2009..
Les démocrates souhaitent aussi attribuer des fonds pour financer les mesures à adopter par les états (qui sont responsables de l’organisation des élections) pour permettre aux élections de novembre de se tenir dans des conditions équitables, en dépit du risque sanitaire, ce qui ne manquera pas de susciter un débat tendu avec les élus républicains et le Président lui-même, résolument opposé à la facilitation du vote par correspondance.
Dans le même temps, les démocrates semblent réticents à poursuivre le soutien massif apporté directement aux grandes entreprises – qu’ils jugent trop généreux et particulièrement opaque dans son attribution – et refusent le principe d’une immunité totale des entreprises quant à la protection de leurs salariés par rapport au coronavirus.
A ces divergences politiques et idéologiques, il convient d’ajouter comme élément du débat l’influence du retour d’expérience sur la mise en place des mesures d’urgence adoptées précédemment, qui conforte d’une certaine façon chacun dans ses convictions.
Le premier point frappant tient à la difficulté rencontrée par l’état fédéral et les états fédérés pour mettre en œuvre les mesures de soutien aux ménages et aux particuliers.
En raison en premier lieu de l’incapacité à identifier facilement l’ensemble des bénéficiaires potentiels du chèque de 1500 dollars, qui est arrivé pour certains américains 3 mois après l’annonce.
Le deuxième obstacle a été la capacité à gérer l’afflux de chômeurs et le processus d’indemnisation, entraînant un retard important dans la mise en place des paiements. On a vu ainsi l’état du New Jersey lançait des avis de recherche pour des programmeurs en Cobol pour réparer un archaïque logiciel de traitement des demandes qui n’avait pas tenu le choc face à l’afflux de dossier. Autre exemple : face aux difficultés rencontrées par de nombreux New-Yorkais pour être informés sur la situation de leur demande, les experts juridiques conseillaient simplement aux personnes concernées de contacter leur représentant à l’assemblée de l’Etat, seul à même d’obtenir une information ou de faire avancer le dossier.
Au final, ce sont les associations caritatives et les réseaux locaux de solidarité, déjà bien établis, qui ont pris le relais dans un premier temps et qui continuent à être en première ligne pour faire face à la précarisation subite de millions d’américains. Ce n’est pas nécessairement vu comme un problème du côté républicain et on peut même imaginer que cela accrédite de leur point de vue l’idée que ce n’est pas (ou plus) le rôle du gouvernement que d’accompagner ces personnes précaires et que le gouvernement fédéral doit se contenter de soutenir les entreprises.
Les restrictions budgétaires subies par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années, dans le droit fil des critiques sur l’interventionnisme excessif, ont de toute façon, et les derniers moins l’ont démontré, conduit à réduire nettement les marges de manœuvre et les possibilités d’intervention, en l’absence de services administratifs solides.
Les alternatives sont donc limitées : reconduire les dispositifs des précédents train de mesures ou les abandonner, car on voit mal comment un nouveau dispositif, par exemple une forme de financement du chômage partiel (dont les experts américains reconnaissent qu’il a été efficace en Europe), pourrait être efficacement mis en place rapidement, alors qu’il convient désormais d’agir très rapidement.
Autre enseignement : ce sont les banques, toujours parce que les gouvernements fédéral ou locaux ne sont pas capables de mettre en œuvre ce type de soutien, à qui a été confié le soin de répartir les crédits débloqués pour soutenir par des prêts, avances remboursables voire subventions, les entreprises. Or les banques ont prioritairement soutenu leurs clients préexistants et surtout ceux qui étaient les moins fragiles économiquement. Quant aux petites banques locales (le secteur bancaire reste très fragmenté aux Etats-Unis), elles ont eu peu de crédits à distribuer.
C’est ainsi que la première enveloppe votée fin mars a été très vite épuisée sans avoir vraiment atteint sa cible et que le constat a été rapidement fait que les PME avaient été peu servies, et que les dirigeants d’entreprise issus de minorité avaient été également peu servis (ceci n’étant que la suite logique des difficultés qu’ils ont pour obtenir des prêts en temps normal). Si le programme a été un peu modifié lorsqu’il a été abondé en mai, il n’en reste pas moins que le canal du soutien par l’intermédiaire du secteur bancaire suscite désormais une certaine méfiance.
Dans le même temps, le gouvernement fédéral s’est montré très réticent à faire la transparence sur les entreprises bénéficiaires des mesures de soutien, même si un dispositif de supervision et une obligation de rendre compte au Congrès avait été inscrite dans le texte adopté par le Congrès et validé par le Président. Après avoir refusé de divulguer ces informations, le gouvernement a fini par mettre à disposition du public des données brutes le 6 juillet, données qui ont confirmé que l’usage de certains fonds destinés normalement aux PME de moins de 500 salariés était discutable.
Ainsi les franchises de grandes chaînes nationales (par exemple de restaurants) ont ainsi pu bénéficier de ce soutien, tout comme des cabinets de lobbying ou des entreprises liées aux Président ou à des parlementaires – l’interdiction d’accorder des crédits à des membres du pouvoir exécutif ou législatif ne s’appliquant à ce programme destiné aux PME.
Les observateurs se sont également inquiétés de la mise en œuvre pratique d’autres dispositifs de soutien sectoriels, qui a davantage traduit les orientations idéologiques du Président et de ses proches que chercher à pallier aux des difficultés économiques les plus graves : les crédits dédiés aux hôpitaux ou aux écoles et universités ont par exemple été fléchés avant tout vers le secteur privé.
Cela peut influencer la discussion en cours sur le prochain paquet financier, puisque les démocrates seront très réticents à donner à nouveau à l’administration Trump une enveloppe sans garantir un meilleur contrôle sur son usage : il faut en effet se souvenir qu’il a beaucoup été reproché à l’administration Obama et aux démocrates d’avoir, pour faire face à la crise des subprimes de 2008, déversé beaucoup d’argent dans les banques et les grandes entreprises sans beaucoup de contrôle et de contreparties.
C’est ce que certains commentateurs résument en disant que les adversaires de l’interventionnisme sont partisans du « small government » (qu’on pourrait traduire par « intervention minimum »)… sauf pour le « big business ».
Il faut dire qu’un des conseillers économiques du Président, Larry Kudlow a évoqué le 11 juillet l’idée d’inclure dans les prochaines mesures une baisse des charges patronales, tout en indiquant que le Président proposerait sûrement pendant la campagne à venir, pour accompagner la relance en 2021, une baisse des taxes sur les revenus du capital. Laquelle bénéficierait en premier lieu aux américains les plus riches et diminuerait les recettes d’un budget fédéral dont les plans massifs de soutien économique ont déjà accentué le déficit.
Dans ce contexte, et malgré l’échéance butoir de fin juillet, il faut s’attendre à un débat compliqué dans les prochains jours. Les relations très difficiles entre le Sénat républicain et la Chambre des représentants démocrate (malgré les déclarations des uns et des autres après la mort de George Floyd, les discussions sur des dispositions législatives pour lutter contre les violences policières semblent bel et bien dans l’impasse), tout comme l’animosité que se vouent mutuellement le Président Trump et la présidente de la Chambre Nancy Pelosi (dont ils n’hésitent pas à faire état publiquement) ne vont pas faciliter un compromis.
Car si un accord avait été finalement assez rapidement trouvé sur le premier plan de soutien fin mars, grâce aux bons offices du secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, la situation actuelle est complexe à la fois sur le fond, comme on l’a vu, mais aussi politiquement, à l’approche de l’échéance électorale de Novembre.
Côté démocrate, on ne veut pas faire un cadeau au Président Trump en entrant dans sa rhétorique selon laquelle la pandémie est terminée. Dans le même temps, si les démocrates veulent soutenir les ménages les plus fragiles, ils ne veulent pas non plus donner l’impression que c’est Donald Trump (ou les républicains) qui les aident12On se souvient que le Président avait souhaité que son nom figure sur les chèques de 1500 dollars envoyés aux américains..
Même s’ils ne peuvent pas le dire, les démocrates préfèrent peut-être également attendre jusqu’aux élections pour discuter d’un plan de relance de l’économie, afin d’avoir plus de chances d’être à la manœuvre et de proposer des projets en adéquation par exemple avec le « green new deal », le tout sans avoir trop grevé les disponibilités budgétaires et en ayant éviter de « gaspiller » des ressources sur des secteurs qu’ils jugent moins prioritaires (par exemple les industries pétrolières, le secteur aérien) ou sans contreparties.
A ce stade, compte tenu du fait que les démocrates ont voté il y a plus d’un mois un paquet législatif désormais bloqué au Sénat républicain, ce sont eux qui paraissent avoir le beau rôle de défenseurs des américains pendant la crise économique. D’autant qu’ils ont déjà proposé des voies de sortie astucieuses (pour ne pas dire piégeuses pour le Président) : conditionner le maintien du complément de 600 dollars à la situation sanitaire dans chaque état. Difficile de refuser pour un Président qui affirme que la pandémie est terminée…
Côté républicain, on peut difficilement accepter à nouveau un paquet financier très coûteux ou continuer à soutenir massivement les ménages sans donner l’impression de se renier et sans affaiblir une des arguments majeurs de la campagne à venir : « si les démocrates reviennent au pouvoir, l’état interviendra sans cesse, les déficits seront creusés et les impôts monteront ». Mais dans le même temps, on sait très bien qu’en refusant de soutenir les ménages, on accrédite l’argumentation démocrate : « les républicains ne sont au pouvoir que pour aider les riches en baissant les impôts et les grandes entreprises et les lobbys qui les financent ».
Enfin, pour le Président, qui risque de devoir s’en mêler pour faciliter un compromis, le dilemme est important : continuer à soutenir les ménages et les chômeurs reviendrait à dire qu’il ne croit plus à une reprise rapide et que la pandémie n’a pas été bien gérée, ou à soutenir les « inactifs », ce qui n’est pas trop dans l’ADN de son électorat. Refuser une nouvelle aide d’urgence aux ménages vulnérables, c’est risquer de fragiliser de nombreux américains, et notamment les moins diplômés qui sont le cœur de son électorat, et alors mettre en péril sa rhétorique populiste de défenseurs des américains ordinaires contre les élites. Se ranger du côté des républicains sur la maîtrise de la dépense, c’est aussi abandonner son projet de grand plan sur les infrastructures.
On sent le Président plutôt enclin à de nouveau dépenser massivement et à soutenir les ménages, pour ne pas prendre le risque d’entraver la reprise économique, quitte à se rallier d’une certaine façon aux démocrates, comme il l’avait fait fin mars et même si cela peut mettre en porte-à-faux les candidats républicains de son parti lors des prochaines élections.
Trump joue en réalité une partie politique très délicate sur le sujet économique. Il continue à en faire un argument de campagne, dans la mesure où ses compétences en la matière sont le seul sujet sur lequel les sondages lui donnent un avantage par rapport à Joe Biden. Tant qu’il s’agit d’annoncer que l’économie sera largement redressée avant l’élection, tout va bien. Mais quand l’élection va s’approcher, qu’en sera-t-il ?
On ne doute pas de sa capacité à désigner des boucs-émissaires (la Chine, les démocrates qui ont fait exprès de planter l’économie, etc.). Mais on comprend aussi pourquoi le Président passe beaucoup de temps actuellement non pas à travailler pour maîtriser le virus ou appuyer la reprise de l’économie mais à entretenir et développer sa campagne sur les questions de « valeurs » (avortement, religion, immigration, etc.) ou du danger que représente pour les Etats-Unis le mouvement « Black Lives Matter ». Autant de sujets idéologiques sur lesquels le Président pourra développer sa rhétorique sans être comptable d’un bilan facilement mesurable.