Le regain du coronavirus traduit les maux de la démocratie américaine

L’augmentation importante du nombre de cas de coronavirus détectés et du nombre d’hospitalisations dans un certain nombre d’états américains (en particulier en Floride ou au Texas, qui totalisent 50 millions d’habitants) montre que la « première vague » de la pandémie n’est manifestement pas maîtrisée aux Etats-Unis, qui comptent déjà près de 130 000 morts officiellement déclarés (et peut-être nettement plus si on en croit les premières analyses sur la surmortalité).

On a déjà évoqué dans ces chroniques combien les conséquences économiques de la pandémie mettaient en lumière les inégalités économiques et sociales et la vulnérabilité de toute une partie de la population américaine. Il ne faut d’ailleurs pas négliger l’influence de cette fragilité économique et de l’absence de filets de sécurité dans la propension des décideurs politiques à limiter les mesures de confinement ou à accélérer la reprise de l’économie. Mais la façon dont cette pandémie a été abordée par les responsables politiques comme par la société américaine montre aussi des dysfonctionnements graves de la vie démocratique aux Etats-Unis.

Bien sûr la gestion (si tant est que le terme soit approprié…) de la crise par le Président Trump n’est pas pour rien dans la situation actuelle.

En refusant de reconnaître l’importance de la pandémie au début de celle-ci1On se souvient des multiples déclarations de minimisation du risque et des accusations selon lesquelles il s’agirait d’un complot des démocrates pour l’empêcher d’être réélu, encore colportées par son fils il y a quelques semaines., et même s’il a fermé très vite les frontières, il n’a pas permis de mobiliser les moyens du gouvernement fédéral en amont pour anticiper l’augmentation des cas.

Il a d’ailleurs choisi de ne pas prendre en main la gestion sanitaire au niveau fédéral pour laisser chaque état s’organiser de façon très disparate et sans coordination, ce qui fait que les états ayant pris les mesures adéquates et très strictes – comme l’état de New York – craignent désormais, au moment de « rouvrir » leur économie, les contaminations par l’arrivée d’habitants de zones où le virus circule massivement.

Sa réticence à montrer l’exemple en appliquant lui-même les messages de santé publique des experts (distanciation physique, port du masque,…), qui se traduit même aujourd’hui par l’organisation de meetings de campagne en milieu fermé en contradiction avec les recommandations de son administration (dans l’Oklahoma le 20 juin ou dans l’Arizona le 23 juin) nuit sans aucun doute à l’appropriation de ces messages par la population2On notera quand même la participation bien moindre qu’espérée lors du meeting de Tulsa, qui peut s’expliquer en partie par la crainte de contracter le coronavirus lors de cet événement, d’autant que les participants devaient signer une décharge de responsabilité et ainsi renoncer à leur capacité à poursuivre en justice les organisateurs du meeting..

En politisant la question du masque3Il a ainsi déclaré que le port du masque était un message politique contre lui-même et accusé fin mai un journaliste de vouloir faire du politiquement correct – insulte suprême dans la galaxie Trump – en portant un masque lors d’une conférence de presse., et plus globalement celle du coronavirus, il accentue encore le risque de rejet de ces consignes par ses supporters.

L’obsession vis-à-vis de sa réélection l’amène à embellir la situation sanitaire en permanence pour « relancer » l’économie au plus vite, puisqu’il considère que l’amélioration des indicateurs économiques est le premier déterminant du vote de novembre prochain. C’est cette même volonté d’en finir au plus vite avec le virus et de passer à autre chose qui conduit le Président à annoncer régulièrement que le virus « disparaîtra à l’été », qu’un vaccin « sera disponible à l’été » ou que le simple fait de tester fera disparaître le virus.

Ce faisant, non seulement il met en danger ces concitoyens en les trompant sur la réalité de la situation, mais par ailleurs les récents retours en arrière au Texas et en Floride (certaines activités sont à nouveau suspendues) montrent que la reprise économique ne se décrète pas indépendamment de la situation sanitaire. Or Trump a agi, comme à son habitude, à coup de « wishful thinking » ou de pensée magique en considérant qu’il suffisait de ne plus parler du problème et d’occuper la scène médiatique avec d’autres sujets4Ses premiers meetings de campagne, le futur rebond de l’économie ou le retour à l’ordre après les protestations sur les violences policières, par exemple. pour que le virus disparaisse de lui-même.

Le virus n’était finalement qu’un sujet médiatique comme les autres. Lorsque Trump avait décidé d’arrêter de tenir des conférences de presse quotidienne, à la suite de son embardée sur l’idée d’injecter de l’eau de javel pour tuer le virus qui lui avait attiré de nombreuses critiques et moqueries, il avait même annoncé la dissolution de la task force avant de se raviser en indiquant « qu’il n’avait pas idée de la popularité de cette task force » révélant ainsi, si besoin en était, que pour le Président, le rôle de la task force n’était pas de gérer la crise, mais de lui donner une occasion de communiquer.

Si la task force n’a finalement pas été dissoute, elle ne faisait plus de points réguliers de la situation et ne passait plus de message de santé publique depuis fin avril, laissant encore plus les états et les citoyens livrés à eux-mêmes5Elle a finalement face au regain des cas tenu une conférence de presse le 26 juin, mais pour passer des messages contradictoires : pendant que le Vice-Président Mike Pence se livrait à un exercice d’auto-satisfaction, les experts médicaux multipliaient les messages d’alerte et d’appel à la responsabilité individuelle et collective..

On pourrait enfin reprocher à Trump son entêtement et son aveuglement y compris sur le plan politique puisque même si une nette majorité d’américains jugent durement – et ils sont de plus en plus nombreux – la gestion de la pandémie par le Président, et alors que la situation sanitaire se dégrade à nouveau, il surenchérit, comme à son habitude6On le voit encore sur la question des violences policières et des discriminations raciales : Donald Trump continue à attaquer violemment les protestataires en les traitant de « terroristes », à refuser tout remise en cause des forces de l’ordre et à nier l’existence de racisme. en attribuant l’augmentation des cas à l’augmentation des tests et en affirmant que tout va pour le mieux, etc.

Mais Trump et sa gestion de la crise ne sont en réalité que des symptômes de maux profonds de la démocratie américaine préexistants à son élection et dont celle-ci n’a été qu’une expression. Car rien de qui a été décrit ci-dessus n’est finalement surprenant de la part de Trump. D’une certaine façon, son action reflète la personnalité qu’il avait montrée pendant sa campagne et l’approche de la gestion des affaires publiques qu’il avait revendiquée : conspirationnisme, rejet des experts et de la science, individualisme forcené, narcissisme poussé à l’extrême.

Dans le même temps, dès lors qu’il a abandonné la gestion de la crise aux gouverneurs, il convient de regarder comment ceux-ci ont agi et on constatera qu’ils ont souvent, notamment s’agissant des états à majorité républicaine, eu une approche similaire à celle du Président : priorité à la préservation de l’économie, incapacité à tirer les leçons de la façon dont la pandémie a pu être gérée dans d’autres pays7On passera rapidement sur le nombrilisme d’une population majoritairement persuadée que les Etats-Unis sont les premiers en tout, ce qui rejaillit sur les décideurs politiques incapables de s’inspirer de la gestion de la pandémie à l’œuvre dans d’autres parties du monde. On notera simplement qu’on retrouve le même travers sur la question des violences policières : rares sont les médias qui ont fait l’effort de s’intéresser à la situation dans d’autres pays (au-delà de rapporter l’existence de manifestations partout dans le monde, d’abord présentée en réalité comme le signe que les Etats-Unis restent le centre du monde) et qui ont relayé le fait que le nombre de personnes tuées par la police aux Etats-Unis – plus de 1000 – étaient sans commune mesure, même rapporté à la population, avec les quelques unités tuées chaque année par les forces de l’ordre dans tous les pays développés. (voire même d’autres états américains) sévèrement touchés, refus d’endosser des mesures contraignantes, renvoi à la responsabilité individuelle, minimisation du risque sanitaire. En cela, ils ne sont, comme le Président, que le reflet de tendances fortes à l’œuvre aux Etats-Unis.

En premier lieu, insistons sur le poids pris dans le débat public et dans la vie quotidienne par les théories conspirationnistes. Le conspirationnisme n’est pas nouveau8On peut citer par exemple les multiples théories sur l’assassinat de JF Kennedy ou l’adhésion aux théories sur les soucoupes volantes ou les extra-terrestres, etc. qui sont anciennes et bien ancrées dans la société américaine. ni propre aux Etats-Unis mais il a peu à peu pris une importance telle que ce n’est plus un phénomène marginal dont on s’amuse et qui n’a pas d’influence sur les décisions politiques (ou économiques).

Ces théories sont désormais largement colportées par les médias d’ultra-droites dont l’audience est loin d’être confidentielle, tels Fox News, relayées sur les réseaux sociaux par ces mêmes personnalités médiatiques ou via les algorithmes de Facebook ou Youtube qui ont pour effet pervers de conforter les tenants d’une théorie en les orientant vers d’autres publications sur le même thème9Si Twitter, Facebook ou Youtube ont commencé récemment à « signaler » des publications, y compris du Président, ou à fermer d’autorité certains comptes, parce qu’ils faisaient l’apologie de la violence ou colportaient des contre-vérités manifestes sur le coronavirus, ces réactions sont limitées et timides par rapport à l’ampleur du problème., mais aussi portées par des personnalités politiques.

Au premier rang d’entre elles figure bien sûr Donald Trump, dont il faut se souvenir qu’il était à l’origine du mouvement « birther » qui prétendait qui Barack Obama n’était pas né aux Etats-Unis et donc pas éligible pour être Président10En 2016 20% des américains étaient encore persuadés qu’Obama avait trafiqué son certificat de naissance, et 17% ne se prononçaient pas…, avant pendant sa campagne de 2016 de reprendre plusieurs théories complotistes11En accusant par exemple le père de son rival républicain Ted Cruz d’être impliqué dans l’assassinat du Président Kennedy. et il n’a pas cessé depuis qu’il est élu12On peut penser aux accusations selon lesquelles l’Ukraine aurait soutenu Hillary Clinton pendant la campagne 2016, un des sujets à l’origine de la procédure d’ « impeachment » lancé contre Trump. Mais il n’est pas le seul.

Plusieurs candidats républicains pour le Congrès cette année se déclarent explicitement adhérents au mouvement QAnon qui explique que le monde est gouverné en sous-main par une clique de personnalités maléfiques (au premier rang desquels Barack Obama et Hillary Clinton mais aussi des personnalités hollywoodiennes ou télévisuelles) et qu’il faut guetter les signes pour se préparer à un affrontement pour l’avènement du « grand réveil » : c’est ce mouvement qui est à l’origine du « pizzagate », théorie selon laquelle des proches de Mme Clinton – voire elle-même ? – utilisaient le sous-sol d’une pizzeria de Washington D.C. pour mener un trafic pédophile13On laissera les lecteurs prêts à en savoir plus se plonger dans cet article un peu glaçant de The Atlantic..

Corollaire de l’essor de ces théories conspirationnistes, le relativisme scientifique, qui va souvent de pair avec le fondamentalisme chrétien14Le « camp » progressiste n’est pas épargné par le conspirationnisme : cf. accusations de truquage de la primaire démocrate pour écarter Bernie Sanders, ou méfiance envers les « Big Pharma ». Pour autant, c’est surtout le conspirationnisme et le relativisme scientifique des partisans républicains et conservateurs qui a des conséquences majeures sur la politique américaine., est lui aussi très répandu dans la population : seulement 49% des américains (et seulement 14% des républicains conservateurs…) considèrent par exemple que l’activité humaine contribue significativement au changement climatique.

Il n’y a pas une vérité ou des faits avérés mais des « opinions » qui se valent. Donald Trump a institutionnalisé cela dès les premiers jours de son mandat, lorsqu’il indiquait que la foule présente lors de son investiture était record ou qu’il avait remporté le vote populaire15C’est-à-dire obtenu au niveau national plus de voix qu’Hillary Clinton, ce qui était faux. Il avait seulement remporté plus de grands électeurs. Il avait cependant réussi à convaincre à l’époque un quart des américains et en était très fier. lors de l’élection présidentielle. Sa conseillère Kellyanne Conway avait alors lancé le concept des « alternative facts » (ou « faits alternatifs ») qui a depuis fait florès.

Les thèses dites « créationnistes » (par opposition à la théorie de l’évolution) sont une des expressions les plus connues de ce relativisme scientifique. Elles sont le fait de personnalités médiatiques ou sportives mais aussi politiques (et là encore, cela va bien au-delà du Président)  : parmi les candidats à la primaire républicaine de 2016, un seul (Jeb Bush) avait déclaré croire à la théorie de l’évolution plutôt qu’à la thèse créationniste, tout en précisant qu’il ne souhaitait pas imposer l’enseignement de la seule théorie évolutionniste qui n’était qu’une théorie parmi d’autres. En 2008, trois quarts des candidats républicains à la primaire étaient « évolutionnistes » : on voit là combien en quelques années, le poids du relativisme s’est considérablement accru.

Même si on peut douter de la sincérité de l’adhésion au créationnisme des candidats de 2016, il n’en reste pas moins que cet anecdote est significative : pour être élu côté républicain, il convient au moins de ne pas contester un certain nombre de « théories » très répandues et quiconque n’en tient pas compte semble électoralement très fragile (d’autant que les enquêtes d’opinion montrent que les personnes politisées – et donc ceux qui font partie de la moitié des américains qui votent – sont plus enclines à avoir des avis tranchés sur ces sujets).

Pas étonnant dans ces conditions de voir qu’un quart des américains estimait début avril que le virus avait été créé et diffusé volontairement, que près de deux tiers des sympathisants républicains considéraient début juin16Avant, donc, le récent regain de cas et d’hospitalisations. que la gravité du coronavirus et de la pandémie avait été exagérée et donc de constater que les gouverneurs républicains ont rechigné à agir très vigoureusement contre le virus.

Dans ce contexte, la méfiance généralisée envers les autorités et les pouvoirs publics (symbolisée par la haine du « deep state »), présente depuis toujours dans la société américaine (et pas seulement chez les conspirationnistes), ou envers les experts scientifiques, accusés de servir de caution pour justifier leurs actions (la science n’étant, pour les conservateurs comme pour les conspirationnistes, qu’un argument comme un autre auquel on donne trop de poids et qui permet aux « libéraux » de remettre en cause leurs croyances), ne fait qu’augmenter.

Cela se traduit par la remise en cause non seulement de toute étude scientifique17Le Président Trump peut ainsi indiquer qu’il a un bon pressentiment par rapport à l’hydroxy-chloroquine en même temps qu’un expert médical explique que rien n’est prouvé concernant l’efficacité d’un médicament ayant par ailleurs des effets secondaires certains., par des doutes quant à la dangerosité du virus, une remise en cause du décompte des cas et des morts (Fox News et le Président lui-même ont accusé les organismes de santé publique de grossir le nombre de victimes), mais aussi du principe même des vaccins par exemple. Ainsi, la moitié seulement des américains indiquaient fin mai qu’ils se feraient vacciner contre le coronavirus à coup sûr lorsqu’un vaccin sera disponible, tandis qu’un cinquième d’entre eux affirmaient ne pas vouloir se faire vacciner et que 30% étaient incertains de leur choix.

Tout ceci va de pair avec l’extrême polarisation de la société américaine et l’idée que le pays vit une « guerre culturelle », opposant d’un côté les authentiques américains (comprendre les chrétiens blancs) et de l’autre les libéraux cosmopolites et mondialisés – on reprend ici la présentation des premiers : les seconds présenterait cela comme la guerre entre les ultra-conservateurs rétrogrades et racistes et les progressistes.

Pour les conservateurs, cette guerre est d’une certaine façon « totale », parce qu’il en va de la survie de « leur » Amérique : tout doit se raccrocher à cette guerre et tous les sujets doivent l’alimenter et être utilisés pour vaincre. D’où une instrumentalisation politique permanente – par l’ultra-droite et certains républicains, ou par le Président – de n’importe quel sujet, y compris une question de santé publique.

Dès lors, et c’est sans doute une des caractéristiques frappantes de cette pandémie du coronavirus, l’idée d’une union nationale en cas de catastrophe « naturelle »18On classera la pandémie dans cette catégorie, même si Trump et de nombreux conservateurs ou isolationnistes imputent la pandémie à la Chine et donc à la mondialisation, tandis que d’autres y voient évidemment la main de Dieu. n’a pas de sens. En temps de « guerre culturelle », il ne doit pas y avoir d’union nationale, de compromis ou de pacte avec l’ « ennemi »19C’est cette approche qui conduit le Président et ses partisans à mettre de l’huile sur le feu des protestations en cours sur les violences policières et les discriminations raciales en refusant une réflexion sur le passé esclavagiste des Etats-Unis ou en contestant l’idée qu’il existe une forme de racisme systémique aux Etats-Unis. C’est aussi ce qui paralyse l’activité législative du Congrès depuis de nombreuses années, et en particulier depuis l’élection de Barack Obama, l’idée même d’un compromis étant considérée, par les républicains comme par les démocrates, comme une concession beaucoup trop importante dans cette « guerre culturelle »..

Au final, un des résultats de cette approche de la « guerre culturelle totale », mis largement en évidence par la pandémie, c’est la disparition, pour une grande partie de la population, de l’idée d’ « intérêt général », puisque de fait, pour les conspirationnistes, les fondamentalistes, les fanatiques du Président, une partie du pays n’est pas l’Amérique. Pourquoi faudrait-il que je restreigne ma liberté ou que je mette en péril mon activité économique pour sauver des vies puisque ceux qui me demandent de le faire sont le plus souvent des gens qui ne pensent pas comme moi et sont au fond mes ennemis ?

Quatre mois après l’irruption de la pandémie, les experts de santé publique en sont ainsi encore à essayer de convaincre que qu’il s’agit d’une question collective. L’idée que des pouvoirs publics (fédéraux ou locaux) aient un rôle à jouer est en réalité considérée par un certain nombre d’américains comme dépassée, dangereuse pour l’avenir, instrumentalisée par le « deep state » pour reprendre le pouvoir, etc.

Le terreau américain est particulièrement favorable à cette approche : les notions omniprésentes de responsabilité individuelle et de liberté sous toute ses formes (liberté d’expression, liberté religieuse, liberté d’entreprendre20Même si on notera que les conservateurs très allants sur ces libertés ne vont quand même pas jusqu’à reconnaître la liberté de disposer de son corps, continuent à s’opposer à l’avortement et à vouloir discriminer les LGBTQ+.), l’attachement au fédéralisme et à la notion de « communauté » (locale, religieuse, culturelle…) qui décide pour elle-même, ont petit à petit dérivé vers un individualisme forcené, vers l’absence de solidarité et vers le rejet de toute intervention des pouvoirs publics.

On ne s’étonnera pas dans ces conditions de ce qui se passe au Texas, en Arizona ou en Floride ces derniers jours, avec des manifestants proclamant leur refus de toute contrainte, leur liberté d’attraper le Covid s’ils le souhaitent ou leur souhait de laisser s’accomplir la volonté divine, et des gouverneurs alertant sur la gravité de la situation mais toujours réticents à prendre des mesures fortes

La gestion pour le moins chaotique de la pandémie au Texas, avec un gouverneur qui affirme suspendre la réouverture de l’économie… mais sans prendre de mesure concrète, reflète parfaitement cet état d’esprit. Il avait ainsi adopté il y a quelques semaines un texte interdisant aux municipalités d’imposer le port du masque, avant de conseiller à ses administrés de porter un masque autant que possible mais en refusant de l’imposer dans les lieux clos (comme c’est le cas à New York par exemple).

Certes, le Texas, le « Lone Star State » (l’état à l’étoile solitaire) aime bien se vivre encore comme un état sinon indépendant, au moins autonome, en souvenir des dix années d’indépendance de la République du Texas entre 1836 et 184521Entre la séparation d’avec le Mexique et l’intégration dans les Etats-Unis. et en rajoute en matière défense de cette « culture » texane. Il incarne le rejet de toute interventionnisme et même de toute action des pouvoirs publics, quel que soit le domaine22Au cours des huit années de présidence Obama, l’état du Texas a attaqué près de vingt fois le gouvernement fédéral pour essayer d’annuler des décisions fédérales qui se seraient « imposées » aux texans..

Mais cette façon d’agir et cette culture représente de plus en plus, quand ce n’est pas un idéal, un standard pour de nombreux américains et par là pour de nombreux gouverneurs républicains. C’est peut-être le gouverneur de l’Arizona qui résume le mieux le sentiment d’une partie importante de la population américaine (et de ceux qui l’ont élu). Plus que du fatalisme, il s’agit de justifier le laissez-faire.

« Il n’y a pas de décision magique et d’action décisive du gouvernement qui arrêtera le virus ».

Doug Ducey, gouverneur de l’Arizona, le 26 juin

Conspirationnisme, rejet de la science, volonté de mener une « guerre culturelle » totale, déni du collectif et de la notion d’intérêt général, rejet de l’intervention de l’état sous ses différentes formes : autant de caractéristiques de la société américaine qui ont pris de plus en plus d’importance dans le débat politique et gangrènent ce dernier au point d’entraîner une gestion catastrophique d’une pandémie dont les conséquences humaines et économiques sont probablement loin d’être épuisées.

On peut espérer qu’elle ne sont pas majoritaires ou définitivement ancrées dans la société et que l’élection de novembre en fera une première démonstration23Dans le cas contraire, on peut être très pessimiste sur l’avenir des Etats-Unis !.

Mais de la même façon que l’élection de Barack Obama avait été trop vite présentée comme le début d’une nouvelle ère, une défaite de Trump en novembre prochain ne devra pas être sur-interprétée sur ce plan. Car voir perdre un personnage qui incarne cette dérive de façon aussi caricaturale ne signifiera pas pour autant la disparation de ces maux. Il en faudra beaucoup plus pour ramener le calme et un peu de raison dans une partie de la population, en colère, les nerfs à vif en raison des difficultés économiques et des tensions politiques et sociales, et pour réconcilier une grande partie de l’Amérique avec elle-même.

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