Donald Trump peut-il encore gagner dans les urnes ?

A moins de trois semaines du scrutin, et alors que près de 20 millions d’américains ont déjà voté (en 2016, 135 millions d’américains avaient voté à la présidentielle), que ce soit par correspondance ou en se rendant physiquement dans les bureaux de vote déjà ouverts dans certains états, les sondages au niveau national comme dans les états « bascules » qui décideront du résultat de l’élection sont chaque jour plus défavorables au Président sortant Donald Trump, désormais distancé nettement au niveau national et dans la plupart des états censés être les plus disputés.

Sauf à ne faire aucune confiance aux sondages, en s’appuyant sur le précédent de 2016, ce qui est la position publiquement affichée par le camp Trump, il semble que la voie soit vraiment très étroite pour que Donald Trump puisse remonter son retard pour remporter une majorité au collège électoral.

Cette voie existe pourtant, selon les spécialistes – qui essayent peut-être de s’en persuader et d’en persuader les électeurs pour exorciser les démons de 2016, éviter que l’impression que le scrutin est joué n’augmente l’abstention, ou pour pour maintenir un intérêt médiatique au scrutin…

Regagner du terrain suppose malgré tout des changements importants dans le paysage électoral solidement installé depuis plusieurs semaines.

Donald Trump n’a toujours pas trouvé le bon registre pour regagner du terrain notamment auprès des personnes âgées et des électrices

Tout d’abord, il faudrait que Donald Trump regagne un peu de popularité. Face à un adversaire qui semble gagner – à petite dose certes – en popularité dans les sondages depuis quelques semaines et qui recueillerait désormais nettement plus d’opinions positives que d’opinions négatives, on voit mal comment un Président sortant pourrait être élu avec moins de 45% d’opinions favorables, d’autant que le rejet exprimé par les électeurs à son encontre est très fort (le dernier sondage réalisé par NBC et le Wall Street Journal indique que 48% des américains déclarent qu’il n’y a aucune chance qu’ils votent pour lui).

Le Président peine à attaquer efficacement Joe Biden et surtout ne semble rien faire pour reprendre du terrain dans les segments électoraux qui semblent avoir quitté son camp entre 2016 et 2020, notamment les personnes âgées et les électrices des classes ouvrières et moyennes, des banlieues résidentielles, etc.

On a bien eu droit à une tentative maladroite de séduction des seniors dans une vidéo réalisée dans le jardin de la Maison Blanche.

« Aux gens que je préfère dans le monde : les seniors. Je fais partie des seniors. Je sais que vous ne le savez pas, mais j’en fais partie. Personne ne le sait, peut-être qu’il ne faut pas leur dire, mais je suis un senior. »

Donald Trump, en introduction d’une vidéo réalisée juste après sa sortie de l’hôpital le 8 octobre

On a aussi vu le Président implorer, là encore de façon pour le moins étonnante les électrices des banlieues de l’aimer

Mais dans le même temps, par son comportement quotidien ou via d’autres déclarations, le Président ne fait que renforcer le rejet qu’il suscite et qui semble s’accentuer chaque jour.

Son comportement outrancier et odieux lors du premier débat entre les candidats a, semble-t-il, été très mal vu par une grande majorité de la population (y compris chez ses plus fervents adeptes).

Pense-t-il pouvoir ramener dans son camp les personnes âgées simplement en lisant sans enthousiasme son discours lors d’un déplacement dédié aux seniors le 16 octobre alors qu’il twitte en même temps des messages moqueurs sur l’âge de son concurrent ?

Son passage à l’hôpital suite à sa contamination au coronavirus n’a fait qu’accentuer sa désinvolture face au coronavirus. Son comportement semble bel et bien en décalage complet avec la perception de la pandémie qu’a une majorité des américains : il continue ainsi à polémiquer par presse interposée avec les spécialistes de santé publique comme le Dr Fauci qui est peut-être aujourd’hui une des personnalités les plus populaires aux Etats-Unis, ou à mettre en doute en travestissant le discours des experts de santé publique sur la pertinence du port du masque, alors qu’une écrasante majorité d’américains est favorable, depuis de longs mois1Cf. sondage en juin ou début octobre., au port du masque dans les lieux publics.

Et on peine à imaginer que l’image de super-héros vainqueur du « virus chinois » ou le fait d’organiser des meetings rassemblant des milliers de personnes sans mesures de distanciation physique en se déclarant immunisé et prêt à « aller embrasser les participants » soient très porteurs au-delà des fanatiques irréductibles.

Au contraire, tout comme le Président affiche son mépris pour les soldats qui sont faits prisonniers ou meurent au combat (cf. polémique lancée par un article de The Atlantic), il donne surtout l’impression de rabaisser ceux qui n’ont pas survécu, les « losers » qui ne sont pas assez forts, ou n’ont pas les moyens, comme lui, de se faire soigner correctement.

Et sa parole sur le virus a été tellement décrédibilisée depuis le début de la pandémie que personne ne croit ses promesses selon lesquelles le traitement qu’il a reçu est la solution « miracle » qui sera offerte « gratuitement » à tous les américains.

De même, il a beau répéter qu’il va remplacer le dispositif d’assurance santé créé par Barack Obama (l’ « Affordable Care Act » dit ObamaCare) par un dispositif beaucoup mieux et moins cher, il semble que les électeurs les plus préoccupés par ce sujet (régulièrement cité dans le top 3 des sujets considérés comme déterminants pour leur vote par les américains), et notamment les électrices des classes moyennes, ne le croient pas et constatent plutôt que Trump continue à chercher à détricoter l’ObamaCare (son administration a lancé un contentieux pendant à la Cour Suprême) sans jamais proposer une solution concrète de remplacement.

La proposition du Président, fin septembre, de nommer à la Cour Suprême une juge ayant par le passé déclaré son opposition à l’ObamaCare n’a pas arrangé les choses.

Et comme cette juge est aussi résolument anti-avortement (même si Donald Trump, comme Mike Pence lors du débat des candidats à la vice-présidence, s’est hypocritement gardé de dire publiquement qu’il voulait renverser la jurisprudence de la Cour Suprême sur laquelle repose la possibilité d’accéder partout aux Etats-Unis à l’interruption volontaire de grossesse) et « pro-gun », on voit mal l’électorat féminin, en réalité assez nettement favorable au droit à l’avortement et au contrôle des armes, rallier à nouveau le Président.

Au-delà du contenu souvent contre-productif, Donald Trump ne semble toujours pas décidé à s’adresser à l’ensemble de l’électorat. Il multiplie les meetings et les interviews sur Fox News ou dans des émissions radios de l’ultra-droite et il touche grâce à cela sa base électorale la plus solide.

Mais en refusant de tenir le deuxième débat dans un format « virtuel », il a, alors qu’il doit refaire son retard et parler à des indécis, décliné une occasion de parler à 70 millions d’américains, préférant parler aux 3 millions de téléspectateurs accrocs de Fox News ou aux spectateurs de ses meetings de campagne, qui sont de toute façon pour la plupart déjà convaincus.

Car 2020 n’est pas 2016, et ses meetings ne sont plus retransmis en intégralité par les grandes chaînes de télévision – même Fox News n’en diffuse souvent que quelques extraits. La plupart des grandes chaînes ont changé d’attitude par rapport à la campagne de 2016.

Il y 4 ans, croyant que la diffusion en permanence des discours de Trump, truffés de contre-vérités, de provocations et d’énormités, le desservirait, elles lui avaient en réalité offert une exposition médiatique extraordinaire et une tribune permanente, sans contradicteur, qui avait fini par convaincre certains électeurs de tenter le pari de faire confiance à un iconoclaste anti-système.

Aujourd’hui, les grandes chaînes se contentent de diffuser les extraits les plus choquants et délirants des prestations de Donald Trump. Et il n’en manque pas, car le Président multiplie les embardées ou les déclarations absurdes2Au point qu’on se demande si le virus ou son traitement médical ne l’ont pas rendu parfois un peu confus. ou tente de rejouer l’élection de 2016 en essayant vainement de créer des scandales autour de Joe Biden et de sa famille, Barack Obama ou Hillary Clinton.

Il essaye ainsi, avec le soutien massif de l’ultra-droite et malgré les réticences des médias « sérieux » à la relayer3Immédiatement dénoncées comme de la « censure »., de lancer une nouvelle polémique sur Hunter Biden, le fils survivant de Joe Biden, polémique suffisamment louche pour que le FBI lance une enquête sur une éventuelle tentative de manipulation russe.

Pendant ce temps, le fameux « Obamagate » (selon Trump, l’administration Obama aurait espionné sa campagne en 2016 et il demandait encore récemment au ministre de la justice d’arrêter Obama et Biden) a fait « pschitt » quand la mission d’enquête, diligentée par son propre ministère de la Justice à la demande du Président, a rendu le 13 octobre un rapport estimant que les services de renseignement avaient appliqué les procédures normales pour enquêter sur relations troubles entre certains membres de l’équipe de campagne de Trump et la Russie.

Quant à l’annonce de la publication des mails d’Hillary Clinton, au-delà du fait que le Président instrumentalise sans vergogne sa position de sortant, avec l’aide de son sinistre Secretary of State Mike Pompeo, cela sent vraiment le réchauffé de 2016 et on voit mal, si tant est qu’il y ait des éléments problématiques dans cette correspondance, comment cela pourrait handicaper Joe Biden, qui a bien veillé à ce que Mme Clinton n’ait aucun rôle dans sa campagne.

La plupart des américains ne voient donc le Président que sous son pire aspect, celui dont la plupart des américains se sont lassés en 4 ans.

Conscient malgré tout de ce risque, et alors que Joe Biden avait lui accepté de participer le 15 octobre à un échange avec des électeurs (un « Town Hall » pour utiliser la terminologie américaine) sur la chaîne ABC en lieu et place du débat initialement prévu, Trump a obtenu de la chaîne concurrente NBC qu’elle organise elle aussi, à la même heure, un échange avec des électeurs.

Cette initiative de NBC, et notamment le fait d’organiser son émission exactement à la même heure que celle de ABC, a été très critiquée, y compris en interne par les journalistes vedettes de la chaîne. Tout le monde a craint le retour des vieux démons de 2016 et de la course à l’audimat s’appuyant sur la diffusion du show permanent organisé par Trump.

Mais la journaliste Savannah Guthrie, chargée d’animer l’émission, a choisi d’être offensive et sa performance a globalement été saluée par les commentateurs (sauf sur Fox News) : si les citoyens invités n’avaient manifestement pas le droit de dialoguer avec Donald Trump, Savannah Guthrie a presque systématiquement pointé et contesté les allégations mensongères du Président, posé des questions précises pour clarifier certaines prises de position sur le port du masque, les suprémacistes blancs, l’assurance-santé, etc. Et même rappelé à Donald Trump à ses responsabilités de Président.

Savannah Guthrie : « Vous avez diffusé à vos 87 millions de followers sur Twitter une théorie conspirationniste selon laquelle Joe Biden aurait orchestré la mort de 6 marines pour passer sous silence l’échec de l’opération de capture de Ben Laden. Pourquoi diffusez-vous un tel mensonge à vos followers ? ».

Donald Trump : « Je n’ai pas connaissance de cette histoire ».

Savannah Guthre : « Mais vous l’avez retweetée ! »

Donald Trump : « C’était l’opinion exprimée par quelqu’un. Et c’était un retweet. Je l’ai diffusé. Les gens peuvent décider par eux-mêmes. Je n’ai pas d’avis ».

Savannah Guthrie : « Mais vous êtes le Président ! Vous n’êtes pas l’oncle fêlé de je ne sais pas qui, qui peut retweeter n’importe quoi ! »

Echange entre la journaliste Savannah Guthrie et Donald Trump lors du « Town Hall » organisé par NBC le 16 octobre

Au final, s’il a été moins odieux et caricatural que pendant son débat du 29 septembre avec Joe Biden, Donald Trump a malgré tout relayé à nouveau des théories complotistes et refusé de condamner les conspirationnistes de la mouvance Qanon (on en parlait ici) et s’est énervé face à une journaliste qui le poussait dans ses retranchements.

Incapable d’annoncer des mesures précises quand des électeurs plutôt bienveillants l’invitaient à préciser son programme pour accompagner la reprise économique, Donald Trump, peut-être trop habitué à des interviewers qui lui servent la soupe, a largement été sur la défensive, même s’il a pu à la fin esquisser en quelques phrases ce que pourrait être son deuxième mandat. On parierait qu’il n’a peut-être pas perdu d’électeurs mais qu’il n’a pas non plus retourné l’opinion en sa faveur.

Surtout, les premiers résultats d’audimat montrent, à la surprise générale, que le « Town Hall » de Joe Biden aurait attiré plus de téléspectateurs (plus de 13 millions) que celui de Donald Trump pourtant diffusé sur les trois chaînes du réseau NBC (un peu moins de 12 millions).

Au-delà du fait que c’est probablement un coup au moral du Président, cela traduit soit la lassitude vis-à-vis du cirque médiatique de Trump, soit un intérêt des téléspectateurs pour Joe Biden (comme le disait un commentateur, « les américains ont peut-être préféré regarder le prochain Président »). Rien de rassurant pour Donald Trump dans tous les cas, d’autant que Biden a plutôt réussi son émission.

P ce temps, Trump ne passe pratiquement pas au grand public de messages sur les sujets de fond (seul son colistier Mike Pence l’a un peu fait lors du débat des candidats à la vice-présidence), sauf via des déclarations outrancières sur Joe Biden et son programme « radical ».

Il en oublie même de mener vraiment campagne sur l’économie, ou même sur l’immigration, sujets qui avaient pourtant très bien porté il y 4 ans et dont on peine à comprendre pourquoi Trump n’en fait pas davantage le cœur de sa campagne, lui qui ne rêve pourtant que de rejouer la campagne victorieuse de 2016.

Et ce d’autant que pour la plupart des observateurs, c’est sans doute en essayant de ramener la campagne électorale sur ces sujets, et notamment sur les questions économiques, que le Président pourrait regagner du terrain. En effet, on l’a déjà répété à maintes reprises, l’économie est le sujet sur lequel les américains semblent encore accorder un crédit supérieur au Président par rapport à son concurrent.

Evidemment, Trump stigmatise le projet de Biden d’augmenter les impôts, mais de façon tellement caricaturale qu’il est facilement contré par le candidat démocrate. Et les déclarations d’auto-satisfaction sur les hausses de la bourse (fréquentes, puisqu’elle fait le yoyo depuis 6 mois) ou les annonces que 2021 sera une année « exceptionnelle » sans plus de précision sur le plan ne suffisent plus.

Surtout, Trump a ces derniers jours passé des messages contradictoires sur sa volonté de continuer à soutenir l’économie et les ménages américains. Les discussions entre le Congrès et la Maison Blanche restent désespérément bloquées depuis l’été et le Président a d’abord dit vouloir attendre les élections pour qu’un nouveau train de mesures soit adopté, avant de plaider pour un accord rapide sur un soutien important, puis, alors que les sénateurs républicains ne semblent pas prêt à soutenir un nouveau paquet de mesures, d’accuser les démocrates de refuser un accord. On se dirige maintenant plutôt vers une absence de nouvelles mesures d’ici aux élections (et l’image de négociateur hors pair que Donald Trump cherche à cultiver en prend un coup).

En attendant, de nombreux américains sont, au mieux, dans l’expectative, ce qui n’est pas bon pour la consommation, au pire dans une situation économique très fragile – et le taux de pauvreté augmente, malgré l’impact des aides massives distribuées au printemps.

La reprise économique peine à se dessiner et les dernières données économiques, sur lesquelles le Président comptait sans doute en vue du 3 novembre, ne sont guère réjouissantes.

Certes le chômage mesuré au 15 septembre a encore légèrement baissé, pour être ramené à 7,9% (contre 8,4% au 15 août), mais les inscriptions hebdomadaires au chômage continuent à un rythme soutenu (autour de 800 000 par semaine, avec un pic à plus de 890 000 le 15 octobre, ce qui n’est pas très bon signe), les annonces de licenciement définitif (et non plus seulement de suspension des contrats, ce qui serait en France l’équivalent du « chômage technique ») se multiplient. Plus de 26 millions d’américains touchaient ainsi une indemnisation chômage mi-septembre4Certains des bénéficiaires peuvent néanmoins toujours avoir un emploi s’ils avaient plusieurs emplois..

En se plongeant dans les chiffres, les experts ont surtout constaté que cette baisse légère du chômage tenait non pas à des créations d’emplois, mais surtout au fait que de nombreux américains sont en réalité sortis du marché du travail, et notamment les mères de famille (quatre fois plus de femmes que d’hommes ont quitté le marché du travail), pénalisées par le fait, par exemple, que dans de nombreux endroits les écoles n’ont pas pu être ré-ouvertes en raison de la pandémie. Ce n’est pas comme cela que le Président va reconquérir les électrices des classes moyennes, ce qu’a bien compris la camp Biden qui multiplie les appels du pied et les messages destinés à ce public.

Car le ressenti des américains sur la situation économique dénote à la fois leur vulnérabilité (la moitié des personnes interrogées dans un sondage de Market Place et Edison Poll research estiment qu’ils auraient du mal à faire face à une dépense imprévu de 250 dollars, un tiers estiment avoir vu leur revenu baisser depuis le début de la pandémie), mais aussi un pessimisme important (plus de la moitié des personnes interrogées dans le même sondage ont peur de perdre leur emploi, par exemple), ce qui est sans doute le plus pénalisant pour le Président sortant en vue de l’élection du 3 novembre prochain.

Ainsi, Donald Trump semble incapable d’infléchir lui-même sa campagne au niveau national,et ce alors qu’il reste largement le seul maître à bord. Incapable de se focaliser sur quelques messages forts et porteurs, il mène à nouveau la campagne de 2016, alors que le contexte a bien changé5On en parlait dans cette chronique sur les sondages..

En réalité, on a l’impression que Donald Trump vit chaque jour plus dans sa bulle, entouré de courtisans et de fanatiques, nourri des émissions des médias d’ultra-droite qui le flattent (et qui continuent à dire que Joe Biden est sénile), baigné dans le sentiment qu’il soulève un enthousiasme populaire immense, alors que cet enthousiasme important, s’il existe indéniablement, est de plus en plus limité à une base électorale déjà convaincue et à laquelle consacrer l’essentiel de son temps paraît relever du gaspillage d’énergie et de moyens.

On sait que, sous ses airs de combattant dur au mal, Trump est en réalité un narcissique qui marche au moral. On comprend bien pourquoi son entourage essaye de le galvaniser, mais cela prend sans doute des proportions contre-productives, quand on constate qu’une partie du budget consacré aux spots télévisés est investie dans les décrochages locaux à Washington D.C., toute acquise à Joe Biden. La campagne Trump finance aussi des spots sur Fox News, dont l’audience est déjà largement acquise au Président., afin que Trump puisse voir de lui-même cette campagne et les spots à sa gloire. Et ce alors même que le Président a moins de ressources financières que son concurrent.

Le système du collège électoral et une campagne agressive ciblée sur les « swing states » peuvent-ils sauver le Président ?

Reste que l’élection se déroule au suffrage indirect. Plus que les « coups » de communication dont le Président pense qu’ils pourraient renverser l’élection6Il a encore annoncé lors de son Town Hall qu’il y aurait début novembre des résultats économiques extraordinaires., la campagne de terrain menée dans les états « bascules » (les fameux « swing states ») et les efforts ciblés localement sur des segments démographiques ou géographiques déterminants pourraient permettre à Donald Trump de sauver sa place, quitte à perdre encore plus nettement le « vote populaire » (c’est-à-dire à recueillir au niveau national moins de vote que son adversaire) qu’en 20167Ce qui ne manquerait pas de le vexer profondément, lui qui avait déjà cherché à prouver en 2016 qu’il avait gagné le vote populaire en accusant Hillary Clinton de fraude..

Les scénarios cohérents et crédibles – au vu des sondages actuels – dans lesquels le Président sortant gagnerait le collège électoral sont limités. Mais Donald Trump peut par exemple être élu s’il limite les dégâts dans la région des Grands Lacs qui lui avait donné une victoire surprise en 2016 : il obtiendrait en effet une majorité au collège électoral s’il arrivait à conserver la Pennsylvanie (et tous les autres états gagnés en 2016), même s’il perdait le Michigan et le Wisconsin.

Certes, Trump est aujourd’hui menacé dans des états qu’il pensait acquis comme l’Arizona, la Floride, la Caroline du Nord ou même l’Ohio, l’Iowa ou la Géorgie, et il est assez nettement distancé dans le Michigan et le Wisconsin (c’est-à-dire que son retard est supérieur à l’écart entre les sondages de 2016 et le résultat final). Mais il peut très bien gagner la Pennsylvanie, où Joe Biden ne semble pas avoir creusé un retard irrémédiable, et conserver de justesse tous les autres états gagnés en 2016.

Ce scénario suppose pour la campagne Trump de remplir plusieurs objectifs précis de nature à faire mentir les sondages.

En partant du constat que le positionnement national du candidat ne lui permet pas, au moins à ce stade comme on l’a vu, d’envisager une reconquête de l’électorat âgé ou féminin qui s’est manifestement détourné de lui, il lui faut absolument « surperformer » dans les rares segments démographiques où il semble susciter encore de l’enthousiasme.

Cela concerne l’électorat « latino » auquel une récente chronique était consacrée : si Trump arrive à faire mieux qu’en 2016 auprès d’une partie de cet électorat, cela peut à la fois lui permettre d’éviter une défaite en Floride, Arizona, Géorgie ou Caroline du Sud, et peut-être de lui donner un petit levier en Pennsylvanie.

Mais plus qu’une hypothétique bonne performance dans l’électorat « latino » (que lui conteste évidemment Joe Biden), c’est davantage sur une mobilisation encore supérieure à celle de 2016 du segment démographique qui lui est le plus favorable, à savoir celui des hommes blancs peu diplômés, que mise Donald Trump.

C’est cet électorat qui avait démenti les sondages et fait basculer l’élection en 2016, justement dans les états de la région des Grands Lacs. Cela a toujours été un des paris et un des objectifs du camp Trump en 2020 : augmenter le taux de participation de ce segment démographique et faire mentir à nouveau les sondages qui sous-estimeraient, selon lui, le poids de cet électorat – on en parlait plus en détail dans la chronique consacrée aux sondages.

C’est de toute façon le seul résultat positif que le Président peut espérer de sa stratégie de communication : galvaniser sa base, et attirer encore plus d’américains ayant le profil des fanatiques « MAGA » (comme on les appelle en utilisant l’acronyme de « Make America Great Again ») et qui n’auraient pas encore réalisé qu’ils doivent absolument voter Trump pour sauver le pays.

En parallèle, Trump et ses relais médiatiques se concentrent sur le sujets d’intérêt de la Pennsylvanie, en cherchant notamment à mettre au premier plan la question de la fracturation hydraulique, qui symbolise un début de survie économique pour une partie de cet état très touché, comme ses voisins des Grands lacs par les précédentes crises économiques.

Car si Biden a effectivement annoncé qu’il ne souhaitait pas interdire le « fracking », tant lui que sa colistière Kamala Harris ont été plus ambigus ces derniers mois. Et comme Biden n’est pas très efficace lorsqu’il s’agit d’expliquer une position précise sur un sujet technique un peu complexe, il n’est pas impossible que les attaques républicaines sur le sujet portent leurs fruits en Pennsylvanie, même si en réalité, le secteur représente moins de 1% des emplois de cet état (c’est-à-dire 26 000 emplois et non 900 000 comme Trump l’affirme dans la vidéo évoquée précédemment).

Mais les discours ne sont pas la seule arme pour augmenter la mobilisation du « pays MAGA » : les équipes de Trump ont mené une campagne de terrain (sans hésiter, contrairement aux démocrates qui jugeaient cela inconcevable en temps de pandémie, à faire le traditionnel porte à porte) très active pour pousser les électeurs qui leur seraient a priori les plus favorables à s’inscrire sur les listes électorales et à participer.

Il s’agit d’une recette classique des républicains et conservateurs, qui misent sur le fait que leur électorat traditionnel est plus enclin à voter que celui des démocrates.

Et comme Trump est persuadé qu’il suscite plus d’enthousiasme que Joe Biden (on a déjà évoqué cette interprétation un peu rapide des enquêtes d’opinion), que la participation élevée de ses supporters compensera le rejet qu’il peut susciter, d’autant plus que Joe Biden est selon lui incapable de mobiliser des électeurs (là encore, il s’agit d’une interprétation biaisée du fait que Biden ne réunit pas des foules immenses… puisqu’il n’organise pas de meetings en raison de la pandémie).

Dans la mesure où certains états prévoient que les inscrits peuvent déclarer au moment de s’inscrire une affiliation partisane (pour participer aux primaires dans certains états, il faut parfois avoir être affilié à un parti), on peut voir l’efficacité de cette campagne dans les données recueillies en Floride ou en Pennsylvanie. Les nouveaux inscrits se déclarant « républicains » y sont bien plus nombreux que ceux se déclarant « démocrates », et dans des quantités (plusieurs dizaines de milliers) du même ordre de grandeur que l’écart entre Donald Trump et Hillary Clinton en 2016 dans les états en question.

Rien ne dit cependant que ces nouveaux inscrits vont effectivement voter, ni qu’ils voteront Trump. Les républicains « anti-Trump » ont mobilisé d’important moyens pour convaincre les républicains modérés qu’ils pouvaient voter Biden sans renier leur affiliation républicaine.

Les sondages, comme celui de début octobre du Pew Research Center, montrent de leur côté que Joe Biden est nettement en tête dans les intentions de vote des électeurs abstentionnistes en 2016 – de même qu’il devance largement Trump au sein des 5% environ électeurs ayant voté pour un autre candidat que Donald Trump ou Hillary Clinton en 2016.

Un sondage de NPR et Marist Poll diffusé le 15 octobre montre ainsi que Trump gagne beaucoup moins nettement l’électorat blanc peu diplômé qu’il y a 4 ans. Et Biden, lui même issu des classes moyennes ouvrières blanches, est au coude à coude avec Trump au sein de l’électorat blanc en général, et pourrait être le premier candidat démocrate depuis Jimmy Carter en 1976 qui pourrait gagner le vote des électeurs blancs.

Ainsi, une participation relativement plus importante de l’électorat blanc peu diplômé ne serait pas forcément suffisante pour compenser le déficit du Président dans de nombreux autres secteurs (on aurait pu aussi citer le fait les électeurs se déclarant « indépendants » se prononceraient cette année nettement en faveur de Joe Biden, alors que Trump était arrivé en tête de justesse en 2016 au sein de cet électorat).

Enfin, on peut dans certains états s’inscrire sur les listes électorales le jour même de l’élection. Les démocrates ont eux-mêmes mené un gros effort (notamment en Floride jusqu’à la fin de la période d’inscription qui s’est achevée le 5 octobre). Seule l’analyse des résultats permettra de vérifier l’efficacité des moyens mis sur le sujet par l’équipe de campagne de Trump et celle des efforts des démocrates pour attirer dans les urnes les jeunes, malgré le handicap en la matière lié à la fermeture des campus universitaires, ou les électeurs des minorités.

Bien qu’il mène une campagne pour le moins erratique (mais n’était-ce pas déjà le cas en 2016 ?), Donald Trump a donc encore des chances non négligeables de gagner dans les urnes, par le jeu du scrutin indirect et du collège électoral : au final, tout pourrait se jouer dans l’état de Pennsylvanie.

Mais c’est aussi sans compter sur les efforts menés en parallèle par Joe Biden pour maintenir son avantage, en cultivant le contraste entre la personnalité et la « présidentialité » des deux candidats et en focalisant la campagne sur des sujets comme la pandémie ou l’assurance santé, qui ne peuvent qu’endommager l’image du Président sortant.

Car Trump a beau mépriser son adversaire, et la « Trumposphère » a beau encore espérer, par exemple lors du dernier débat le 22 octobre, un « faux-pas » ou une « révélation » de la « sénilité » de Biden, ce dernier mène jusqu’à présent, lui, une campagne très solide et manifestement adaptée au contexte.

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