Donald Trump avait fait de la désinformation un élément clé de sa stratégie électorale et de nombreux candidats républicains ont également largement utilisé cette arme dans son sillage. Et force est de reconnaître que cette stratégie n’est certainement pas pour rien dans le nombre impressionnant de votes obtenus par Donald Trump(plus de 10 millions de plus qu’en 2016) et dans le résultat inespéré des républicains au Congrès, puisqu’ils ont repris plusieurs sièges à la Chambre des représentants, laissant une majorité très courte au parti démocrate1Il pourrait à l’arrivée ne disposer que de 222 sièges quand la majorité est à 218. et peut-être sauvé leur majorité au Sénat.
Bien sûr, tout n’a pas parfaitement fonctionné : les efforts du Président pour miner la crédibilité de l’élection ont certes eu un impact sur l’opinion publique, qui n’avait avant l’élection qu’une confiance limitée dans le processus électoral, mais ils n’ont pas dissuadé, au contraire, les électeurs d’aller voter , puisque la participation a partout augmenté (et c’est d’ailleurs plutôt dans les zones acquises au Président qu’elle a le moins augmenté).
Les allégations de fraude fonctionnent manifestement très bien avec l’électorat républicain (selon un sondage de l’université de Monmouth, 61% des républicains considèrent que l’élection n’a pas été équitable et 10 jours après l’annonce du résultat, 88% des électeurs ayant voté Trump considéraient qu’il était encore trop tôt pour désigner le vainqueur) mais, même si Donald Trump continue à contester sa défaite sur Twitter et, sans le moindre succès, dans les tribunaux, elles n’empêcheront pas Joe Biden d’être désigné Président.
De même, Joe Biden n’a semble-t-il pas pâti (ou en tout cas pas suffisamment pour l’empêcher de gagner) des attaques personnelles relatives à sa sénilité ou sa probité.
En revanche, la campagne de minimisation de la pandémie, entamée depuis l’arrivée du virus aux Etats-Unis par le Président et par les relais d’opinion de l’ultra-droite, et les proclamations d’auto-satisfaction du Président quant à sa gestion de la pandémie ont semble-t-il porté leurs fruits.
Il semblerait que la pandémie n’ait pas eu autant d’impact qu’attendu dans le choix des électeurs, et peut-être pas en faveur de Joe Biden de façon aussi tranchée qu’on l’aurait imaginé, si on se réfère à la performance meilleure que prévu du Président chez les seniors, attestés par les sondages de sortie des urnes, ou le fait que Trump soit arrivé en tête dans plus de 90% des comtés comptant le plus de cas par habitant aux Etats-Unis.
Le sondage de sortie des urnes réalisé par Edison Research et qui sert de référence à toute la presse (par exemple au New York Times ou à CNN) confirme ce constat : 17% des électeurs ont mentionné la pandémie de coronavirus comme le sujet ayant été le plus déterminant au moment de voter (et Joe Biden remporte plus de 80% des suffrages pour ces électeurs)2Les résultats ne sont pas toujours parfaitement cohérents entre les différentes questions : interrogés différemment, 23% des électeurs estiment que la nouvelle augmentation des cas de Covid19 fin octobre a été le facteur majeur de leur vote et 37% la citent comme un facteur important et pour cette question Joe Biden n’obtient une majorité nette de suffrages qu’auprès des électeurs pour lesquels la pandémie est le facteur le plus décisif..
Cela traduit une erreur importante d’appréciation des observateurs (et des sondages pré-électoraux3On y reviendra dans une prochaine chronique.)sur cette question mais aussi l’efficacité de la communication du Président, ce que laissaient déjà entrevoir les sondages pré-électoraux sur les différences de perception de la pandémie entre l’électorat pro-Trump qui s’informe exclusivement via Fox News et les « talk shows » d’ultra-droite et le reste de la population.
Au-delà des plus fervents supporters du Président et des accrocs des médias d’ultra-droite, le message selon lequel il fallait tourner la page de la pandémie, reprendre l’activité économique au plus vite et s’en remettre à l’arrivée rapide d’un vaccin a manifestement porté, dans un contexte de lassitude par rapport à la pandémie et d’inquiétudes quant à la situation économique, notamment auprès des électeurs les plus vulnérables économiquement.
Pendant que Joe Biden appelait à la patience et aux efforts en matière de distanciation sociale, pendant que ses spots de campagne, lorsqu’ils évoquaient la pandémie, prenaient bien soin de préciser que le Président n’était pas responsable de l’arrivée du coronavirus, mais coupable de l’avoir mal gérée, le camp adverse ne se privait pas de marteler, notamment en fin de campagne, que Joe Biden, s’il était élu, « fermerait à nouveau l’économie » ou « imposerait un nouveau confinement généralisé ». Ce n’était pas le projet de Joe Biden, qui n’en a de toute façon pas le pouvoir dans un système fédéral comme les Etats-Unis.
Cet argument sur les risques pour l’économie d’une victoire de Biden s’inscrivait dans une opération de matraquage médiatique visant à susciter la peur vis-à-vis de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden et du parti démocrate, qui s’est avéré être le thème principal de la campagne audiovisuelle et digitale de Donald Trump.
Il faut dire que si Donald Trump n’a jamais réussi à trouver, comme il l’avait en 2016, un ou plusieurs slogans marquants pour sa propre campagne, il a parfaitement su utiliser contre Joe Biden et contre les démocrates certains slogans ou formules venant de leur propre camp.
On pense évidemment au slogan « defund the police » (lancé par des militants de la lutte contre les violences policières) mais aussi aux expressions « Green New Deal » ou à « Medicare for All » (projets ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique et de mise en place d’un système public d’assurance-santé portés par l’aile gauche du parti démocrate).
Joe Biden et la plupart des candidats démocrates au Congrès n’ont pourtant jamais endossé ces propositions.
Biden a évoqué l’idée d’une réflexion sur les priorités d’action des forces de l’ordre supposant une réorientation des budgets de la répression vers la prévention ou l’accompagnement, mais n’a jamais proposé de réduire le budget des forces de l’ordre. Et aucun candidat démocrate n’a porté la proposition (certes poussée par certains mouvements progressistes) de supprimer la police.
Joe Biden n’a repris à son compte qu’une partie du « Green New Deal »,laissant de côté l’interdiction immédiate de la fracturation hydraulique ou la création massive d’emplois publics pour compenser les pertes d’emplois liées à la transition énergétique. Et s’il a effectivement annoncé qu’il comptait progressivement remplacer le secteur des énergies fossiles par celui des énergies renouvelables, il n’a jamais déclaré vouloir le faire à très court terme et sans organiser la transition.
Depuis le début de la primaire démocrate il s’oppose à la « nationalisation » du système d’assurance santé (ce qui est le projet qualifié de « Medicare for all ») préférant le développement d’une assurance santé publique optionnelle destinée à résoudre la situation des américains ne pouvant financer une assurance privée (faute de moyens, ou parce qu’ils présentent des antécédents médicaux leur fermant l’accès à des polices d’assurance abordables).
Face à l’ampleur de ces attaques, les démocrates ne se contentent pas de déplorer l’importance prise par la désinformation ou la passivité des gestionnaires de réseaux sociaux. Ils ne peuvent de toute façon pas nier les efforts, plus ou moins couronnés de succès, des médias « traditionnels » comme de Twitter (ou dans une moindre mesure Facebook) pour ne pas amplifier les effets de la campagne de désinformation menée par le camp Trump : les médias ont sans doute lors du sprint final évité que l’affaire « Hunter Biden » visant à mettre en doute la probité de Joe Biden ne prenne trop d’importance au-delà de la « Trumposphère ».
Les démocrates savent aussi que les médias « traditionnels », qui font l’objet d’une défiance toujours croissante, sont en perte de vitesse et ne sont plus, pour une part croissante des électeurs, la principale source d’information.
Il sera d’ailleurs intéressant de voir si l’administration Biden cherche à s’emparer du sujet de la désinformation4Trump a menacé tout au long de son mandat de s’attaquer à Facebook ou Twitter, les accusant de brider la liberté d’expression. Mais il s’est bien gardé d’agir, sachant pertinemment que ces outils et leurs dérives jouent avant tout en sa faveur. et comment, tant on voit mal les leviers disponibles dans un pays où la liberté d’expression est un principe constitutionnel fondamental et avec une Cour Suprême désormais résolument conservatrice et soucieuse de protéger ces libertés fondamentales.
Les démocrates se sont donc interrogés pendant la campagne électorale – et ils continuent à se pencher sur la question – sur les moyens de lutter contre ces campagnes de désinformation, en menant eux-mêmes des campagnes digitales plus agressives pour contrer ces messages et rattraper un tant soit peu l’avance prise par l’ultra-droite en matière d’utilisation des réseaux sociaux.
Sans aller jusqu’à reprocher à Joe Biden son approche à l’ancienne et son désintérêt (pour ne pas dire son mépris) assumé pour Twitter comme outil de campagne, la « jeune génération » du parti souhaite ne pas laisser le terrain des réseaux sociaux à son adversaire et elle a déjà en 2020 largement utilisé les outils digitaux notamment pour inciter au vote – on en parlait ici.
On s’interroge aussi au sein du parti démocrate sur l’efficacité des réponses apportées par l’équipe de campagne de Joe Biden et par le parti démocrate de façon plus générale.
Joe Biden et son équipe de campagne avaient une contre-stratégie qui a été appliquée rigoureusement : rétablir la vérité s’agissant des allégations infondées sur le programme de campagne du candidat démocrate et ignorer les attaques personnelles pour éviter de leur donner trop d’importance.
Mais l’équipe de Biden en a-t-elle fait assez pour contrer la désinformation ? N’a-t-elle pas sous-estimé l’impact de ces attaques et de la désinformation (par exemple en raison de sondages n’arrivant pas à en tracer correctement l’impact) ? Le candidat n’aurait-il pas pu afficher encore plus clairement son soutien aux forces de l’ordre et obtenir le soutien de responsables policiers ? N’aurait-il pas du dénoncer plus clairement les dictatures latino-américaines (ou tant qu’à faire les dirigeants nord-coréens, russes, turcs ou saoudiens, alliés de Donald Trump) ?
Le camp Biden a toujours considéré qu’en raison de son parcours politique et de sa personnalité, le candidat démocrate à la Présidence était largement immunisé contre ces attaques et notamment contre les accusations de sympathie pour le « socialisme » et qu’elles ne lui porteraient pas tort.
Le résultat final de l’élection présidentielle leur a donné à raison. Mais si la théorie du « cheval de Troie », selon laquelle l’élection de Biden permettrait à l’« extrême-gauche » d’arriver aux commandes, n’a pas empêché Joe Biden de gagner, elle a peut-être eu un impact sur les autres candidats démocrates.
C’est en tout cas la théorie de la frange modérée du parti démocrate qui estime que la diabolisation du programme démocrate a coûté la victoire à plusieurs candidats démocrates au Sénat et à la Chambre des représentants.
Dans certains cas, l’influence de la diabolisation des démocrates semble difficilement contestable. C’est le cas en Floride, où la campagne audiovisuelle et digitale décrivant Joe Biden comme un ami de Nicolas Maduro ou des frères Castro, et porteur d’un programme « socialiste », a manifestement été très efficace auprès de l’électorat d’origine cubaine et vénézuélienne.
C’est ainsi que Joe Biden a obtenu un résultat très en deçà de celui réalisé par Hillary Clinton en 2016 dans la région de Miami, ce qui lui a coûté la victoire dans l’état. C’est aussi dans la région de Miami que deux candidats républicains « latinos » à la Chambre des représentants ont repris des sièges gagnés par les démocrates en 2018.
Cela vaut aussi pour le Texas, où le succès rencontré par Donald Trump dans les comtés à forte population « latino », notamment le long du Rio Grande qui démarque la frontière américano-mexicaine, est attribué, à défaut d’autres explications convaincantes à ce stade, aux accusations selon lesquelles Joe Biden voulait « fermer » le secteur des industries fossiles, dans lequel de nombreux « latinos » sont employés, ou à la peur de voir le candidat démocrate relâcher le contrôle migratoire (là encore, de nombreux « latinos » travaillent pour la police migratoire) ou réduire les moyens des forces de l’ordre.
Les observateurs et une partie du partie démocrate estiment que la désinformation et la diabolisation de leur programme de campagne a eu un impact plus général sur les résultats de l’ensemble des élections, de la présidentielle aux élections locales en passant par les élections au Congrès.
Ils constatent en effet que dans toutes les élections qui auraient dû être serrées (une vingtaine et une demi-douzaine au Sénat), ce sont à chaque fois les républicains qui ont été déclaré vainqueur. Et les démocrates ont même rétrocédé au parti républicain 9 sièges (et peut-être encore quelques unités supplémentaires une fois tous les dépouillements achevés) conquis en 2018 dans des circonscriptions plutôt républicaines.
De même, les démocrates n’ont pas pu conquérir la majorité dans un certain nombre d’assemblées législatives locales, alors qu’il s’agissait d’un des enjeux majeurs des élections générales puisque ces assemblées nouvellement élues vont procéder l’an prochain à des redécoupages électoraux sur la base du recensement décennal effectué en 20205Les spéculations en la matière vont déjà bon train et les experts s’amusent déjà à imaginer des découpages électoraux astucieux permettant aux républicains d’améliorer encore leur score en 2018, ou de continuer à cantonner la majorité des électeurs afro-américains dans une unique circonscription..
Les démocrates modérés ou les candidats battus ne reprochent pas grand-chose (au moins publiquement) à Joe Biden6Le vainqueur a toujours raison, surtout quand il s’agit du futur Président. et surtout pas pas d’avoir abandonné à leur propre sort les candidats au Congrès (il faut dire qu’il a fait dans la dernière ligne droite plusieurs déplacements pour aider des candidats au Sénat), ni même de ne pas avoir su les entraîner dans son sillage en contrant insuffisamment la désinformation sur les périls d’une majorité démocrate au Congrès.
En effet, les situations dans lesquelles Joe Biden est arrivé en tête dans une circonscription ou dans un état pendant que les candidats démocrates étaient battus sont très peu nombreuses. Il y a bien sûr eu ce qu’on appelle des « split tickets » (terme utilisé lorsqu’un électeur ne vote pas pour tous les candidats d’un même parti, qu’on pourrait traduire par « bulletin partagé ») mais ces situations n’ont eu un impact final que sur un nombre très réduit de résultats.
Cela n’a concerné qu’une seule élection sénatoriale7On met de côté le cas de la Géorgie, gagnée par Joe Biden avec une marge très réduite. Les candidats démocrates ont recueilli moins de voix que leurs adversaires républicains mais il y a aura un deuxième tour pour attribuer les sièges de sénateurs. (celle du Maine où l’expérimentée candidate républicaine modérée sortante Susan Collins, qui s’était distancée de Donald Trump, a mené une très bonne campagne de terrain pour conserver de justesse son siège, alors que Joe Biden battait Donald Trump de plus de 10 points dans cet état) et 8 élections à la chambre des représentants.
Et encore, parmi ces 8 circonscriptions, on en trouve trois en Californie, où il faut probablement davantage attribuer le « split ticket » au rejet de Trump qu’à un rejet des démocrates8Les groupes de républicains anti-Trump ne se cachaient pas de demander aux électeurs de voter Biden sans forcément voter pour les candidats démocrates au Congrès.. Et il y a peut-être un peu des deux dans d’autres circonscriptions concernées (dans le Nebraska, par exemple, si on se fie au fait que le candidat républicain au Sénat a fait un bien meilleur score que Donald Trump).
Là où les candidats démocrates au Congrès fondaient des espoirs de victoire (pour grappiller quelques sièges au Sénat ou à la Chambre ou conservaient des sièges de représentants acquis en 2018) et ont été battus, Joe Biden est en réalité dans la très grande majorité des cas arrivé derrière Donald Trump. Pourtant, Biden avait parfois envisagé d’arriver en tête dans quelques-uns des états concernés comme la Floride, l’Iowa (tant pour l’élection au Sénat que pour la chambre des représentants) ou la Caroline du Nord, et même au Texas, où les démocrates n’ont remporté que deux sièges sur les douze qui étaient en jeu dans des circonscriptions censées être « gagnables ». Dans ces états, Biden a sans doute lui aussi pâti de la crainte d’une arrivée au pouvoir des progressistes.
Les démocrates modérés, qui pensaient que la recette gagnante de 2018 (campagne anti-Trump et programme modérée focalisée sur la préservation des acquis en matière d’assurance-santé) fonctionnerait à nouveau, considèrent qu’une partie de la responsabilité des défaites, et notamment l’importance prise par la désinformation, doit dès lors être recherchée du côté des candidats de l’aile gauche du parti et des mouvements progressistes, coupables selon eux d’avoir fait campagne sur des projets très (trop) ambitieux, d’avoir cherché – et obtenu – une exposition médiatique disproportionnée et préjudiciable à la campagne d’autres candidats, et d’avoir laissé prospéré des slogans frappants mais ambigus (c’est le cas de « defund the police » : pour une partie des promoteurs du slogan, il s’agit de réorienter les budgets et non de les baisser).
Certains candidats démocrates ont eu beau marteler tout au long de la campagne leur opposition à tout ou partie des propositions du camp progressiste, ces dernières leur ont manifestement collé à la peau.
De même ils ont été placés dans l’embarras par certains figures du parti démocrate, tels Bernie Sanders ou l’étoile montante Alexandria Ocasio Cortez qui persistent à se revendiquer comme des « socialistes », terme qui reste très pénalisant vis-à-vis de tous ceux, latino-américains mais aussi américains d’origine chinoise, vietnamienne ou d’Europe de l’Est, qui ont rejoint les Etats-Unis pour fuir des régimes autoritaires communistes.
Autant de chiffons rouges pour une partie de l’électorat républicain modéré (et peut-être même indépendant), qui ont été largement mis à profit par les candidats républicains, pour « ramener à la maison » les électeurs qui avaient voté démocrate en 2018, souvent dans le cadre d’un vote sanction contre le Président Trump ou pour attirer de nouveaux électeurs.
Pour les modérés, le problème n’est donc pas tant la désinformation que le fait d’avoir offert une cible trop facile à la rhétorique républicaine. Tandis que du côté des progressistes, on explique que sans ces propositions, les démocrates auraient, comme en 2016, échoué à mobiliser une partie de leur base et n’auraient peut-être pas gagné une élection présidentielle qui s’est finalement jouée sur la mobilisation et la participation.
Ils pourraient par exemple expliquer que les défaites des modérés sont davantage liées à l’enthousiasme suscité par Donald Trump (en Floride, dans l’Iowa, ou dans des états traditionnellement républicains), qu’au rejet du péril « progressiste ». Et que les démocrates modérés n’ont pas suffisamment cherché à élargir leur coalition électorale entre 2018 et 2020, alors que côté républicain on bénéficiait cette fois de l’apport des supporters de Donald Trump qui ne s’étaient pas déplacés en 2018 puisque le Président n’était pas lui-même en lice.
Il est probablement trop tôt pour trancher ce débat : certes, les électeurs de Trump déclarent avoir davantage voté « pour » Trump que « contre » Biden, mais dès lors que le Président sortant faisait du barrage aux démocrates un de ses principaux arguments de campagne (voire le seul), il est difficile de délier mobilisation pro-Trump et rejet du parti démocrate. Par ailleurs, il ne faut sans doute pas généraliser des conclusions alors que chaque élection locale a ses spécificités et il faudra sans doute attendre des études plus détaillées sur les ressorts du vote.
Les débats sont cependant déjà très animés au sein du parti démocrate9On en parlera dans une prochaine chronique. entre modérés et progressistes sur la stratégie à adopter pour les élections de mi-mandat, et en conséquence sur les priorités de l’administration Biden.
Du côté républicain, certains avaient en coulisses regretté l’absence pendant la campagne de programme électoral (c’était un choix assumé par le parti lors de la convention républicaine fin août), de propositions positives et de messages d’espoir, et critiqué l’option consistant à tout miser ou presque sur la peur et la diabolisation de l’adversaire.
Les campagnes électorales américaines ont toujours utilisé ce type d’argument : les affirmations selon lesquelles Joe Biden allait augmenter les impôts de tous les américains – ce qui n’est pas son programme ni celui des démocrates les plus progressistes – relèvent de la rhétorique classique utilisée par les républicains à chaque élection. Mais l’utilisation de la diabolisation et, à cette fin, de la désinformation, a pris en 2020 des proportions inégalées dans la panoplie des candidats républicains.
Loin de considérer que la victoire de Joe Biden a montré que cela ne suffisait pas forcément, les républicains semblent plutôt retenir que c’est grâce à cela qu’ils ont réussi une performance inattendue.
Et c’est ainsi que la campagne menée par les candidats républicains pour les deux sièges de sénateurs de Géorgie, qui seront attribués dans le cadre d’un deuxième tour programmé le 5 janvier prochain10Les lois électorales prévoient en effet qu’un candidat ne peut être élu sénateur que s’il obtient la majorité des suffrages exprimées, ce qu’aucun candidat n’a réussi lors du scrutin du 3 novembre., part sur les mêmes bases que la campagne menée par le Président Trump, si on en croit les premiers spots de campagne : l’un attaque le candidat démocrate Raphael Warnock avec un montage grossier de déclarations de soutien à un confrère révérend controversé, tandis qu’un autre explique tout simplement qu’il s’agit de « sauver l’Amérique » du péril représenté par un Sénat sous l’« emprise totale » de l’extrême-gauche radicale.