Chronique mise à jour le 2 novembre pour préciser les scénarios impliquant le Texas et la Floride.
Après avoir décrit les « battleground states » et les éléments qui rendent le résultat encore incertain malgré les sondages très nettement en faveur de Joe Biden, il est temps de présenter quelques scénarios en matière de carte électorale et d’illustrer la façon dont chacun des candidats peut atteindre le chiffre magique des 270 grands électeurs qui donne la majorité au collège électoral, et par suite la victoire.
On ne présentera ici que des scénarios crédibles (ce ne sera évidemment pas exhaustif), c’est-à-dire qu’on épargnera au lecteur les combinaisons improbables au regard des données électorales et démographiques et des informations données par les derniers sondages.
Ces considérations concernent surtout la région des Grands Lacs. Ainsi, on partira du principe que Trump peut difficilement perdre le Wisconsin et le Michigan mais gagner le Minnesota. On voit de même assez mal Biden l’emporter en Pennsylvanie, ou dans l’Iowa ou l’Ohio sans gagner en même temps le Michigan, le Wisconsin et le Minnesota.
Dans la « Sun Belt », en revanche, si les états présentent des configurations assez similaires, le faible écart enregistré dans les sondages et les incertitudes sur le rôle des caractéristiques démographiques font qu’on peut tout à fait imaginer que Biden ou Trump gagne n’importe lequel de ces états sans gagner nécessairement les autres.
Nota bene sur la lecture des cartes : chaque état est désigné par deux lettres (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre : NE = Nevada ; AZ = Arizona : TX = Texas ; FL = Floride ; GA = Géorgie ; NC = Caroline du Nord ; PA = Pennsylvanie ; ME = Maine ; OH = Ohio ; MI = Michigan ; WI = Wisoncsin ; MN = Minnesota ; IA = Iowa) ; le nombre de grands électeurs désignés par chaque état est mentionné sous le nom ; les rayures pour le Nebraska et le Maine renvoient à leur mode de désignation en partie par district. On laisse parfois en jaune des états pour montrer que le sort de l’élection ne dépend pas d’eux dans ce cas.
Scénario 1 : « landslide » – ou raz de marée
C’est le scénario qui se dégage à la lecture des sondages actuels : Biden remporte tous les états où il est en tête et obtient dès lors une majorité très nette. Cela signifie que les défections au sein de l’électorat blanc républicain (seniors, femmes) ont été importantes, que la participation des électeurs issus des minorités ethniques a été très importante et que Trump n’a pas enregistré une mobilisation suffisante des électeurs blancs peu diplômés et n’a pas réussi son pari de percer dans l’électorat « latino » ou afro-américain.
La victoire est encore plus écrasante si Biden gagne de surcroît le Texas, l’Ohio ou l’Iowa (laissés en suspens – en jaune – sur la carte électorale).
La victoire de Biden reste nette même s’il perd la Floride, et même un ou deux autres états de la « Sun Belt ». A chaque état de la « Sun Belt » conservé par Donald Trump, on se rapproche néanmoins du deuxième scénario.
Scénario 2 : victoire de justesse de Biden grâce au « Blue Wall » formé par les états des Grands Lacs
Dans ce scénario, Joe Biden reprend le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, gagnés par Donald Trump en 2016 chacun par un écart des quelques dizaines de milliers de voix, grâce à une bonne participation de l’électorat afro-américain et parce qu’il aura su ramener dans le camp démocrate des cols bleus déçus par Donald Trump, les électrices des banlieues résidentiels, etc.
Les espoirs de victoire dans la « Sun Belt » formés par le camp Biden sont déçus. Le vote des minorités afro-américaines et « latino » ne permet pas de conquérir ces états gagnés par Trump en 2016, pour une combinaison de facteurs : la participation de ces afro-américains et « latinos » aura été insuffisante et/ou Trump aura réussi son pari de gagner une part suffisamment importante du vote des minorités et/ou les défections dans l’électorat blanc auront finalement été limitées (par exemple chez les seniors).
Ce scénario, qui suppose que tous les facteurs sur lesquels mise Donald Trump soient effectivement réunis dans chacun des états de la « Sun Belt », ne lui rapporte pour autant pas la victoire.
Signalons enfin que ce scenario était sans doute celui privilégié par les démocrates au début de la campagne, quand les chances de reprendre la Maison Blanche à Donald Trump paraissaient bien moindre qu’aujourd’hui.
Scénario 3 : Trump limite les dégâts et gagne de justesse en sauvant la Pennsylvanie
Il s’agit de la configuration électorale permettant à Donald Trump d’atteindre les 270 grands électeurs qui paraît la plus crédible dans la situation actuelle.
Elle suppose que le Président parvienne à conserver la Pennsylvanie où les sondages le placent encore nettement en retard sur son adversaire. Il faut alors qu’il ait réussi à sur-mobiliser les électeurs blancs peu diplômés qui forment le cœur de sa base électorale et à « ramener à la maison » suffisamment d’électeurs républicains prêts à faire défection (seniors ou femmes des banlieues) grâce par exemple à ses ultimes efforts pour diaboliser Joe Biden et son programme de campagne économique, et malgré ses bravades sur la pandémie de coronavirus. Cela suppose aussi sans doute que Joe Biden n’arrive pas mobiliser suffisamment les abstentionnistes « progressistes » de 2016, ni les électeurs afro-américains (ou porto-ricains de Pennsylvanie).
Dans le cas où il serait particulièrement bien venu à bout de ces différents défis, Donald Trump pourrait même conserver le Michigan ou le Wisconsin (voire gagner le Minnesota), la carte électorale se rapprochant alors de celle de 2016 – cf. aussi scénario 5.
Mais ce scénario suppose aussi qu’il ne perde aucun état de la « Sun Belt », et que sa stratégie de défense (cf. scénario 2) de ces états marche à plein. Car sinon, gagner la Pennsylvanie ne suffit pas.
Scénario 4 : la reconfiguration du corps électoral donne la victoire à Joe Biden
Dans ce scénario, Donald Trump parvient à conserver la Pennsylvanie (mais pas le Michigan ni le Wisconsin), grâce aux éléments développés dans le scénario 3. Mais Joe Biden l’emporte parce qu’il gagne par exemple l’Arizona et la Caroline du Nord, qui semble être ses deux meilleures chances de victoire dans la « Sun Belt »,sachant que le scénario fonctionne également s’il gagne deux états parmi le trio que constituent la Caroline du Nord, la Géorgie et l’Arizona.
Cela veut dire que Trump n’aura pas pu « défendre » deux de ses états, parce que la participation des électeurs afro-américains et/ou « latinos » aura été très importante (et en faveur de Joe Biden), parce que Donald Trump aura perdu trop d’électeurs blancs sans réussir à sur-mobiliser sa base électorale ultra-conservatrice, etc.
Notons également que remporter le Wisconsin en plus de la Pennsylvanie ne suffit pas à Donald Trump pour compenser une défaite dans deux des états du trio Caroline du Nord / Arizona / Géorgie1Sauf à compter sur les 6 grands électeurs du Nevada dans une des combinaisons possibles.. En revanche, si Donald Trump remporte la Pennsylvanie et le Michigan (ce qui suppose une énorme faillite des sondages concernant ce dernier), le résultat final pourrait bien dépendre du résultat dans les districts disputés du Maine et du Nebraska (laissés en suspens sur la carte présentant ce scénario).
Scénarios 5 et 5 bis : des reconfigurations fortes et contradictoires de l’électorat qui peuvent donner la victoire à l’un ou l’autre des candidats
Un des scénarios qui semblent difficiles à imaginer à la lecture des sondages est celui qui donne raison à Donald Trump, à la surprise générale, sur le poids de son électorat et l’évolution profonde du corps électoral dans les Grands Lacs : autrement dit, son élection en 2016 n’est pas qu’un concours de circonstance basée sur une colère qui serait en partie retombée et sur un « accident » en matière de participation de l’électorat démocrate progressiste et afro-américain en raison du profil de la candidate Hillary Clinton.
Au contraire, 2016 n’aurait été que le début d’une lame de fond et du « réveil » des électeurs blancs peu diplômés dans ces régions désindustrialisés qui se rallieraient durablement à un parti républicain conservateur et populiste remodelé par Trump ( qui a par exemple imposé une politique protectionnisme contraire à l’idéologie traditionnelle du parti républicain).
Evidemment, Trump ne gagne alors l’élection que s’il parvient dans le même à ne pas trop perdre de terrain dans la « Sun Belt », en ne perdant que deux « petits états » (c’est-à-dire du état du trio Arizona – Géorgie – Caroline du Nord) : c’est le scénario 5.
Mais dès lors qu’on envisage une surprise d’une telle ampleur dans les Grands Lacs, il convient aussi d’envisager le cas où elle s’accompagnerait d’un résultat favorable à Biden dans la « Sun Belt », qui ne serait pas, lui, une surprise au regard des sondages : cela traduirait simplement le fait que la démographie des états du Sud évolue favorablement pour le parti démocrate, avec un poids de plus important des minorités ethniques dans le corps électoral, accompagnée d’une hausse significative du taux de participation de cet électorat, et que la mobilisation de la base électorale de Trump serait insuffisante pour compenser cet effet.
La conclusion est claire : dès que Donald Trump perd au moins trois états de la « Sun Belt » (sans récupérer le Nevada, auquel cas tout se jouerait dans les districts du Maine et du Nebraska), il perd même s’il réussit son pari dans les états des Grands Lacs. C’est le cas dans le scénario 5 bis, dans lequel Joe Biden gagne les trois plus petits états de la « Sun Belt » (Arizona, Caroline du Nord et Géorgie) et Donald Trump conserve les Grands Lacs.
C’est évidemment encore plus vrai si on remplace un de ces trois états par le Texas ou la Floride (et a fortiori si Joe Biden gagne quatre états de la « Sun Belt »). Dans ce cas, une victoire de Trump dans le Minnesota (seul petit espoir que peut avoir le Président sortant de gagner un état de la région des Grands Lacs qu’il n’a pas conquis en 2016) en plus du maintien dans son escarcelle du trio Pennsylvanie / Michigan / Wisconsin ne serait pas suffisante pour renverser la situation.
Et la Floride et le Texas dans tout ça ?
Nous n’avions pas évoqué jusque-là de scénario basé sur une victoire de Biden en Floride ou au Texas, alors que les sondages rendent ces hypothèses tout à fait crédibles, en particulier pour la Floride. Comme le montre l’exemple précédent, dans ces hypothèses, c’est, à coup sûr ou presque, « game over » pour Donald Trump.
Dit autrement : si Joe Biden gagne le Texas, il lui suffit de conserver les états gagnés par Hillary Clinton en 2016 pour atteindre exactement le total de 270 grands électeurs. Et même s’il perdait le Nevada sur lequel le camp Trump fondait quelques espoirs, il lui suffit de gagner n’importe quel autre « battleground state » pour l’emporter. Et s’il perd le Minnesota (ce qui suppose sans doute de perdre aussi le trio Pennsylvanie / Michigan / Wisconsin), Biden peut quand même être élu en gagnant un autre état de la « Sun Belt ».
Si Donald Trump perd la Floride, il suffit à Joe Biden de gagner n’importe lequel des autres « battleground states » (à l’exception de l’Iowa, trop « petit », mais on voit mal Biden gagner l’Iowa sans remporter en même temps un autre état des Grands Lacs).
Et même si Trump ravit au camp démocrate le Nevada, Biden serait quand même élu Président s’il remporte un « gros » « battleground state », par exemple le Michigan ou la Caroline du Nord (cela marche aussi avec la Géorgie ou la Pennsylvanie), ou deux « petits » états, par exemple le Wisconsin (le « battleground state » où il est l’avance la plus importante selon les sondages) et l’Arizona où il a aussi de très bonnes chances (c’est le scénario 6 ci-dessous).
Tout ceci confirme que le « chemin vers les 270 » est très étroit pour Donald Trump qui n’a en réalité quasiment pas à le droit à l’erreur dans la « Sun Belt ». Autrement dit, il doit en réalité démentir les sondages dans la quasi-totalité de la douzaine de « battleground states » pour espérer gagner, et les scénarios crédibles dans lesquels il est réélu sont très limités.
On peut résumer le problème de la façon suivante : si Trump perd la Floride ou la Pennsylvanie, il sera très certainement battu (pour gagner en ayant perdu la Pennsylvanie, il faudrait que Trump conserve le Michigan ou le Wisconsin, ce qui paraît bien improbable).
Au contraire, Joe Biden pourrait de façon crédible l’emporter en perdant simultanément en Floride et en Pennsylvanie, via des victoires ailleurs dans la « Sun Belt ».
Cela étant, si on considère qu’il est encore tôt pour que l’évolution de la composition démographique de la population américaine se traduise par un bouleversement électoral dans les états de la « Sun Belt », c’est la Pennsylvanie est vraiment qui devient la clé du scrutin. Or, le dépouillement s’annonce long en Pennsylvanie et dans cette configuration, il faudra peut-être attendre plusieurs jours pour connaître le résultat de l’élection dans cet état.
C’est pourquoi tous les regards seront d’abord fixés mardi soir sur la Floride, qui pourrait rendre son verdict dans la soirée et ainsi sceller ou presque le sort de l’élection en cas de défaite de Donald Trump. A un moindre degré, on regardera aussi attentivement les résultats de l’Arizona, la Géorgie ou la Caroline du Nord, qui pourraient également être communiqués rapidement et qui donneront une forte indication sur l’allure de la carte électorale définitive et sur les chances des deux candidats.
Et puisqu’on en est à envisager des scénarios particulièrement angoissant où il faut attendre plusieurs jours, dans une ambiance qu’on imagine à l’avance délétère, pour pouvoir désigner le vainqueur, autant mettre sur la table le scénario cauchemar : celui d’un match nul.
On en a un exemple ci-dessous largement aussi crédible que la plupart des scénarios précédents (Trump conserve la Pennsylvanie, Biden ne regagne par rapport à 2016 que le Wisconsin, le Michigan et l’Arizona) – d’autres sont possibles impliquant le Nevada et les districts du Nebraska et du Maine.
La désignation du Président revient alors à la Chambre des représentants au Congrès, dans une élection où chaque état dispose d’un vote et qui pourrait bien elle aussi se terminer par un match nul… Décidément, l’élection du prochain Président pourrait bien durer plus longtemps que prévu.