Bien de peu d’observateurs auraient parié début 2020 que la majorité républicaine au Sénat pouvait être remise en cause lors du renouvellement d’un tiers de ses membres le 3 novembre prochain. Mais de même que les sondages montrent que le Président Trump est nettement distancé par son rival démocrate Joe Biden, les sondages indiquent désormais que de nombreux sénateurs républicains sortants sont menacés et engagés dans des élections très disputées.
Les républicains ne disposent aujourd’hui que de 53 sénateurs contre 47 démocrates. Parmi les 35 sièges en jeu le 3 novembre et qui sont considérés comme susceptibles de basculer, un seul est détenu par un démocrate, alors que ce sont neuf sièges républicains qui sont, à divers degrés, menacés. Si on part du principe que ce siège démocrate (obtenu en Alabama dans des circonstances rocambolesques) devrait retourner dans le camp républicain et que de même le sénateur sortant du Colorado, un état résolument démocrate, devrait – ce que confirment les sondages – perdre, il suffit aux démocrates de regagner trois sièges pour récupérer la majorité1En cas d’égalité, c’est le vice-président, formellement président du Sénat, qui tranche., ce qui paraît tout-à-fait envisageable.
Dans ce contexte, le sujet est désormais au premier plan de l’actualité et de l’intérêt des commentateurs. De même, les efforts et les moyens consacrés à ces campagnes par les républicains et les démocrates se sont renforcés depuis plusieurs semaines.
Il faut dire que l’enjeu est immense à plusieurs titres. En premier lieu, les démocrates, qui sont déjà majoritaires (et ont toutes les chances de le rester) à la chambre des représentants, auraient alors les deux assemblées à leur main et contrôleraient le pouvoir législatif.
Certes, les règles de vote au Sénat exigent de disposer de plus qu’une majorité simple pour être certain de faire aboutir certains projets législatifs (on parle ici du fameux « filibuster », procédure qui permet de prolonger sans fin les débats et qui ne peut être contrée que par le vote de 3/5 des sénateurs, c’est-à-dire 60 sénateurs). De même, une majorité réduite à un ou deux sénateurs donne un énorme pouvoir à chaque sénateur et complique le processus législatif.
Mais en gagnant le Sénat, le parti démocrate aurait, en cas de victoire de Joe Biden, la possibilité dans les deux ans qui viennent de mettre en œuvre un certain nombre de réformes importantes du programme construit par le candidat démocrate (développement d’une assurance santé publique, lutte contre le changement climatique, protection des droits civiques) et de défaire certaines décisions du mandat Trump (sur l’immigration par exemple, ou en matière fiscale), voire même de consolider dans la loi des jurisprudences fragiles de la Cour Suprême (sur l’avortement par exemple) et d’atténuer l’effet de la nomination au pas de charge d’une juge conservatrice par Trump et les sénateurs républicains.
Et en cas de victoire de Donald Trump (on peut en effet, même si c’est très hypothétique à ce stade, imaginer une victoire à l’arrachée de Trump, par le jeu du collège électoral, tandis que plusieurs sénateurs républicains perdraient leurs sièges), les démocrates pourraient largement bloquer toute initiative du Président, comme les républicains l’avaient fait pendant les deux dernières années de mandat de Barack Obama.
Mais le rôle du Sénat ne se limite pas aux Etats-Unis à son pouvoir législatif. Il dispose d’abord d’un important pouvoir d’enquête, souvent (malheureusement) utilisé à des fins politiques. Et on imagine bien qu’un Sénat démocrate pourrait, que Trump soit réélu ou non, allait mettre son nez dans un certain nombre d’affaires louches du mandat qui s’achève (relations avec la Russie, avec l’opposition vénézuélienne, instrumentalisation à son profit économique et politique des institutions par Donld Trump, etc.).
De même, le Sénat est le jury qui statue en cas de procédure d’« impeachment », et là encore, on imagine qu’un Congrès démocrate n’hésiterait sans doute pas à essayer d’écarter Trump de la Présidence s’il était réélu.
Le Sénat a aussi la responsabilité de valider les traités internationaux. On notera que l’Accord de Paris sur le Climat n’est pas considéré aux Etats-Unis comme un traité international (les négociateurs américains de l’administration Obama avaient bien veillé à ce que la rédaction de certaines clauses ne le fasse pas entrer dans cette catégorie, pour échapper à la censure probable d’un Sénat à l’époque républicain) : le réintégrer ne nécessite dès lors pas de validation par le Sénat.
En revanche, l’accord sur la prolifération nucléaire avec l’Iran (que Joe Biden souhaiterait probablement réintégrer), les accords commerciaux multilatéraux (négociés à l’OMC), plurilatéraux (par exemple l’accord de partenariat trans-pacifique négocié par Obama début 2016 mais jamais ratifié par le Sénat républicain et dont Donald Trump s’est ensuite retiré) ou bilatéraux (tel un futur accord commercial entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni post Brexit) ou les dispositifs de sanctions internationales (contre la Chine, la Russie, Cuba, l’Iran et le Venezuela) supposent une validation du Sénat et démocrates et républicains ont des vues assez différentes sur ces sujets.
De même, l’entrée en guerre des Etats-Unis suppose également une validation du Sénat, et un des enjeux des élections (régulièrement évoquée pendant la primaire démocrate) est celui de la remise en cause des législations adoptées en 2001 et en 2002 à l’initiative de l’administration de George W. Bush après le 11 septembre 2001, et toujours en vigueur, qui donnent à l’administration une large marge de manœuvre pour intervenir sur certains théâtres d’opération internationaux au motif de la lutte contre le terrorisme sans avoir besoin de repasser par le Congrès.
Enfin, c’est le Sénat qui valide les nominations proposées par le Président à de nombreux postes du pouvoir exécutif (ministres, ambassadeurs, directeurs des grandes agences – protection de l’environnement, autorités sanitaires, de la CIA ou du FBI, etc.) et du pouvoir judiciaire, au premier rang desquels les juges à la Cour Suprême, qui sont sur le devant de l’actualité depuis un mois, mais aussi les juges siégeant dans les différentes instances fédérales (c’est ainsi que Donald Trump a nommé plus de 200 juges fédéraux – la plupart du temps ultra-conservateurs – pendant son mandat).
On comprend donc pourquoi les sondages enregistrés depuis l’été sur plusieurs scrutins sénatoriaux ont aiguisé l’appétit des démocrates.
Les déplacements récents de Joe Biden dans certains états comme la Géorgie ou la Caroline du Nord, qui ne sont pas prioritaires pour remporter le collège électoral et l’élection présidentielle s’expliquent à la fois par les sondages qui indiquent que Biden pourrait gagner ces états facilement remportés par Trump en 2016, par la volonté du candidat qui fait la course en tête d’élargir le champ de bataille pour augmenter ses chances de victoire et pour disperser les ressources de son adversaire (Trump a été obligé de se rendre en Géorgie, par exemple, alors que les candidats républicains n’y vont traditionnellement pas dans la dernière ligne droite). Mais aussi parce que ces visites peuvent aider les candidats démocrates en course pour représenter ces états au Sénat.
Les démocrates ont aussi fait porter leurs efforts de récolte de fonds pour le financement des campagnes non plus seulement sur la campagne de Joe Biden, mais aussi sur les campagnes sénatoriales. Y compris parce que Joe Biden disposait de fonds très importants (et supérieurs à ceux de Trump), au point qu’il n’est presque pas limité aujourd’hui par la contrainte financière pour faire campagne.
On estime ainsi que les candidats démocrates en course dans les 14 scrutins les plus disputés ont levé au troisième trimestre 363 millions de dollars, contre « seulement » 143 millions pour les républicains. Ceci est une nouveauté, les républicains étant en général mieux financés que les démocrates (par le simple qu’ils défendent souvent les intérêts des plus riches ou des grandes entreprises, dès lors prêts à « investir » dans leur campagne). Surtout, ce sont habituellement les candidats sortants, sans cesse au contact des lobbys à Washington, qui sont les mieux à même de récolter des fonds.
Ce renversement de situation est le fruit de la combinaison entre une mobilisation des petits donateurs (notamment par des campagnes digitales de levée de fonds), qui avait déjà permis à Bernie Sanders par exemple de disposer de fonds très importants sans avoir recours aux habituels « super donateurs », et la lassitude par rapport à l’attitude d’un Sénat dont les personnalités républicaines les plus en vue, par exemple le chef de la majorité républicaine, le sénateur du Kentucky Mitch McConnell, le texan Ted Cruz (réélu de justesse après un campagne très disputée en 2018, où son adversaire avait déjà battu des records en matière de levée de fonds) ou l’élu de Caroline du Sud Lindsay Graham, suscitent un rejet de plus en plus prononcé.
Ils sont en effet perçus comme des incarnations de l’ « establishement » de Washington qui cherche avant tout à préserver son pouvoir et ses privilèges, et qui ne « produit » rien : sous la direction de Mitch McConnell, les sénateurs républicains ont essentiellement nommé des juges conservateurs et bloqué de nombreuses initiatives législatives (encore récemment les projets législatifs pour lutter contre les violences policières ou le nouveau train de mesure de soutien de l’économie). Dans le même temps, les sénateurs républicains se sont montrés prêts à toutes les compromissions avec Donald Trump pour rester au pouvoir et pour faire avancer un agenda ultra-conservateur, suscitant la colère des démocrates – mais peut-être aussi de certains indépendants.
La mascarade de l’« impeachment » avorté de fin 2019 (les sénateurs républicains avaient déclaré vouloir acquitter Donald Trump avant même que la procédure ne commence) avait déjà laissé des traces. La précipitation affichée par les sénateurs républicains, au premier Mitch Mc Connell mais aussi Lindsay Graham (en tant que président de la commission chargée d’organiser les auditions des nominés à des postes judiciaires), pour nommer avant les élections une juge ultra-conservatrice en remplacement de l’emblématique juge progressiste Ruth Bader Ginsburg, alors même qu’ils avaient refusé d’examiner la nomination proposée par Barack Obama à quelques mois des élections de 2016, a été la goutte qui a fait déborder le vase.
C’est ainsi que les démocrates, par l’intermédiaire notamment de campagnes digitales2L’auteur lui-même, qui n’a pas le droit, en tant qu’étranger, de financer les campagnes, est inondé de sollicitations – de tous les bords – par mail… ont depuis fin septembre récolté massivement des fonds qu’ils ont pu distribuer aux équipes de campagne des candidats démocrates les mieux placés pour gagner des sièges républicains.
Jaime Harrison, le candidat opposé à Lindsay Graham qui représente pour beaucoup la quintessence du politicien opportuniste (très critique en 2016 sur Donald Trump, il est devenu depuis un des ses plus fervents défenseurs) et hypocrite, aurait levé 57 millions de dollars sur le seul troisième trimestre pour terminer sa campagne… une somme telle qu’on se demande bien comment, même en inondant les médias de spots ou de publicités encore plus qu’il ne le fait déjà, il va pouvoir les dépenser.
Et c’est ainsi, que Graham, en vient à implorer des financements par tous les moyens, sur Fox News où il est un invité régulier des « talk shows » pro-Trump, ou même pendant les auditions pour la nomination à la Cour Suprême, alors même qu’il est illégal d’utiliser explicitement les instances fédérales pour faire campagne. Mais il a ainsi, ce qui prouve l’intensité de la compétition, levé 28 millions de dollars au troisième trimestre, soit le plus gros total parmi les candidats républicains au Sénat.
Au-delà du rejet personnel qu’il suscite, la situation de Graham, qui a quand même, dans un état sudiste traditionnellement très conservateur, de bonnes chances de sauver sa peau, résume bien celles de plusieurs de ces collègues républicains en péril.
On l’a dit, la perspective d’une élection disputée peut susciter une forte mobilisation de l’électorat démocrate dans les urnes – et les récoltes de fonds traduisent généralement cet enthousiasme. Or cela joue évidemment dans des états (dans le Sud, mais aussi dans l’Iowa ou l’Arizona) où les minorités ou les jeunes s’abstiennent souvent, résignés à l’idée que leur vote ne comptera pas puisque l’élection est considérée comme jouée d’avance si on se fie aux résultats des scrutins précédents.
En ce sens, l’exemple de l’élection pour le poste de gouverneur de Géorgie en 2018, perdue de justesse par la démocrate Stacey Abrams (probablement parce que de nombreux électeurs afro-américains avaient été rayés des listes électorales à l’initiative du responsable des élections… qui se trouvait aussi être le candidat républicain) a montré l’exemple de la spirale positive d’une bonne campagne galvanisant l’électorat. Le message de soutien de Barack Obama à Jaime Harrison, qui insiste sur l’importance du vote, entre dans cette logique, tout comme la campagne menée par les deux candidats démocrates en lice en Géorgie.
Ensuite, les démocrates ont choisi des candidats capables de véhiculer une image positive et avec un parcours de vie remarquable, comme Mark Kelly en Arizona (vétéran et astronaute, époux d’une ancienne élue au Congrès, Gabby Giffords, victime d’une fusillade pendant une de ses réunions publiques et qui lutte depuis pour récupérer l’usage de la parole), Theresa Greenfield dans l’Iowa (cheffe d’entreprise issue d’une famille d’agriculteurs ayant eu à affronter un veuvage précoce), ou Jaime Harrison, afro-américain élevé dans une famille mono-parentale dans un quartier déshérité de Caroline du Sud.
Ils portent souvent un message de renouveau de la vie politique3Même si certains démocrates affrontent des sortants qui achèvent leur premier mandat et qui eux-mêmes ont été élus dans une vague « rouge » – de la couleur du parti républicain – en 2014. Certains estiment d’ailleurs que ces sortants sont fragilisés par le fait d’avoir gagné un peu trop facilement il y 6 ans.,refusant de subir la loi des lobbys, tel Jon Ossoff en Géorgie, qui dirige à 33 ans une organisation de lutte contre la corruption (sujet largement mis en avant également par Theresa Greenfield dans l’Iowa). Le plus souvent issus de l’aile modérée du partie, ils sont à même de rassembler autour de leur candidature des électeurs centristes et indépendants.
Cela joue particulièrement en 2020 compte tenu du fait que les scrutins locaux ne peuvent pas être isolés du scrutin présidentiel qui se déroule le même jour et sur le même bulletin de vote. C’est un phénomène traditionnel : le haut du bulletin (« top of the ballot »), où on vote pour la présidentielle, a une influence sur le bas du bulletin (« bottom of the ballot ») où on vote pour les scrutins locaux.
Le rejet inspiré par Donald Trump semble donc bien déteindre sur les candidats républicains, et ce d’autant plus que pendant 4 ans, très peu de sénateurs ont osé se démarquer du Président et dénoncer ses frasques (un seul sénateur républicain, l’ancien candidat à la Présidence Mitt Romney, avait voté pour l’« impeachment »), sa gestion de la pandémie ou plusieurs de ses initiatives politiques. En particulier, il avait fallu le courage politique, l’aura et l’esprit d’indépendance de John McCain pour rejeter en 2017 le projet de loi visant à démanteler le dispositif d’assurance-santé publique créé sous Barack Obama.
Les candidats démocrates au Sénat jouent donc finalement la même partition que Joe Biden dans son affrontement avec le Président sortant : présenter les sortants républicains comme étroitement liés au Président, c’est-à-dire à la fois à sa personnalité et ses méthodes de gouvernement qui lassent le grand public, et à sa gestion catastrophique de la pandémie et à ses conséquences sur l’économie.
Il s’agit dès lors, classiquement, que le vote sanction envers Trump ait des répercussions sur le scrutin sénatorial, en mettant en avant incessamment le fait que les sénateurs républicains ont été, depuis 4 ans, les « facilitateurs » (en anglais « enablers ») des dérives du Président sortant – voir par exemple la campagne menée dans le Maine contre Susan Collins par son adversaire démocrate Sara Gideon.
Les candidats démocrates s’adaptent cependant au contexte local : dans certains états, ils sont aidés par la gestion plus ou moins réussie de la pandémie par le gouverneur. Ainsi, le gouverneur républicain de l’Iowa est très impopulaire, ce qui rejaillit sur la candidate républicaine (il est en sans doute de même en Géorgie, où la population afro-américaine a été sévèrement frappée par le virus), quand le gouverneur démocrate du Montana Steve Bullock, qui se présente au Sénat, bénéficie au contraire d’une certaine popularité, notamment pour sa gestion de la pandémie, dans cet état plutôt républicain.
Dans d’autres états à la démographie traditionnellement républicaine où il s’agit moins de galvaniser les démocrates ou de mobiliser de nouveau électeurs démocrates que de rallier les électeurs modérés, les candidats démocrates se présentent comme prêts à travailler de façon non partisane, contrairement à un adversaire qui aurait voté aveuglément avec son parti et le Président sortant depuis 4 ans : c’est le cas de Al Gross en Alaska ou encore de Theresa Greenfield dans l’Iowa et de Sara Gideon dans le Maine.
De même, en Arizona, le candidat démocrate Mark Kelly joue à fond le registre du candidat « indépendant » et bi-partisan et bénéficie du soutien apportée à Joe Biden par la veuve de John McCain (qui était sénateur de l’Arizona lorsqu’il a affronté Barack Obama en 2008 et dont la popularité reste énorme).
Dans tous les cas, si certains candidats répugnent manifestement à attaquer trop frontalement le Président Trump qui est souvent encore bien placé dans les états concernés, les candidats démocrates se focalisent, comme Joe Biden, non seulement sur la pandémie, mais aussi sur l’assurance-santé. Ils réutilisent en réalité la recette qui avait permis aux démocrates, lors des élections de mi-mandat en 2018, de reprendre la majorité à la Chambre des Représentants.
Car entre la volonté du Président de démanteler l’ObamaCare, avec le soutien des élus républicains, l’absence concrète de solution de remplacement, puisque le Sénat républicain n’a, pas plus que le Président, proposé de nouveau dispositif, et le fait que la situation économique et l’augmentation du chômage ont, de fait, privé des millions d’américains, d’une assurance (puisqu’elle est aux Etats-Unis fournie par l’employeur), le sujet est une préoccupation majeure des électeurs. Et il est aisé de faire le lien entre cette thématique et le bilan des sénateurs sortants.
La couverture santé est ainsi le sujet le plus évoqué par l’ensemble des candidats démocrates en course dans des élections serrées. Citons par exemple, pour évoquer de nouveaux scrutins, Cal Cunningham en Caroline du Nord (dont on verra d’ailleurs en parcourant son site qu’il mène d’abord campagne contre son adversaire Thom Tillis et très peu sur son propre programme) qui rappelle l’attitude de son adversaire sur l’Obamacare, ou Steve Bullock dans le Montana4Dont le site est au contraire axé en priorité sur son propre agenda, peut-être parce qu’il occupe aujourd’hui le poste exécutif de gouverneur du Montana., qui donne la parole à des électeurs outrés par l’attitude du sénateur républicain sortant Steve Daines sur l’assurance santé.
Du côté des républicains, on a vu venir le danger sur la pandémie et l’assurance-santé et on notera que (tout comme le Président qui continue à promettre un nouveau dispositif et à expliquer, sans être convaincant, qu’il ne veut surtout pas privé de couverture santé les personnes ayant des antécédents médicaux – les fameuses « pre-existing conditions ») certains candidats ont largement nuancé leur discours sur le sujet, ce qui suscite évidemment un fact-checking actif de leurs adversaires démocrates.
Emblématique de ce revirement, la sénatrice républicaine de l’Iowa Joni Ernst, qui s’était fait remarquée lors de son élection en 2014 pour son programme à la hache et son slogan « make’em squeal » (« faites les couiner » en référence aux élevages de porc très présents dans l’Iowa), avait à l’époque diffusé un spot pour le moins violent (au sens propre) sur l’ObamaCare. Elle a cette année une vision manifestement plus conciliante sur les questions relatives à l’assurance santé.
La plupart des républicains en danger sont en réalité face à un dilemme important : doivent-ils faire campagne sur le bilan du mandat Trump ou essayer de s’en détacher ?
Car le Président a respecté une partie des promesses de sa campagne de 2016, et notamment celles qui justifiaient l’adhésion des républicains à sa candidature et à son action, quitte à fermer les yeux sur son style « particulier » et assez éloigné des valeurs conservatrices : nomination de juges conservateurs, baisse importante des impôts, dérégulation, mesures anti-immigration.
Début 2020, les républicains se félicitaient sans doute du succès de cette stratégie, et l’enthousiasme avec lequel ils avaient accueilli le traditionnel « discours sur l’état de l’Union » (que le Président doit, selon la constitution, prononcer chaque année devant le Congrès) montraient une confiance importante dans la capacité à utiliser le bilan factuel du Président pour gagner les élections de novembre.
Mais la pandémie a bouleversé la situation, non seulement en pointant encore davantage l’incompétence, l’irresponsabilité et même la dangerosité du Président, sur lesquelles il était de plus en plus difficile, pour les élus républicains sensés, de fermer les yeux, mais par ailleurs en déclenchant une crise économique majeure, remettant en cause le principal argument de campagne.
A défaut de pouvoir faire campagne sur le bilan économique comme ils l’imaginaient début 2020, certains sénateurs ont essayé, comme le Président et sans plus de succès, d’agiter la menace de l’anarchie, après les manifestations « Black Lives Matter ». Mais entre un Président qui mettait de l’huile sur le feu de l’agitation et dont la population considérait qu’il était lui-même un facteur aggravant, et le fait que le chef de fil des démocrates soit un modéré comme Joe Biden qui passe difficilement pour un anarchiste encourageant les émeutiers, cette rhétorique n’a eu aucun succès et manifestement pas d’impact sur les intentions de vote.
Les républicains ont alors essayé d’instrumentaliser au maximum la nomination au pas de course d’une juge ultra-conservatrice à la Cour Suprême. L’argument, bien en ligne, avec leur attitude depuis l’élection de Trump était le suivant : « vous n’aimez peut-être pas Trump, mais vous aimez ses juges, donc votez pour lui… et surtout pour les candidats républicains au Sénat ».
Mais si les électeurs conservateurs sont sans doute sensibles à ce discours (et au risque de voir un Sénat démocrate tenter de rééquilibrer la Cour Suprême), les démocrates ont aussi habilement utilisé les auditions pour galvaniser leur base, agitant le spectre d’une remise en cause par une Cour Suprême conservatrice de l’ObamaCare, du droit à l’avortement, des droits LGBTQ, etc. – on en parlait un peu plus en détail ici. L’impact de ce processus de nomination accéléré sur la mobilisation des partisans des uns et des autres paraît très incertain, même s’il semble susciter, on y reviendra, de l’espoir pour certains candidats républicains en danger.
Le problème pour les candidats républicains est en réalité double : non seulement Trump est jusqu’à présent incapable de mettre en valeur correctement son bilan, mais en plus, faute de mener campagne sur un programme pour son deuxième mandat (en a-t-il un ?) et de pouvoir attaquer Joe Biden qui mène une campagne solide et habile, l’élection présidentielle semble de plus en plus se résumer à un referendum sur la personnalité du Président, sur sa gestion de la pandémie et sa volonté de démanteler les dispositifs publics de couverture santé.
S’ils restent identifiés au Président et englués dans ces thématiques perdantes, les candidats républicains risquent donc bien d’être entraînés avec lui dans sa chute.
Mais a contrario, se détacher de lui présente également un risque majeur : d’abord parce qu’il est sans doute trop tard pour presque tous les candidats républicains (menacés ou non) pour se présenter comme un opposant de l’intérieur, tant ils ont été complaisants depuis 4 ans.
C’est d’ailleurs la situation à laquelle doit faire face Lindsay Graham. Plutôt considéré comme modéré par les républicains conservateurs de Caroline du Sud, il a fait preuve d’un zèle « pro-Trump » excessif afin d’amadouer les supporters de Trump après ses déclarations anti-Trump en 2016. Mais un nouveau revirement tardif risque bien de lui aliéner les « pro-Trump » qui ne jurent que par le Président, comme les modérés qui lui gardent rancune pour son ralliement sans condition au Président.
Il a donc finalement choisi de tout miser sur son alliance avec le Président, qui pourrait venir faire campagne en Caroline du Sud, alors même que les sondages montrent que lui-même devrait gagner facilement cet état (ce qui prouve que les supporters du Président n’ont pas, manifestement, tous cru au discours soudainement « pro-Trump » de Graham). Et il en fait des tonnes sur la nomination de la juge Amy Coney Barrett à la Cour Suprême.
Tourner le dos, aussi tardivement, au Président, présente en effet un risque important : celui du retour de bâton des fervents « pro-Trump », et du Président lui-même, qui qualifie toute opposition au sein du camp républicain de trahison et les traite de « RINO » (« republicans in name only » – les républicains qui n’en ont que le nom).
Ce dernier, au risque de mettre encore plus en danger une majorité au Sénat dont il aura besoin s’il parvient à être élu, n’a pas hésité, comme il l’a toujours fait depuis son élection, à tirer à boulets rouges sur ceux qui ont récemment osé émettre quelques oppositions ou critiques à son encontre.
On l’a ainsi vu attaquer Ben Sasse, sénateur du Nebraska dont les commentaires au vitriol sur le Président avaient fuité dans la presse (sans grande conséquence il est vrai puisqu’il a peu de chances d’être battu) et surtout Susan Collins, très en danger dans le Maine, qui refuse de valider la nomination à la Cour Suprême avant le 3 novembre (et qui n’a pas formellement apporté son soutien à Trump pour la présidentielle).
Cette dernière se retrouve de ce fait coincée entre les critiques du Président et celles de son adversaire qui la dépeint comme un soutien désormais honteux mais avéré de Trump (en particulier pour avoir voté pour la nomination à la Cour Suprême du très controversé Brett Kavanaugh en 2018 ou pour ne pas avoir voté pour son « impeachment »), ce qui pourrait bien être une situation « perdant / perdant ».
La difficulté tactique pour les républicains réside dans le fait que l’électorat encore fidèle à Trump reste difficile à cerner et à appréhender quantitativement et qualitativement : quelle est la part des « fanatiques » dans les 40 à 45% (au niveau national) prêt à le réélire ? Séduits par son discours et son style, ayant goûté à une rhétorique d’ultra-droite décomplexée, sont-ils désormais susceptibles de voter pour des candidats revenant à des discours plus modérés et plus politiquement corrects, ou au contraire durablement ancrés dans une frange « populiste » de l’électorat qui ne voudra plus voter pour des candidats « normaux » ?
Elus comme observateurs sont complètement dans le brouillard sur cette question qui sera sans aucun doute au cœur des débats internes du parti républicain après les élections de novembre, mais qui nécessite un positionnement à très court terme pour les candidats républicains.
Ils ont dès lors choisi des options différentes. Ainsi Kelly Loeffler en Géorgie s’est, comme Lindsay Graham, fièrement affichée comme proche du Président Trump et en utilisant la même rhétorique que ce dernier. La candidate a même renchéri en diffusant un spot de campagne, rapidement devenu viral, utilisant une comparaison qui a laissé les observateurs perplexes5Au point que pour une fois, la précision en fin de spot selon laquelle il s’agit bien d’un spot réalisée par la candidate elle-même est utile.. La candidate aurait-elle testé, comme c’est souvent le cas, ce spot sur un panel d’électeurs qui l’aurait jugé pertinent et efficace ?!?
Il faut dire que Kelly Loeffler est engagée dans une élection sans primaire préalable et a donc en face d’elle non seulement un démocrate mais un rival républicain, Doug Collins, qu’elle accuse d’être un démocrate déguisé en républicain. Ce dernier n’est pas en reste en se présentant comme le défenseur du Président (non sans rappeler que Loeffler a été accusée au printemps d’avoir profité d’informations anticipées sur le coronavirus pour spéculer en bourse).
Dans cette élection indécise, les deux républicains jouent manifestement la carte de l’ultra-conservatisme et du Trumpisme, sans chercher à élargir leur base électorale vers le centre. Il faut dire que si aucun candidat n’atteint les 50%, ce qui est probable, la constitution de l’état de Géorgie prévoit un deuxième tour et les deux républicains cherchent d’abord à s’éliminer mutuellement. Reste que cela a laissé beaucoup d’espace à leur adversaire démocrate, un pasteur afro-américain, qui se présente comme un candidat de proximité défenseur des droits civiques, positionnement évidemment porteur dans un état au lourd passé ségrégationniste. Il a d’ailleurs nettement progressé dans les sondages récemment et parait désormais « compétitif » (pour reprendre la terminologie utilisée par les experts) en vue du deuxième tour.
D’autres républicains, ont l’a vu avec Susan Collins, ont de leur côté décidé de prendre, souvent précautionneusement, leur distance vis-à-vis du Président : on a ainsi vu Martha Mc Sally dans l’Arizona essayer d’échapper à une question lui demandant de réaffirmer publiquement son soutien au Président (ce qui lui a attiré les critiques de tous les bords) ou le candidat républicain au Texas Tom Cornyn critiquer l’attitude du Président face à la pandémie.
La plupart semblent en tout cas prêts à changer d’arguments de campagne à court terme pour s’adapter à la réalité de la situation et ne plus miser sur la cohésion autour du Président sortant.
Un des signes de cette évolution est le refus persistant des sénateurs républicains d’entrer dans une négociation pour un nouveau train de mesures destinées à soutenir l’économie et les ménages américains. Si cela donne l’occasion pour les démocrates de marquer le contraste entre les priorités des uns et des autres, c’est aussi pour les républicains une façon de rappeler à leurs électeurs que Donald Trump ne leur a pas complètement fait perdre leurs repères en matière d’idéologie économique : dépenser à nouveau des milliers de milliards de dollars, ce serait en effet creuser le déficit et probablement provoquer à court terme une hausse des impôts, ce qui est évidemment un chiffon rouge pour les « conservateurs budgétaires » (en anglais « fiscal conservatives »), comme on les appellent, qui constituent une des bases électorales traditionnelles du parti républicain.
Ce n’est donc pas un hasard si Mitch McConnell reste réticent à négocier un nouveau train de mesures d’ici l’élection ou si Tom Cornyn, encore lui, a expliqué le 19 octobre dans la presse locale texane s’être opposé en privé au Président et à son équipe sur des questions budgétaires (s’attirant immanquablement les critiques de son adversaire).
L’autre argument qui commence à être mis en avant côté républicain est celui de l’équilibre des pouvoirs. Les électeurs républicains peuvent choisir de sanctionner Donald Trump, mais il ne serait pas dans leur intérêt que les démocrates gagnent à la fois l’exécutif et le législatif. Autrement dit, attention au « chèque en blanc ».
C’est le candidat républicain en Caroline du Nord Thom Tillis, en ballottage défavorable, qui s’est essayé le premier à cet argument qui pourrait bien être assez efficace pour sauver quelques sièges républicains et qui pourrait, dans la dernière ligne droite être le mantra de nombreux candidats.
Car si la colère envers Donald Trump semble très présente, de nombreux électeurs républicains sont aussi inquiets à l’idée de voir un programme progressiste être déployé dans les années qui viennent.
Comme Trump, les candidats républicains agitent le spectre du socialisme en associant leur adversaire, quelles que soient ses prises de position, à la frange la plus progressiste du parti démocrate et ils utilisent donc Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio Cortez dans leurs attaques, davantage que Joe Biden (comme le Président, ils auraient préféré affronter Sanders que Biden).
Dans un des deux scrutins sénatoriaux en Géorgie, la bataille des spots de campagne négatifs fait rage et on signalera un spot assez direct du candidat républicain sortant David Perdue (par ailleurs très critiqué depuis quelques jours pour s’être moqué du nom de Kamala Harris lors d’un meeting tenue par le Président Trump en Géorgie le 16 octobre).
Reste à savoir ce qui l’emportera dans l’esprit des électeurs entre la volonté de sanctionner globalement le Trumpisme (et pas seulement le Président lui-même) et la peur des démocrates, sachant que Joe Biden est un candidat suffisamment modéré pour ne pas inspirer de crainte.
Au final, et c’est ce qui rend ces élections au Sénat passionnantes, les incertitudes sont très importantes, entre la participation des différents segments de la population, l’évolution de la démographie dans les états de la « Sun Belt » (Caroline du Sud, Caroline du Nord, Géorgie, Texas, Arizona) où le vote afro-américain et « latino » est de plus en plus décisif, la personnalité des candidats, le contexte local, etc.
Et ce d’autant que chaque scrutin peut connaître un imprévu et une « October surprise » : en Caroline du Nord, à quelques heures d’intervalle, le candidat républicain Thom Tillis a annoncé avoir contracté le coronavirus, probablement lors d’un événement à la Maison Blanche, tandis que le candidat démocrate Cal Cunningham, qui jouait au père de famille bien sous tous rapports depuis le début de la campagne6Il n’y a qu’à regarder son profil Twitter., a reconnu avoir envoyé des « sextos » à une femme qui n’était pas son épouse suscitant évidemment les attaques de Tillis.
Tout est donc encore possible, entre un « raz de marée » comme en 1980 lorsque dans la foulée de la victoire écrasante de Ronald Reagan sur Jimmy Carter (la comparaison entre la situation de Trump est celle de Carter est d’ailleurs fréquemment réalisée par les experts), les républicains avaient gagné une très confortable majorité au Sénat, et le maintien à l’arrachée d’une très courte majorité.
Si les démocrates arrivent à remporter la majorité au Sénat, nul doute qu’une bonne partie du camp républicain en fera porter la responsabilité au coronavirus et à la gestion catastrophique de Donald Trump de la pandémie et de ses conséquences, et se disculpera de sa propre attitude vis-à-vis du Président. Mais le parti devra sans doute s’interroger plus profondément sur son positionnement politique et sur le ralliement quasiment sans conditions de tous ces cadres, ou presque, à Donald Trump dès lors que celui-ci a été élu en 2016, alors qu’ils savaient très bien à quoi s’en tenir.
Quant aux démocrates, le maintien d’une majorité républicaine au Sénat pourrait bien leur rappeler que consolider durablement l’adhésion des électeurs au projet démocrate est une tâche bien plus compliquée que celle de canaliser à son profit le rejet de Donald Trump. Et s’ils regagnent le Sénat, ils ne devront pas sous-estimer l’« effet Trump » et se contenter d’expliquer la victoire par l’effet mécanique de l’évolution de la démographie dans la Sun Belt, qui promettrait des lendemains qui chantent au parti démocrate, surtout si le parti républicain ne remet pas en cause son logiciel électoral très (trop) centré sur l’électorat blanc chrétien.
Mais on pourra aussi se satisfaire côté démocrate d’avoir lancé sur la scène nationale de nouvelles plusieurs personnalités au profil intéressant, qui pourraient, tout comme plusieurs élus (et surtout élues) à la Chambre des représentants en 2018, comme la californienne Katie Porter ou l’élue de Seattle Pramila Jayapal (et pas seulement la très médiatique élue de New York Alexandria Ocasio Cortez), représenter l’avenir d’un parti (faut-il rappeler que les principaux candidats à la primaire, à l’exception notable de Pete Buttigieg, et les ténors du parti ont tous au moins 70 ans ?) qui aura besoin d’eux pour entrer dans le 21ième siècle.