Trump mise tout sur des « coups » pour rattraper son retard

Donald Trump, distancé dans les sondages, n’a plus beaucoup de temps pour rattraper son retard, alors que les électeurs ont commencé à voter dans certains états (les premiers bureaux de vote ont ouvert le 18 septembre) et que le premier débat entre les deux candidats aura lieu le 29 septembre. Quels sont les leviers sur lesquels il pourrait agir ? Et surtout, quels sont ceux qu’il a décidé d’utiliser ?

Les experts en stratégie électorale estiment que le Président devrait, pour commencer, mieux cibler sa campagne et sa communication, ce qui suppose d’abord de définir plus clairement les messages qu’il souhaite porter.

A ce stade, Donald Trump n’a pas trouvé le bon message pour sa campagne, ce qu’il avait parfaitement su faire en 2016. L’absence de slogan marquant et le peu d’impact sur les sondages du mantra « law and order » ou du sobriquet « Sleepy Joe Hidden » en sont une preuve évidente (la bonne campagne de Biden et notamment sa contre-attaque sur le thème de l’insécurité n’y étant sans doute pas pour rien).

Trump s’éparpille entre différentes stratégies et différents axes de communication, tiraillé qu’il est entre la mise en avant de son bilan (c’était sa stratégie initiale, totalement remise en cause par la pandémie), sa prédilection pour la posture d’outsider provocateur et anti-système, et une campagne simplement basée sur le péril que représenterait une victoire de son adversaire, qui supposerait de renoncer en partie à être l’unique sujet de conversation, ce qui n’est pas facile pour le Président.

Il ne serait pas le premier candidat sortant1Aux Etats-Unis comme ailleurs. à tenter de se faire passer pour le candidat anti-establishment mais cela supposerait de reconnaître qu’il n’a pas pu tout faire pendant son premier mandat, quitte à accuser les obstacles mis en travers de sa route par la classe politique traditionnelle, les médias (ou la Chine, etc.).

Mais son narcissisme l’emporte sur sa tendance à pleurnicher et à rejeter la faute sur les autres, même s’il a quand même trouver le moyen d’accuser Biden de ne pas avoir édicté au niveau fédéral une obligation de port du masque, ce qui n’a pas manqué de lui attirer des remarques caustiques.

Il ne peut s’empêcher de se glorifier de sa gestion de la pandémie (alors que le seuil de 200 000 morts est désormais atteint) et de la crise économique, d’avoir ramené la paix dans le monde, d’avoir fait plier l’« establishment » de Washington (sa fille Ivanka ne disait-elle pas dans son discours devant la convention républicaine, largement consacré au bilan de son père : « Washington n’a pas changé Donald Trump. Donald Trump a changé Washington. »), d’être le président qui, dans toute l’histoire des Etats-Unis, aura fait le plus pour les femmes ou pour la minorité afro-américaine.

Pendant la convention républicaine, le message pourtant délivré par de multiples orateurs avait paradoxalement semblé plus clair, plus articulé et mieux ciblé : la pandémie était à peine abordée ou présentée comme une affaire réglée relevant du passé, les compétences économiques du Président mises en avant au travers du bilan des trois premières années de mandat et pour mieux agiter la peur d’une politique économique démocrate « socialiste » et l’effort portait surtout sur la mise en avant des menaces portées par une Président démocrate et progressiste pour les « valeurs » américaines.

Les démocrates s’étaient alors inquiétés, percevant le potentiel de ce message s’il était déployé intelligemment. Mais dès la fin de la convention, Donald Trump, qui ne fait confiance qu’à lui-même en matière de communication, est redevenu son seul porte-parole ou presque, a repris son activité frénétique sur Twitter et multiplié à nouveau les dérapages et les provocations, les déclarations décalées de la réalité sur la pandémie ou la reprise économique, bref gâchant lui-même en partie les opportunités engendrées par la convention de son parti.

Autant qu’une incapacité du candidat Trump à s’en tenir à une stratégie sur la durée, cette difficulté à définir un message traduit sans doute l’existence de deux approches concurrentes sur le « chemin » qui pourrait mener Trump à la victoire.

Le message de la convention républicaine, bien que très conservateur (voire ultra-conservateur ou d’extrême-droite par moment), visait, en revenant à des thématiques traditionnelles du parti (préservation des valeurs conservatrices, opposition à l’interventionnisme dans l’économie) à essayer de séduire les électeurs conservateurs modérés ou les indépendants penchants plutôt du côté républicain, bref à élargir la base électorale de Trump.

L’idée est aussi de regagner les segments de la population comme les personnes âgées ou les banlieues résidentielles qui semblent, selon les sondages, se détourner du Président, mais qui, malgré une opinion manifestement très négative sur le personnage Trump, pourraient revenir au bercail dès lors qu’ils se focaliseraient sur certains enjeux précis de l’élection.

A l’inverse, pour une partie du camp Trump et notamment pour les représentants de l’ultra-droite, le potentiel de progression est plutôt du côté d’électeurs abstentionnistes en 2016.

Pour les tenant de cette thèse, une bonne partie des abstentionnistes, notamment dans les « swing states », partageraient en réalité les caractéristiques de l’électorat de Trump, sans pour autant avoir osé voter pour lui en 2016. Ils pensent là aux blancs peu diplômés, qui représentaient la moitié des abstentionnistes de 2016 et dont le taux de participation en 2016 était inférieur celui de 2004.

Nostalgiques des années 80 (ou même d’années 50 mythifiées…), inquiets pour l’avenir de l’« americain way of life », énervés par l’importance prise dans le débat public par les questions raciales, se vivant comme des perdants de la mondialisation délaissés par les élites politiques, ils pourraient être encore plus nombreux à acheter l’idée que Trump est le seul à pouvoir mettre un coup de pied dans la fourmilière pour régler tous ces problèmes.

De même qu’en 2016, le taux de participation de ce segment démographique avait été sous-estimé par les sondages, il suffirait d’accentuer encore cette participation pour gagner en 2020 et faire mentir à nouveau les sondages.

Pour mobiliser ceux que Trump qualifie depuis plusieurs mois de « majorité silencieuse »2On en parlait dans une précédente chronique à propos des manifestations « Black Lives Matter ». (laquelle se revendique comme telle en organisant… des défilés nautiques), il convient, pour les tenants de cette théorie, alors de renchérir sur les positionnements clivants et de rejouer 2016.

Cela a aussi l’avantage de galvaniser la base électorale de Trump, dont il espère, comptant sur un différentiel d’enthousiasme qui jouerait en sa faveur (on y reviendra) ou sur un moindre crainte de cet électorat par rapport à la pandémie, qu’elle se mobilisera davantage que l’électorat démocrate traditionnel.

Les deux approches (récupérer des électeurs conservateurs modérés « traditionnels » et exploiter au maximum le potentiel de mobilisation du discours anti-système de Trump) ne sont pas totalement contradictoires.

Il est tout à fait possible de les concilier en insistant par exemple sur le slogan « law and order », en agitant le spectre d’une prise de pouvoir de l’extrême-gauche et des « socialistes », ou en remettant au cœur de l’actualité la question de la nomination des juges à la Cour Suprême, décisive quant au droit à l’avortement, aux droits des minorités sexuelles ou au contrôle des d’armes à feu (on en parlait en juillet dernier dans une chronique dédiée).

Autant de sujets qui galvanisent l’électorat ultra-conservateur, complotiste et anti-système et qui peuvent dans le même temps, faire hésiter les électeurs indépendants, modérés, ou plutôt indifférents à la politique, au moment de voter Biden ou de s’abstenir.

En revanche, le Président est davantage en difficulté pour rallier des électeurs indépendants ou modérés quand, pour puiser à fond dans le réservoir des électeurs anti-sytème, il se fait par exemple le défenseur des candidats de la mouvance Qanon3On en parlait ici. relaye des thèses conspirationnistes sur le mouvement « Black Lives Matter », les « antifas » ou des projets de coup d’Etat.

Ou quand il continue à traiter avec désinvolture la question de la pandémie en violant explicitement les interdictions de rassemblement édictées par le gouverneur du Nevada pour maintenir un meeting de campagne sans gestes barrières et sans distanciation sociale, ou en refusant de recommander le port de masque (en invoquant des arguments fumeux, alors qu’il s’agit pour lui simplement d’aller dans le sens de ses supporters les plus virulents qui voilà le masque comme le symbole d’un gouvernement fédéral liberticide).

Cela étant, si l’absence de ligne directrice claire et l’existence de lignes de communication parfois peu cohérentes, est perçue comme un gros handicap par les experts politiques rationnels, qui mettent en avant par contraste la constance dans le temps du message de Joe Biden  (depuis qu’il s’est lancé dans la primaire, ce dernier explique, sans jamais s’écarter de cette ligne, que son objectif est de dégager un Président désastreux, puis de rassembler la nation et de mobiliser toutes les énergies pour sortir le pays des crises qu’il traverse, la pandémie et le mouvement « Black Lives Matter » n’ayant fait que renforcer ses arguments), ce sont ces mêmes experts rationnels qui jugeaient durement la campagne Trump en 2016 et pour lesquels une victoire de Trump était alors impossible.

Donald Trump avait changé plusieurs fois de directeur de campagne ou de tactique au cours de la campagne 2016. Il raisonne en matière de communication toujours à extrêmement court terme (en résumé, la question est d’abord de savoir ce qui peut faire le buzz du jour ou du lendemain) et n’a aucun problème à se dédire d’un jour sur l’autre.

Il est donc en réalité probable qu’il se satisfasse d’une campagne plus « souple », dans laquelle son positionnement évolue en fonction des opportunités offertes par l’actualité (quitte à lui-même la créer quand il en a l’occasion), lui qui se targue de savoir saisir sentir l’opinion pour réaliser des coups médiatiques – et selon lui, électoraux.

On pourrait bien sûr noter que le Président Trump n’a absolument pas cherché à se mettre en avant lors des récentes catastrophes climatiques, alors que c’est une occasion de se présenter comme un protecteur de la nation ou comme un Président qui soigne les blessures (on avait beaucoup reproché à Barack Obama d’en faire beaucoup et d’abuser de sa position de Président en exercice lors de l’ouragan Sandy intervenu juste avant l’élection de 2012).

Il ne s’est ainsi pas déplacé suite à l’ouragan en Louisiane fin août ou lors e l’ouragan passé dans le Mississippi mi-septembre, et en a à peine parlé. On sent bien que lui comme son équipe ont abandonné toute idée d’améliorer son image pour essayer de le rendre sympathique ou de le faire passer pour un Président normal et non partisan en temps de crise4Ils ont juste fait le minimum requis pendant la convention républicaine pour rassurer ses électeurs sur le fait que ce n’était pas un monstre sans cœur..

D’ailleurs, quand, dix jours après le début des incendies qui ravagent la Californie, l’Oregon et l’état de Washington, il s’est enfin déplacé sur place le 14 septembre, ce n’était pas vraiment pour jouer le registre de la compassion (un des ses anciens collaborateurs à la Maison Blanche a d’ailleurs révélé mi-août avoir assisté à une conversation dans laquelle le Président demandait de couper les budgets fédéraux alloués à la Californie pour la lutte contre les incendies, dans la mesure où il ne voyait pourquoi il aiderait des gens qui n’avaient pas voter pour lui en 2016).

En réalité, il s’agissait plutôt, dans la lignée du traitement du sujet par le présentateur vedette de Fox News Tucker Carlson5Il est conseillé de bien se préparer psychologiquement avant de regarder cette vidéo., dont les émissions influencent fortement le Président, d’en profiter pour attaquer les démocrates (aux commandes des états de la côte ouest touchés actuellement) qui auraient mal géré leurs espaces naturels et se réfugieraient derrière l’excuse du prétendu changement climatique.

Sans aller jusqu’à comparer le changement climatique au racisme systémique comme l’a fait Tucker Carlson (qui déclarait ainsi que « pour les politiciens démocrates, le changement climatique, c’est comme le racisme systémique, mais dans le ciel. Vous ne pouvez pas le voir, mais soyez-en sûr, il est partout et il tue. Et comme le racisme systémique, c’est de votre faute »), le Président n’a pas hésité à contester une nouvelle fois en public la véracité des affirmations des scientifiques sur le changement climatique, assurant un de ses interlocuteurs que « la température allait baisser »6Cela rappelle sa façon de traiter le coronavirus, dont il répète qu’il finira bien par disparaître. et que « les scientifiques ne savaient rien ». Et l’idée était bien de récupérer des électeurs en agitant le spectre d’une politique démocrate de lutte contre le changement climatique qui ruinerait l’économie américaine, en interdisant les extractions d’énergie fossile, en supprimant l’industrie automobile, en interdisant l’élevage, etc.

Évidemment, ces déclarations lui font courir un risque car elles peuvent remobiliser fortement les jeunes et les progressistes au profit de Biden, au moment même où l’aile gauche du parti démocrate commençait à s’alarmer et à demander que Biden mette davantage en avant ses propositions économiques et environnementales au lieu de se contenter de taper sur son adversaire.

Biden a donc lui aussi saisi l’occasion de réaffirmer le 14 septembre sa volonté de réintégrer l’accord de Paris de 2015 et de lutter contre le changement climatique, dans un discours salué par les mouvements de jeunes engagés dans la lutte contre le changement climatique. Il a en aussi profité pour signaler que les habitants des banlieues résidentielles étaient souvent les plus frappés par les dégâts liés aux feux, ouragans, inondations, etc., bien dans sa ligne d’opposer aux fantasmes agités par le Président sur les risques d’une victoire démocrates (pour les banlieues résidentielles par exemple) des éléments bien concrets et avérés de l’impact de l’action (ou de l’inaction, dans ce cas comme s’agissant du coronavirus) du Président sortant.

Mais Biden a aussi été obligé de réaffirmer publiquement dans la foulée, lors d’un « town hall »7Il s’agit d’un format très courant d’émission politique lors duquel les candidats répondent aux questions d’américains ordinaires. organisée par CNN en Pennsylvanie, qu’il est opposé à l’interdiction à brève échéance des gaz de schiste, sans doute par souci de ne pas fragiliser sa position dans un état décisif comme la Pennsylvanie, où la fracturation hydraulique est très présente et représente un gisement important d’emplois.

Or l’interdiction de la fracturation hydraulique est une mesure emblématique pour les mouvements sociaux de défense de l’environnement et pour la gauche du parti démocrate. Trump aura donc peut-être au moins réussi à introduire un peu de zizanie au sein du camp démocrate sur cette question sensible.

Le Président reste également à l’affût de l’actualité sur deux sujets sur lesquels il a beaucoup mené campagne, avec l’espoir d’en tirer parti si l’occasion de présente. Cela concerne évidemment l’insécurité et les émeutes. Sa campagne ne s’est jamais caché qu’un regain de violences raciales (par exemple lorsque les autorités judiciaires vont faire part de leur décisions concernant les récentes violences policières récentes les plus médiatisées) ou la mort de policiers pendant des manifestations pourrait retourner à son avantage l’opinion publique et redonner du poids au slogan « law and order » qui n’a pas vraiment porté ses fruits jusqu’ici. Il monte donc en épingle tout incident, même s’il n’est pas lié au mouvement « Black Lives Matter ».

Le Président reste également très attentif aux indicateurs économiques et il ne manquera pas de mettre en avant, quitte à les embellir (le cas échéant en tordant le bras à son administration, comme il tente de le faire sur la pandémie) et à en exagérer la portée, toutes les bonnes nouvelles qui pourraient intervenir en la matière d’ici l’élection. Car s’il arrive à faire passer l’idée que l’économie est sur la bonne voie, il peut espérer casser le lien que Joe Biden s’efforce de maintenir entre mauvaise gestion de la pandémie et détérioration durable de l’économie américaine.

On notera cependant qu’en misant tout, en matière d’économie, sur la diffusion d’indicateurs très positifs dans la dernière ligne droite, Trump se prive en partie d’un des seuls avantages structurels que lui attribuent de façon constante les enquêtes d’opinion. Celles-ci témoignent en effet constamment du fait que les américains jugent Trump plus compétent que Biden sur les questions économiques.

Alors même que l’économie est un sujet concret qui est souvent déterminant dans le choix des électeurs « indépendants »8Ceux qui ne se déclarent a priori proche d’aucun des deux grands partis. ou modérés, il aurait en effet pu focaliser sa campagne sur la relance économique qu’il serait le plus qualifié pour mener à bien, en valorisant les résultats économiques de son début de mandat, ses qualités de businessman, etc. et quitte à en remettre une couche sur l’idéologie « socialiste » du camp adverse9C’était le principal message de son conseiller économique lors de la convention républicaine.. Et ce n’est pas pour rien que Biden insiste de son côté énormément sur le fait qu’il a piloté, à la demande de Barack Obama, le plan de sauvetage du secteur automobile américain en 2009.

Mais cela supposerait d’avoir un discours mesuré et transparent sur l’état actuel de l’économie et d’avoir un plan de relance un peu précis10Il avait bien créé une « task force » au printemps, rassemblant les grands patrons américains, mais celle-ci a fait long feu., autre que celui de fanfaronner à chaque hausse de la bourse ou de déclarer que 2021 sera la meilleure année dans l’histoire de l’économie américaine.

Car si dans les six semaines qui viennent, il n’y a pas de frémissement net de l’économie, il donnera surtout le sentiment de n’avoir rien fait jusqu’à présent et pourra plus difficilement valoriser la perception positive que les électeurs ont de ses compétences économiques. Car si le taux de chômage a baissé au niveau national pour être ramené à un peu plus de 8%, cela cache des disparités importantes et l’existence d’un chômage élevé dans des zones déterminantes pour le résultat final (il dépasse par exemple 15% dans de nombreuses zones urbaines ou péri-urbaines d’un état clé comme la Pennsylvanie).

En réalité, le Président mise d’abord sur deux coups médiatiques pour bouleverser le contexte électoral et renverser le cours l’élection dans la toute dernière ligne droite. David Axelrod, ancien conseiller stratégique de Barack Obama, résume cela en une formule simple : « Trump est à trois débats et un vaccin de la réélection ».

Tous les observateurs s’accordent sur l’importance majeure que revêtiront les débats dans cette élection. D’abord parce que la campagne a été en partie tronquée par la pandémie, mais surtout parce que le rapport de force actuel enregistré par les enquêtes d’opinion et les caractéristiques des deux candidats en font un point de bascule possible.

On l’a déjà rapporté, les électeurs ont une opinion déjà largement établie sur les deux candidats. Mais elle est beaucoup plus tranchée et établie s’agissant de Donald Trump que de Joe Biden, ce qui laisse encore une fenêtre pour entamer l’image positive de Joe Biden.

L’équipe de campagne de Trump mise également sur ce qu’elle appelle l’« écart d’enthousiasme » entre les deux candidats. C’est ce que mettent en avant les enquête d’opinion depuis plusieurs mois, et encore récemment le dernier sondage de Fox News : 60% des électeurs prêts à voter Trump le font par enthousiasme ou adhésion (contre 39% par crainte de voir Biden gagner), alors que 55% des électeurs de Biden sont d’abord motivés par l’objectif d’empêcher Trump d’être réélu (contre 43% qui serait enthousiasmé par la candidature du démocrate).

Il suffirait alors, selon l’équipe Trump, d’attaquer, de dénigrer ou de diaboliser suffisamment Biden pour que ce manque d’enthousiasme se traduise par une moindre participation de ses électeurs potentiels, pendant que l’adhésion suscitée par la candidature Trump garantirait à l’inverse une bonne participation de son électorat potentiel.

Cela étant, le raisonnement paraît fragile. D’abord parce faire de cet écart d’enthousiasme un avantage est peut-être un raccourci un peu rapide : on peut imaginer des électeurs extrêmement motivés par l’idée de voter contre quelqu’un.

Ensuite parce que la part des électeurs qui se déclarent « enthousiasmés » par la candidature de Biden a nettement progressé depuis juin, selon Fox News, passant de 31% à 43% (ce qu’on peut sans doute attribuer à la désignation de Kamala Harris comme colistière, à la prestation de Biden lors de la convention démocrate ou à ses très bons discours et interventions médiatiques dans les jours qui ont suivi).

Trump a cependant depuis longtemps un objectif clair pour les trois débats à venir, et notamment pour le premier qui se tiendra le 29 septembre : davantage que de rallier à lui des électeurs, il s’agit de créer le doute dans l’esprit des électeurs par rapport à Joe Biden (que ce soit sur sa capacité à être Président ou sur son programme) et de les inciter, au minimum, à rallier le camp des abstentionnistes.

Trump, convaincu de ses talents de débatteur, affiche une grande confiance à l’approche des débats. Mais, la partie ne pourrait pas être aussi facile qu’il y paraît (on y reviendra plus longuement dans une prochaine chronique) : Joe Biden n’est pas un oiseau tout juste sorti du nid et il se prépare à ces débats depuis plusieurs mois. Par ailleurs, les attaques personnelles menées par Trump ou le camp républicain ont commencé depuis longtemps sans parvenir vraiment à toucher le candidat démocrate.

D’où la dernière carte qu’est manifestement en train de préparer le Président sortant : l’annonce, à quelques jours de l’élection, qu’un vaccin est prêt à être diffusé. Comme le dit, encore lui, David Axelrod, « je ne suis pas du tout sûr qu’un vaccin sera disponible le 4 novembre, mais je suis presque certain qu’on nous aura dit qu’il est disponible le 3 novembre ».

Le monde scientifique américain (comme ailleurs apparemment) doute très clairement de la capacité à finaliser les essais nécessaires à l’homologation d’un vaccin d’ici le 3 novembre. Mais le Président a clairement en tête de tordre le bras à son administration pour donner une autorisation d’urgence à un vaccin dans les derniers jours d’octobre.

Après tout ne l’a-t-il pas déjà fait au printemps pour l’hydroxy-chloroquine (l’agence autorisant les médicaments s’est ensuite piteusement rétractée début juillet) puis à nouveau récemment, à la veille de la convention républicaine, en forçant la main, comme le raconte différentes enquêtes journalistiques, de son administration pour autoriser, malgré les réticences scientifiques, le traitement à base de plasma sanguin de patients guéris ? Ne cherche-t-il par ailleurs à circonvenir les informations négatives sur le nombre de malades et de morts en essayant de contrôler les rapports officiels de l’agence en charge de la santé publique ?

Trump pourrait ainsi, en annonçant qu’un vaccin est disponible, déclarer triomphalement non seulement que la pandémie est un problème définitivement réglé, mais aussi que c’est grâce à ses méthodes de gouvernement, si critiquées par l’« establishement », et à la pression qu’il a mise sur les industries pharmaceutiques et surtout sur la « bureaucratie » (un thème qui lui est cher) qu’un vaccin est disponible aussi rapidement.

« Nous aurons un vaccin bientôt, peut-être avant une journée particulière. Vous voyez à quelle date je fais référence. »

Donald Trump, le 7 septembre

Le Président ne se cache ainsi pas ses intentions. Il a suscité des réactions outrées de Joe Biden comme de sa co-listière Kamala Harris, l’accusant d’instrumentaliser les vaccins et appelant à donner toutes les garanties scientifiques et assurer toute la transparence nécessaire sur un éventuel vaccin avant qu’il ne soit autorisé.

C’était exactement la réaction qu’il attendait , car c’est désormais lui qui accuse les démocrates d’instrumentaliser politiquement la pandémie et de préférer que le vaccin ne soit pas prêt avant l’élection pour pouvoir augmenter leur chance de le battre.

Cela étant, Trump fait là encore un pari politique risqué à plusieurs titres. Il faut d’abord qu’une industrie pharmaceutique joue le jeu et demande une procédure accélérée pour un vaccin, avec le risque que cela comporte en matière de réputation (si le vaccin s’avère ensuite inefficace, ou tout simplement parce que celui qui le fera sera accusé d’avoir fait le jeu de Trump)11Comme le faisait remarquer des observateurs, il y a comme une triste inversion des rôles, s’il faut compter sur les industriels pour protéger les citoyens d’éventuelles dérives de l’autorité en charge d’autoriser les vaccins..

Il faut ensuite que les agences indépendantes concernées prennent elles-aussi le risque d’homologuer un vaccin sans probablement suffisamment de certitudes sur son efficacité ou sur les effets secondaires. Or on sent déjà que les différentes administrations qui auront leur mot à dire se raidissent.

C’est ainsi que le directeur des CDC (les « centers for disease control », qu’on pourrait assimiler à Santé Publique France), Robert Redfield, déclaré le 16 septembre lors d’une audition au Congrès, qu’un vaccin ne pourrait être probablement pas être mis à destination du grand public avant mi-2021.

Il s’est immédiatement fait taper sur le doigts par le Président, qui n’a pas hésité à déclarer que Redfield s’était « trompé » et avait diffusé une « fausse information ». Pour autant, cette intervention en claire contradiction avec le Président, venant d’un responsable qui depuis le début de la pandémie ne s’était pas (à l’inverse par exemple du fameux docteur Fauci) distingué par des prises de position visant à corriger les errements du Président, montre que l’administration sanitaire pourrait bien résister fortement, et publiquement, à la pression présidentielle.

Il faut enfin que le grand public « achète » l’annonce suffisamment pour que cela influence son vote. Or les sondages indiquent depuis le printemps que les américains n’ont majoritairement pas confiance dans les informations données par le Président sur le coronavirus, comme le montre encore de façon nette ce sondage de NPR/PBS et Marist Poll publié le 18 septembre. Les démocrates en avait d’ailleurs fait un moment marquant de leur convention, lorsque la fille d’une victime du virus avait expliqué, en référence aux facteurs rendant certaines personnes plus vulnérables aux effets du virus, que le seul antécédent dont souffrait son père au moment d’être malade était d’avoir cru Donald Trump.

Les révélations récentes du journaliste Bob Woodward (on en parlait ici) pourraient encore accentuer la défiance de l’opinion publique vis-à-vis du Président sur le sujet : faut-il croire un Président qui assume de minimiser le risque lié au virus pour éviter la panique (et pour ne pas mettre en péril sa réélection) quand il annonce, seul contre tous, qu’un vaccin est disponible ?

Sans réelle surprise, une enquête de la Kaiser Family Foundation montre que plus de 80% des américains ne croient pas qu’un vaccin puisse être finalisé d’ici novembre. Et de façon très inquiétante à court et moyen terme pour la santé publique aux Etats-Unis, cette même enquête tout comme l’enquête de NPR/PBS/Marist Poll déjà citée montrent que désormais un peu moins de la moitié des américains semblent prêts à se faire vacciner…

On le voit, le Président mise surtout sur des « coups médiatiques », quitte à les provoquer lui-même comme dans le cas du vaccin – et on pourrait alors qualifier cela sans hésiter de coups tordus.

Il existe aux Etats-Unis une expression consacrée pour désigner les surprises de dernière minute susceptibles d’influencer les élections, notamment les scrutins présidentiels : les « october surprise ». En pratique, il y a finalement peu de précédents avérés12Certains évoquent l’annonce en 1972 par Henry Kissinger qu’un accord pour mettre fin à la guerre du Vietnam était à portée de main (mais le Président Nixon était déjà presque assuré d’être réélu), ou les révélations sur la possible implication de George H. W. Bush dans le scandale des « contras » à la veille de l’élection de 1988. On parle aussi souvent d’une « october surprise »… qui n’a pas eu lieu en 1980, quand Jimmy Carter se serait évertué sans succès à obtenir la libération des otages de l’ambassade américaine à Téhéran juste avant le scrutin, sachant que, par voie de conséquence, certains ont par la suite accusé, sans beaucoup d’éléments pour confirmer cette thèse, l’équipe de campagne de Reagan – qui être donné largement gagnant – d’avoir négocié avec les autorités iraniennes pour que la libération n’intervienne qu’après son investiture. mais Donald Trump a très certainement bénéficié d’un des cas les plus marquants, quand le FBI, à quelques jours du scrutin, avait annoncé l’ouverture d’une enquête contre Hillary Clinton à propos de l’usage de son compte mail personnel pour des échanges professionnels lorsqu’elle était « secretary of state »13Ministre des affaires étrangères.. De l’avis général, cet événement avait pesé grandement sur le résultat final.

Donald Trump n’était en rien responsable de cette annonce, même si, en mettant en cause depuis des mois la probité d’Hillary Clinton, il avait sans doute ménagé un terreau propice à rendre cette annonce particulièrement frappante pour une partie de l’électorat.

Donald Trump est aussi un « joueur » et un ancien propriétaire de casinos : il mise donc forcément sur la chance (la même qui aurait pu faire « disparaître » le coronavirus soudainement… mais on ne peut pas gagner à tous les coups) pour lui créer à nouveau une actualité favorable.

Et un événement imprévu, déjà qualifié de « september surprise » par les observateurs, est justement intervenu le 19 septembre, avec le décès d’une des juges progressistes de la Cour Suprême, Ruth Bader Ginsburg qui pose immédiatement la question de son remplacement.

Il revient en effet au Président de proposer une remplaçante ou un remplaçant, dont la nomination doit être confirmée par le Sénat. Mais est-il moralement recevable de le faire de toute urgence, à moins de 50 jours d’élections générales incertaines tant pour le Président que pour la majorité sénatoriale, et ce alors même qu’en 2016, après la mort en février d’un juge conservateur, le Sénat républicain avait refusé d’inscrire à l’ordre du jour l’examen de la nomination proposé par Barack Obama, au motif qu’une nomination « proche » d’une élection présidentielle privait le futur vainqueur d’un des pouvoirs les plus significatif octroyé par la constitution ?

Nul doute que l’aspect moral n’est pas exactement le principal point d’attention dans cette affaire pour Donald Trump, qui va d’abord tenter d’en profiter pour mobiliser l’électorat conservateur et chrétien, même si le sujet est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord (on y reviendra donc en détail très vite dans une chronique dédiée).

Dans tous les cas, il y a là une belle opportunité de détourner, pour quelques jours au moins (et aussi longtemps que possible, pour le camp Trump) l’attention de la pandémie et du coronavirus, et de focaliser la campagne électorale sur des questions sociétales polarisantes, registre dans lequel Donald Trump se sent évidemment beaucoup plus à l’aise.

Tout ceci ne fait que confirmer que Donald Trump est prêt à tout pour rester Président : mentir ou se dédire, évidemment, mais aussi utiliser à son bénéfice électoral les moyens de l’administration ou les leviers à la main du pouvoir exécutif, quitte à fragiliser les institutions, et continuer à jouer avec la santé des américains. Il ne cache pas non plus d’ailleurs son intention de contester le résultat s’il perd14On reviendra sur cette question prochainement. ; on pourrait aussi mentionner le fait qu’il ne compte pas mettre en œuvre tous les moyens pour limiter les ingérences étrangères dans l’élection15Pour mémoire, un lanceur d’alerte a récemment expliqué avoir reçu des instructions politiques lui demandant de minimiser le plus possible les informations relatives à des tentatives d’ingérence russe détenues par les services de renseignement américains..

Donald Trump est de toute façon probablement conscient qu’il est un peu tard pour redresser une situation mal engagée en menant une campagne à peu près honnête. A ce stade, seuls ses talents de bonimenteur, son absence totale de scrupules et la création d’un maximum de polémiques, de brouillard et d’hystérie autour de n’importe quel sujet d’actualité peuvent encore le faire gagner.

Trump s’est évertué depuis quatre ans à miner le peu de confiance que pouvaient encore avoir les américains dans leur classe politique (en n’hésitant pas à mettre en doute les prises de position de ses adversaires quand ils n’affichent pas les positions qu’il leur prête… autrement dit « ils mentent, puisque je mens ! »), dans les médias, dans les institutions et dans le processus électoral et à entretenir le conspirationnisme. D’ici au 3 novembre et probablement dans les jours qui suivront, on saura si la démocratie américaine est suffisamment solide pour résister à cette tentative de démolition.

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