« Moi ou la catastrophe » : si tout les oppose, Biden et Trump mettent en avant le même message pendant les conventions de leur parti

Cette année, alors que la campagne électorale sur le terrain est réduite à peau de chagrin, les conventions, tenues dans un format inhabituel, ont été une des rares occasions pour les deux partis de galvaniser leurs militants et leur base électorale et de développer dans le détail, à des heures de grande écoute, leurs messages, dévoilant ainsi plus précisément leur stratégie pour les deux mois qui restent avant l’élection prévue le 3 novembre prochain.

Coté démocrate, toute la convention s’est articulée autour de quatre principaux messages, pour tenir compte du contexte du crise économique et sanitaire et des sondages donnant Joe Biden largement en tête et en position favorable, tout en tirant les enseignements de l’échec retentissant de la campagne d’Hillary Clinton en 2016.

Premier message : Donald Trump a mis les Etats-Unis dans une situation catastrophique et un deuxième mandat serait extrêmement dangereux pour le pays.

Les différents intervenants de la convention n’ont pas eu à chercher très loin pour attaquer le Président sortant sur son bilan, en prenant appui sur l’état actuel du pays, insistant tantôt sur sa gestion catastrophique de la pandémie et ses conséquences sanitaires et économiques, tantôt sur sa réponse inadaptée au mouvement populaire sur la question raciale.

Conscients qu’attaquer les électeurs potentiels de Trump en 2016 avait excité sa base et coûté cher à Hillary Clinton, les démocrates ont tenté de faire passer un message plus subtil : les électeurs avaient des raisons de tenter l’aventure Trump en 2016. Mais il a failli à toutes ses promesses et a berné les américains : le pari a été perdu et il faut donc passer à autre chose. C’est ce qu’on dit, chacun à leur façon mais de façon également frappante, Hillary Clinton, battue par Trump en 2016, et Michael Bloomberg, dans le rôle de l’homme d’affaire pragmatique1Rappelons son slogan quand il était candidat à l’investiture démocrate : « Mike gets things done »..

« Souvenons-nous de Trump déclarant en 2016 : « Qu’est-ce que vous avez à perdre ? ». Eh bien nous le savons désormais : notre santé, nos emplois, et même nos vies. »

Hillary Clinton, devant la convention démocrate, le 19 août

« Je ne vous demande pas de voter contre Donald Trump parce que c’est un sale type. Je vous enjoins à voter contre lui parce qu’il a fait du sale boulot. […]. Je veux poser une question aux patrons de petites entreprises et à leurs employés, et c’est une question que tout le monde doit se poser. Est-ce que vous embaucheriez à nouveau quelqu’un qui a mis votre entreprise à terre ? Qui ne fait que ce qui est bon pour lui ou elle, même quand cela nuit à la boîte ? Dont les décisions imprudentes vous mettent en danger et qui passe plus de temps à tweeter qu’à travailler ? Si la réponse est non, alors pourquoi diable embaucheriez-vous Donald Trump pour quatre ans de plus ? »

Michael Bloomberg, dans son discours de la convention démocrate le 19 août

Les orateurs ont aussi évidemment attaqué la personnalité du Président en pointant son égocentrisme et son manque d’empathie – de nombreux intervenants ont par exemple rappelé que Trump, interrogé début août sur le lourd bilan de la pandémie aux Etats-Unis, avait simplement répondu « this is what it is », c’est-à-dire « c’est comme ça ». Sans oublier de signaler sa propension à utiliser la présidence pour protéger ses intérêts personnels et ceux de ses riches amis, davantage que pour servir et protéger les américains (contre le virus, contre les ingérences étrangères dans les élections, etc.).

Les démocrates ont bien en tête que la focalisation sur Trump, et plus particulièrement sa personnalité, en 2016 avait été en partie une erreur stratégique : bien sûr, chaque débordement de celui-ci, souligné par le camp Clinton et amplifié par les médias, avait marqué un petit rebond dans les sondages pour Hillary Clinton.

Mais en fin de course, faute d’avoir suffisamment « vendu » leur candidate, celle-ci avait pâti dans les derniers jours des critiques violentes du camp Trump, de la relance des enquêtes du FBI sur l’usage de son mail personnel et d’une image très négative au sein de l’opinion publique, qu’elle traînait depuis les deux mandats effectués par son mari .

Dans le même temps, l’impression que l’élection était jouée et que Trump ne pouvait pas gagner avait également poussé certains électeurs à s’abstenir ou à voter pour des petits candidats pour manifester leurs réserves sur la candidate Clinton.

D’où les deux autres axes de communication omniprésents tout au long de la convention démocrate : d’une part, il est indispensable de voter, de mobiliser le plus possible d’électeurs et de se battre contre les manœuvres du Président (qui ne s’en cache pas) et des exécutifs locaux républicains pour limiter l’accès au vote ou le bidouillage des listes électorales, et d’autre part Joe Biden est un type bien – les qualificatifs « good and decent » ont été martelés tout au long de la convention – et il a la personnalité, l’expérience et le leadership qui conviennent pour réparer les dégâts causés par Trump et gérer les multiples crises que traverse le pays.

S’agissant du vote, on aura retenu notamment les interventions du couple Obama en la matière. Michelle Obama2Qui arborait un collier portant l’inscription « VOTE » lors de son discours. a en effet prononcé un des discours les plus commentés de la convention. Si elle a sacrifié au registre attendue d’une première dame, en conseillant aux électeurs de « mettre des chaussures confortables, enfiler leur masque, emporter de quoi dîner et peut-être même de quoi petit-déjeuner, parce qu’il va falloir se préparer à faire la queue toute la nuit s’il le faut », elle a aussi dénoncé de façon virulente le Président sortant, ses méthodes et son bilan, et insisté, comme son mari le lendemain, sur le fait que si les manifestations et le militantisme sont importants, la politique et les institutions, et donc le vote, sont indispensables pour faire évoluer la société américaine et pour protéger la démocratie et les institutions américains mises en péril par Donald Trump.

« Je comprends pourquoi beaucoup d’américains en ont assez de la puissance publique. La façon dont les procédures ont été établies et utilisées abusivement au Congrès rendent faciles la tâche des intérêts particuliers qui veulent le statu quo. Croyez-moi, je le sais. Je comprends pourquoi un ouvrier blanc qui a vu son salaire baisser ou son emploi être délocalisé pense que la puissance publique ne s’occupe plus de lui, et pourquoi une mère afro-américaine peut penser qu’il ne s’est jamais occupé d’elle. Je comprends pourquoi un nouvel immigrant peut regarder autour de lui et se demander s’il y a toujours une place pour lui ici ; pourquoi un jeune peut regarder le monde politique actuel, tout ce cirque, cette méchanceté, ces mensonges et ces théories conspirationnistes insensées et se demander : à quoi bon tout ça ?

Et bien, voilà à quoi bon : ce Président et ceux qui sont au pouvoir – ceux qui profitent du statu quo – ils comptent sur votre cynisme. Ils savent qu’ils ne peuvent pas gagner votre adhésion avec les politiques qu’ils mènent. Alors ils misent sur le fait de rendre votre vote aussi compliqué que possible et de vous convaincre que votre vote n’a pas d’importance. C’est comme ça qu’ils gagnent. C’est comme ça qu’ils continuent à prendre des décisions qui pèsent sur votre vie et sur la vie de ceux que vous aimez. C’est comme ça que l’économie ne bénéficie qu’aux riches et aux gens ahut-placés, que notre système de santé laissera encore plus de gens sur le bord de la route. C’est comme cela que la démocratie dépérit jusqu’à ne plus être du tout la démocratie.

On ne peut pas laisser cela arriver. Ne les laissez pas vous priver de votre pouvoir. »

Barack Obama, dans son discours prononcé depuis le Musée de la révolution américaine de Philadelphie le 19 août.

Face à un Président dénué d’empathie et qui ne songe qu’à ses propres intérêts, les qualités humaines et le sens de l’intérêt général du candidat Biden ont été vantés par tous les intervenants politiques et par la famille du candidat. Mais ce sont davantage les témoignages d’américains ordinaires qui ont marqué les esprits.

Plusieurs témoins étaient particulièrement bien choisis : on pense à celui de la préposée aux ascenseurs du New York Times soulignant l’attention que lui portait Joe Biden et le nominant3C’était aussi un clin d’oeil vis-à-vis du New York Times qui avait soutenu Elizabeth Warren et Amy Klobuchar pendant la primaire démocrate., ou à celui d’un jeune garçon bègue, témoignant (en bégayant, et sans que la production de la convention ait coupé au montage ses moments d’hésitation) de l’importance qu’avait eu pour lui une conversation spontanée avec Joe Biden sur le handicap qu’ils partagent .

En quelques minutes, via ces vidéos devenues virales, le contraste entre les personnalités des deux candidats était marqué : qui pourrait imaginer Donald Trump capable de ces gestes4Certains journalistes ont ressorti par exemple les vidéos de Trump se moquant d’un journaliste handicapé. On a aussi remarqué qu’un orateur de la convention républicaine était handicapé… mais qu’il avait clairement affiché par le passé des sympathies néo-nazies. ?

Quant au leadership et à la capacité à occuper la fonction – rappelons que le camp Trump ne cesse de répéter que Joe Biden est sénile – c’est d’abord Biden lui-même qui devait rassurer sur ce point au travers notamment de son discours d’investiture, prononcé le 20 août. Celui-ci a été unanimement (donc y compris par les médias conservateurs) qualifié de réussi et finalement présenté comme le meilleur discours de la carrière du candidat.

On pourrait évidemment objecter qu’il suffisait de lire un prompteur, mais l’énergie du candidat, sa conviction, sa capacité à passer d’un registre émotionnel quand il évoquait sa biographie à un registre plus solennel s’agissant de la politique étrangère par exemple, ont transparu tout au long du discours.

Au final, les observateurs ont qualifié ce discours de « présidentiel »5Peut-être aussi parce qu’il était ramassé – seulement 25 minutes, contre une heure dix pour le discours répétitif et peu structuré de Donald Trump. C’est ce qu’attendaient les démocrates, qui n’ont cessé de pointer le fait que Donald Trump n’avait jamais endossé le costume de Président et jamais réellement assumé la fonction – la formule utilisée par Barack Obama dans son intervention le 19 août « Donald Trump n’a pas pris la mesure de la fonction présidentielle, parce qu’il ne le peut pas » a marqué les esprits.

Ce discours a aussi permis d’imposer clairement Biden comme le « patron » du parti et de la campagne. Ce point est important non seulement pour faire pièce aux accusations du camp Trump selon lesquels Biden n’est qu’une marionnette ou un faux nez de la frange « radicale » (comprendre « gauchiste ») du parti, mais aussi parce qu’il fallait éviter par exemple que Kamala Harris, dont la désignation comme colistière quelques jours avant la convention, avait été un événement symbolique fort, ne lui vole la vedette (parce qu’elle est dotée d’un fort charisme, parce que de fait elle sera bien placée en 2024 pour devenir présidente si Biden, qui a un temps déclaré ne vouloir faire qu’un seul mandat de « transition » vers la nouvelle génération, est élu, etc.).

En pratique, les démocrates ont su savamment dosé la mise en avant du choix de Kamala Harris sans en faire trop et en laissant à sa place de colistière, elle-même se tenant à sa juste place. La convention en mode virtuel a sans doute contribué à cette impression : dans une convention traditionnelle, il n’est pas impossible que le comportement et les activités de Kamala Harris aient été au moins aussi scrutés que ceux de Biden.

Dernier message, parfaitement articulé avec les précédents : Joe Biden a rassemblé tout le parti, et même au-delà, autour d’un programme ambitieux mais raisonnable.

L’exercice était périlleux à double titre : d’abord parce qu’il s’agissait de maintenir un savant équilibre entre les signaux envers l’aile gauche du parti et envers l’électorat modéré. La première journée de la convention avait donné le ton, faisant intervenir Bernie Sanders d’une part, et des républicains ralliés à Biden (dont l’ancien gouverneur de l’Ohio John Kasich) : Joe Biden n’est pas trop à gauche, mais il l’est suffisamment.

Il s’agissait aussi, pour rassembler une coalition suffisamment large et espérer par exemple rallier des déçus de Donald Trump ou récupérer les fameux « Obama-Trumpers » (les électeurs d’Obama s’étant tourné vers Trump en 2016), montrer une volonté de réconciliation de l’Amérique et ne pas trop entrer dans le jeu – que cherche à installer Donald Trump, on y reviendra, mais qui correspond aussi aux aspirations d’une partie des mouvements sociaux progressistes qui rêvent d’en découdre – de la polarisation et de la rhétorique de l’affrontement entre deux Amériques que tout opposerait.

D’où à nouveau un équilibre subtile des interventions entre Biden (et son épouse Jill) appelant à la réconciliation des américains et à l’unité, tandis que d’autre figures (Sanders mais aussi Michelle Obama) insistaient sur la nécessité de combattre les idées rétrogrades des conservateurs, tout en veillant on l’a dit, à ne pas stigmatiser les électeurs de Trump en 2016.

Là encore, le discours de Barack Obama (qui aura décidément joué un rôle important dans cette convention, sortant définitivement de son attitude un peu en retrait adoptée pendant la primaire démocrate , quitte à faire des entorses à la tradition selon laquelle les anciens Présidents n’attaquent pas le Président en exercice), aura été important pour définir la doctrine démocrate en la matière.

Si républicains et démocrates ont des divergences idéologiques qui doit être l’objet du combat politique, ils partagent normalement des valeurs communes démocratiques. Or, Donald Trump et ses affidés ont foulé au pied ces valeurs. Voter Biden, c’est donc d’abord replacer ces valeurs démocratiques comme centrales et trans-partisanes, dans le respect des divergences idéologiques, et c’est une priorité qui doit dépasser le seul camp démocrate.

« [Joe Biden et Kamala Harris] croient que dans une démocratie, le droit de vote est sacré et que nous devons faciliter, et non compliquer, l’acte de voter.

Ils croient que personne – et cela inclut le Président – n’est au-dessus des lois et qu’aucune personne de l’administration – et cela inclut le Président, ne doit utiliser son poste pour s’enrichir ou enrichir ses soutiens.

Ils comprennent que dans une démocrate, le « commandant en chef » n’utilise pas les militaires, qui sont prêts à risquer leur vie pour protéger notre nation, comme des agents politiques pour les déployer sur notre territoire en face de manifestants pacifiques.

Ils comprennent que leurs opposants politiques ne sont pas « des non américains » juste parce qu’ils ne sont pas d’accord avec eux ; que la liberté de la presse n’est pas un « ennemi » mais une façon de rendre les décideurs redevables ; que notre capacité à joindre nos efforts pour résoudre des crises comme une pandémie suppose de s’appuyer sur les faits, la science et la logique et pas de raconter des histoires.

Rien de tout cela ne devrait être controversé. Cela ne devrait pas être des principes républicains ou démocrates. Ce sont des principes américains. Mais aujourd’hui, le Président et ceux qui travaillent pour son compte ont montré que ne croient pas dans ces principes. »

Barack Obama, dans son discours prononcé depuis le Musée de la révolution américaine de Philadelphie le 19 août.

Quant à l’unité du parti, sur laquelle Biden a longuement travaillé une fois sa victoire acquise en mars dernier, elle a été parfaitement orchestrée tout au long de la convention.

On a vu ainsi quasiment tous les prétendants sérieux à l’investiture démocrate prononcer un discours à un moment ou un autre de la convention et ils ont même été réunis dans un panel dans lequel chacun devait raconter une anecdote sympathique sur Biden, afin de bien montrer que tous les courants étaient désormais unis derrière le candidat. Chacun jouait un rôle bien défini : Pete Buttigieg6Dont le ralliement début mars avait déclenché le rassemblement du camp modéré derrière Biden. pour rappeler l’importance de la politique pour faire avancer la lutte contre les discriminations, Michael Bloomberg, on l’a dit, pour tirer à boulets rouges sur les prétendus qualités de businessman de Trump, etc. Surtout les leaders de l’aile gauche du parti, Bernie Sanders et Elizabeth Warren ont soutenu sans réserve Joe Biden, le ton résolument engagé du premier contrastant avec celui de son discours lors de la convention d’investiture d’Hillary Clinton il y a 4 ans.

Derrière cette unité fortement affichée, certains ont cependant décelé des petits accrocs : la faible représentation des latinos – et notamment l’absence du prétendant à l’investiture Julian Castro (il faut dire qu’il avait été très dur avec Biden lors des débats de l’automne, insinuant ainsi que l’ancien vice-président était sénile…) – a été critiquée et présentée comme une occasion perdue de séduire un des rares électorats dans lequel Biden réaliserait, selon un sondage réalisé il y a quelques semaines les sondages actuels, un score inférieure à celui d’Hillary Clinton il y a 4 ans.

Surtout, certains ont pointé la faible représentation des nouvelles têtes, en particulier des jeunes progressistes dans les intervenants. Pourquoi donner un temps de parole aussi important à Bloomberg ou à des transfuges républicains comme Colin Powell, voire même à Bill et Hillary Clinton ?

S’il s’agissait, on l’a dit, de rassurer les électeurs par rapport aux attaques du camp Trump selon lesquelles Biden serait aux mains de l’aile gauche radicale du parti, on a senti une certaine frustration au sein des mouvements progressistes et des jeunes démocrates, sans doute également conscients qu’ils auraient mieux fait entendre leur voix – y compris en huant certains des orateurs précités ! – lors d’une convention traditionnelle avec discours en public.

Dans le même ordre d’idée, la convention démocrate a été critiquée comme étant trop axée sur Trump et sur la personnalité de Biden et insuffisamment sur le fond et les propositions du candidat Biden, certains y voyant là encore soit une manifestation du manque d’ambition de la candidature Biden, soit la trace d’une unité seulement de façade et fragile dont le ciment est d’abord la volonté de battre Donald Trump.

Ces reproches sont cependant assez durs avec Joe Biden, dans la mesure où les propositions de fond ont constitué une partie importante de son discours – Bernie Sanders avait aussi joué le jeu en insistant dans le sien dans les propositions de l’aile gauche du parti endossée par Biden, sur le salaire minimum par exemple.

Citant les quatre crises de fond que le pays devait résoudre – la question raciale, le changement climatique, la crise sanitaire et la crise économique –  Biden a ainsi notamment réaffirmé sa volonté d’améliorer le dispositif d’assurance santé en allant plus que l’Affordable Care Act adopté pendant la présidence Obama7Le fameux ObamaCare., mais aussi endossé explicitement le principe d’une hausse des impôts pour les plus riches.

Ces reproches sur le peu d’importance donnée dans la convention démocrate à la présentation de la plate-forme électorale du parti se sont en réalité très vite éteints quand le parti républicain a annoncé, à la veille de l’ouverture de sa propre convention, qu’il ne présenterait pas de plate-forme de campagne en 2020 !

Le parti a bien manifestement essayé de réactualiser la plate-forme de 2016 mais a finalement considéré qu’une liste de 50 points très succincts produite par l ‘équipe de campagne de Trump constituerait l’agenda du Président pour son deuxième mandat

On se gardera bien d’en conclure que l’élection 2020 n’est pas politique et se jouera uniquement sur les personnalités des deux candidats. Si les deux candidats ne manqueront pas de pointer les défauts et faiblesses de leur adversaire, l’élection se tiendra aussi largement sur un terrain idéologique : dans le discours prononcé devant la convention républicaine, le président Trump n’a cessé d’opposer son bilan (et ses objectifs pour son deuxième mandat) au programme de Joe Biden.

Car, à l’image du message principal porté par Biden et les démocrates (« un deuxième mandat serait une catastrophe pour les Etats-Unis »), le message numéro un des républicains pendant la convention qui s’est déroulée du 24 au 27 août a été clair : si Biden est élu, ce sera le chaos, la fin de l’Amérique et l’avènement du socialisme et du communisme aux Etats-Unis.

Donald Trump, qui n’a cessé de chercher à « troller » la convention républicaine, furieux qu’il était de voir son adversaire faire la une des médias (il a multiplié les déplacements toute la semaine et s’est invité sur Fox News pour une interview exclusive par son présentateur préféré Sean Hannity, le soir même du discours prononcé par Joe Biden), avait déjà dévoilé son message le 21 août juste avant le début de la convention républicaine.

« Je suis le seule rempart entre le rêve américain et l’anarchie totale, la folie et le chaos ».

Donald Trump à Arlington le 21 août

Ce message a été martelé pendant 4 jours sous différentes formes, parfois de façon particulièrement virulente sur la forme – par une des belle-filles du Président, notamment – ou grossièrement caricaturale (pour ne pas dire fantaisiste ou complotiste quand un exilé cubain a expliqué que Joe Biden, comme Fidel Castor en son temps, cachait ses projets marxistes derrière un catholicisme de façade).

Cet angle d’attaque envers Joe Biden paraît surprenant, tant le nominé démocrate a une image de modéré ou de membre de l’ « establishement » et non de révolutionnaire. Les orateurs, le Président en tête, n’ont bien sûr pas manqué de rappeler que Joe Biden est élu au Sénat depuis 1972 et qu’il serait étonnant qu’il mène toutes les réformes annoncées après n’avoir rien fait depuis 40 ans. Mais ces piques étaient négligeables par rapport au discours selon lequel Biden mènerait à coup sûr une politique gauchiste.

De fait, il apparaît difficile de dénoncer à la fois Biden comme le représentant de l’establishment et des « do nothing democrats » (expression régulièrement utilisée par Trump depuis le début de son mandat, mais un peu mise de côté récemment) et comme un dangereux révolutionnaire. C’est la seconde option que Trump a choisi pour l’instant, même si elle apparaît finalement plus difficile à vendre que la première.

Certains observateurs ont non sans ironie et pour accréditer l’idée que l’équipe de campagne de Trump est désorganisée et dépourvue de stratégie rationnelle, émis l’idée que le camp Trump avait tellement anticipé – ou souhaité ? – que le nominé démocrate serait Bernie Sanders qu’ils ont simplement plaqué sur Biden, en l’adaptant à peine pour présenter Biden comme le « cheval de Troie » de l’aile gauche du parti8Expression utilisée par Trump et son vice-président dans leurs discours respectifs., les arguments préparés pour affronter un candidat se revendiquant explicitement comme progressiste.

Davantage que cela, c’est plutôt que la menace du péril rouge ou de l’anarchie est un classique des conventions républicaines et un excellent axe de communication pour mettre en avant le socle de valeurs du parti républicain et mobiliser son électorat.

Car lorsque les orateurs ont détaillé les risques d’une arrivée au pouvoir de Biden, ils ont mis en avant des thèmes de prédilection du parti républicain. En premier lieu, le risque pour l’économie de voir le programme économique démocrate être mis en œuvre (par exemple, crainte d’un interventionnisme excessif et des hausses d’impôts, qui menaceraient la reprise économique). Mais ce sont surtout les menaces sur le « mode de vie américain », c’est-à-dire sur la liberté d’expression menacée par la censure, la liberté religieuse, le droit de porter des armes, etc., qui ont été mises en avant.

Enfin, la question du laxisme des démocrates face aux débordements des manifestations « Black Lives Matter » a été un fil rouge de la convention, accentué par le regain du mouvement – et des violences – suite suite à une nouvelle très grave bavure policière à Kenosha dans le Wisconsin (une vidéo amateur diffusée le 24 août montre un policier tirant sept balles dans le dos, à bout portant, à un père de famille, Jacob Blake, manifestement inoffensif en train d’entrer dans sa voiture, dans laquelle se trouvaient trois de ses enfants).

On pourrait multiplier les citations des orateurs, mais on se limitera à conseiller la lecture des discours des deux fils du Président, Eric et Donald Junior, et de citer Donald Trump lui-même, et son vice-président Mike Pence. Car si Trump et sa famille parlent directement aux « Trumpistes », Mike Pence sert (comme il peut) de caution et de bonne conscience à toute une frange de l’électorat républicain conservateur traditionnel qui continue à soutenir Donald Trump. Et s’il n’est pas un grand orateur, c’est au moins un homme politique sérieux et bien préparé dont le choix des mots est loin d’être innocent.

« La gauche radicale pense que le gouvernement fédéral doit se mêler de tous les pans de vie pour corriger ce qu’ils considèrent comme erronés. Ils pensent que le gouvernement fédéral doit dicter comme nous, américains, devons vivre, travailler, élever nos enfants – et, à travers ça, nous priver de notre liberté, notre prospérité, notre sécurité. Leur programme, c’est le contrôle par le gouvernement. Le notre, c’est la liberté. […]

Le choix proposé dans cette élection n’a jamais été aussi clair, et les enjeux jamais aussi importants. Ce n’est pas tant de savoir si les Etats-Unis seront davantage conservateurs ou davantage libéraux, davantage républicains ou davantage démocrates. L’alternative dans cette élection, c’est : est-ce que les Etats-Unis restent les Etats-Unis.[…]

Le Président Trump a mis, dès le premier jour de son mandat, notre nation sur la voie de la liberté et des opportunités. Joe Biden mettrait les Etats-Unis sur le chemin du socialisme et du déclin. »

Mike Pence, le 26 août

« Cette élection va déterminer si nous sauvons le rêve américain ou si nous laissons un programme socialiste démolir notre précieux futur. Elle déterminera si nous créons rapidement des millions d’emplois bien payés, ou si nous détruisons nos industries et délocalisons ces emplois, comme cela a été fait de façon absurde depuis des années. Votre vote dira si nous protégeons les américains qui respectent la loi, ou si nous laissons libre cours aux anarchistes violents, aux agitateurs, aux criminels qui menacent nos concitoyens. Et cette élection déterminera si nous défendons le mode de vie américain ou si nous laissons un mouvement radical le détruire complètement. »

Donald Trump, lors de son discours prononcé en clôture de la convention du parti républicain, le 27 août

Dans la lignée de ceux qui ont présenté dès le premier jour de la convention comme le « garde du corps de la civilisation occidentale »9Expression utilisée par Charlie Kirk, leader d’un think tank ultra-conservateur pro-Trump, Turning Point USA à la communication d’une grande subtilité. – on aura aussi noté que le Président n’a pas hésité à présenter, comme il le fait souvent, les Etats-Unis comme le « flambeau qui illumine le monde entier », les différents discours de la convention républicaine ont bien mis en lumière que cette Amérique que le Président serait le seul à pouvoir protéger, c’est l’Amérique du droit au port d’armes, c’est l’Amérique où la liberté religieuse est primordiale surtout quand on est chrétien, c’est l’Amérique des valeurs chrétiennes conservatrices du point du vue sociétale, c’est l’Amérique qui refuse de faire son auto-critique sur l’esclavage ou la ségrégation (le fameux « heritage » qu’on pourrait traduire par « patrimoine national »). Bref c’est l’Amérique blanche, chrétienne et conservatrice, dans laquelle les minorités n’ont pas voix au chapitre.

Une intervention a d’ailleurs particulièrement frappé les observateurs : celle d’un couple (les désormais célèbres Mark et Patty McCloskey , qui avaient fait la une des médias il y a quelques semaines après avoir brandi des armes à feu au passage d’un défilé « Black Lives Matter » à Saint Louis dans le Missouri, puis à nouveau après qu’ils eurent été poursuivis dans ce cadre) et qui symbolise désormais, pour l’ultra-droite, le droit d’être armé pour se défendre et protéger ses biens. L’ensemble de leur intervention est glaçante mais une phrase a particulièrement retenu l’attention : « Si nous n’avons pas de sécurité dans nos quartiers, nous ne pourrons jamais construire un futur meilleur pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour notre pays ».

Alors que la veille un policier tirait à bout portant sept balles dans le dos de Jacob Blake debant trois de ses enfants, et que deux jours plus tard un adolescent blanc de 17 ans tuait deux manifestants sans que la police présente sur place ne cherche immédiatement à l’interpeller, et alors qu’aucun orateur de la convention républicaine n’aura mentionné Jacob Blake, George Floyd, ou prononcé l’expression « Black Lives Matter »10A l’exception de Rudy Giuliani, ex-maire de New York et désormais avocat et conseiller occulte de Donald Trump… pour assimiler le mouvement qui porte ce nom aux anarchistes et autres anti-fascistes., on a bien compris que la possibilité de construire un «futur meilleur » ne concernait pas tout le monde aux Etats-Unis.

Certes, tout au long de la convention et notamment lors de la première soirée, des afro-américains (le seul sénateur afro-américain républicain, le procureur général du Kentucky, une ancienne vedette du football américain, une afro-américaine ayant été libérée de prison suite à une réforme de la justice votée sous Trump11C’est déjà elle qui avait été mise en avant dans le spot de campagne diffusé pendant la mi-temps du Superbowl et donc regardé par 100 millions d’américains., etc.) sont venus apportés leur soutien à Donald Trump et indiquer qu’il n’est pas raciste. La cérémonie de naturalisation présidée par le Président Trump, incorporée dans le déroulé de la première soirée de la convention, avait le même objectif.

Mais si le parti républicain a essayé d’insister sur le fait que lui aussi était divers, les observateurs n’ont pas manqué de remarquer qu’il y avait eu, comme lors des précédentes conventions, plus d’afro-américains sur scène que dans la salle (en l’occurrence dans le public des discours du Président et de son vice-président) !

Plus qu’une tentative de séduction de l’électorat afro-américain, il s’agit davantage de donner bonne conscience à une partie de l’électorat blanc conservateur (par exemple chrétien) qui n’aime pas être accusée de racisme ou qui répugnerait à voter pour un Président ouvertement raciste.

Plusieurs intervenants ont d’ailleurs reproché aux démocrates de considérer que tous les américains étaient racistes (cf. par exemple le discours de Nikki Haley, ex-gouverneure de Virginie et ambassadrice auprès des Nations-Unies, indiquant que « au sein de la majorité du parti démocrate, il est tendance de dire que les Etats-Unis sont racistes. C’est un mensonge. Les Etats-Unis ne sont pas un pays raciste. ») ou que les américains sont les premiers responsables des difficultés rencontrées par le pays.

Ils s’en sont offusqués, dénonçant un mépris pour les citoyens ordinaires et une volonté de faire taire les américains qui ne partagent pas leur idéologie libérale en les accusant d’un terme définitivement disqualifiant.

On peut y voir une tentative de reproduire le scénario de 2016, lorsqu’en traitant les électeurs prêts à voter Trump de « pitoyables » (en anglais « deplorable »), Hillary Clinton avait en réalité excité encore plus leur volonté de se faire entendre. Cette année encore, Trump semble vouloir jouer sur ce type de ressort, en dénonçant les messages négatifs des démocrates sur la situation des Etats-Unis (en faisant comme si ceux-ci accusaient chaque américain de tous les maux du pays), dans une volonté manifeste d’exciter le patriotisme de ses concitoyens.

Dans les faits, Joe Biden n’a jamais déclaré que tous les américains étaient racistes, mais plutôt dénoncé le racisme systémique ou, s’agissant des policiers, les moutons noirs. Mais il est évidemment tentant de dire aux électeurs conservateurs ou hésitants : « voulez-vous vraiment voter pour quelqu’un qui vous traite de raciste et qui ne cesse de critiquer votre pays ? ».

« Pendant la convention démocrate, Biden et son parti ont inlassablement dépeint les Etats-Unis comme une terre d’injustice raciale, économique et social. Ce soir, je vous pose donc une question très simple : comment le parti démocrate peut-il prétendre diriger notre pays quand il passe tant de temps à le décrier ? »

Donald Trump le 27 août

Et c’est là une autre caractéristique de cette convention républicaine : les intervenants ont très régulièrement asséné des contre-vérités, des informations biaisées, des accusations infondées, et détourné ou réinterprété les déclarations des démocrates, etc12Le service de fact checking du New York Times a ainsi fonctionné à plein régime tout au long des quatre soirées, comme il l’avait fait pendant la convention démocrate. Mais quelle est la part de l’électorat sur laquelle ces travaux peuvent avoir une influence ?.

Beaucoup de ces contre-vérités visaient évidemment à diaboliser les démocrates et Joe Biden : au-delà de l’accusation récurrente de vouloir implanter un régime « socialiste » (alors que Biden n’a bien sûr jamais repris à son côté l’expression « socialisme démocratique » revendiquée par Bernie Sanders), Biden a par exemple été accusé de vouloir couper les vivres aux forces de l’ordre bien qu’il n’est jamais endossé le slogan « defund the police ».

Les démocrates ont été aussi accusés de vouloir « abolir les banlieues résidentielles » (comprendre mener une politique de mixité sociale dans les banlieues blanches et ainsi mettre en danger les résidents blancs). En effet, Donald Trump mène une offensive depuis plusieurs semaines sur la question des banlieues résidentielles, après avoir constaté que le soutien que lui apporte théoriquement cet électorat s’effritait dangereusement au profit de son adversaire.

On aura aussi entendu que les démocrates veulent retirer la mention de Dieu dans le « pledge of allegiance » (le serment récité régulièrement dans les écoles ou dans les cérémonies officielles), ou interdire l’élevage pour lutter contre le changement climatique.

Mais c’est aussi au moment de décrire le bilan du Président et la situation du pays qu’on a une illustration du concept des « faits alternatifs » cher à Trump et ses affidés… et souvent l’impression que la convention républicaine parlait d’un autre pays que les Etats-Unis fin août 2020.

Car si le principal message républicain concernait l’adversaire du Président Trump, il était aussi nécessaire de dresser le bilan le plus positif possible du mandat en cours du Président. Pour contrer les accusations démocrates, sécuriser le soutien des électeurs de 2016 – et, notamment, comme l’ont malicieusement certains observateurs, pour rassurer le premier d’entre eux, i.e. Donald Trump lui-même, dont on connaît le narcissisme, éviter la fuite vers le camp démocrate des électeurs déçus mais aussi peut-être attirer de nouveaux électeurs chez les abstentionnistes de 2016, puisque le camp Trump estime qu’il existe encore parmi les abstentionnistes de nombreux américains correspondant au profil des pro-Trump.

Le bilan que Trump lui-même13Il y a consacré une grande partie de son discours, dans des passages qui ressemblait largement à son « discours sur l ‘état de l’union » prononcé en février dernier. et les différents intervenants ont fait de son mandat a donc été particulièrement embelli. En premier concernant la pandémie de coronavirus, finalement très peu abordée par les intervenants, si ce n’est pour dire d’une part que la Chine en étant responsable, d’autre part que le sujet était réglé14Le conseiller économique du Président Larry Kudlow a ainsi soigneusement veillé à parler de la crise sanitaire uniquement au passé.. La campagne Trump a également diffusé une vidéo (qu’on pourrait qualifier de montage tendancieux éhonté) mettant en avant les actions du Président pour gérer la pandémie.

La convention républicaine a aussi cherché à mettre en avant le bilan international du Président (en mettant en avant son ministre des affaires étrangères Mike Pompeo, mais aussi en donnant une place significative à Nikki Haley, ou à Richard Grenell, proche conseiller du Président qui a occupé quelque temps le poste d’ambassadeur à Berlin dont le discours a non seulement embelli le bilan présidentiel mais également repris les contre-vérités régulièrement relayés par Trump sur les ingérences dans la campagne électorale de 2016).

Il faut dire que, si on peut évidemment critiquer le contenu de la politique étrangère de Donald Trump, c’est un des rares domaines où le Président peut se targuer d’avoir globalement respecter ses promesses : pratiquant un mélange d’isolationnisme, d’unilatéralisme et de brutalité, les Etats-Unis ont brutalement défendu leurs intérêts notamment économiques et financiers, dénoncés des accords commerciaux et multilatéraux (accord de Paris, accord sur le nucléaire iranien), refusé de s’impliquer dans la résolution de conflits, etc.

Si on peut toujours douter de l’influence de ce bilan sur les électeurs, il permet aussi à Trump de mettre en avant sa relation très conflictuelle avec la Chine, ce qui tout à la fois lui donne l’opportunité de faire porter à cette dernière le chapeau de la crise et donc de se dédouaner du triste bilan américain de la pandémie, et de dénoncer la position trop conciliante, selon lui, de Biden vis-à-vis de la Chine (sans beaucoup d’éléments concrets à l’appui de cette thèse).

Enfin, le Président et ses soutiens ne pouvaient pas mettre de côté le bilan économique du mandat, dans la mesure où les compétences en matière d’économie restent le seul sujet sur lequel le Président a encore un petit avantage dans les sondages sur son rival démocrate.

Vantant les indicateurs économiques obtenus juste avant la crise sanitaire (et notamment en matière d’emploi pour les minorités), les intervenants se sont évertués à expliquer que la reprise était là, en s’appuyant sur l’excellente santé de la bourse de New York et sur le nombre records d’emplois créés ces trois derniers mois (qui restent loin de compenser les destructions d’emplois intervenues depuis le début de la pandémie).

Bien sûr, le Président a aussi promis que 2021 serait une année extraordinaire… Mais en insistant sur l’économie, Trump fait un pari risqué : celui qu’au moment de voter et de juger son bilan, les électeurs se souviennent de la situation pré-pandémie plutôt que de regarder la situation économique présente, et mise sur l’avenir plutôt que de regarder le passé…

Comme l’ont justement fait remarquer certains observateurs, ce pari n’est pas très surprenant de la part d’un Président qui a construit sa fortune en utilisant la législation américaine sur les banqueroutes qui lui permettait de liquider des affaires en mauvaise posture pour repartir de zéro sans laisser trop de plumes.

C’est sans doute parce que ce pari semble malgré tout très incertain que la bataille des valeurs semble avoir aujourd’hui pris le pas sur les arguments économiques, dont Trump imaginait début 2020 qu’ils constitueraient son meilleur atout de campagne.

Dernier aspect de la convention, la tentative finalement limitée de réhabiliter la personnalité de Donald Trump.

Certes la cérémonie de naturalisation de cinq émigrés ou la rencontre avec des « travailleurs essentiels » de la pandémie ont essayé de rendre le Président plus humain… sans grand succès tant l’incapacité de Donald Trump à avoir une conversation normale avec un citoyen ordinaire transparaît dans ces séquences.

On a aussi eu droit à une troisième soirée très féminine avec des intervenantes (souvent de la famille Trump…) venant expliquer combien Trump respectait les femmes et leur avait donné une place inédite dans son administration15Là encore, il s’agit d’un mensonge..

Mais au final, les interventions visant à rendre le Président sympathique ont été très limitées et même ses proches, très largement mis en avant (puisque trois enfants et deux de leurs conjoints faisaient partie des orateurs au programme), ont davantage insisté sur le bilan du mandat, ou le risque de voir arriver au pouvoir les démocrates, que cherché à humaniser Donald Trump.

C’est finalement Melania Trump, son épouse, qui a le mieux parlé de son mari et de ses qualités, dans une intervention très remarquée (alors que l’équipe de Trump indiquait que ce serait sa seule intervention de la campagne, les observateurs se sont d’ailleurs demandés pourquoi elle n’était pas mise en avant plus souvent, dans le mesure où elle a su apporté une touche d’empathie et de compassion qui manque au Président).

« Nous savons tous que Donald Trump ne cache jamais ce qu’il pense. Nous citoyens, avons besoin que notre Président soit totalement honnête. Qu’on apprécie ou pas, on sait toujours ce qu’il pense. Et c’est parce que c’est une personne authentique qui aime ce pays et ces habitants et qui veut continuer à le rendre meilleur. »

Melania Trump, le 26 août

En réalité, la formule de Melania Trump – tout comme finalement le recours limitée à la personnalité de la première dame pendant la campagne – illustre bien le fait que, même si les porte-paroles de son équipe de campagne et du parti avaient indiqué en amont de la convention qu’on allait voir Trump sous un jour plus humain, les républicains ont en réalité abandonné l’idée de rectifier l’image négative que porte la personnalité du Président – il faut dire que toute tentative pour redorer l’image du Président et pour le faire paraître raisonnable ou empathique ne manquerait pas d’être rapidement ruinée par une série de tweets….

Dans le même ordre d’idée, les organisateurs avaient annoncé qu’on verrait combien le Président bénéficiait d’un soutien large et divers, mais on a surtout vu sa famille et aucun des grands ténors du parti républicain pré-2016 – pas de George W. Bush, pas de Mitt Romney, candidat républicain battu en 201816Il ne souhaitait sans doute pas venir et il n’aurait pas été le bienvenu !, par exemple – preuve que Trump a bien pris possession de façon exclusive du parti.

De même, alors que la majorité au Sénat est en jeu, contrairement à un tradition bien établie, aucun des candidats républicains au Sénat confrontés à des (re)élections difficiles n’ont été invités à s’exprimer aux heures de grande écoute pour leur donner une plus grande visibilité, et donc légitimité, médiatique – ce ne fut pas le cas lors de la convention démocrate.

Au fond, puisqu’en 2016, Trump avait été élu avec un soutien très réticent des cadres du parti et de ses concurrents à la primaire et malgré des dérapages incontrôlés et des déclarations hallucinantes, ou peut-être justement parce qu’il n’était absolument politique correct, pourquoi chercher à rectifier son image ?

« Je reconnais que le style de communication de mon père n’est pas du goût de tout le monde et je sais que ses tweets peuvent paraître un peu trop sans filtre, mais les résultats parlent d’eux-mêmes. »

Ivanka Trump le 27 août, introduisant le discours de son père

Début 2020, plusieurs spots de campagne de Trump portaient le message suivant : « qu’on aime ou qu’on n’aime pas Donald Trump, il a tenu ses promesses et affiche un bilan extraordinaire.»

Compte tenu des difficultés traversées par les Etats-Unies depuis six mois, les républicains et les conservateurs ont été obligés d’adapter le message pour la convention républicaine, mais il n’en reste pas moins terriblement attristant et cynique : « Trump est un escroc insupportable, égoïste et narcissique, mais il est aujourd’hui le seul à pouvoir préserver les Etats-Unis des idées progressistes qui ruineraient notre économie et nos valeurs. »

Ainsi, chaque camp a avant tout cherché à dresser un portrait terrifiant des conséquences d’une victoire de son adversaire.

« le Président actuel a plongé les Etats-Unis dans les ténèbres depuis trop longtemps ; trop de haine, trop de peur, trop de division. Ici et maintenant je vous donne ma parole : si vous me confiez la présidence, je m’appuierais sur ce qu’il y a de meilleur en nous, et pas sur ce qu’il y a de pire. Je serai un allié de la lumière, pas des ténèbres. »

Joe Biden, le 20 août dans les premières phrases de son discours devant la convention démocrate

A l’issue de la convention démocrate, Donald Trump et son entourage avaient critiqué et même moqué Joe Biden pour avoir dramatisé à l’excès la situation et dépeint de façon très noire la situation des Etats-Unis.

Le Président disait ainsi dès le 21 août que « là où Biden voit des ténèbres américains, nous voyons la grandeur de l’Amérique ». Il a aussi dans son discours du 27 août balayé l’idée que Joe Biden puisse « restaurer l’âme de l’Amérique » – une des expressions favorites du candidat démocrate.

« Nos adversaires disent que votre rédemption ne peut advenir que si vous leur donnez le pouvoir. C’est le refrain usé utilisé par tous les mouvements répressifs à travers l’histoire.

Mais dans ce pays, nous ne comptons pas sur les politiciens professionnels pour notre salut. En Amérique, on ne se tourne pas vers le gouvernement pour retrouver notre âme. Nous nous en remettons à Dieu Tout-puissant. Joe Biden n’est pas le sauveur de l’âme de l’Amérique. Il est le fossoyeur des emplois américains, et si on lui en donne la possibilité, il sera le fossoyeur de la grandeur américaine. »

Donald Trump le 27 août

En réalité Donald Trump et les républicains ont eux aussi agité la peur et présenté une vision apocalyptique des Etats-Unis en cas de victoire démocrate et la métaphore un peu grandiloquente de Biden opposant la « lumière » portée par son projet de « restaurer l’âme de l’Amérique », c’est-à-dire sa volonté de sortir des crises par le haut en restaurant l’unité du pays, au projet sombre de celui de Trump qui se satisfait du statu quo d’une américaine divisée et inégalitaire, a plutôt été validée posteriori.

Et elle semble aussi s’appliquer à la campagne électorale elle-même. Car il est plus clair que jamais qu’on aura d’un côté un Joe Biden, qui fidèle à sa personnalité, mènera une campagne digne et décente, et de l’autre un Donald Trump, lui aussi fidèle à sa personnalité, prêt à mener une campagne ordurière et raciste, à souffler sur les braises des conflits sociaux et raciaux, à mentir autant qu’il le faudra et à faire appel aux sentiments les moins nobles de ses électeurs pour rester au pouvoir.

Les deux candidats ont expliqué que l’élection de novembre prochain était la plus importante de l’histoire des Etats-Unis, parce qu’elle déterminera dans quelle direction le pays se dirige. On partage leur avis en rajoutant qu’elle est aussi déterminante pour l’avenir du processus démocratique aux Etats-Unis. Car si une campagne comme celle que compte mener Trump triomphe à nouveau, on pourrait bien ne plus avoir de si tôt comme candidat à la présidence des Etats-Unis un homme ou une femme politique humaniste, raisonnable et digne.

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