Les conventions en temps de pandémie ou quand la forme se met au service du fond

Alors qu’il s’agit habituellement d’événements rassemblant dans un site unique plusieurs dizaines de milliers de militants qui assistent à une succession de discours, les règles de distanciation physique imposées par la pandémie de coronavirus ont obligé les deux partis à annuler les grands raouts initialement prévus et à imaginer des formats alternatifs.

Si les journalistes et observateurs politiques se sont lamentés dans un premier temps de se voir privés d’un événement qui rassemble toute la corporation et dont ils sont particulièrement friands, puisqu’il permet d’aborder toutes les stars des partis, d’essayer d’identifier les figures montantes de chaque parti1C’est par exemple en prononçant un discours lors de la convention de 2004 que Barack Obama avait commencé à se faire un nom au niveau national. (sans même parler de la profusion de ragots et de confidences off rendus propice par le vase clos des conventions), ils sont rapidement revenus sur ce premier jugement.

D’abord parce que le grand public semble avoir plutôt bien réagi à ces conventions tenues dans un format plus ramassé et donc moins ennuyeux (deux heures pendant quatre soirs de suite au lieu de quatre journées pleines de discours), avec une excellente audience pour les retransmissions télévisées.

Mais surtout parce que, obligés d’inventer un nouveau format, les organisateurs ont utilisé cette nouvelle marge de manœuvre pour que le format contribue aux principaux messages que chaque parti voulait véhiculer.

Les démocrates avaient un petit avantage parce qu’ils avaient décidé dès le printemps, compte tenu de la pandémie, que leur convention serait, au moins en partie, virtuelle et ont donc pu la préparer soigneusement la mise en scène, en parvenant à rendre sympathiques et conviviales certaines séquences malgré la communication à distance (comme par exemple le moment où le décompte définitif des délégués a permis d’officialiser définitivement l’investiture de Biden comme candidat du parti démocrate).

Affranchis de la contrainte du lieu unique, ils ont pu scénariser un certain nombre de séquences2D’autres ont semblé plus artisanales comme Bernie Sanders prononçant son discours devant ce qui était manifestement sa réserve de bois pour l’hiver, certes agrémentée d’un drapeau américain. en choisissant des lieux symboliques pour illustrer les propos tenus : c’est ainsi que Barack Obama a tenu son discours depuis le musée de la révolution américaine à Philadelphie pour marquer le danger que représente Donald Trump pour les institutions américaines3C’est déjà dans ce lieu symbolique qu’Obama avait prononcé son fameux discours sur l’état des relations entre les races aux Etats-Unis – discours connu sous le nom de « a More Perfect Union » – en mars 2008 pendant sa première campagne présidentielle., ou que Jill Biden, l’épouse du candidat démocrate, s’est exprimé depuis une école vide4L’enseignement continue très largement à être effectué à distance aux Etats-Unis., pour illustrer l’impact de la pandémie sur le quotidien des américains et les propositions portées par son mari en matière de garde d’enfants.

Le moment de bravoure a cependant été le « roll call » (nom donné à la séquence durant laquelle un représentant de chaque état annonce les résultats de la primaire tenue dans son état et le nombre de délégués accordés à chaque candidat). Alors qu’il s’agit d’habitude d’un exercice un peu fastidieux, il s’est transformé en un voyage à travers les Etats-Unis, chaque état ayant choisi un lieu symbolique et mis en scène une courte séquence vidéo : le résultat, très réussi, a été accueilli avec enthousiasme non seulement pour le côté divertissant5Le représentant du Rhode Island profitant de l’occasion pour remercier la gouverneure démocrate de l’état pour avoir aidé les pêcheurs locaux à surmonter les conséquences de la pandémie et faire la promotion du plat de calamars typique est évidemment devenu viral. et innovant, mais aussi parce qu’il permettait d’illustrer la diversité sociologique et notamment ethnique de l’électorat de Joe Biden, qui a fait de sa volonté de réconcilier les américains après une présidence Trump très clivante un de ses fers de lance.

Autre caractéristique majeure de la convention démocrate : le respect scrupuleux des règles de distanciation physique. Respect des distances entre le participants, port du masque dès que la mise en scène supposait un regroupement (pendant le « roll call » ou pendant la séquence de clôture de la convention réunissant Joe Biden, Kamala Harris et leur conjoint), tout était fait à la fois pour montrer combien le sujet est pris au sérieux par le candidat Biden, contrairement à son adversaire, mais aussi pour bien signifier que la crise sanitaire est loin d’être terminée.

Dans ce contexte, il n’y a eu aucune séquence en présence de public (si ce n’est le feu d’artifice tiré depuis le parking du lieu où Joe Biden a prononcé son discours). Cela a eu un bénéfice indirect important pour le candidat Biden. Alors qu’en 2016, les supporters de Bernie Sanders avaient largement fait entendre leur mécontentement en huant plusieurs cadres du parti6Certains considérant que tout avait été fait pour écarter leur candidat de l’investiture. et surtout en manifestant bruyamment leur mécontentement lorsque Sanders avait appelé à élire Hillary Clinton, aucun incident de ce type ne pouvait avoir lieu et rien n’a pu, visuellement, nuancer les démonstrations d’unité du parti démocrate derrière le candidat Biden.

Hillary Clinton a pu prononcer un (très bon) discours sans que cela ne remette au goût du jour les tensions de 2016. Les organisateurs de la convention ont aussi, sans risque d’afficher la moindre divergence, pu donner une place non négligeable à des orateurs républicains ralliés à Joe Biden, tel Colin Powell (s’il s’était déjà rallié à Obama en 2008 et 2012, il n’est pas certain que l’ancien Secretary of State de George W. Bush, qui avait défendu aux Nations- Unis l’invasion de l’Irak en 2003 en présentant des fausses preuves de la présence d’armes de destruction massive, n’aurait essayé des huées lors d’une convention normale…) ou à Michael Bloomberg, dont on imagine qu’il aurait sans doute été secoué par l’aile gauche du parti ou par les mouvements féministes7Il est accusé d’avoir régulièrement « acheté » le silence de collaboratrices qui l’accusaient de harcèlement sexuel ou de remarques sexistes..

A l’opposé, du côté républicain, plusieurs séquences se sont déroulées devant un public parfois important (comme pour les discours du vice-Président Mike Pence ou de Melania Trump) voire même très nombreux (1500 personnes pour le discours de Trump sur les pelouses de la Maison-Blanche), sans aucun effort pour introduire une distanciation physique minimale et avec une proportion infime de participants portant un masque.

Le Président avait dû renoncer, à son grand dam8Il avait multiplié depuis le printemps les tweetset les récriminations sur le sujet., à tenir une convention « normale » devant des milliers de militants dans la ville de Charlotte en Caroline du Nord, initialement choisie pour la convention (et où s’est néanmoins déroulé une partie des événements et notamment le « roll call »), suite au refus du gouverneur de Caroline du Nord d’autoriser un rassemblement géant. Le parti s’était rabattu sur Jacksonville en Floride, dans un état plus laxiste en matière de lutte contre la pandémie… mais qui a finalement à son tour dû interdire tout large rassemblement.

Donald Trump aura finalement eu ce qu’il voulait : un vrai discours devant une Maison Blanche illuminée, une foule acquise à sa cause et très enthousiaste, avec un gigantesque feu d’artifice épelant son nom à l’issue, etc. Bref, un super show comme il les affectionne et dont il a besoin pour entretenir sa confiance (et son narcissisme), et un événement très similaire à un discours d’investiture classique (si on fait abstraction du lieu, on y reviendra).

En réalité, tout a été fait pour que le contexte de pandémie dans lequel se déroulait la convention soit le moins visible possible et les organisateurs républicains ont essayé au maximum de rapprocher leur convention virtuelle d’une convention traditionnelle (le « roll call » s’est fait en personne, par exemple9Et les observateurs n’ont pas manqué de noter qu’il n’y avait pas vraiment de diversité dans les représentants choisis par chaque état.).

Mais, ils ont aussi profité, comme leurs homologues démocrates, du fait que toute la convention ne pouvait se tenir dans un lieu unique, pour agrémenter la succession d’interventions et de discours de séquences montrant le Président au travail à la Maison-Blanche avec une cérémonie de naturalisation de cinq émigrés (qui n’avaient pas été informés que ces images seraient utilisées pour la convention…) et une table-ronde avec des « travailleurs essentiels », comme pour bien rappeler qui est le Président en exercice et essayer tant bien que mal de contrer les critiques sur le manque d’humanité et d’empathie du Président.

L’utilisation de la Maison Blanche par le Président pendant la convention10Mélania Trump a également prononcé son discours depuis le jardin de la Maison-Blanche. a été vivement critiquée et a choqué les observateurs politiques, dans la mesure où il est de tradition que les Présidents en exercice candidats à la réélection distinguent leur activité de campagne de leur activité présidentielle.

Les experts ont également rappelé qu’une loi, le Hatch Act de 1939, prévoit explicitement le fait que les fonctionnaires relevant du pouvoir exécutif (à l’exception du Président et du Vice-Président) ne doivent pas participer dans le cadre de leur fonction à des activités politiques… La mise au disposition de la logistique de la Maison Blanche était donc problématique voire illégale.

Il est en de même d’ailleurs que la participation pour la première fois depuis 1945 du Secretary of State (i.e. ministre des affaires étrangères) Mike Pompeo. Car il est de tradition aux Etats-Unis, même si les sujets internationaux peuvent occuper une part importante du débat, de ne pas mêler les diplomates, et le premier d’entre eux, aux débats politiques en période électorale.

Mais l’intervention de Pompeo effectuée depuis Jérusalem avait un objectif politique clair : louer la politique étrangère du Président en exercice mais plus particulièrement mettre en avant la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israel et surtout comme une ville sainte pour trois religions, sujet hautement symbolique pour l’électorat chrétien évangéliste.

Si le mélange des genres est une spécialité de Donald Trump, notamment entre son activité présidentielle et ses affaires privées11N’a-t-il pas envisagé de tenir un G7 dans un de ses hôtels ?, et si on doute que les protestations puissent avoir un impact sur l’électorat, l’usage décomplexé des ressources de la Présidence à des fins électorales, à l’encontre des pratiques démocratiques habituelles, est venu rappelé à tout le monde et notamment au camp démocrate que le Président sortant est prêt à tout pour tenter de gagner et de renverser le cours d’une élection qui paraît aujourd’hui mal engagée pour lui.

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