41 millions de nouveaux inscrits au chômage depuis mi-mars. Un taux de chômage pour le mois d’avril 14,3% mais probablement aujourd’hui plus proche de 20 à 25%1Le chiffre de 14,3% correspond à la suppression de 20 millions d’emplois mi-avril, mais le nombre de demandes d’allocations chômage continue à augmenter depuis, à hauteur de 2 à 3 millions par semaine. S’ajouteront à cela plusieurs millions de jeunes diplômés qui devaient entrer sur le marché du travail en mai., c’est-à-dire le plus élevé depuis la grande dépression consécutive à la crise de 1929. Tous les emplois créés depuis 2009 pour remonter la pente de la crise des « subprimes » envolés en deux mois. L’effet sur l’emploi des mesures de distanciation physique prises par les gouverneurs de la très grande majorité des états américains pour faire face à la crise sanitaire du coronavirus a été extrêmement brutal et immédiat.
Le gouvernement fédéral et le Congrès ont bien essayé de parer au plus pressé en mobilisant en un temps record des moyens financiers très importants pour soutenir l’économie et essayer de prévenir les licenciements en octroyant, via le système bancaire, des prêts aux entreprises, non remboursables si les employeurs conservaient leurs salariés.
Les difficultés de mise en place de ce dispositif (la première enveloppe a rapidement été épuisée et ce ne sont pas forcément les entreprises les plus fragiles qui en ont bénéficié, certains employeurs avaient déjà licencié, etc.) n’ont pas permis de réellement stopper l’hémorragie, tout au moins en matière de perte partielle, temporaire ou définitive d’emploi2Toutes les personnes inscrites au chômage ne sont pas licenciées (au moins dans un premier temps) : certaines ont vu leur temps de travail diminuer ou ont été mises dans une situation assimilable au « chômage technique » (le terme utilisé aux Etats-Unis est « furlough ») pendant laquelle les salariés ne sont pas payés par l’employeur, peuvent (selon les règles d’éligibilité édictées par les états fédérés, qui sont compétents en matière d’indemnisation du chômage) accéder aux allocations chômage et gardent les droits liés à leur contrat de travail (et notamment la couverture santé)..
Selon une enquête effectuée mi-avril par la Kaiser Family Foundation, 55% des adultes américains qui travaillaient début février déclaraient avoir soit été licenciés d’un emploi3Ils ne sont pas alors nécessairement inscrits au chômage puisqu’ils peuvent avoir plusieurs emplois, ce qui expliquent l’écart entre ces chiffres et le taux de chômage supposé évalué à 20% à 25%. (26%), soit été mis au chômage technique (7%), soit perdu des heures de travail (21%), soit enfin avoir dû accepter une baisse de salaire (13%). Ces chiffres impressionnants sont cohérents avec d’autres études précédentes menées début avril4Cf. enquête de la Banque Centrale qui indique de son côté que près des 20% des adultes américains, soit 29% des adultes qui avaient en emploi en février 2020 avaient début avril perdu tout ou partie de leurs heures de travail, ou une étude du Pew Research Center publiée le 21 avrilqui indique que 43% des adultes américains déclaraient mi-avril (contre 33% fin mars) qu’au moins une personne dans leur foyer avait perdu tout ou partie de son salaire et de son emploi..
Si tous les secteurs économiques ont été plus ou moins touchés, la crise touche d’abord certains secteurs, certains types d’emplois et certaines catégories de la population, reflétant un marché du travail américain de plus en plus écartelé, pour résumer à grands traits, entre des emplois peu qualifiés dans les services et des emplois très bien payés occupés par des américains ayant un haut niveau d’éducation (voir par exemple la présentation des grandes tendances du marché du travail pré-pandémie par le NBER, un « think tank » réputé sur les questions économiques).
Selon les chiffres officiels, les 20 millions d’emplois supprimés mi-avril concernent d’abord les secteurs de l’hôtellerie – restauration (6,3 millions d’emplois supprimés en avril 2020), du commerce et de la distribution (2,1 millions d’emplois supprimés) du divertissement (1,3 millions d’emplois supprimés), du transport aérien, du nettoyage ou du gardiennage, des services à domicile, etc. Cela correspond largement au fait que les activités dans ces secteurs ont été suspendues et que la plupart d’entre elles ne sont pas « télé-travaillables ».
Or, ce sont des secteurs à faible revenu. Une étude de Mc Kinsey indique ainsi qu’un tiers des emplois aux Etats-Unis seraient mis en péril par la pandémie, et que 80% de ces emplois en danger sont faiblement rémunérés. Le ministère du travail confirmait en avril que plus de la moitié des 20 millions d’emplois de six secteurs les plus touchés par les mesures de « fermeture » de l’économie faisaient partie des 20% d’emplois les moins bien payés aux Etats-Unis5L’étude de la Kaiser Family Foundation précédemment citée fait un constat similaire : plus de 60% des foyers dont le revenu annuel est inférieur à 40 000 dollars ou compris entre 40 000 à 90 000 dollars ont perdu leur emploi ou une part de leur revenu, contre 38% pour les plus de 90 000 dollars.. Il a par ailleurs annoncé une hausse du salaire horaire moyen aux Etats-Unis de 7,5% en avril qui s’explique directement par la suppression de millions d’emplois à bas salaire.
Les emplois ou revenus perdus relèvent également de secteurs fortement marqués par la précarité, avec le développement constant des emplois à la tâche et de l’auto-entrepreneuriat (le terme utilisé aux Etats-Unis est « gig economy »)6On pourrait aussi citer les emplois dont une importante partie de la rémunération repose sur les pourboires : c’est en effet encore largement répandu dans les salles de spectacle, les bars et restaurants, etc. Les difficultés de définition rendent les chiffres très variables : le ministère du travail considère que la « gig economy » concerne 10% des travailleurs américains, alors que la banque centrale donne le chiffre de 30%. Une étude de Gallup de 2018 montre bien la diversité des situations et des perceptions des personnes concernées.. L’étude précitée de la Kaiser Family Fondation indique les américains payés à l’heure ou à la prestation ont été plus de deux fois plus touchés – i.e. ont perdu un emploi ou une partie de leur revenu – que les salariés (68% contre 30%).
Ce sont aussi des secteurs caractérisés par l’importance et le développement de la sous-traitance, dont les salariés reçoivent des revenus significativement plus faibles7Une étude de 2016 de l’Université de Berkeley montre ainsi qu’en Californie, entre 1980 et 2014, la part de la sous-traitance dans les emplois de gardien a doublé, tant qu’elle a augmenté de 50% pour les agents de sécurité. Dans le même temps le salaire des gardiens et agents de sécurité employés par des sous-traitants est inférieur de 20%..
Le directeur de la Banque Centrale Jerome Powell a d’ailleurs marqué les esprits en insistant le 13 mai sur l’impact sur les ménages les plus pauvres, en citant le chiffre selon lequel 40% des ménages dont le revenu est inférieur à 40 000 dollars par an auraient perdu un travail depuis février, et en appelant le Congrès et le Président à mettre rapidement sur pied un nouveau « paquet financier » de soutien des entreprises et des ménages.
On sait enfin que les secteurs les plus touchés concernent des catégories précises de la population et notamment les minorités8On sait aussi que la crise sanitaire a également davantage touché les minorités ethniques surreprésentés dans les emplois « essentiels » et en première ligne. et plus particulièrement les latinos, les jeunes et les femmes9Selon les statistiques officielles de 2019, les femmes représentent 78% des employés des services à domicile ou 73% des employés de magasin de vêtements (qui ont vu leur vente baisser de 89% depuis février), les latinos représentent 27% des emplois dans l’hôtellerie et la restauration (contre 18% du total des emplois).. Selon une étude du Pew Research Center, la part des foyers dont un membre a perdu tout ou partie de son revenu, estimée à 43% début avril pour l’ensemble des américains pour les faibles revenus, monte à 61% pour les ménages latinos.
Si le taux de chômage officiel à mi-avril est de 13% pour les hommes adultes, il est de 15,5% pour les femmes, de 27,4% pour les jeunes de moins de 24 ans, de 16,7% pour les afro-américains et de 18,9% pour les latinos.
Dans ce contexte, des dizaines de millions d’américains sont aujourd’hui en situation de grande vulnérabilité économique, la pandémie venant aggraver une situation déjà fragile pour de nombreux ménages, que cette situation soit liée à un travail précaire ou mal rémunéré ou au fait d’être éloigné du marché de l’emploi (si le chômage était estimé à 4% environ de la population active avant la pandémie, seuls environ 20% des adultes sans emploi cherchent un emploi et sont donc classés comme « chômeur »).
L’étude annuelle de la Banque Centrale sur la situation économique des ménages américains, indique que, fin 2019, 16% des adultes américains n’arrivaient pas à couvrir leurs dépenses avec leur revenus, que 13% ne sauraient pas comment faire face à une dépense imprévue de 400 dollars tandis que 30% ne pourraient pas financer 3 mois de dépenses en cas de perte d’emplois. Les études du Pew Research Center ou de Kaiser Family Foundation déjà citées donnent des ordres de grandeur équivalents et montrent déjà les premières conséquences des pertes de revenus liées à la pandémie, en rajoutant deux niveaux d’analyse : la fragilité est plus importante chez les latinos et afro-américains, et chez les américains ayant de faibles revenus.
Les conséquences de ces pertes d’emploi se font ainsi déjà sentir : difficultés pour payer les loyers, rembourser les prêts (même si un dispositif a été mis en place au niveau fédéral pour suspendre sans intérêt le paiement des prêts étudiants fédéraux10Qui représentent environ 90% de l’encours. jusqu’en septembre 2020 et si des dispositions initiées suite à la crise des « subprimes », existent pour protéger du risque d’insolvabilité), faire face à un problème de santé, files d’attentes saisissantes pour obtenir une aide alimentaire auprès des associations caritatives.
Au-delà de ces difficultés de court terme, la situation aura aussi des conséquences de moyen ou long terme sur les personnes aux chômages. Dans un modèle où ce sont les employeurs qui fournissent une partie des filets de sécurité (couverture santé, système de pension, congés maladies rémunérés, etc.), les « avantages » liés au contrat de travail (quand les personnes ne sont pas auto-entrepreneur, auquel cas ils doivent financer eux-mêmes leur couverture santé, un éventuel plan de retraite en complément du dispositif de retraite publique très limité, etc.) dans ces secteurs très concurrentiels et peu créateurs de valeur sont particulièrement réduits.
La sous-traitance permet de réduire les coûts, non seulement grâce à une éventuelle « efficacité » des sous-traitants, mais aussi en renvoyant à la société de prestation le coût des « avantages » comme la couverture santé ou la constitution d’un système de pension. Par un effet pervers du système, pour une grande entreprise finançant une même couverture santé à tous ses salariés et qui fait de la qualité de celle-ci un argument de recrutement pour les emplois relevant de son cœur de métier, le coût de cette dernière est proportionnellement nettement plus élevé pour les bas salaires : il devient alors encore plus intéressant de sous-traiter un maximum de tâches, notamment peu qualifiées, à des prestataires, lesquels pour être compétitifs auront tendance à limiter tous les « avantages » liés au contrat de travail11L’étude de 2016 de Berkeley déjà évoquée indiquait que 45% des gardiens et 32% des agents de sécurité employés par des sociétés de prestation n’avaient pas de couverture santé., ou de recourir à des auto-entrepreneurs..
Les personnes ayant perdu définitivement un emploi perdent donc par la même occasion la couverture santé associée (quand elle existe) ce qui peut avoir un impact sur leur proche eux-mêmes couverts par cette assurance. Ainsi, selon la Kaiser Family Foundation, 27 millions d’américains auraient perdu leur couverture santé depuis le début de la pandémie, ce qui s’ajoutent aux 28 millions qui n’avaient déjà pas de couverture santé avant la pandémie. S’ils peuvent souscrire aux dispositifs publics de couverture santé, en particulier s’ils vivent dans un état ayant mobilisé toutes les possibilités ouvertes par l’ObamaCare, la complexité administrative est énorme12L’étude de la Kaiser Family Foundation précitée montre le maquis dans lequel les personnes concernées doivent évoluer pour obtenir une couverture publique. et les dispositifs peuvent parfois être hors de portée du point de vue financier.
Les inégalités de santé vont donc également se creuser. Toujours selon la Banque Centrale, 25% des américains auraient renoncé en 2019 à des soins médicaux faute de pouvoir les financer. Selon une étude de 2015 de la National Academy of Science Ingeneering and Medecine, l’espérance de vie des 25% les plus riches des américains nés en 1960 est de 13 ans supérieure à celle des 25% les plus pauvres (l’écart n’était que de 5 ans pour les américains nés en 1930), ce qui reflète la pénibilité de ces emplois mais aussi un accès aux soins bien moindre.
Les dispositifs de soutien installés en urgence – création d’un congé maladie rémunéré13Cela n’existait que dans certaines entreprises, dans le cadre des « avantages » liés à certains contrats de travail, négociés avec les salariés, à l’image du système de retraite ou de la couverture santé., création d’un complément fédéral de 600 dollars aux allocations chômage attribuées par les états14Le dispositif d’assurance chômage n’est pas fédéral mais à la main de chaque état. Les écarts du durée et de montant maximums entre états sont significatifs : la Floride accorde une aide pour un maximum de 12 semaines et de 250 dollars par semaine, alors que – sans même parler du Massachussets dont les plafonds sont très éloignés des autres états – l’état de Wahsington peut aller jusqu’à 790 dollars pour 26 semaines., envoi d’un « chèque » de 1200 dollars par personne15Sous condition de ressource et avec un complément pour les enfants à charge. – ont mis du temps à se mettre en place, n’atteignent pas toujours ceux qui en le plus besoin et ne compensent que partiellement les problèmes rencontrés par ces américains16On reviendra sans doute sur les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics américains pour soutenir l’économie et les ménages dans une prochaine chronique..
Le Président Trump a beau mettre en avant les mesures de soutien et répéter que l’économie repartira aussi vite qu’elle s’est arrêtée, c’est-à-dire qu’on assistera à la fameuse « courbe en V », et que les emplois seront recréés très rapidement, cela relève plutôt du mantra et de l’espoir que la situation économique soit suffisamment sur la bonne voie au moins de novembre au moment de l’élection présidentielle.
Les économistes sont en effet beaucoup moins affirmatifs sur la capacité de l’économie à rebondir rapidement et sur une résorption rapide du chômage. Même si différentes enquêtes indiquent qu’environ 80% des américains ayant perdu tout ou partie de leurs heures de travail pensaient fin avril le retrouver rapidement17La proportion avait baissé entre fin mars et fin avril., la Banque Centrale et la plupart des économistes considèrent qu’un taux de chômage élevé devrait perdurer pendant au moins un an et qu’il faut plutôt envisager que la moitié seulement des chômeurs retrouvent leur emploi relativement rapidement quand l’économie redémarrera.
Car même si les difficultés économiques ne sont pas la conséquence de la mauvaise santé de l’économie mais le fruit d’un phénomène extérieur soudain et d’une décision « volontaire » d’arrêt d’une partie de l’économie – c’est l’argument mis en avant par Trump et ses alliés pour envisager une reprise et un rebond rapides : « il suffit de réenclencher la machine dans l’autre sens », les conséquences ont été brutales et les Etats-Unis n’ont pas pu mettre en place de dispositif tampon, comme il en existe en Europe par exemple avec le financement public d’une partie des salaires, pour atténuer les effets immédiats.
La hausse spectaculairement rapide du chômage et son impact brutal sur le revenu de plus de la moitié de la population poussent les spécialistes à tabler sur un impact fort sur la consommation. Les statistiques officielles divulgués mi-mai le confirment avec une baisse de 24% du chiffres d’affaires du commerce, de la distribution et de la restauration entre les mois de février et d’avril (avec des baisses y compris s’agissant des commerces de première nécessité ouverts pendant les périodes de « confinement » les plus strictes, et des hausses de chiffres d’affaires de la vente en ligne et du commerce alimentaire qui sont loin de compenser la baisse de la plupart des autres secteurs).
Les décisions d’allégements des mesures de fermeture de l’économie, intervenues depuis début mai, marquent d’ailleurs, plus que la certitude d’une maîtrise (ou d’un début de maîtrise) de la pandémie18En pratique, le nombre de cas continuent d’augmenter dans un certain nombre d’états, ce qui n’empêchent pas certains d’entre eux de continuer à autoriser progressivement de plus en plus d’activités., la volonté de nombreux gouverneurs, dans la sillage du Président et plus ou moins sous la pression d’une partie de la population, de mettre fin à la spirale infernale des pertes d’emplois qui entraînent des pertes de revenus lesquelles fragilisent la consommation, compliquent du coup la reprise économique et ainsi de suite.
Même s’il n’y pas de correspondance exacte dans la mesure où la situation sanitaire joue évidement un rôle dans ces décisions, on peut noter que les états dans lesquels les montants allocations chômage sont les plus faibles et/ou les durées de prise en charge les plus courtes (Missouri, Kansas, Floride, Alabama par exemple) font souvent partie de ceux qui ont cherché à redémarrer leur économie le plus rapidement19Alors que l’Ohio ou le Connecticut qui ont des dispositifs solides d’accompagnement des chômeurs ne lèvent que très progressivement les restrictions..
Mais comme ce sont aussi souvent ceux qui, en partie pour les mêmes raisons, ont tardé le plus à mettre en place des mesures de gestion de la pandémie, il n’est pas certain que la situation sanitaire soit sous contrôle et que les conditions pour une reprise sécurisée du travail soient réunies20Les difficultés rencontrées par le secteur de l’abattage / transformation de la viande en raison de la constitution de foyer de contamination parmi leurs employés, évoquées dans une précédente chronique, en témoignent : les contaminations continuent et la capacité à maintenir l’activité pourrait à nouveau se poser..
Par ailleurs, compte tenu des messages contradictoires diffusés par les autorités politiques nationales ou locales (le Président Trump et certains gouverneurs poussent les citoyens à reprendre une vie aussi normale que possible et se montrent optimistes sur la reprise économique comme sur la disparition de la pandémie ou la mise à disposition d’un vaccin dès l’été 2020, tandis que d’autres gouverneurs maintiennent des restrictions importantes et que le ministère de la justice soutient les contentieux intentés contre ces restrictions), les autorités sanitaires (qui alertent sur les risques d’une deuxième vague et d’un relâchement trop rapide des précautions collectives et individuelles et insistent par exemple sur le port d’un masque, pendant que le Président et les personnalités républicaines se refusent à les porter en public pour marquer le « retour à la vie normale ») et les économistes (qui annoncent plutôt une reprise lente et un chômage élevé pour de longs mois), la propension des citoyens ordinaires à sortir, consommer, prendre le risque de dépenser leur épargne, etc., constitue un énorme point d’interrogation.
Des enquêtes d’opinion récentes montrent que deux tiers des personnes interrogées estiment que le « retour à la normale » prendra au moins 6 mois et trois quarts d’entre eux craignent une deuxième vague21Les personnes interrogées se déclarant républicaines sont un peu plus optimistes mais plus de la moitié d’entre eux ne voient pas un retour à la normale avant 6 mois et craignent une deuxième vague, malgré les déclarations optimistes du Président Trump..
Après avoir indiqué dans un premier temps vouloir attendre le début du redémarrage de l’économie pour éventuellement faire voter un nouveau train de mesures22Le quatrième ou cinquième, selon les façons de compter, depuis mi-mars. de soutien de l’économie- et de relance, le leader de la majorité républicaine au Sénat Mitch Mc Connell et le Président Trump, semblent désormais convaincus de l’intérêt de ne pas trop tarder à agir. Sans évidemment reconnaître que la reprise pourrait ne pas aussi rapide que prévue, ils sentent bien qu’à trop attendre avant de prolonger ou renforcer certains dispositifs, ils pourraient accentuer le ralentissement de la consommation et donc de l’économie.
Mais le contenu de ce nouveau « paquet » devrait faire l’objet de débats beaucoup plus intenses et difficiles que les précédents, votés avec un sentiment d’urgence partagé par tout le personnel politique, qui injectaient massivement de l’argent dans l’économie via des dispositifs dont les grands principes ont rapidement été consensuels. Les tensions extrêmement fortes depuis le début de la Présidence Trump entre républicains et démocrates au Congrès, mises de côté provisoirement au début de la pandémie, sont de nouveau bien présentes.
Les républicains ont déjà indiqué que le Sénat ne reprendrait pas en l’état le projet voté par la majorité démocrate à la chambre des représentants le 15 mai. Les parlementaires républicains sont par exemple très réticents sur le prolongement des financements fédéraux d’allocations chômage ou le renforcement des mesures de soutien aux ménages (tels les dispositifs d’aide alimentaire), craignant que ces mesures ne dissuadent les américains de reprendre le travail.
Une des points de divergence emblématique est la reconduction au-delà des 4 mois prévus dans le « paquet » voté fin mars des mesures fédérales complétant les dispositifs habituels des différents états, et notamment du complément fédéral de 600 dollars apporté aux allocations chômage. Ce dernier était déjà jugé trop généreux par certains puisqu’il conduisait à ce que certains américains perçoivent des indemnités supérieures à leur salaire précédent, dans les états où les allocations sont les plus élevées par exemple, ou parce que les salaires dans certains secteurs sont très faibles. Au contraire, pour relancer au plus vite l’activité, le chef de la majorité républicaine au Sénat veut créer une « immunité » pour les employeurs pour empêcher les salariés de les poursuivre en justice en cas de contamination sur le lieu de travail.
Avec une analyse divergente des situations sanitaire et économique actuelles et à venir, et une approche idéologique différente du rôle des pouvoirs publics pendant une crise économique et des avantages et inconvénients des filets de sécurité23On reviendra un peu plus en détail dans une prochaine chronique sur les débats sur l’intervention publique en période de crise., le consensus sera difficile à établir. D’autant que démocrates comme républicains auront en arrière-pensée les élections générales qui se dérouleront dans moins de six mois, même s’ils jurent les uns comme les autres la main sur le cœur qu’il ne faut surtout pas politiser la pandémie.
Les démocrates n’ont guère envie d’aider le président ou d’être accusés d’avoir accepté un compromis sans apporter un soutien suffisant aux plus fragiles. Quant aux républicains, leur base électorale et les contributeurs à leurs campagnes électorales ne sont pas très friands de nouvelles dépenses massives du gouvernement fédéral, surtout essentiellement ciblées sur les ménages et non sur les entreprises.
Finalement, c’est peut-être Donald Trump, dont la « pensée économique », moins idéologique que pragmatique, est tournée en premier lieu vers le seul objectif de sa réélection, qui sera le facilitateur d’un compromis, comme il l’avait été pour le premier train de mesures en mars, pour montrer son action pour aider l’économie et les ménages américains (mais dans quel ordre de priorité ?). Quant à savoir si les mesures envisagées sont susceptibles de susciter la « courbe en V » tant espérée par le Président…