La gestion du coronavirus met à l’épreuve, aux Etats-Unis comme ailleurs, le caractère et les compétences d’homme d’état des dirigeants politiques. On a déjà dit ici que le Président Trump peinait au début de la crise à adopter une posture présidentielle classique. Mais, après quelques semaines de crise, et alors que le Président se met constamment en scène comme le « commander in chief » de la guerre contre le virus, ce sont désormais non seulement les problèmes de forme, mais aussi les questionnements sur ses qualités en matière de leadership et de gestion de crise qui apparaissent au grand jour.
Car Donald Trump a fait campagne et gagné en 2016 sur sa volonté de renverser la table et de bousculer l’« establishement » de Washington, en se mettant au diapason des angoisses d’une partie de la population américaine se sentant abandonnée face à la mondialisation ou l’immigration, mais aussi en mettant en avant son passé de businessman, de « smart guy » (pour reprendre son expression) qui prend les bonnes décisions et est un fin négociateur. Le Président s’apprêtait d’ailleurs à faire campagne sur ces mêmes thèmes en mettant notamment en avant son bilan économique comme preuve de ses qualités de businessman efficace.
Tout le monde n’avait bien sûr pas « acheté » cette présentation flatteuse en 2016 et nombreux sont ceux qui doutaient déjà (et doutent encore) de la réalité de sa réussite d’entrepreneur et de ses qualités d’homme d’affaires1Pour résumer les doutes exprimés à ce sujet : non seulement Trump doit d’abord sa fortune à l’héritage reçu de son père, mais surtout il l’aurait fait fructifier par des affaires opportunistes et parfois louches, en abusant des règles relatives aux faillites, bref en utilisant sans vergogne les lacunes du système – ce qui peut bien sûr être une forme de sens des affaires ! Au-delà, Trump n’ayant jamais rendu public ses déclarations d’impôts ni fait la transparence sur ces différentes sociétés, nombreux sont ceux qui continuent à douter de la réalité de sa fortune.. Mais ses partisans comme ses adversaires reconnaissaient au moins au Président une forme de leadership, certes inhabituelle et détonante (pour ne pas dire régulièrement affligeante ou écœurante) : d’une part, une capacité remarquable à percevoir les préoccupations des Américains ordinaires et à convaincre ces derniers qu’elles étaient aussi les siennes et, d’autre part, une capacité à bousculer les habitudes pour obtenir, non sans brutalité le plus souvent, des résultats.
Or, la réalité de ce que montre aujourd’hui le Président en période de crise est bien différente de son auto-portrait et ses failles en matière de leadership et de compétences apparaissent désormais au grand jour.
Le point le plus frappant est le fait que ce Président qui pourtant ne cesse de se présenter comme le leader et le chef de guerre, refuse d’assumer quoi que ce soit.
« Je ne suis absolument pas responsable [des difficultés rencontrées pour mettre en place massivement des tests]. »
Donald Trump, interrogé en conférence de presse le 13 mars sur le fait qu’il avait annoncé le 6 mars que tout le monde qui avait besoin d’un test pouvait en faire un.
On connaissait sa propension à chercher systématiquement des boucs-émissaires et il ne s’en prive pas aujourd’hui. Il a accusé à tour de rôle la Chine d’avoir caché le début de l’épidémie (même s’il a lui-même à plusieurs reprises loué l’action du Président Xi), les démocrates d’avoir perturbé la gestion de la crise en ayant mené une procédure d’impeachment au moment même où l’épidémie apparaissait (le Président s’est fendu d’une lettre bien dans son style au leader du parti démocrate au Sénat, rendue publique sur le site de la Maison Blanche, mais l’argument a vite été abandonné car il donnait surtout l’impression que le Président était trop focalisé sur l’impeachment pour gérer correctement les affaires du pays), l’administration Obama d’avoir mal préparé le pays2Alors que Trump lui-même a supprimé le bureau de suivi des pandémies, créé justement par Obama au sein du conseil national de sécurité en 2016 suite à l’épidémie d’Ebola., les gouverneurs d’exagérer leurs besoins et le manque de matériel et les mesures de distanciation sociale, certaines entreprises de manquer de patriotisme, et désormais l’Organisation Mondiale de la Santé d’être pro-chinoise.
On connaissait aussi sa capacité à travestir la réalité et à nier les problèmes et les erreurs, mais on ne l’imaginait quand même pas rejeter aussi explicitement qu’il a pu le faire à plusieurs reprises toute responsabilité, laissant les gouverneurs gérer la situation, tout en revendiquant le droit de leur demander des comptes, et en se targuant d’une gestion parfaite de la crise3On l’a ainsi vu, en réponse aux critiques sur sa gestion, projetait en conférence de presse une vidéo d’auto-promotion accumulant les séquences où son action est louée..
« Je suis pleinement responsable [des mesures prises]. Je l’ai dit aux élus locaux et je veux le dire à la population de l’état de New York : si vous êtes mécontents de ce que nous avons fait, soyez mécontent après moi. Ce n’est pas l’élu du conté qui a pris ces décisions, ce n’est pas le maire du village qui a pris ces décisions, ce n’est pas le maire de New York qui a pris ces décisions. J’ai pris ces décisions. »
Andrew Cuomo, gouverneur démocrate de l’état de New York, le 17 mars, à propos de la fermeture des bars, des restaurants et des lieux de spectacle.
Au-delà du contraste avec l’attitude de la plupart des gouverneurs, ce rejet des responsabilités remet aussi en mémoire pour les Américains le Président Truman, fameux pour avoir sur son bureau une petite pancarte avec la formule « The buck stops here », qu’on pourrait traduire par « la patate chaude s’arrête ici ».
On ne peut pas vraiment s’étonner du fait que le Président peine à s’impliquer dans la gestion d’une crise complexe avec des dimensions techniques. On le sait, Trump n’aime pas rentrer dans les détails, méprise l’administration, préfère se fier à son instinct qu’aux experts4Comme on le voit au début de cette vidéo…. Son créneau est plutôt de rencontrer les grands de ce monde, dont il se plaît à répéter qu’ils sont de « très bons amis », et dans le cas présent de s’afficher avec les grands patrons américains, tous des « amis », pour négocier leur participation à la lutte contre la pandémie.
Si on ajoute à cela son refus d’annoncer des mauvaises nouvelles, on comprend ce qui l’a amené à indiquer que les gouverneurs étaient responsables de l’aspect sanitaire et à leur laisser la main, pendant qu’il négociait l’implication du secteur privé dans la gestion de la crise et qu’il se concentrait sur la question des impacts sur l’économie.
L’idée était simple : les gouverneurs prennent les mesures désagréables de « confinement » et de fermeture de l’économie et décomptent les cas et les morts, pendant que le Président annonce les bonnes nouvelles (mesures de soutien de l’économie, mais aussi augmentation de la production de matériel médical par exemple) et surtout, le moment venu, la reprise de l’économie.
Le problème pour le Président est que cette vision simpliste n’est pas adaptée à la situation en cours5Et à aucune crise de cette ampleur probablement…. D’abord parce qu’à force de ne pas rentrer dans les détails et de douter des experts, et obsédé par l’idée d’annoncer des bonnes nouvelles, une partie des annonces ne se traduit pas concrètement (il annonçait mi-mars l’arrivée de vaccins ou de traitements dans les semaines à venir, ou le fait que tout le monde pourrait être testé dans les jours à venir…).
Trump a toujours fait des annonces sans suite sur de nombreux sujets, mais cette fois, même si le Président est omniprésent dans les médias pour exposer sa version des faits, louer ses propres actions et au besoin travestir la vérité sur la gravité de la situation, les Américains, pour beaucoup obligés de rester chez eux, voient aussi leurs gouverneurs, très présents dans les médiaux via les décrochages locaux de la plupart des grandes chaînes de télévision, détailler les actions concrètes entreprises, les difficultés rencontrées, etc. Ils exposent donc directement certains mensonges du Président. Et comme les téléspectateurs voient sans filtre les conférences de presse du Président et des gouverneurs, difficile d’accuser, cette fois, le « traitement médiatique » de la différence de fond et de forme.
Ensuite, le Président laisse entendre depuis plusieurs semaines qu’il lui suffit d’appuyer sur un bouton ou de claquer des doigts pour « rouvrir » l’économie. Or ce sont les gouverneurs qui ont adopté des mesures de restriction des activités. Et ils rejettent aujourd’hui catégoriquement l’idée que Trump ou le gouvernement fédéral, qui les ont laissés se dépêtrer dans le choix des mesures à prendre et n’ont à ce stade édicté que des recommandations, puissent décider à leur place. Le débat juridique sur les compétences du Président a fait rage quelques jours6Le Président et ses conseillers considèrent qu’il a tous les pouvoirs possibles en situation de crise. Les gouverneurs mettent en avant les attributions qui leur sont conférées par la Constitution. Sachant qu’évidemment, la situation exceptionnelle rentre mal dans les cases de la Constitution… mais il a rapidement été supplanté par la réalité.
Car tandis que le Président tardait à préciser son plan, les gouverneurs (en Californie7Notons que la Californie a été la première à agir début mars et à prendre des mesures strictes de restriction des activités, ce qui explique peut-être un bilan de décès très faible, par rapport à New York notamment. On imagine dès lors que le gouverneur et les maires de Los Angeles et San Francisco se félicitent de leur actions initiales et n’ont pas envie de rendre la main au gouvernement fédéral pour la suite. Le maire de Los Angeles a ainsi annoncé qu’il n’y aurait pas d’événement culturel ou sportif d’ampleur dans sa ville en 2020, coupant l’herbe sous le pied du Président qui veut convaincre les ligues sportives de reprendre rapidement les compétitions., dans l’Illinois, etc.) présentaient eux depuis quelques jours leur plan, c’est-à-dire les conditions préalables à la réouverture, les modalités pratiques, etc.
Les gouverneurs s’organisent aussi entre eux, notamment entre voisins pour prendre des mesures coordonnées et cohérentes : la coordination que le Président a refusée d’assumer à son niveau au moment des décisions à prendre pour contrecarrer la propagation du virus, les gouverneurs l’assure au travers de l’association nationale des gouverneurs. Celle-ci est présidée par le gouverneur du Maryland, qui a pris la pandémie au sérieux très vite et qui, parce qu’il est républicain, n’offre pas une cible facile pour Trump, d’autant qu’il s’est bien gardé de critiquer le Président et refuse catégoriquement de polémiquer et de politiser le sujet.
On retrouve dans les difficultés rencontrées par le Président pour annoncer un plan un autre trait de la gouvernance façon Trump : ne pas se préoccuper lui-même de l’intendance, mais ne pas vraiment déléguer, ni chercher à s’assurer que son entourage est suffisamment compétent et organisé pour gérer cette intendance.
Deux équipes travailleraient en parallèle à la Maison Blanche8Sans compter les électrons libres comme l’influent conseiller du Président sur le commerce et l’industrie Peter Navarro, qui donne publiquement son avis – contraire à celui des médecins qui conseillent le Président – sur les traitements médicaux, au motif qu’il a un doctorat… en économie. : celle du vice-président Mike Pence, qui s’efforce de gérer la crise de façon traditionnelle, et celle de Jared Kuchner, gendre du Président et conseiller spécial très écouté, aux compétences pour le moins discutables.
Quant à la « task force » chargée de travailler sur les conditions de reprise de l’économie annoncée par le Président début avril, on a finalement compris qu’il s’agissait de 200 dirigeants d’entreprises ou de grands institutions (comme le patron de la NBA ou de la ligue de football américain) que le Président allait appeler ou réunir en audio-conférence à partir de mi-avril9Dans un moment un peu surréaliste comme ses conférences de presse en comptent de nombreux, le Président a ainsi, avec une satisfaction manifeste, égrené le 14 avril une longue liste de chefs d’entreprise qu’il comptait appeler dans les jours à venir..
Dans le même temps, les accords avec le secteur privé annoncés régulièrement peinent à se concrétiser. L’application mobile que Google devait finaliser pour permettre un auto-diagnostic et flécher les cas potentiels vers des centres de tests en « drive-through » n’est pas opérationnelle. Les distributeurs s’étaient engagés à installer des « drive-through » de dépistage dans les parkings de leurs magasins : à peine une dizaine étaient en place dans tous les Etats-Unis mi-avril. La bonne volonté des industriels incités par le Président, sans avoir recours à la contrainte, à se lancer dans la fabrication de tests ou d’équipements médicaux est très variable, ce qui a entraîné des conflits ouverts avec certains, etc.
Le Président pensait pouvoir s’appuyer sur le secteur privé pour démontrer son leadership, mais aussi pour outrepasser les recommandations des experts de santé publique. Mais les grands patrons seraient en fait divisés et certains, inquiets d’un redémarrage mal préparé, ont déjà alerté le Président sur une certaine nombre de préalables nécessaires à la reprise de l’économie10On pense à Bill Gates – très écouté sur le sujet en raison de l’action de la sa fondation philanthropique dans la lutte contre les maladies émergentes. Gates a par ailleurs annoncé, après que le Président Trump eut annoncé le gel des financements américains octroyés à l’OMS, que sa fondation renforcerait son financement pour compenser en partie cette décision. Ou quand le leadership interantional américain n’est pas assuré par le Président des Etats-Unis mais par le secteur privé..
Le Président n’a donc qu’une influence concrète limitée sur la gestion de la crise. Il a d’ailleurs fini le 16 avril, non pas par annoncer une « réouverture » de l’économie, mais par diffuser des recommandations techniques très détaillées, émises par les « Centers for Disease Control and Prevention » (ou CDC), l’agence compétente en matière de santé publique, pour donner des orientations aux gouverneurs pour les prochaines étapes, tout en leur laissant totalement la main pour la gestion. Ses soutiens ont beau appelé cela le « plan Trump », ce sont bien les gouverneurs et eux seuls qui décideront.
Cela étant, dans un système fédéral comme le sont les Etats-Unis, il n’est ni anormal ni forcément gênant du point de vue des citoyens que le Président n’ait pas les pleins pouvoirs11Au-delà des questions de principe, nombreux sont ceux qui disent qu’il est en fait heureux que Trump n’ait qu’une influence limitée sur le gestion de la crise…. Les institutions prévoient au contraire un équilibre non seulement entre le niveau fédéral et les états, mais aussi entre le pouvoir exécutif et les pouvoirs judiciaire et législatif12On a déjà évoqué ici la question des risques de dérive autoritaire.. Le Président « commandant en chef » en période de crise n’est pas seulement là pour gérer concrètement la crise. Il a aussi un rôle symbolique : celui d’incarner l’unité nationale, de mobiliser tous les forces vives vers l’objectif de sortie de crise, etc.
Sur cet aspect, il n’est pas certain que le Président ait trouvé le bon ton. On connaissait son narcissisme13Qui ne pose pas que des problèmes symboliques puisque sa demande de voir son nom figurer sur les documents notifiant les aides accordés aux plus fragiles semble avoir retardé le versement de cette aide. et sa susceptibilité14Qui n’est elle non plus pas qu’un problème de forme, puisque critiqué par certains gouverneurs, il a laissé entendre qu’il ne souhaitait plus travailler avec ceux qui le critiquaient (en pratique, c’est Mike Pence qui a géré la relation avec les gouverneurs, dans l’intérêt de tous…). Plus grave, il est accusé, sur la base des différences de délais d’envoi des stocks fédéraux de matériel médical, d’avoir favorisé l’envoi rapide aux gouverneurs qui lui tressent des lauriers en permanence (comme le gouverneur de Floride, qui s’est très tardivement intéressé à la pandémie – on notera qu’il a inscrit les combats professionnels de catch dans les activités essentielles en Floride dès lors qu’ils se déroulent à huis-clos), au détriment des états démocrates. Cela reste à prouver mais cela rappelle étrangement ce qui lui était reproché lors du procès d’impeachment : avoir bloqué mi-2019 l’aide militaire à l’Ukraine tant que celle-ci n’annonçait pas l’ouverture d’une enquête pour corruption sur le fils de Joe Biden, qu’il voyait comme son potentiel adversaire pour l’élection présidentielle de 2020. On découvre de façon plus surprenante son total manque d’empathie, car on aurait pu penser que la compréhension du mal-être et de la frustration d’une partie des américains, sur lesquels il a surfé en 2016 pour être élu Président, reflétait un minimum d’empathie avec ces concitoyens.
Alors que le bilan sanitaire s’alourdit chaque jour et que les conséquences socio-économiques sont dès à présent dramatiques (22 millions de nouveaux inscrits au chômage en quatre semaines), Donald Trump ne parle que de lui, ou plus précisément que de ses performances : des notes qu’on devrait attribuer à sa gestion de la crise, de son bilan économique pré-crise, des scores d’audience de ses conférences de presse quotidiennes, de sa popularité sur Facebook15On se rappellera que lorsque les premiers cas de Covid-19 sont apparus, Trump avait déjà choqué en expliquant qu’il refusait de voir un bateau de croisière accoster parce qu’il ne voulait pas doubler le bilan des cas de coronavirus….
Un mot pour les personnes malades ou décédées et leurs proches ? Rarement. Au contraire, il s’amuse publiquement du fait que le sénateur Mitt Romney, ancien candidat républicain à la présidence battu par Barack Obama en 2016, se mette en quarantaine car potentiellement contaminé. Romney est en effet un ennemi personnel du Président depuis qu’il a osé voter en faveur de la destitution lors du procès d’impeachment en début d’année16On se souviendra dans le même genre de la visite du Président à Porto Rico après l’ouragan Maria, lors de laquelle ses déclarations minimisant l’impact et regrettant presque le coût pour le budget américain avait choqué. On mettait cela sur le compte du désintérêt total du Président pour ce territoire, sachant que les porto-ricains ne sont pas vraiment des citoyens américains et notamment ne votent pas lors des élections générales !.
Un mot pour les soignants ou les autres travailleurs essentiels ? A peine, noyé dans les considérations sur les grandeurs de l’Amérique qui va se relever plus forte que jamais17Le Président ne veille pas non plus à arrêter ses conférences de presse avant l’heure à laquelle les américains applaudissent les personnels de santé chaque jour.. Un mot pour les Américains licenciés brutalement et qui se retrouvent dans des situations très précaires ? Jamais. Le Président préfère signaler que la bourse a connu la plus grosse hausse (exprimée en points) de son histoire le 13 mars18Après avoir connu la veille la plus grosse chute de l’histoire… et avant une nouvelle chute record le lendemain. après qu’il eut déclaré que la pandémie était une urgence nationale ou marteler que l’économie va repartir très vite et revenir plus forte que jamais19Cela étant, les messages volontaristes et positifs résonnent probablement avec le tempérament d’une majorité d’américains, y compris ceux qui sont en difficultés..
De même, si le président en appelle régulièrement à ne pas politiser la pandémie, il ne peut se retenir de le faire lui-même en attaquant les gouverneurs alarmistes, les démocrates qui souhaitent garantir la tenue des élections dans de bonnes conditions, en soutenant et même en encourageant les manifestants qui commencent à protester contre les entraves aux libertés imposées par certains gouverneurs, etc.
On a aujourd’hui du mal à percevoir de la gravité dans l’expression du Président ou des messages d’appel à l’unité nationale, à l’esprit de sacrifice ou aux valeurs communes du peuple américain. Loin de chercher à rassembler le pays pendant la crise, le Président maintient en réalité largement sa stratégie de polarisation du pays.
Les observateurs et les médias ont bien cru percevoir à plusieurs reprises le « changement de ton » que tout le monde attendait, mais il s’agissait davantage d’auto-persuasion pour se convaincre que le Président allait enfin prendre correctement les choses en main… En effet, tout « changement de ton » est, quand il arrive, est immédiatement dévalué par une provocation, une critique violente, etc.
Comme si, dans un cycle recommencé chaque jour, le Président, après les réunions quotidiennes avec les experts, percevait la gravité de la situation et donnait le sentiment d’un début de prise de conscience dans son discours ouvrant chaque conférence de presse, avant que les questions agaçantes des journalistes puis les émissions du soir et du lendemain matin de Fox News ne fassent ressurgir son caractère provocateur et vindicatif…
Pendant ce temps, la plupart des gouverneurs adoptent un ton grave, refusent de polémiquer avec le président et de mordre à l’hameçon de ses provocations20Le 14 avril, accusé par Trump de « vouloir son indépendance » et d’être un « mutin », alors que lui-même a « tout fait pour lui », Andrew Cuomo a répondu calmement : « le Président cherche la bagarre. Mais la pire chose à faire dans la situation serait de verser dans les divisions politiques et l’affrontement partisan. La meilleure chose que nous avons faite depuis 44 jours c’est de travailler ensemble et de ne pas brandir nos bannières politiques, même si nous sommes dans une ambiance politique hyper-polarisée et même si nous sommes en année électorale. Je ne me lancerai pas dans l’affrontement. Il veut la bagarre, il ne l’aura pas avec moi. », tout en faisant preuve d’empathie et en parlant de leur expérience personnelle, ce qui plaît toujours au grand public américain. Andrew Cuomo, pourtant davantage connu pour son côté « tueur » en politique que pour son humanité, a nommé les recommandations applicables aux personnes âgées la « loi de Matilda » en utilisant le nom de sa mère, après avoir fait état de sa tristesse de ne pouvoir lui rendre visite et fait régulièrement référence, en bon italo-américain, aux réunions de famille organisées en vidéo-conférence, etc.
Bref, le Président n’use pas des recettes américaines habituelles dans ce genre de contexte. Recettes qui peuvent paraître excessives de l’extérieur, il faut bien le reconnaître, mais qui résonnent avec le tempérament et le patriotisme américains. On pense à l’attitude après le 11 septembre, de George W. Bush, ou un peu plus loin dans l’histoire, mais dans une crise dont l’impact ressemble par bien des aspects à celui du coronavirus sur le plan économique, à Franklin Roosevelt et ses fameuses causeries au coin du feu radiophoniques après la crise de 1929.
Rejet des responsabilités, recherche de bouc-émissaires, narcissisme, manque d’empathie, provocation permanente : Trump n’a jamais autant paru mériter depuis un mois le surnom de « pleurnicheur en chef », plutôt que le titre de « commandeur en chef ».
D’aucuns diront que tout ceci n’est finalement pas très surprenant et que ceux qui espéraient encore que Trump devienne un président normal étaient bien naïfs, comme l’étaient ceux qui voulaient lui laisser une chance au moment de son élection. Au-delà du fait qu’il est malheureux et peut-être dramatique que cette crise sans précédent arrive pendant le mandat du Président Trump, la question que tout le monde se pose est la suivante : alors que les Etats-Unis traversent une crise majeure, un Président en exercice aussi décalé peut-il vraiment être réélu ?