Débat sur les modalités pratiques des élections de novembre, ou quand le cynisme des pro-Trump franchit de nouvelles limites

Au-delà de l’impact évident sur l’arrière-plan économique et politique de l’affrontement en novembre prochain entre Donald Trump et Joe Biden1Qui sera, sauf coup de théâtre, le candidat démocrate, puisque Bernie Sanders a abandonné la course le 8 avril. pour être le Président américain pendant les 4 années à venir, l’épidémie de coronavirus pose des questions cruciales sur la capacité pratique à mener à bien correctement l’ensemble du processus électoral qui doit se dérouler en 2020.

Un report de l’élection présidentielle paraît difficilement envisageable compte tenu des dispositions prévues par la Constitution et les lois américaines2Un report nécessiterait une modification de la loi de 1845 qui fixe le jour de l’élection au premier mardi après le premier lundi de novembre, ce qui suppose un accord du Congrès – peu probable – validé par le président Trump, sachant que la Constitution prévoit de toute façon que le mandat du Président se termine le 20 janvier 2021 à midi – après cette date ce serait le président ou la présidente de la Chambre des représentants qui serait désigné président dans l’attente d’une élection.. La crainte de voir Donald Trump tenter de profiter de la situation exceptionnelle pour chercher à rester au pouvoir sans passer par les élections relève ainsi largement du fantasme. En revanche, les craintes relatives aux perturbations du scrutin en raison des mesures sanitaires de distanciation sociale sont légitimes.

Rappelons d’abord que le 3 novembre 2020 se déroulera non seulement l’élection présidentielle, mais aussi :

      • l’élection de l’ensemble de membres de la Chambre des représentants et d’un tiers des Sénateurs (les sénateurs sont élus pour six ans et renouvelés par tiers tous les deux ans), ce qui déterminera la marge de manœuvre du prochain président pour gérer les suites de la crise sanitaire et économique en cours et bien sûr pour mettre en œuvre son programme,
      • l’élection d’un tiers des gouverneurs (ils sont également élus pour six ans et renouvelés par tiers tous les deux ans) et des parlements de l’ensemble des états, alors que la crise du coronavirus a rappelé l’importance et l’étendue des pouvoirs détenus par les gouverneurs,
      • des referendums locaux, des désignations de magistrats des juridictions locales dans certains états, etc.

Premier problème posé par le coronarivus dans ce contexte : le processus de désignation par les partis des candidats investis pour briguer ces différents postes est en pratique suspendu. Dans certains états, la procédure peut difficilement être remplacée par des procédures virtuelles : certains états subordonnent par exemple l’éligibilité à la nomination ou à la candidature à la présentation d’un certain nombre de signatures de soutien3Par exemple, il convient de présenter 2000 signatures de soutien pour être candidat à l’investiture démocrate pour l’assemblée du Massachussets., en général obtenues via du porte-à-porte. L’impossibilité de faire campagne sur le terrain va ainsi probablement pénaliser les nouveaux venus et avantager les candidats déjà connus et notamment les candidats sortants.

De même, la capacité à lever des fonds, qui est déterminante pour mener campagne dans les médias et toucher, en l’absence de campagne officielle organisée, un maximum d’électeurs, est également perturbée : les dons de particuliers vont probablement se tarir compte tenu des difficultés économiques rencontrées par une partie de la population4Pour mémoire : en trois semaines, 17 millions d’Américains se sont inscrits au chômage, et le chiffre de 20% à 30% de chômage d’ici l’été est régulièrement avancé par les spécialistes tels un des directeurs de la Federal Reserve ou le Prix Nobel Joseph Stiglitz). Là encore, l’impact sera différencié selon les candidats et les caractéristiques socio-économiques de leurs soutiens. Dit autrement, les candidats progressistes pourraient davantage en souffrir (rappelons par exemple que les petits dons individuels ont largement financé la campagne de Bernie Sanders pour la primaire démocrate)5Au passage, soulignons que le processus électoral est un secteur économique en tant que tel, avec de nombreux emplois à la clé, et constitue une source de financement importante pour la presse locale. L’obligation de mener campagne « au ralenti » ou uniquement de façon virtuelle ne sera pas sans impact économique..

Mais le problème le plus préoccupant porte sur le déroulement pratique de l’élection elle-même. Il est impossible de dire à ce stade si les risques de contagion du coronavirus seront suffisamment réduits en novembre prochain pour permettre la tenue d’un vote présentiel dans des conditions normales.

Un certain nombre de voix s’élèvent donc pour réfléchir dès à présent aux modalités de vote susceptibles de ne pas mettre en péril la santé des électeurs et des scrutateurs (selon une étude du Pew Research Center, lors des élections de 2018, 58% des « poll workers »6Qui sont des volontaires rémunérés comme on les appelle étaient âgés de plus de 61 ans et 27% de plus de 71 ans…), tout en garantissant l’exercice du droit de vote pour un maximum d’électeurs.

Il est ainsi proposé notamment de généraliser le vote anticipé et le vote par correspondance, déjà prévus dans de nombreux états, dans des conditions plus ou moins contraignantes7Les états sont responsables de l’organisation des scrutins, cf. infra. (le vote par correspondance est même la modalité unique dans cinq états depuis 20208Dont l’état de Washington ce qui explique que cet état, pourtant un des premiers frappés par par le coronavirus de façon significative, ait maintenu ses primaires le 10 mars dernier. On peut trouver les informations détaillées sur la mise en place du vote par correspondance selon les états ici.).

Mais ces propositions ne font pas du tout l’unanimité et suscitent au contraire des échanges politiques acerbes entre les démocrates et les militants des droits civiques d’un côté, et les partisans du Président de l’autre. C’est que la question des entraves à l’exercice du droit de vote est un sujet très sensible aux Etats-Unis et un petit rappel historique s’impose mieux comprendre la teneur du débat en court.

Rappelons d’abord que les Etats-Unis sont une fédération et que les états sont responsables de l’organisation des élections, y compris pour l’élection présidentielle, puisqu’il s’agit d’une élection indirecte lors de laquelle les électeurs votent pour désigner les grands électeurs chargés de représenter leur état au collège électoral, lequel procède à l’élection effective du Président.

Chaque état décide donc de l’ensemble des modalités de vote : vote présentiel, par anticipation, par correspondance en cas d’impossibilité de se rendre aux urnes ou par commodité. Mais chaque état détermine aussi les justificatifs nécessaires pour l’inscription sur les listes électorales ou pour le vote en tant que tel, la localisation des bureaux de vote, les modalités de vote et de dépouillement9On se souvient de l’élection de 2000 et de la polémique sur l’usage en Floride des machines à trous et sur les bulletins décomptés nuls en raison des trous mal réalisés, alors que George W. Bush n’avait remporté cet état (dont le gouverneur n’était autre que son frère Jeb Bush), et par suite l’élection, que par 537 voix d’avance sur Al Gore., etc. C’est aussi lui qui établit les listes électorales et le découpage des districts (c’est-à-dire les circonscriptions).

Les états ont donc à leur disposition tous les leviers pour faciliter ou non la participation aux élections de tout ou partie de la population, sans parler même des manipulations sur les résultats. L’histoire américaine est jalonnée d’incidents et de polémiques électoraux10On pourrait citer par exemple le fait que la pratique – universelle, il faut bien le dire – des redécoupages de circonscriptions opportunistes est désignée aux Etats-Unis par le terme de « gerrymandering », du nom du gouverneur du Massachussets Gerry accusé d’avoir favorisé son part via un découpage électoral de dernière minute… en 1811.. Mais au-delà de ces anecdotes, la question des entraves volontaires aux votes de certaines catégories de la population est un problème structurel récurrent qui a marqué l’histoire des Etats-Unis.

La première constitution américaine de 1787 prévoyait une totale liberté des états quant à la détermination des critères établissant le droit de vote (et en pratique, les états mettaient pour la plupart en œuvre un suffrage censitaire assortie de conditions plus ou moins strictes11Certains états, en nombre très limité, octroyaient le droit de vote aux afro-américains libres et aux femmes.). Suite à la guerre de sécession et à l’abolition de l’esclavage, les Reconstruction Amendements adoptés entre 1865 et 1870 ont modifié la Constitution pour affirmer l’universalité du droit de vote (qui n’était pas vraiment universel puisque les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1920…) et l’inconstitutionnalité de toute forme de discrimination ou d’entrave à l’exercice de ce droit.

Cependant, très rapidement, en dépit des amendements constitutionnels évoqués précédemment, et avec la bénédiction de la Cour Suprême, les états du Sud ont mis en place, dans le cadre de la politique ségrégationniste visant à rétablir l’« ordre social » pré-guerre de sécession, de multiples restrictions légales au vote – obligation de payer une taxe pour voter, test d’alphabétisation, etc. – destinés à écarter les citoyens afro-américains des urnes (et des postes à responsabilités).

Ces dispositions s’accompagnaient d’ailleurs souvent d’intimidations physiques (pouvant aller jusqu’au lynchage…) envers les afro-américains désireux de s’inscrire sur les listes électorales ou de voter, et des citoyens blancs les soutenant12Cf. les événements sanglants de Wilmington en Caroline du Nord lors de l’élection de 1898, ou encore l’assassinat…en 1964 de trois militants blancs des droits civiques lynchés dans le Mississsipi pqr le Ku Klux Klan pour avoir encouragé les afro-américains à s’inscrire sur les listes électorales.. Ces mesures ont été particulièrement efficaces, si on peut dire, puisque par exemple alors que 180 000 afro-américains étaient inscrits sur les listes électorales de l’Alabama en 1896, ils n’étaient plus que 3000 en 1904 !

Ce n’est qu’en 1965, alors que la lutte pour les droits civiques et la fin de la ségrégation était à son apogée, que le Président Johnson faisait voter par le Congrès le Voting Rights Act réaffirmant les principes d’universalité du droit de vote et l’interdiction de toute discrimination basée sur la race ou la langue. Conscient des résistances que rencontreraient cette évolution majeure, le Voting Rights Act introduisait même une disposition, exceptionnelle pour le contexte fédéral américain, instituant le principe d’une « approbation préalable » par le gouvernement fédéral de toute modification des lois électorales pour un nombre limité d’états (essentiellement des états du Sud) au lourd passif en matière d’entraves au vote des afro-américains.

Pour autant, s’il a eu un impact immédiat et significatif sur le nombre d’inscrits (29% des afro-américains était inscrits sur les listes électorales en 1965, contre plus de 50% en 1967) et d’élus afro-américains, le Voting Rights Act n’a pas clos le débat. Certains états ont continué à mettre en œuvre, par des moyens indirects, des entraves à l’exercice du droit de vote et à l’équité du vote.

Non ciblées explicitement sur les minorités et justifiées par d’autres motifs, ces dispositions ont pourtant comme conséquence immédiate d’aboutir à une composition socio-économique et ethnique des votants bien différente de celle de la population. La Cour Suprême a par ailleurs mis fin en 2013 à l’approbation préalable prévue par le Voting Rights Act, ouvrant la porte à de nouvelles dérives : de nombreux états, en très grande majorité contrôlés par les républicains, ont modifié leur loi électorale dans les mois qui ont suivi13Difficile de ne pas relier ces retours en arrière à l’élection en 2008 du premier Président afro-américain des Etats-Unis..

On pense là par exemple aux dispositions de l’état de Floride relatives aux anciens condamnés, interdits à vie de vote jusqu’en 201814La Floride n’est pas le seul état concerné : sept états avaient en 2018 des pratiques similaires, selon le rapport au Congrès de la commission électorale fédérale., ce qui fait que 20% des afro-américains résidents en Floride étaient exclus des listes électorales jusqu’en 2018. Ils peuvent désormais voter… à condition de s’être acquittés de toutes les amendes – y compris les frais de justice – relatives à leur condamnation, ce qui maintient un obstacle important au vote. Un contentieux est en cours, dont l’issue pourrait avoir un impact important sur l’élection de 2020, la Floride étant un état toujours très disputé.

On pense aussi aux modalités de vérification de l’identité pour l’inscription sur les listes électorales, ou au moment du vote présentiel ou par correspondance. Dans un pays où il n’y a aucune obligation à disposer de documents d’identité officiels, les exigences relatives à la présentation de documents d’identité avec photos, imposées dans certains états pour éviter les fraudes15Le principe de la vérification d’identité pour garantir l’intégrité de l’élection a été inscrit dans la loi en 2002, sous présidence de George Bush. On trouvera ici une carte des exigences relatives aux documents d’identité, dans laquelle on verra que les états du Sud imposent les exigences les plus strictes., ont suscité de nombreuses critiques des militants des droits civiques, au motif que les citoyens non détenteurs d’un document d’identité avec photo étaient le plus souvent les citoyens précaires, les membres des minorités, les indiens américains, etc.

Le sujet des entraves aux votes, notamment au détriment de l’électorat afro-américain, est donc toujours tristement d’actualité en 2020. L’exemple le plus récent en la matière est celui de l’élection au poste de gouverneur de Géorgie en 2018, lorsque la charismatique candidate démocrate afro-américaine – et, ironiquement, militante des droits civiques et notamment du droit de vote – Stacey Abrams (qui ferait partie de la « short-list » établie par Joe Biden pour le choix de sa colistière) avait failli l’emporter contre le candidat républicain Brian Kemp. Lequel n’était autre que l’équivalent du ministre de l’intérieur de l’état de Géorgie, en exercice depuis 2010, chargé donc de l’organisation de l’élection et qui avait été accusé d’avoir grossièrement rayé des listes électorales de nombreux afro-américains.

Le coronavirus n’a donc fait que remettre sur le devant de la scène un débat politique récurrent, dont un des principaux thèmes était déjà la question du vote par correspondance et du vote anticipé.

La généralisation de ces modalités est en effet une revendication forte du parti démocrate et des militants des droits civiques qui considèrent qu’imposer un vote présentiel un jour de semaine (puisqu’on rappelle que la loi américaine votée en 1845 prévoit que le vote a toujours lieu le premier mardi après le premier lundi de novembre) prive un certain nombre de travailleurs de la possibilité concrète de voter, dès lors que les employeurs n’ont pas dans tous les états l’obligation de libérer leurs salariés pour le vote16Le jour de l’élection est déclaré férié dans neuf états, tandis que d’autres états imposent aux employeurs de donner la possibilité de voter à leurs salariés. Une proposition de loi pour instaurer un jour férié au niveau fédéral a été repoussée par le Congrès en 2005. Certains grandes entreprises, sur l’incitation des mouvements des droits civiques, ont choisi de libérer volontairement leurs salariés ce jour-là..

Ce phénomène risque d’être amplifié cette année si les bureaux de vote sont peu nombreux, ce qui pourrait être le choix dans certains états qui souhaiteraient limiter l’exposition au virus du personnel des bureaux de vote17La limitation du nombre de bureaux de vote est d’ailleurs souvent accusée d’être un moyen indirect utilisé pour décourager le vote dans certains endroits.. La création de longues files d’attente (comme on en a déjà vu lors des primaires démocrates avant l’irruption du virus, puis lors des dernières tenues alors que les gestes barrières étaient déjà recommandés) ne pourra qu’être décourageante et constituera un obstacle supplémentaire pour les électeurs salariés disposant d’une fenêtre limitée pour voter.

La revendication est donc de maintenir le vote présentiel18L’obligation de vote par correspondance peut exclure de fait certains électeurs handicapés, ou ne parlant pas correctement anglais, alors qu’ils sont censés pouvoir bénéficier d’une aide dans les bureaux de vote. tout en généralisant le vote anticipé et le vote par correspondance sans condition (le vote motivé par des absences dûment justifiées, pour les militaires, les personnes ne pouvant pas se déplacer, etc. existe déjà partout), sans obligation de démarche administrative lourde (certains états contrôlent les signatures sur les bulletins de vote et les comparent à des signatures préalablement faites sur des registres électoraux, alors que d’autres ont plus simplement prévu d’utiliser des QR codes pour garantir la régularité du vote) et sans frais (pas besoin d’affranchir l’envoi, comme c’est le cas dans certains états aujourd’hui), etc.

Au-delà de la question de principe, les démocrates expliquent que l’obligation de vote présentiel, ou des exceptions trop limitées, défavorise en premier lieu le parti démocrate puisque ce sont les électeurs urbains, précaires et issus des minorités pour lesquels ces dispositions posent le plus de difficultés. L’enjeu est d’autant plus important que la participation de cet électorat, qui avait manqué à Hillary Clinton en 2016, est jugée déterminante pour envisager de battre Donald Trump en novembre prochain.

« Si jamais on acceptait [les demandes des élus démocrates s’agissant des modalités de vote], nous n’aurions plus jamais un républicain élu dans ce pays ».

Donald Trump, dans une interview sur Fox News le 30 mars

Les républicains s’opposent de leur côté traditionnellement à ces modalités de vote en mettant en avant des questions de principe, plutôt que des arguments d’opportunité… à l’exception de Donald Trump, donc. Ils considèrent que les risques de fraude sont plus importants avec le vote par correspondance. L’argument n’est pas illégitime : on peut facilement imaginer que des personnes soient inscrites dans plusieurs états, cherchent à voter plusieurs fois, etc. Et ce d’autant plus que les soupçons d’interférence étrangère dans les élections sont toujours d’actualité. Les Américains ont aussi en mémoire le fameux slogan « vote early and vote often » (« votez tôt et votez souvent ») datant probablement du 19ième siècle mais souvent attribué à des maires corrompus de Chicago des années 20 et 50 (et à Al Capone !).

Pour autant, dans un pays pourtant marqué par les contentieux à tout propos, il n’existe que de très rares cas de fraude avérée liée au vote par correspondance19Les démocrates s’amusent même à rappeler que le seul exemple récent avéré a eu lieu en Caroline du Nord, à petite échelle… et était le fait d’un candidat républicain., même si Donald Trump aime à répéter, sans la moindre preuve, que l’élection de 2016 a été entachée d’irrégularités liées au vote par correspondance20Il s’agit pour Trump de pouvoir continuer à dire qu’il n’a pas obtenu moins de voix au niveau national qu’Hillary Clinton en 2016 et donc pas perdu le « vote populaire ». Et ce même si Trump a lui-même démantelé début 2018 la commission qu’il avait créée pour enquêter sur une supposée fraude électorale en 2016, la commission n’ayant rassemblé aucun élément à l’appui d’une fraude massive..

Les républicains ne sont cependant pas unanimes sur le cas particulier de l’élection de 2020. Ainsi, au-delà du fait que certains états historiquement républicains pratiquent déjà des modalités souples de vote par correspondance21L’Utah en a même fait la seule modalité de vote pour les primaires de 2020., des gouverneurs républicains (comme le gouverneur de l’Ohio, mobilisé très tôt sur la gestion du coronavirus, qui avait annulé la primaire de son état dès le 17 mars, mais aussi le gouverneur de l’Alabama, et même en Géorgie) ont déjà annoncé vouloir assouplir les conditions de participation et étendre le vote par correspondance ou le vote anticipé. Cela traduit leur souci de la santé de leurs concitoyens et peut-être, selon les mauvaises langues démocrates, la crainte que les électeurs âgés (dont on peut supposer à grand trait qu’ils votent plutôt républicain) ne se déplacent pas.

Ce sont désormais d’abord les fervents supporters de Trump qui rejettent les demandes d’assouplissement des modalités de vote. Il faut dire que le Président est très actif sur le sujet sur Twitter ou dans sa conférence de presse quotidienne.

Les démocrates ont donc plaidé pour que les lois adoptées en urgence pour répondre à la crise du coronavirus intègrent une obligation pour les états de mettre en place le vote par correspondance et pour qu’une partie des fonds mobilisés pour faire face à la crise soit destinée au financement des investissements logistiques nécessaires pour garantir la régularité des élections 22Il s’agit par exemple d’imprimer et d’envoyer à tous les électeurs des bulletins de vote par correspondance et des enveloppes affranchies, ou de prendre les dispositions nécessaires pour vérifier la régularité du vote par correspondance. La dernière loi adoptée prévoit une enveloppe de 400 millions de dollars ciblée sur cette question, montant jugé largement insuffisant (les démocrates demandaient 2 à 4 milliards de dollars23En s’appuyant notamment sur des travaux de la fondation Brennan qui détaillent les mesures à prendre.), et ne rend pas obligatoire le vote par correspondance.

Mais les démocrates reviennent déjà à la charge, d’autant qu’entre-temps les difficultés posées par le vote présentiel en période de Covid-19 – et par une élection mal préparée du point de vue logistique – ont été concrètement illustrées par le scrutin tenu dans le Wisconsin le 7 avril, qui concernait les primaires mais aussi une élection à la Cour Suprême de l’état.

Dans cet état gagné de peu par Trump en 2016, le gouverneur démocrate n’a pas pu s’entendre avec son assemblée législative républicaine sur des modalités de report et l’élection a finalement été maintenue. Un arrêt de la Cour Suprême, saisie par le parti républicain, a annulé, au motif que le changement de règles était trop tardif24On comprend pourquoi Joe Biden a promis de nommer, s’il était élu Président, une femme afro-américaine à la Cour Suprême., la décision prise au dernier moment par le gouverneur de repousser le délai de vote par correspondance d’une semaine pour permettre aux électeurs qui n’avaient pas reçu le matériel du vote par correspondance et qui ne souhaitaient pas se rendre dans les urnes de participer néanmoins.

Au final, le nombre de bureaux de vote a été drastiquement réduit (5 bureaux de vote par exemple dans la ville de Milwaukee – qui compte une importante communauté afro-américaine… au lieu de 180 habituellement), etc. Comme le matériel électoral nécessaire au vote par correspondance n’avait pas été correctement mis à disposition des électeurs, on a donc vu des longues files d’attente pour participer physiquement au vote25On notera que c’est une candidate démocrate qui a finalement été élue à la Cour Suprême du Wisconsin.

Ces images du Wisconsin ont considérablement marqué les esprits et les démocrates engagent désormais toutes leurs forces dans la bataille alors qu’une nouvelle loi est annoncée pour compléter le paquet économique de fin mars. Pour preuve, Barack Obama, qui limite beaucoup ses interventions publiques de nature politique, est lui-même intervenu sur le sujet sur Twitter le 10 avril.

Mais la bataille n’est pas gagnée d’avance car Trump et ses admirateurs ont déjà commencé à accuser les démocrates de cynisme et de vouloir prendre en otage les difficultés économiques des américains pour favoriser une manœuvre politicienne. Le bras de fer politique et la bataille médiatique risquent donc de faire rage dans les prochains jours et semaines. On verra alors qui mérite le plus d’être accusé de cynisme.

2 réflexions sur « Débat sur les modalités pratiques des élections de novembre, ou quand le cynisme des pro-Trump franchit de nouvelles limites »

  1. En 2016, D Trump a obtenu moins de voix que H Clinton et, pourtant, il fut élu. Ce qu’explique ton Post, c’est qu’il ne prend pas de risques pour 2020!
    En plus il semble que les Afro-américains payent un lourd tribut au Covid-19, raison de plus pour ne pas se déplacer ?

    1. En effet, les premiers chiffres officiels sur les caractéristiques ethniques des malades du Covid-19 hospitalisés estiment que 30% de ces malades sont afro-américains, alors que les afro-américains ne représentent que 13% de la population. Les explications sont multiples (vulnérabilité accrue en raison des inégalités de santé, exposition renforcée car les afro-américains en moyennent ont des emplois non “télé-travaillables” et prennent les transports en commun, inégalités de logement renforçant la promiscuité et les risques de contamination intra-familiale, etc.).

      La participation des électeurs afro-américains dans le Wisconsin ou le Michigan (autre état très touché par le Covid-19, où la population afro-américaine paie un lourd tribut) est vue comme un facteur décisif pour novembre.

      Mais en pratique, et la chronique aurait sans doute pu le signaler plus précisément, l’impact sur la résultat de l’ouverture du vote par correspondance n’est pas avéré. Un article récent du New York Times fait un point des études (très partielles) sur le sujet. La conclusion en est qu’il peut y avoir un impact sur la participation mais qui ne va pas nécessairement dans le sens d’une participation comparativement supérieure des électeurs précaires ou afro-américains pour diverses raisons : parce c’est une démarche administrative (les inégalités face aux démarches administratives existent aussi), parce qu’il ne suffit pas de donner la possibilité de voter pour que les électeurs aient envie de participer et considèrent que leur vote est utile ou a un sens (cf. sur le sujet un autre article du New York Times sur le vote des anciens détenus en Floride). Bref les craintes des républicains et des pro-Trump seraient infondées.

      Dernier point : le résultat de l’élection du 7 avril dans le Wisconsin est intéressant. Dans cet état gagné par Trump en 2016, la candidate démocrate au poste de juge à la Cour suprême de l’état a été élu avec 10 points d’avance, malgré les obstacles au vote par mail et en dépit de la réduction du nombre de bureaux de vote, notamment dans les zones urbaines. Les observateurs considèrent que les caractéristiques de la participation, encore plus dans ces conditions, sont de très bonne augure en vue de l’élection présidentielle, car ce sont déplacés les électeurs qui ont manqué en 2016 (pour dire les choses rapidement). Enfin, ironie de la situation, si on peut dire, cette élection locale qui peut paraître anecdotique quant à son enjeu réel, pourrait en fait avoir un impact sur l’élection de novembre. L’élection d’une juge démocrate donne une majorité “démocrate” à la Cour Suprême du Wisconsin, qui doit statuer dans les prochaines semaines sur un contentieux justement électoral, dans lequel un groupe conservateur demande à rayer des listes électorales 200 000 électeurs… D’une certain façon, les électeurs démocrates du Wisconsin ont bien fait de voter il y a quinze jours pour avoir le droit de voter en novembre.

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