Depuis mi-mars, le Président Trump tient une conférence de presse quotidienne d’une durée d’une à deux heures, entouré de son vice-président Mike Pence (qu’il avait dans un premier temps chargé de gérer la crise), des experts sanitaires de sa « task force » et, selon l’actualité, de certains ministres ou même de chefs d’entreprises du secteur du médicament ou de l’informatique. Il y fait le point sur les mesures prises ou envisagées au niveau fédéral pour gérer la crise.
Les médias, des sites des grands journaux (New York Times) en passant par les grands « networks » (ABC, NBC, etc.) jusqu’aux chaînes d’informations en continu (CNN, MSNBC), s’interrogent aujourd’hui de plus en plus sur le traitement qu’elles doivent faire de ces conférences de presse.
Evidemment, en période de crise notamment de santé publique, il apparaît normal de diffuser largement les interventions présidentielles censées expliquer les actions menées, transmettre les messages de santé publique indispensables, etc. Sauf que s’agissant des mesures de santé publique, les messages délivrés sont parfois plus qu’ambigus : certes le Président lit dans un premier temps (sans grande conviction…) les éléments préparés par ses conseillers, mais lors des inévitables digressions et questions-réponses, il peut passer des messages contradictoires, entrer en discussion avec ses experts médicaux devant les caméras, mettre sur le même plan cette expertise et son « intuition » de chef d’entreprise, etc.
Si les messages délivrés lors de ces mêmes conférences de presse par les experts s’efforcent d’être clairs, le message global est malgré tout sérieusement brouillé. Ainsi, le président ne pratique pas lui-même systématiquement la distanciation sociale pendant les conférences de presse (tous les participants officiels au briefing étaient encore agglutinés autour de lui sur le podium le 1er avril). Il en a d’ailleurs plus ou moins plaisanté lorsque des règles de distanciation sociale ont été mises en place lors d’une conférence de presse tenue exceptionnellement en extérieur.
Bien sûr, les médias font leur métier et ne laissent pas la partie facile au Président en utilisant la séquence de questions-réponses pour l’interroger sur ses imprécisions, ses nombreux revirements, ses dérapages, etc. Mais, suivant une chorégraphie bien connue depuis sa campagne de 2016, le Président ne manque jamais l’occasion d’accuser ces mêmes journalistes, parfois violemment, d’être malveillants, corrompus ou à la solde des démocrates. Les journalistes s’épuisent donc – et épuisent sans doute une partie de l’audience – à essayer de prendre Donald Trump en défaut, avec une efficacité discutable. Le Président ne reconnaissant jamais ses torts et n’hésitant pas à mentir effrontément, on a le plus souvent l’impression d’assister à un dialogue de sourd spectaculaire mais crispant et largement vain.
On ne peut d’ailleurs qu’être frappé par le fossé entre ses séquences présidentielles et la conférence de presse, elle aussi quotidienne, du gouverneur de l’état de New York : sobre, sérieuse (la distanciation sociale y est respectée !), bien préparée, elle donne une vision claire de la situation vue des autorités locales.
Ainsi, l’intérêt des retransmissions du point de la mission d’information et de « service public », pour utiliser une terminologie française, est discutable et un résumé a posteriori semblerait préférable pour des informations fiables et utiles.
Au-delà, le Président utilise largement ces conférences de presse pour faire son auto-promotion non seulement sur la gestion de la crise1on l’a déjà signalé, il s’est ainsi attribué un 10 sur 10 dans la gestion de la crise il y a une dizaine de jours mais aussi sur le bilan de ses trois premières années de mandat. Il en profite également pour polémiquer par médias interposés, là encore parfois brutalement2Son usage de l’expression « the woman of Michigan » – « la femme du Michigan » – pour désigner la gouverneure du Michigan a évidemment choqué, avec les gouverneurs essentiellement démocrates qui lui reprochent de ne pas suffisamment mobiliser ses pouvoirs fédéraux.
Les médias s’interrogent donc sur la tribune permanente et gratuite qu’ils offrent au Président en année électorale, alors même que les concurrents démocrates sont largement inaudibles dans un paysage médiatique exclusivement focalisé sur le coronavirus.
Le Président, en homme de télévision averti, a en effet bien compris l’intérêt politique cette exposition médiatique quotidienne. Alors qu’il avait supprimé le briefing quotidien des médias qui était traditionnellement donné par les porte-paroles de ses prédécesseurs, il a finalement réhabilité la salle de presse de la Maison Blanche, abandonnée depuis quelques mois, et trouvé un moyen de s’exprimer devant des audiences d’autant plus larges que de nombreux américains restent largement chez eux depuis deux semaines.
Donald Trump a rapidement déplacé l’horaire de ces conférences, initialement programmées en début d’après-midi, pour intervenir juste avant les journaux du soir et viser les pics d’audience. On se souvient d’ailleurs qu’au moment de la procédure d’impeachment, la président s’était plaint que la « plaidoirie de la défense » ait un samedi, considéré comme un creux d’audience télévisuelle – la “vallée de la mort à la télé” pour reprendre les termes de son tweet publié à l’époque.. Il scrute d’ailleurs attentivement les audiences, comme en témoignent ses tweets récents sur ses bons scores en la matière qui peuvent paraître déplacés quand d’autres comptent les morts du Covid-19.
Enervé dans un premier temps à l’idée de ne plus pouvoir tenir de meetings de campagne à cause des mesures de distanciation sociale (début mars, ses partisans et même Fox News, criaient au complot démocrate lorsque la pression montait pour annuler les réunions publiques du Président), le Président a su trouver un moyen de mener campagne. Ces interventions sur le coronavirus ressemblent en effet à certains moments à de véritables meetings électoraux. Il arborait d’ailleurs sa casquette de campagne marquée « Keep America Great » lors de ses premières sorties publiques sur le sujet mi-mars3Ainsi lors de son déplacement sur le sujet au CDC, le centre de contrôle et de prévention des maladies, jusqu’à sans doute que ses conseillers parviennent à le convaincre que le sujet méritait une posture plus « présidentielle ».
Les médias sont largement conscients du risque de reproduire le scénario de l’élection de 2016 dans lequel ils ne voyaient que des avantages à diffuser jusqu’à plus soif les interventions de Donald Trump. En effet, d’une part, le spectacle leur assurait une forte audience et d’autre part ils étaient persuadés que plus les électeurs verraient Donald Trump, plus ils seraient convaincus que ce dernier ne pouvait pas décemment être le Président des Etats-Unis. Sauf que…
Mais dans le même temps, le spectacle offert par ces conférences de presse est tellement sidérant et à sa façon haletant qu’il est difficile de résister à la tentation de la diffuser… et de le regarder, quand on sait qu’à tout moment le Président peut cabotiner, se contredire ou mettre en difficulté en direct ses ministres ou les experts, insulter les journalistes ou les gouverneurs qui le critiquent, etc. ?
Plusieurs chaînes ou journaux se sont donc interrogés à voix haute sur la possibilité de ne plus diffuser ces interventions du Président dans leur intégralité, sans aller jusqu’à réellement mettre la menace à exécution. Certes, le New York Times ne retransmet plus la conférence de presse sur son site, mais on peut la voir sur le site du Washington Post ou du Chicago Tribune. Certaines chaînes ne diffusent plus l’intégralité de la conférence de presse ou interrompent la retransmission ponctuellement (pour des publicités, le bulletin météo, des flashs d’information locale,…), mais on peut toujours voir le Président en direct vers 17h – 17h30 tous les jours sur au moins neuf canaux4Le 2 avril, six chaînes d’information en continu – MSNBC, Fox News, Fox Business, CNBC, Bloomberg TV et CNN – mais aussi trois chaînes généralistes – CBS, NBC, Fox – tandis que ABC ne retransmet la conférence de presse que sur son site internet..
Le Président est de toute façon gagnant dans tous les scénarii : s’il est diffusé, il a une tribune ; si les questions des journalistes le placent devant ses contradictions, il se contente de les accuser de mensonge et d’être partisans ; si certains journalistes renoncent à lui poser des questions piégeuses, il n’hésitera pas à dire que même les médias démocrates ne le critiquent plus – on se souvient que le jour de son acquittement par le Sénat républicain lors de la procédure d’impeachment, Trump brandissait triomphalement la Une du Washington Post pour commencer son allocution de « victoire » ; et si les conférences de presse ne sont plus diffusées, le Président sera ravi de fustiger les médias qui refusent de transmettre aux citoyens la parole présidentielle en temps de crise et de se poser à nouveau en candidat anti-système mal-traité par les médias.
D’où une frustration grandissante de la presse et des médias télévisuels, qui cherchent encore, 3 ans après l’élection de 2016 et à 6 mois de la prochaine échéance présidentielle, le bon angle pour assurer leur mission d’information sans tomber dans le piège de la polarisation à outrance et de la politique « show-biz » que leur tend Donald Trump.
pourquoi ne pas mettre des compteurs de temps en surimpressions sur l’image du direct: compteur de chiffres donnés ; compteur de mesures prises; compteur de propos de campagne; compteur d’insultes ?
Les chaînes d’info en continue essayent d’utiliser au mieux les bandeaux déroulants pendant les conférences de presse. Fox News pour louer l’action du Président, CNN ou MSNBC pour au contraire essayer de souligner les incohérences, les déclarations maladroites ou problématiques, etc. Mais le “fact checking” en direct et en une phrase est un exercice compliqué, encore plus compte tenu des nombreux éléments qu’il conviendrait de vérifier, préciser ou démentir à chaque intervention du Président. Certains correspondants à la Maison Blanche s’efforcent également de citer en direct le Président pour lui demander de commenter ses propres déclarations, sans succès, comme en témoigne par exemple cette vidéo.
Le Président Trump est certainement un grand expert en communication mais cet outil est redoutable et pourrait se retourner contre lui. Le bilan de crise CODIV-19 et surtout son impact social seront déterminants.
Je m’interroge sur l’incapacité de son opposition à apporter une contradiction audible et efficace. Ce n’est pas forcément uniquement une question de moyens financiers ; les candidats démocrates à l’élection présidentielle ont, pour certains, une large assise financière.
Peut-être faudrait-il une personnalité charismatique pour proposer une alternative au leader Trump ?