Le Congrès a voté jeudi 26 mars un paquet de mesures économiques afin de tempérer en urgence les premiers effets économiques de la pandémie du coronavirus. Sans rentrer dans le détail sur le contenu de ce paquet de mesures, attardons-nous sur quelques éléments qui montrent l’influence de la pensée économique du président Trump sur le compromis finalement trouvé au Congrès.
Le premier point remarquable est le montant financier mobilisé pour ces mesures. Avec 2 200 milliards de dollars (soit, pour donner quelques références, 10% du PIB américain et ¾ du PIB de la France1en gardant à l’esprit que le montant total cumule des dépenses effectives, des moindres recettes ou de délais de paiement, des garanties bancaires, bref, des montants qu’on ne devrait pas en toute rigueur se contenter d’ajouter), c’est, comme Trump aime à le répéter, le plus gros plan financier voté aux Etats-Unis. Il n’est pas question ici de discuter de la pertinence de battre ce record pour cette crise mais plutôt d’insister sur le fait que c’est le Président qui a plaidé pour un montant aussi important et l’a sans doute imposé au Parti républicain.
On se souvient en effet que Barack Obama n’avait pas pu mobiliser une somme aussi importante lors de la crise financière de 2008 (au total, les montants mobilisés suite à la crise des subprimes ont atteint environ 1 500 milliards de dollars : George W. Bush avait signé un premier paquet en urgence de 700 milliards de dollars en octobre 2008, juste avant la fin de son mandat, Barack Obama le complétant ensuite complété de mesures de redressement de l’économie à hauteur de 833 milliards de dollars), en raison de l’opposition même des républicains, dont la doctrine habituelle est de limiter la dépense publique.
Le président Trump n’a lui que faire de la dette publique. Il n’a d’ailleurs pas réduit la dette publique américaine depuis son accession au pouvoir, alors même que le contexte économique était porteur et aurait pu le permettre. Bien au contraire, son énorme baisse d’impôts de fin 2017 (Tax cuts and Jobs acts), à hauteur de 1,5 milliards de dollars par an a d’abord été financée par du déficit public2Si les républicains et le Président avaient insisté sur le fait que le Trésor se « rembourserait » sur les revenus fiscaux engendrés par a croissance liée à ces baisses de taxe, cela n’a pas a priori été le cas et le déficit public a augmenté depuis le début de la présidence Trump..
Il a d’abord suivi le conseil donné par de nombreux économistes sur la nécessité d’un signal fort et rapide pour caractériser une prise en compte sérieuse des problèmes et ainsi enrayer la perte de confiance des marchés financiers et la chute des différents indices de la bourse. Car le Président est, comme le prouve ces incessantes déclarations sur le fait que les Etats-Unis reviendront très vite et encore plus forts après la crise, convaincu de la dimension psychologique du comportement des marchés financiers et de l’influence de ces derniers sur l’ampleur de la crise.
Notons au passage que la bonne santé des marchés financiers n’est pas seulement aux Etats-Unis un enjeu économique pour les entreprises cotées en bourse ou les riches actionnaires : il en va aussi de la santé économique des fonds de pension qui déterminent le pouvoir d’achat et la consommation des retraités américains puisque c’est un système par capitalisation qui prévaut aux Etats-Unis.
Evidemment on peut aussi voir derrière ce paquet financier record la volonté du Président de trouver des symboles simples et parlants du fait qu’il prend la crise en main et met tous les moyens en œuvre pour sauver l’économie. On notera dans le même ordre d’idée sa volonté de signer lui-même les chèques qui seront versés aux foyers américains pendant 3 mois3Trump souhaiterait semble-t-il que les chèques – si tant est qu’il y ait un document attestant le versement ?- portent son nom et non pas celui du département du Trésor. Le Congrès a en effet voté l’attribution d’un paiement direct de 1 200 dollars (sous conditions de ressource, avec bonus pour les enfants, etc.) pour compenser les pertes d’emplois liées à l’arrêt d’un certain nombre de services. Ce dispositif a été finalement préféré à la baisse des cotisations salariales un temps envisagée parce qu’il permet de toucher plus de monde… et parce qu’il est directement palpable par les bénéficiaires4On notera que le président a réalisé depuis que le versement de cette somme pourrait prendre plusieurs semaines pour des raisons pratiques évidentes et a, en plus de critiquer comme à son habitude la lenteur de l’administration – cf. chronique dédiée, indiqué que si cela devait prendre trop de temps, il demanderait au Congrès de modifier la mesure..
Deuxième élément notable : la conditionnalité des soutiens financiers accordés aux entreprises. Républicains et démocrates ont longuement débattu ce sujet, les premiers plaidant pour un dispositif simple et rapide à la main du secrétaire au Trésor (l’équivalent du Ministre des finances) tandis que les démocrates souhaitaient contrôler l’utilisation des fonds et poser des conditions strictes : interdiction d’utiliser les sommes reçues pour racheter des actions (pratique dite du « buyback » qui peut avoir pour objectif de faire remonter les cours en Bourse des sociétés concernées ou de distribuer des stocks options et d’améliorer la rémunération de leurs détenteurs5Les compagnies aériennes américaines sont accusées d’avoir massivement utilisé à cette fin leurs bénéfices de ces dernières années, par largement liés aux baisses de taxes de fin 2017,plutôt que garder des réserves en cas de crise, ce qui expliquerait leur situation fragile actuelle et leurs demandes de soutien public, dès lors évidemment discutable), limitation en matière d’octroi de dividendes aux actionnaires, contraintes sur le maintien de l’emploi, exclusion de certains bénéficiaires (proches du Président6La crainte des démocrates était que les sommes prévues pour le secteur du tourisme tombe dans les poches des multiples intérêts dans le secteur détenus par le président. et des membres du Congrès), etc.
A l’opposé des positions du parti républicain, le président avait très rapidement indiqué sa volonté que l’argent ne soit pas utilisé à de mauvaises fins, faisant encore une fois la preuve de son instinct politique sur ce qui serait acceptable ou non par les citoyens ordinaires. Il est ainsi manifestement soucieux de ne pas rouvrir le débat « Main Street vs. Wall Street » apparu lors des plans de sauvetage des banques lors de la crise de 2008, lui qui se présentait en 2016 comme le porte-parole de Main Street contre les lobbys économiques et politiques de Washington7Main street symbolisant la rue commerçante de toute ville américaine fréquentée par les citoyens ordinaires.. Le président visait notamment le « buyback ». Et c’est ainsi que le paquet financier comporte la plupart des garde-fous demandés par les démocrates et des contraintes sur les entreprises inhabituelles pour un Président et un Sénat républicain.
Troisième élément intéressant, qui traduit moins cette fois une pensée économique qu’un entêtement du Président sur un sujet politique. Malgré une forte pression sur le sujet (de la part des démocrates mais aussi des experts en santé publique), le paquet économique voté le 26 mars ne comporte aucune disposition pour renforcer la prise en charge financière des soins liés au Covid-19, que ce soit en créant un dispositif spécifique exceptionnel ou en renforçant l’Affordable Care Act, communément appelé Obamacare. Il faut dire que le président déteste l’Obamacare, au moins autant que parce qu’il renforçait l’intervention de l’Etat que parce que c’est un des marqueurs des 8 années de présidence Obama.
Or les licenciements massifs intervenus depuis une dizaine de jours en l’absence de dispositif du type chômage partiel et de préavis de licenciement (3,3 millions de demandeurs d’emplois supplémentaires entre le 19 et le 26 mars, record battu) ont, au-delà de la perte de revenus que le paiement direct évoqué précédemment est censé compenser, une autre conséquence immédiate. Les anciens salariés concernés perdent la couverture santé que pouvait leur procurer leur employeur. Sans rentrer dans le détail de dispositifs particulièrement complexes (ce qui est en soi un problème), les possibilités offertes pour obtenir une couverture alternative sont limitées et elle-mêmes coûteuses ou peu protectrices.
La crainte est forte que de nombreux malades peu ou mal couverts ne se soignent pas et n’aillent pas à l’hôpital, ce qui, combiné à des mesures de limitations de interactions sociales plus ou moins contraignantes et respectées selon les endroits, pourrait entraver la maîtrise de l’épidémie.
Enfin, sur un tout autre plan, on notera un débat intéressant et perturbant pour la doctrine du président Trump en matière d’économie : les entreprises étrangères et notamment chinoises, mais aussi les croisiéristes (dont dépend par exemple largement une partie de l’économie de la Floride, mais qui sont souvent enregistrés dans des paradis fiscaux et qui ne payent pas d’impôts aux Etats-Unis) peuvent-ils bénéficier du plan de soutien ?
On le sait, le président est un fervent protectionniste (ce qui là encore, est plutôt en opposition avec la doctrine habituelle du parti républicain) et un des principaux slogans de sa campagne de 2016 était « America first ». Il a par ailleurs mis sur le dos de la mondialisation non seulement l’expansion du virus, mais aussi les délocalisations de certaines productions de produits pharmaceutiques ou médicaux (8cf. éléments rassemblés par le Council on foreign relations sur la dépendance américaine en la matière ) qui selon lui sont à l’origine des difficultés rencontrées pour disposer rapidement des matériaux médicaux nécessaires pour le traitement des patients gravement atteints du Covid-19.
Le premier réflexe du président, interrogé sur le sujet, a été d’indiquer qu’il ne souhaitait pas que l’argent des Américains viennent financer la Chine qu’il juge responsable de la pandémie. Mais les emplois en jeu aux Etats-Unis sont nombreux et tout ceci s’est à ce stade limité à des déclarations de principe. Il sera intéressant de voir si la marge de manœuvre laissée au gouvernement fédéral (sous le contrôle du Congrès) pour l’attribution de certaines aides aux entreprises est utilisée à cette fin.
Le président et ses conseillers ont également annoncé vouloir relancer la production de médicaments aux Etats-Unis pour diminuer cette dépendance, sans qu’on sache à ce stade, au-delà des déclarations, comme ils comptent s’y prendre. La crise du coronavirus remet en tout cas, aux Etats-Unis comme ailleurs, la question de la relocalisation de certaines productions stratégiques au premier plan. Des mesures pourraient être proposées par la Maison Blanche et/ou discutées dans le cadre de la préparation d’un deuxième plan de soutien de l’économie américaine, cette fois davantage consacré à la relance de l’économie, annoncé pour l’été 2020. Nul doute aussi que ce sera un des thèmes de campagne privilégiés par Donald Trump en vue de sa réélection à l’automne.