Attardons-nous d’abord sur Elizabeth Warren, alors qu’elle a annoncé son retrait à l’issue de Super Tuesday. Au-delà de sa trajectoire personnelle (issue d’un milieu modeste « petit blanc » du sud des Etats-Unis, elle s’est construite elle-même en se formant petit à petit, pour devenir enseignante à Harvard puis une sénatrice respectée pour son bilan même si elle était finalement assez jeune en politique), c’est la dramaturgie de sa tentative de conquête de la nomination démocrate qui attire l’attention et rappelle combien, aux Etats-Unis comme ailleurs, les destins politiques tiennent souvent à un fil.
Pressentie pour être candidate à la nomination en 20161Ironie du sort, Bernie Sanders avait attendu avant de se présenter de savoir si Warren serait candidate, lui laissant alors la priorité pour être la championne du camp « progressiste »., elle ne s’était pas lancée, préférant soutenir Hillary Clinton qu’elle pensait bien placée pour devenir la première femme présidente des Etats-Unis. Aujourd’hui, elle souffre sans aucun doute du fait que la défaite de cette dernière face à un candidat au sexisme assumé semble avoir convaincu les électeurs que le temps n’était pas encore venu pour qu’une femme puisse être élue.
Au-delà, elle a paradoxalement pâti de son professionnalisme et de son sérieux. Même si ces derniers ont été mis à son crédit, elle a beaucoup été moquée comme « Madame j’ai un plan pour tout ». Lorsqu’elle a été en tête des sondages, elle a été attaquée sur l’imprécision de son programme sur le financement de « Medicare for All » (i.e. une couverture santé publique universelle). Et lorsqu’elle a donné des précisions et un plan détaillé « réaliste », qui de ce fait proposait une mise en place progressive, elle a été accusée de revoir ses ambitions à la baisse.
Pendant ce temps, Bernie Sanders continue à prôner la mise en place immédiate de « Medicare for all », sans en chiffrer le coût ni détailler le financement et sans être outre mesure attaqué sur ce point. Comme l’a rappelé régulièrement Amy Klobuchar pendant la campagne, les femmes politiques ne sont toujours pas évaluées selon les mêmes critères que les hommes…
Interrogée, lors de conférence de presse annonçant son retrait, sur le poids de son genre dans ses difficultés à convaincre les électeurs, Warren a d’ailleurs donné une réponse amère mais terriblement réaliste à ce qu’elle a qualifié de question-piège.
Si je dis que mon genre a joué, on me traitera de pleurnicheuse. Et si je dis que non, les femmes me demanderont sur quelle planète je vis…
Elizabeth Warren, lors de la conférence de presse annonçant son retrait de la primaire démocrate, le 5 mars
La décision de retrait n’a donc pas dû être simple pour Elizabeth Warren, qui pensait sincèrement offrir un compromis entre les modérés trop frileux sur leur programme et un Bernie insuffisamment pragmatique. Et ce d’autant qu’elle avait joué un rôle important en amont du scrutin en Caroline du Sud et du Super Tuesday, en étrillant Michael Bloomberg lors des derniers débats télévisés, de façon marquante notamment sur les accusations de harcèlement sexuel envers Bloomberg, au point que les observateurs considèrent qu’elle est grandement responsable de l’échec de ce dernier.
Il lui fallait désormais choisir entre trois options.
Soutenir Bernie Sanders qui propose les mêmes mesures progressistes emblématiques (couverture santé publique universelle, taxe importante sur la fortune , gratuité des études universitaires pour tous, pour ne parler que des mesures qui les distinguent le plus des modérés). Mais ce faisant elle aurait renier sa conviction manifestement profonde qu’un programme progressiste ne peut être mis en œuvre qu’en travaillant avec le Congrès et pas en se contentant de le proclamer, comme le fait, selon elle, Bernie. Il est probable aussi que Warren n’apprécie guère Bernie lui-même, comme a pu en témoigner leur accrochage en janvier lorsque Warren a révélé que Bernie lui aurait dit en 2016 qu’une femme ne pourrait jamais être élue2Les attaques violentes des militants actifs de Bernie, les « Bernie Bros », sur les réseaux sociaux ou lors des réunions publiques, traitant Warren de « serpent » et faisant des bruits de serpent à chaque mention de son nom, n’ont sans doute pas arrangé la situation..
Une autre option était de soutenir Joe Biden, en mettant de côté ses convictions en faveur d’un programme progressiste ambitieux, pour privilégier la convergence de vue sur l’approche méthodologique pour réussir à faire avancer dans la bonne direction les Etats-Unis. Mais Warren a peut-être jugé qu’elle devait attendre de voir si Biden insistait plus à l’avenir sur des mesures progressistes (comme il a commencé à le faire dès son allocution prononcée le soir de Super Tuesday).
Enfin, elle pouvait ne pas se prononcer à ce stade, pour garder un levier pour faire avancer ses idées et/ou pour obtenir un poste dans une prochaine administration démocrate3Moins par ambition pure que par volonté d’agir du côté de l’exécutif. Rappelons qu’elle a créé de toute pièce, après en avoir vendu l’idée au Président Obama suite à la crise des « subprimes » de 2008, le « Consumer Financial Protection Bureau », pour protéger les petites classes moyennes menacées par la prédation des banques commerciales..
C’est ce dernier choix qu’elle a fait et son non-ralliement à ce stade est un coup dur pour Bernie. De plus en plus, il n’est pas le candidat « progressiste » mais le candidat « radical ». Et ses difficultés pour recueillir des soutiens (même s’il essaye d’en faire une preuve qu’il n’est pas, bien qu’élu au Congrès depuis 40 ans, un politicien de l’« establishment ») posent toujours plus de question sur la nature de son leadership, sur ses qualités humaines4On se souviendra d’une sortie, il est vrai marquée par une certaine dose de rancœur et par ailleurs condamnée par le parti démocrate, d’Hillary Clinton rendue publique en janvier dernier à l’occasion de la sortie d’un documentaire qui lui est consacré sur le fait que « tout le monde déteste Bernie au sein du parti démocrate ». et sur le caractère très – trop ? – personnalisé de sa campagne, tous éléments qui contrastent d’ailleurs fortement avec la personnalité de Joe Biden.