Les résultats des trois premières primaires ont certes été scrutés et analysés dans le détail par les observateurs comme par les candidats : l’Iowa comme étalon du rapport de force dans les états du Midwest et donc dans certains états clés pour novembre, le New Hampshire parce que c’est un état incertain pour l’élection générale, le Nevada, parce qu’état ayant une population d’origine diverse venant après deux états à la population très majoritairement blanche, il permettait de se faire une première idée des préférences des électeurs démocrates latinos et afro-américains qui comptent beaucoup pour l’investiture démocrate et dont la participation pour l’élection générale peut être un facteur décisif.
Mais le processus entre dans une autre dimension avec la primaire en Caroline du Sud le 29 février, état à l’électorat démocrate majoritairement afro-américain et qui servira sans doute de référence pour les autres états du Sud, et surtout avec Super Tuesday le 3 mars.
Se dérouleront en effet les premiers scrutins dans des états divers et pour certains très peuplés, qui apportent de nombreux délégués pour la convention. A elle seule la primaire californienne représente 415 délégués soit plus de 10% du total des délégués (à comparer avec les 41 délégués de l’Iowa, les 24 délégués du New Hampshire ou les 36 délégués du Nevada), et le Texas désignera 228 délégués. Les différents candidats ont donc jeté beaucoup de forces dans la bataille ces derniers jours, avec des enjeux et des objectifs très différents.
Pour Bernie Sanders, il s’agit de consolider la dynamique créée par ses résultats et victoires dans les 3 premiers états pour consolider son statut d’indiscutable « front-runner ». Il va aussi chercher à gagner un maximum de délégués, avec l’espoir non seulement d’arriver en tête pour la convention (à ce stade, c’est le scénario le plus probable) mais aussi, ce qui paraît aujourd’hui beaucoup plus difficile, d’avoir la majorité des délégués pour éviter un scénario dans lequel les autres candidats feraient alliance pour empêcher son investiture.
Au-delà, les résultats de Bernie dans les états du Midwest (Minnesota notamment) et dans les états du Sud donneront de précieuses indications sur sa capacité à rassembler un électorat divers au-delà de sa base (pour le dire vite : les jeunes éduqués et une partie des ouvriers) et donc sur ses chances de succès lors de l’élection générale. Ceci sera évidemment déterminant pour la suite de la dynamique de sa candidature.
Pour Joe Biden, c’est d’abord le résultat de la Caroline le 29 février qui sera crucial. Si, comme il le clame depuis des mois et comme les sondages continuent à le prédire, il arrive en tête dans cet état, il aura fait la preuve du soutien des électeurs afro-américains, et sa candidature, plombée par des résultats médiocres dans les premières primaires, se trouvera relancée, malgré les doutes persistants sur sa capacité à tenir le choc d’une campagne contre Donald Trump.
Pour Michael Bloomberg, c’est le premier test puisque s’étant déclaré trop tardivement, il ne pouvait pas être qualifié pour les premières primaires. Son « carpet bombing » de spots télévisés1Il est le seul à avoir pu financer une campagne télévisée significative dans tous les états et le seul candidat démocrate – le Président Trump l’a fait également – à avoir eu les moyens de diffuser un spot publicitaire pendant le Super Bowl, dont l’audience est estimée à 100 millions de téléspectateurs. a-t-il un impact ? S’il fait un bon résultat, sa candidature deviendra véritablement une option crédible. S’il fait un résultat très médiocre et se retire, comment mobilisera-t-il sa puissance financière pour la suite du processus (en soutien d’un autre candidat ? Contre Trump ? Contre Bernie ?). Le plus probable étant un résultat intermédiaire qui ne fera que compliquer le champ de bataille.
Pete Buttigieg est dans une situation paradoxale. Sa réussite inattendue et, on peut le dire, exceptionnelle, dans les trois premières primaires, a été en partie éclipsée par les bons résultats de Bernie Sanders et l’arrivée sur le scène de Bloomberg. Il n’a sans doute pas bénéficié de la dynamique que ces premiers résultats aurait pu lui apporter. Les résultats à venir détermineront s’il fait toujours un prétendant crédible pour le camp modéré. Il n’est cependant pas, comme d’autres candidats, en danger du point de vue financier, ayant un budget de campagne encore important.
Pour Amy Klobuchar, c’est un test décisif. Actuellement nettement devancée par Pete Buttigieg sur le créneau « modéré du Midwest qui peut rassembler », elle doit désormais prouver son « électabilité » en obtenant des résultats concrets, évidemment dans le Minnesota, l’état dont elle est sénatrice, mais aussi au-delà : son résultat très faible dans le Nevada n’a fait qu’accentuer le sentiment qu’elle ne peut pas attirer les électeurs des minorités latino et afro-américaine. Sans bon résultat, l’engouement créé par sa performance lors du débat du New Hampshire2Bonne impression gâchée dans la foulée : Amy Klobuchar a été en grande difficulté lors du débat du 19 février pour justifier son incapacité à donner quelque jours plus tôt le nom du président mexicain et à discuter de la politique migratoire du Mexique. Cela pose des questions sur sa capacité à affronter Trump qui fait de la relation avec le Mexique un des sujets majeurs de sa politique. n’aura été qu’un feu de paille : les financements pourraient s’interrompre et la pression sera forte pour qu’elle renonce pour permettre de consolider, face à Bernie Sanders, une candidature modérée viable.
Elizabeth Warren est dans une situation encore différente. S’il apparaît très peu probable qu’elle redevienne l’étendard du camp progressiste à la place de Bernie, elle est respectée au sein du Parti Démocrate et des électeurs ce qui peut en faire une solution de recours si Bernie n’obtient pas la majorité des délégués et qu’il faut chercher un candidat de compromis. En ce sens, il est possible qu’elle soit épargnée par les demandes de retrait à l’issue de Super Tuesday. Mais il lui faut néanmoins faire des résultats et obtenir des délégués pour rendre ce scénario crédible. Elle peut pour cela espérer bénéficier d’un élan apporté par les deux derniers débats où elle a étrillé Michael Bloomberg3Elle n’a pas bénéficié de cet élan lors du caucus du Nevada quelques jours après le débat lors duquel elle avait proprement déchiqueté Bloomberg. Mais tout le monde s’accorde pour dire que de nombreux votes avaient déjà eu lieu avant le débat (dans le Nevada se pratique le « early voting », le vote anticipé, qui permet de voter entre le 15 et le 18 février alors que la primaire «physique » se déroulait le 22 février… et le débat le 19 février !)..
Enfin Tom Steyer (milliardaire – encore un ! – philanthrope) et Tulsi Gabbard (élue de Hawai) n’ont pas du tout percé à ce stade sauf miracle improbable, devraient rallonger dès mercredi la liste des prétendants ayant renoncé ces dernières semaines.
Au-delà des destins individuels évoqués ci-dessus, les résultats des jours à venir pourraient marquer une évolution majeure du paysage de la primaire démocrate. Car il est particulièrement inhabituel d’avoir, à ce stade du processus, 8 candidats encore en lice. S’il en reste encore 5 ou 6 dans une semaine, le scénario catastrophe, du point de vue du parti, d’une convention avec des délégués très éparpillés et donc un processus de désignation chaotique se rapprochera.
Pour autant, si plusieurs candidats sont en danger, il est peu probable que les résultats soient suffisamment tranchés et clairs pour que le terrain s’éclaircisse totalement comme par enchantement. On pourrait donc avoir dans les jours suivants Super Tuesday beaucoup de réflexion et de pression en coulisse sur certains candidats, notamment de la part des anti-Bernie, pour essayer de dégager des scénarios alternatifs à l’investiture de ce dernier. Ce qui fait furieusement penser à la primaire républicaine de 2016 quand les « never trumpers » avaient cherché en vain à évincer Trump de l’investiture.