Lors des huit (!) débats précédents les candidats à la primaire démocrate avaient, plutôt sobrement, discuté de leurs différences programmatiques et philosophiques et souligné l’importance d’arriver unis à l’élection générale de novembre. Il y avait bien eu un incident lors du débat du 14 janvier précédent la primaire dans l’Iowa lorsqu’Elizabeth Warren avait confirmé que Bernie Sanders lui avait dit en 2016 qu’il ne pensait pas qu’une femme pouvait être élue présidente, puis quelques tensions entre équipes de campagnes en janvier et février, notamment en raison des attaques violentes et tous azimuts sur les réseaux sociaux des partisans de Bernie Sanders (les fameux « Bernie Bros »). Les deux derniers débats entre candidats à la primaire démocrate (le 19 février en amont de la primaire dans le Nevada, le 25 février en amont de la primaire en Caroline du Sud et du Super Tuesday) ont marqué un tournant dans le ton adopté.
Les premiers résultats décevants pour certains candidats, notamment Joe Biden et Elizabeth Warren, obligent ces derniers à des performances marquantes pour regagner une dynamique politique… et financière. La surprenante troisième place d’Amy Klobuchar dans la primaire du New Hampshire (et l’importante levée de fond qu’elle a faite au même moment) a ainsi été mise au crédit de sa prestation convaincante lors du débat tenu quelques jours avant.
Les débats sont également souvent suivis de pics de contributions. Or la capacité financière est décisive pour acheter des spots publicitaires et attirer les voix des sympathisants démocrates au-delà des militants très informés et impliqués dans la campagne. L’approche des primaires en Caroline du Sud le 29 février et du « Super Tuesday » le 3 mars renforcent ainsi la pression sur les candidats fragilisés ou à la surface financière insuffisante qui veulent pouvoir poursuivre une campagne après Super Tuesday.
Par ailleurs, ces deux débats ont été marqués par l’arrivée sur la scène des débats de Michael Bloomberg. Entré tardivement dans la campagne, il ne remplissait pas les conditions de participation aux précédents débats1Ces critères fixés par le parti démocrate reposent à la fois sur les résultats dans les sondages et sur le nombre de contributions financières apportées par des donateurs individuels (pour éviter les candidats ayant peu de soutien concret de militants). Le cas Bloomberg, qui ne souhaite pas de contributions individuelles et revendique d’auto-financer entièrement sa campagne ce qui, selon lui, le prémunit des lobbies et du clientélisme, a amené à revoir ces critères, dans la mesure où les sondages le donnent régulièrement avec environ 15% des voix au niveau national.. Ils ont donc été la première occasion d’une confrontation directe avec un candidat qui inquiète la plupart de ses concurrents, que ce soit en raison de ses idées, de son potentiel financier ou parce qu’il peut empiéter sur leur électorat.
Si les deux débats ont été féroces, notamment dans leurs premières parties, ils ont suivi des dynamiques distinctes qui reflètent bien l’état des forces en présence.
Lors du premier, tenu le 19 février, les attaques ont surtout visé Bloomberg sur son passif en matière de harcèlement sexuel, son bilan contesté de maire vis-à-vis de la population afro-américaine, et sur sa fortune. Ces attaques, menées en première ligne par Elizabeth Warren, visaient à tester d’emblée ce nouveau joueur. Elles ont marché au-delà des espérances. Peut-être surpris par la violence des attaques et surtout mal préparé, Bloomberg, a réalisé une première prestation catastrophique. Meilleur dans le débat du 25 février lors duquel il a su un peu mettre en avant son bilan de maire, il n’en reste pas moins qu’il est toujours apparu hautain et antipathique et que ce n’est pas dans les débats qu’il pourra gagner sa nomination. Mais sa puissance financière lui assure une exposition télévisée (via des spots de campagne où personne ne l’attaque…) qui peut tout à fait contre-balancer ces débats.
Autre point marquant du débat du 19 février, les passes d’arme répétées entre Pete Buttigieg et Amy Klobuchar, qui bataillent pour séduire le même électorat. Si Amy Klobuchar n’a pas paru très solide sous la critique, l’insistance de Buttigieg à l’attaquer n’a pas forcément grandi ce dernier.
Lors du débat du 25 février, les attaques ont surtout porté sur Bernie Sanders, trop épargné de l’avis général lors du précédent débat pour quelqu’un qui fait la course en tête. Campé sur ses positions, Bernie a bien résisté et sans doute satisfait ses fans sans aucunement rassurer ses détracteurs.
Je ne veux pas d’un scénario qui se termine en un affrontement entre Donald Trump et sa nostalgie pour l’ordre social des années 50 et Bernie Sanders et sa nostalgie pour les révolutions des années 60
Pete Buttigieg, lors du débat démocrate du 25 février
Pour le reste, le débat, très brouillon2Les modérateurs ont été accusés à l’issue du débat par les observateurs d’avoir laissé trop souvent s’installer une certaine cacophonie, avec des candidats parlant simultanément. Si cela ressemblait de près à un débat électoral français, c’est manifestement inhabituel et très mal vu outre-atlantique., n’a pas permis aux autres candidats de briller et n’a fait que confirmer les impressions passées : Pete Buttigieg confirme qu’il est un orateur brillant et percutant (cf. sa déclaration ci-dessus, qui a marqué les esprits) ; Joe Biden est toujours aussi sympathique et motivé pour démontrer sa combativité et son optimisme… mais il est toujours aussi fumeux ; Elizabeth Warren a confirmé sa capacité à étriller Bloomberg et être pointue sur les dossiers mais aussi ses difficultés à proposer une alternative « progressiste » à Bernie, etc.