Michael Bloomberg, un test pour la démocratie américaine

L’ancien maire de New York, élu dans la foulée du 11 septembre, s’est lancé dans la course pour l’élection de 2020, parce qu’il percevait, dit-il, le risque de la ré-élection de Donald Trump (comprendre : il n’y a pas de candidats crédible pour gagner côté démocrate) et qu’il considère pouvoir apporter les moyens financiers nécessaires pour l’empêcher. Il n’hésite pas d’ailleurs à dire que même s’il n’est pas investi, il dépensera sans compter pour faire perdre Trump.

Mais Bloomberg a d’autres atouts, au-delà de ses moyens financiers. N’appartenant à aucun parti (il avait été élu maire de New York sous l’étiquette républicaine), il n’est pas un homme politique du sérail. Il est surtout le symbole du « rêve américain » puisque, contrairement à Trump qui a hérité sa fortune, il est parti de rien pour fonder son entreprise d’analyse économique et devenir milliardaire. Il a occupé un poste exécutif à enjeu (contrairement à la plupart des autres prétendants démocrates1L’absence à ce stade de la compétition de prétendant gouverneur ou ex-gouverneur est un fait notable du paysage de la primaire démocrate.). Autant de caractéristiques qui enlèvent des angles d’attaque à Trump.

Au-delà de ces éléments rassurants pour l’électorat modéré ou les républicains, il peut dans le même temps attirer l’électorat progressiste en mettant en avant le fait qu’il a utilisé sa fortune personnelle, au moyen de sa fondation philanthropique, pour lutter contre le changement climatique partout dans le monde2Bloomberg Philanthropies finance massivement la Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique, a financé le campagne « we are still in » des états et villes des Etats-Unis qui continent à s’engager sur le sujet malgré l’absence du gouvernement fédéral (campagne qui a fait des émules au Brésil, en Australie, etc.). et pour renforcer la réglementation des armes à feu. Autant dire que Bloomberg peut faire un « pitch » séduisant pour l’ensemble du camp démocrate.

Pour autant, si on creuse un peu au-delà du « pitch », sa candidature présente des fragilités importantes : son usage en tant que maire de New York de la méthode policière du « stop and frisk » (qui consiste à donner la possibilité d’arrêter sans raison tout citoyen et qui a été massivement utilisée pour arrêter les jeunes afro-américains et latinos à tout bout de champ) a beaucoup heurté la population afro-américaine.

Son passif en matière de sexisme voire de harcèlement sexuel semble lourd, même s’il l’a pour l’instant traité avec l’outil typiquement américain de l’ « accord de confidentialité » (celui utilisé par DSK dans son affaire new-yorkaise). Sur ces deux sujets, il s’est certes excusé mais sans vraiment convaincre de sa sincérité, puisqu’il a d’abord mis en avant le contexte (« il fallait bien lutter contre la criminalité à New York, mais cela a pris des proportions trop importantes » ou « je sais que j’ai fait des remarques sexistes ou sexuelles à une époque, mais j’ai été élevé comme ça »).

Enfin, c’est un milliardaire pas franchement à gauche en matière de politique économique : son profil peut paraître contradictoire avec les mesures de lutte contre les inégalités et le pouvoir de l’argent qui font partie du programme de l’ensemble des prétendants à l’investiture (même si Bloomberg a finalement repris à son compte la plupart des propositions démocrates de renforcement du contrôle de Wall Street ou la promesse de monter le salaire minimum à 15 dollars au niveau fédéral, mesures auxquelles il était hostile quand il était maire).

Plus difficile à estimer est l’impact de sa personnalité sur les électeurs. Ni sympathique ni empathique, Bloomberg assume son caractère de businessman froid qui connaît ses dossiers, obtient des résultats et est là pour agir et non pour plaire. Son crédo est simple : il est celui qui « sait faire les choses ». En anglais cela donne le slogan «Mike gets things done », construit en contrepoint à la rhétorique permanente de Trump sur les « do nothing democrats ». Dans un pays où le rejet des élites politiques est peut-être un des seuls points consensuels dans tout le spectre électoral, détonner à ce point du profil politique traditionnel n’est pas forcément un handicap, surtout quand c’est assumé.

Au-delà, une victoire de Michael Bloomberg, ne serait-ce que dans la primaire démocrate, marquerait un nouveau tournant pour la démocratie américaine et sur le pouvoir électoral de l’argent. Car ce n’est pas tant sa qualité de milliardaire qui a permis à Trump d’être élu (même si elle lui a donné les moyens suffisants pour se lancer) que sa capacité à sentir les tensions de la société américaine et à transformer en mouvement populaire le « dégagisme » et le rejet des élites politiques (comme ont pu le faire, sans être milliardaires, Jair Bolsonaro au Brésil ou Beppe Grillo en Italie). Au final, Trump n’a même pas eu besoin de dépenser sans compter sa fortune, tant la fascination médiatique autour de lui lui a offert une exposition médiatique démesurée (et gratuite)3Rappelons qu’il n’y a pas aux Etats-Unis de règle électorale visant à garantir l’équilibre des temps de parole..

Bloomberg, de son côté, n’a pas de mouvement de soutien populaire et son charisme est très limité. Ce n’est sans doute pas sa piètre performance dans le premier débat auquel il a pu participer le 19 février (car comme l’ont remarqué certains commentateurs, l’argent n’achète pas encore le charisme ou la modestie) qui lui permettra de créer une dynamique militante.

Non, si Bloomberg fait son trou dans la primaire, c’est parce qu’il aura arrosé les médias de spots publicitaires, mis en place une équipe de campagne composée de milliers de personnes très bien payées (et logées pour ceux qui sont basés à New York !) et parfois recrutées dans les équipes des autres concurrents ayant abandonné la course.

C’est peut-être aussi parce que le financement apporté par sa fondation à de nombreuses associations sur de multiples sujets lui assure le soutien (ou le silence sur ses déboires et ses déclarations passées sur la minorité afro-américaine par exemple), peut-être en se bouchant le nez, d’une partie de la société civile.

C’est enfin parce qu’il aura aussi peut-être, dans la mesure où il finance aussi largement la campagne de nombreux élus, le soutien (toujours en se bouchant le nez ?) de nombreux élus démocrates et de l’appareil du parti, important en cas de primaire indécise. Si Bloomberg ne finance pas indistinctement toute la société civile ou tous les élus américains et choisit ceux qui portent ses combats sur le changement climatique ou le contrôle des armes à feu4Quant à savoir si la constante augmentation ces dernières années des financements philanthropique de Bloomberg avait des arrière-pensées électorales depuis le début, c’est un débat qui reste entier., reste qu’il semble difficile de se fâcher avec un des hommes les plus riches du pays, qui finance la vie politique et possède par ailleurs des médias.

Autant dire que si Bloomberg réussit son pari, les Etats-Unis auront intérêt à s’interroger sur le financement de la vie publique (les « philanthropies » sont-elles vraiment désintéressées et doivent-elles se substituer à l’Etat fédéral pour mener certaines politiques publiques ?) et des campagnes politiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.