Si les observateurs classent souvent Joe Biden, l’ancien vice-président de Barack Obama, comme un des représentants du camp modéré, on préférera à ce stade analyser sa candidature sous un autre angle car il ne fait pas de son programme son principal argument de campagne et joue d’abord sur son statut d’ancien vice-président qui, espère-t-il, doit permettre de retrouver l’élan de 2008 et 2012 et fermer la parenthèse Trump. De même, par contraste avec Sanders ou Warren, Bloomberg est parfois classé dans les modérés mais il ne fait pas lui non plus de son programme l’axe fort de sa campagne, insistant plutôt sur son bilan, sa personnalité (et ses moyens…).
On se concentrera ici donc sur les deux candidats revendiqués de l’approche « modérée », Pete Buttigieg et Amy Klobuchar. Alors que peu de monde leur prédisait un long chemin dans la primaire démocrate, ils sont toujours là et bien là. Ils ont en effet suscité de l’intérêt chez les électeurs et créer une certaine dynamique autour de la candidature. S’ils ont des faiblesses fortes et risquent de se neutraliser (comme lors du débat du 19 février où ils se sont mutuellement attaqués), on ne peut pas s’empêcher de penser que leurs atouts propres pourraient donner de l’ampleur à une candidature démocrate modérée qui serait peut-être difficile à porter face à Trump si elle était portée par un profil hyper-classique.
Commençons par Amy Klobuchar qui bénéficie depuis début février d’un élan de soutien médiatique, au point qu’elle a été « endossée » par le New York Times (en même temps qu’Elizabeth Warren, le journal de référence préférant, plutôt que de choisir entre une candidature démocrate et une candidature progressiste, désigner les personnalités les plus à même selon lui de porter ces deux projets distincts).
Ses atouts sont certains : sénatrice du Minnesota d’origine modeste, elle peut parler aux électeurs des états des grands lacs qui seront décisifs en novembre (par exemple le Wisconsin et le Michigan qui qui avaient voté Trump en 2016, contre toute attente). Elle a su gagner chaque fois qu’elle s’est soumise aux suffrages dans un état qui n’est pas systématiquement acquis aux démocrates : elle a donc déjà la preuve de sa capacité à gagner une élection importante en milieu plutôt hostile, si on peut dire, ce qui n’est pas le cas de la plupart des autres concurrents.
Elle sait intelligemment jouer sur l’événement « progressiste » que serait l’élection d’une femme et taxer de sexisme les critiques envers elle. Elle a aussi démontré une certaine aptitude aux débats télévisés, ce qui lui a permis sans aucun doute de faire un bon résultat dans le New Hampshire, même si elle a semblé en difficulté lorsqu’elle a été attaquée personnellement lors du débat plus incisif du 19 février.
Reste qu’elle cherche à se distinguer avant tout en insistant sur son bilan de sénatrice. Pas sûr que son principal argument (elle serait la meilleure candidate parce qu’elle a réussi à passer plusieurs dizaines de lois grâce à sa capacité de négociation avec les sénateurs républicains) soit le meilleur pour attirer des électeurs dégoûtés de la politique de Washington et de l’absence d’impact concret de celle-ci sur leur vie quotidienne.
Enfin avant même d’envisager l’élection générale, il faut gagner la primaire et sa capacité à séduire l’électorat progressiste et afro-américain semble incertaine, d’autant qu’elle souffre pour l’instant de la concurrence et des biens meilleurs résultats, dans les premières primaires, de Pete Buttigieg.
« Mayor Pete » est peut-être le candidat le plus étonnant et atypique du paysage de la primaire. Ancien de Harvard et a travaillé dans un cabinet de consultants, mais il s’est aussi engagé dans l’armée et a combattu en Irak. Il est gay et met en scène son mari sans hésiter, tout en revendiquant sa foi chrétienne. Il était maire de South Bend, petite ville de l’Indiana, état du Midwest, où son profil est sans doute loin d’être celui de la plupart des maires. Chacun de ces éléments est à la fois un atout et un handicap.
Buttigieg sait utiliser à merveille son talent oratoire et sa clarté d’expression pour qu’on retienne surtout ces atouts et moins ses faiblesses. On l’attaque sur son inexpérience comparée à celle de sénateurs ou d’une vice-président ? Il n’y a pas de quoi être fier du bilan de toutes ces carrières, quand on voit l’état du pays, répond-il. On méprise la taille de la ville dont il était maire ? C’est la preuve du mépris de Washington pour tout une partie du pays, rétorque-t-il. C’est que c’est un remarquable débatteur (qui sait surtout placer ces « éléments de langage », diront ses détracteurs). Son message sur le besoin de rassembler toute l’Amérique et ses précautions quant à une intervention trop forte de l’Etat semble bien résonner avec les aspirations d’une partie de l’électorat.
Reste que ses positions sur le fond de certains sujets sont floues (si tant est que cela soit un handicap…). Surtout, soutenus par certains lobbys puissants et par de nombreux milliardaires, il offre un angle d’attaque important pour l’aile gauche qui le dépeint comme une marionnette des lobbys qui fera « business as usual ». Enfin, son bilan de maire est entaché de polémiques sur la gestion de la police et les relations avec les afro-américains de South Bend, ce qui le fragilise pour la primaire démocrate.
Terminons sur un non-dit derrière les doutes sur la capacité à gagner l’élection générale (encore l’« électabilité »…) de Mayor Pete : la crainte que les Etats-Unis ne soient pas prêts à élire un président gay. Reste que jusqu’à présent, si on en croit les sondages et les premières primaires, Pete Buttigieg fait la course en tête du camp modéré. Si on se prête au jeu un peu écœurant d’établir une « hiérarchie des boulets », exercice auquel on échappe difficilement quand on parle d’ « électabilité », il semble que le fait d’être un blanc gay soit moins handicapant que celui d’être un femme ou d’être afro-américain…