L’élection américaine peut-elle se gagner au centre ?

A l’opposé complet de la stratégie portée par le camp progressiste, le camp modéré a pour premier objectif de récupérer l’électorat « volatile » qui a voté pour Donald Trump en 2016. C’est le credo développé par Pete Buttigieg ou Amy Klobuchar, les deux candidats issus d’états du Midwest qui estiment pouvoir mobiliser autour de leur approche (et de leur profil, on y reviendra) l’électorat des classes moyennes blanches et « rurales » qui se sentent délaissées par les élites mondialisées des côtes Est et Ouest que symbolisait à outrance Hillary Clinton, et qui ont sans doute fait basculer des états décisifs en 2016.

Il s’agit d’insister sur la nécessité de remédier aux problèmes économiques avec de meilleures recettes que celles portées par Trump, de plaider pour un pays rassemblé et apaisé, d’attirer des électeurs peu friands de la personnalité de Trump à l’usage, de promouvoir des politiques pragmatiques capables de dépasser les clivages entre partis pour sortir des blocages institutionnels actuels plutôt que de prôner une « révolution » que la composition probable du Congrès post-élections de 2020 rendra impossible à mettre en œuvre.

Symbole de la différence sur le fond entre cette approche et celle du camp « progressiste » : le refus d’une assurance santé universelle au profit d’une amélioration du dispositif actuel (« Medicare for all who wants » comme dit Pete Buttigieg). Car pour le reste, les différences de positionnement sur les autres grands sujets sont limitées : les deux camps veulent une réforme institutionnelle et une réforme pénale, lutter contre le changement climatique, renforcer le contrôle des armes à feu, augmenter les impôts des plus riches, etc.

Les promoteurs de ce positionnement mettent en avant la victoire dans les élections de mi-mandat de 2018 de candidats démocrates modérés dans des états plutôt républicains ou « pourpres » (couleur utilisée pour désigner les états volatiles, pour opposition aux états rouges normalement acquis aux républicains et bleus normalement acquis aux démocrates)1De son côté, le camp progressiste met en avant la nouvelle vague de jeunes femmes souvent issues de la diversité élues à la chambre des représentants ou au niveau local.. Cette approche peut aussi paraître rationnelle face à un candidat volontairement clivant et résolument à droite de l’échiquier et qui laisse donc théoriquement un espace au centre. Elle bénéficie aussi sans doute du fait que le camp progressiste est aujourd’hui mené par un candidat (Bernie Sanders) jugé repoussoir tant pour une partie de l’électorat démocrate qu’en vue d’un affrontement avec Donald Trump.

Mais l’approche modérée présente aussi des faiblesses et incertitudes importantes :

    • Trump a-t-il vraiment déçu ses électeurs ? Sur la forme, rien n’est moins sûrEn 2016, l’éditorialiste du Washington Examiner avait eu une formule tout à fait intéressante : « Les électeurs de Trump le prennent au sérieux mais pas au mot, alors que les médias le prennent au mot mais pas au sérieux ».. Sur le fond, les discours grossièrement exagérés de Trump sur la bonne santé de l’économie ne doivent pas faire oublier que la plupart des indicateurs macro-économiques sont positifs. C’est donc le ressenti individuel des électeurs de 2016 sur leur situation économique qui jouera. Et bien malin aujourd’hui qui peut avoir des certitudes sur ce que sera le ressenti des électeurs du Wisconsin, du Michigan ou de la Pennsylvanie début novembre.
    • Ce positionnement ne va-t-il aliéner les électeurs jeunes et/ou très progressistes qui veulent un vrai changement ? Le rejet de Trump sera-t-il suffisant pour les inciter à voter « utile » ? Compte tenu du rejet de la politique traditionnelle qui frappe une grande partie de l’électorat, si les supporters de Bernie Sanders (dont la déception si ce dernier n’est pas désigné risque d’être à la hauteur de l’engouement qu’il a suscité) avaient cru sérieusement que Trump pouvait gagner en 2016, auraient-ils pour autant voté pour Hillary Clinton ?

Présentée ainsi, l’approche modérée paraît dangereuse. Mais elle peut prospérer si elle est porté par un candidat ou une candidate capable de déclencher une dynamique et d’apporter une « âme » ou un « plus » grâce à sa personnalité.

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