Au-delà des problèmes de fond que poserait une candidature portant un projet résolument progressiste, se pose la question des candidats susceptibles de porter ce projet.
Aujourd’hui, Bernie Sanders est manifestement le chef de fil incontestable de ce camp. La sincérité et constance de son engagement sur ses propositions, sa candidature au final plutôt réussie en 2016 (personne ne s’attendait à ce qu’il donne autant de fil à retordre à Hillary Clinton) lui assure un mouvement de soutien solide. Ses qualités oratoires et sa rhétorique enflammée et radicale lui permettent de se démarquer des politiciens traditionnels et de porter le flambeau d’une nouvelle politique (alors même qu’il est élu au Congrès depuis 1991…).
Mais ses points faibles sont importants, problématiques et peut-être rédhibitoires :
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- il a 78 ans et il a fait une attaque cardiaque à l’automne 2019.
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- Sa personnalité et la nature de son leadership sont de plus en plus contestés : sa colère permanente témoigne de son engagement, mais elle marque un caractère compliqué et s’accompagne d’une incapacité à reconnaître ses erreurs. Surtout, il fait l’objet d’une sorte de culte de la personnalité chez ses militants, avec des soutiens (surnommés les « Bernie Bros ») hyper-actifs sur les réseaux sociaux et connus pour attaquer très (trop) violemment tous les critiques de leur idole. Et il ne cherche que très mollement à remédier à cela.
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- Surtout il revendique le qualificatif de « socialiste ». Et s’il explique que ce n’est pas socialisme de l’URSS mais un « socialisme démocratique », difficile de nier que le terme est particulièrement repoussoir au pays du capitalisme et de la guerre froide1On notera avec intérêt que le terme est jugé négativement par une nette majorité d’américains dans les sondages mais beaucoup moins chez les jeunes, qui n’ont pas connu la guerre froide…. Autant dire que l’angle d’attaque pour Donald Trump serait presque trop facile. Il suffirait de transformer une élection qui devrait être un referendum sur le « Trumpisme » en un referendum sur le socialisme…
Bref : trop clivant pour gagner une élection générale ? Si l’on s’en tient à des critères classiques, sans aucun doute. Mais faut-il oublier aussi rapidement que Donald Trump a été élu en 2016 ?
Elizabeth Warren aurait pu être la cheffe de file de ce camp. Ancienne enseignante, à Harvard (qui n’a donc pas toujours été une « politicienne »), brillante professionnelle qui maîtrise ses dossiers2Elle a créé de toute pièce le « Consumer Financial Protection Bureau », pour protéger les petites classes moyennes menacées par la prédation des banques commerciales, après en avoir défendu le principe auprès de Barack Obama et obtenu son accord suite à crise des « subprimes » de 2008, convaincue et engagée, sincèrement empathique et sympathique, elle avait toutes les caractéristiques a priori pour faire une candidate « progressiste » moins clivante que Bernie.
Mais elle n’a pas su gérer les critiques dont elle a fait l’objet lorsqu’elle est montée dans les sondages à l’automne 2019. Contrairement à Bernie Sanders imperméable aux critiques sur son programme jugé irréaliste, elle a répondu dans le détail ce qui l’a conduit à amoindrir, sans doute à juste titre, la proposition de « Medicare for all ». Elle a alors perdu une partie de son ancrage progressiste sans pour autant regagner les voix des modérés qui avaient trouvé d’autres champions pendant ce temps.
Reste que son positionnement de progressiste capable de dialoguer avec les modérés peut, si elle parvient à rester dans la course et à continuer à récolter des fonds pour mener campagne jusqu’à la convention démocrate, en faire le moment venu un recours intéressant capable de satisfaire le camp progressiste sans s’aliéner le camp modéré. Ce scénario, qui semblait fragile après les deux premières primaires dans lesquelles Mme Warren a peiné, a regagné un peu de crédit après le débat du 19 février, lors duquel elle a montré une combativité nouvelle et une capacité à porter ses idées et à débattre séduisante. Les résultats du Nevada, de la Caroline du Sud et du Super Tuesday seront décisifs pour déterminer si elle peut réellement rester dans la course.