Pousser un projet radicalement progressiste pour mobiliser les démocrates qui n’ont pas voté pour Hillary Clinton en 2016, c’est le pari de Bernie Sanders et à moindre degré d’Elizabeth Warren. Il s’agit d’insister sur la lutte contre les inégalités sociales, d’annoncer la création d’une assurance santé publique universelle (« Medicare For All »), de promouvoir la gratuité des études universitaires1La dette étudiante est .une préoccupation majeure au niveau individuel mais aussi au niveau macroéconomique : le risque d’éclatement de cette bulle financière est dans toutes les têtes., une profonde réforme pénale2Le système judiciaire américain est jugé particulièrement déficient et discriminatoire envers les minorités. Il s’agit donc là d’un sujet très mobilisateur pour les minorités notamment afro-américaines., une politique migratoire plus accueillante, un vrai plan de lutte contre le changement climatique (le « Green New Deal », censé créer des milliers de nouveaux emplois pour assurer la transition énergétique) avec le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris. Le tout en faisant de la lutte contre l’influence des lobbys et contre le pouvoir de l’argent à Washington un axe majeur de la campagne, avec un projet de taxation des – très grandes – fortunes.
Si cette approche peut mobiliser fortement les jeunes, a permis l’irruption d’une nouvelle génération au Congrès de jeunes représentants issus des minorités lors des élections de mi-mandats de 2018 (telle la très médiatisée Alexandra Ocasio Cortez) et a déjà entraîné un mouvement militant très important en faveur de Bernie Sanders, elle présente des risques au moment de la primaire mais surtout de l’élection générale (ce qui renvoie au risque de désigner à l’issue de la primaire un candidat ne remplissant les conditions nécessaires d’« électabilité » ensuite).
En premier lieu, parlera-t-elle vraiment aux électeurs afro-américains souvent considérés comme conservateurs du point de sociétal et économique3Cory Booker, sénateur afro-américain du New Jersey candidat à l’investiture, faisait ainsi campagne sur des thèmes plus centristes en insistant moins sur le renforcement de l’Etat providence pour les populations afro-américaines pauvres que sur la nécessité de leur donner des possibilités de s’intégrer dans l’économie et de faire des affaires « comme les autres ». ? Bernie Sanders avait échoué sur ce terrain en 2016. Il a manifestement accentué ces efforts sur les minorités cette année.
Ces thèmes mobilisateurs pour les jeunes éduqués, « mondialisés » et militants des côtes Est et Ouest le seront-ils pour les jeunes du Michigan ou du Wisconsin, et pour les électeurs « dépolitisés » qui ne vont plus voter depuis longtemps ou qui ont voté Trump en 2016 en cherchant « ailleurs » un remède à leurs problèmes ? Les progressistes mettent en avant que leur mouvement comporte aussi des ouvriers et est soutenu par les syndicats (à quelques exceptions notables près, cf. infra). Mais cela sera-t-il suffisant ?
La proposition de « Medicare For All » ne va-telle pas se transformer en boulet ? Elle est en effet critiquée sous de multiples angles : pour son coût, par défiance envers un système qui serait géré par l’Etat fédéral (même si la gestion par les assurances privées est particulièrement bureaucratique également), parce qu’elle remet en cause des acquis importants dans certains secteurs économiques où les syndicats ont négocié des systèmes d’assurance privée très protecteurs (dispositifs que la loi « Patient Protection and Affordable Care Act » de 2010, le fameux « Obamacare » attaqué par Trump au Congrès et dans les tribunaux, avait préservés).
De façon plus générale, la capacité à faire aboutir ces propositions alors que le Sénat pourrait rester majoritairement républicain (il est renouvelée par tiers tous les 2 ans, et le profil des sièges à renouveler en 2020 laisse peu d’espoirs de faire basculer la majorité) est très incertaine. Or, les américains sont las de l’immobilisme de Washington : pourquoi alors voter pour un programme attirant mais qui ne sera jamais mis en œuvre ?