Comment désigner un candidat capable de rassembler tout son camp mais aussi d’attirer au-delà pour battre Trump ? C’est la question à laquelle sont confrontés les électeurs démocrates alors qu’approche le « super Tuesday » (primaires simultanées le 3 mars dans 15 états dont des gros états comme la Californie ou le Texas).
Car le risque d’investir un candidat qui serait incapable ensuite de gagner l’élection générale est la crainte de tous les partisans démocrates, pour lesquels un deuxième mandat Trump serait cauchemardesque. Trump lui-même a appelé ses militants le 11 février à participer aux primaires démocrates pour désigner le candidat le plus faible (tout en indiquant qu’il avait conscience que ce n’était pas facile puisque « tous les candidats démocrates sont faibles » !).
C’est que sans doute plus encore qu’en France, le fossé est immense entre les militants qui voteront lors de la primaire et le corps électoral en général. Bernie Sanders a le socle militant le plus actif et le plus enthousiaste côté démocrate, mais cela ne garantit en rien sa capacité à mobiliser un électorat plus large. D’autant que l’abstention est traditionnellement massive (depuis 1968, entre 42% et 51% des inscrits ne se déplacent pas…) et faire face à un candidat repoussoir comme peut l’être Donald Trump ne doit être un prétexte pour miser a priori sur un « vote utile » (Hillary Clinton peut en témoigner…).
Ensuite, parce que pour gagner l’investiture démocrate, il faut être performant d’abord auprès des électeurs revendiqués démocrates dans certains états très peuplés (Californie, Texas, New York, Floride) et/ou s’assurer du soutien de l’électorat afro-américain pour être performant dans les états du Sud. Mais l’élection générale du 3 novembre contre Donald Trump se jouera beaucoup dans d’autres états (ceux perdus de façon inattendue par Mme Clinton en 2016 : Michigan, Wisconsin, Pennsylvanie, etc.) dont le corps électoral présente un profil différent. Or aujourd’hui, aucun candidat ne semble à même d’attirer les électeurs progressistes et « mondialisés » de la côte pacifique et de New York, en même temps que les électeurs afro-américains du Sud, tout en étant capable de lutter avec Donald Trump dans des états industriels et ruraux et très majoritairement blancs.
C’est pourquoi le concept d’ « électabilité » est au cœur de la campagne démocrate actuelle et des discours de campagne des prétendants à l’investiture. En témoignent les sondages qui montrent que les électeurs démocrates placent en priorité absolue la défaite de Trump plus que de voir élu un candidat qui partage leurs idées.
Pour autant, l’élection de 2016 a été une telle surprise et le rejet du personnel politique classique (et de « Washington » en général) est tellement fort, que personne ne sait plus dire avec certitude, malgré les armées de sondages et de consultants qui analysent dans le détail le corps électoral, quel est le bon profil. L’ex vice-président d’Obama Joe Biden, candidat au profil le plus classique et équilibré (personnalité attachante, expérience incontestable, capacité à surfer sur le nom d’Obama) et donc un temps jugé favori, a façonné toute sa campagne autour du fait qu’il serait le mieux à même de battre Trump. Pourtant, il a des premiers résultats très faibles. C’est que l’ « électabilité » ne s’auto-déclare pas et est une qualité particulièrement difficile à évaluer à l’avance ! Biden revendique par exemple le vote afro-américain pour justifier son potentiel. Mais les démocrates afro-américains aussi regardent l’« électabilité »… et donc la capacité d’autres catégories démographiques cruciales (jeunes, blancs ruraux) à voter pour un candidat ! Ou quand le serpent se mord la queue…
Et puis, après tout, un pays qui a élu et réélu son premier président noir avant, dans la foulée, de choisir un magnat de l’immobilier et star de la télé-réalité totalement inexpérimenté et à la personnalité et aux idées manifestement problématiques, ne peut-il pas tout aussi bien élire en 2020 la première femme présidente (Elizabeth Warren ou Amy Klobuchar), un ancien consultant formé à Harvard, gay, vétéran de la guerre en Irak et maire d’une petite ville de l’Indiana (Pete Buttigieg), un milliardaire philanthrope ancien maire de New-York au bilan contesté (Michael Bloomberg) ou un socialiste revendiqué de 78 ans (Bernie Sanders) ?