Cédons à la tendance générale… et focalisons-nous un instant sur l’impact à ce stade de la progression du coronavirus aux Etats-Unis sur la situation politique.
Le premier impact immédiat est l’annulation de meetings de campagne… au moins par les deux candidats démocrates encore en lice. Même si cela touchera surtout Bernie Sanders, dont les meeting enthousiastes sont des démonstrations de force (qui ne sont pas vraiment traduites dans les urnes), l’impact sera limité, la primaire démocrate étant probablement joué1De même, le virus pourrait avoir un effet sur la participation aux primaires, même si l’existence du vote à distance ou du vote anticipé, dans certains états, rend sans doute difficile une appréciation globale d’un tel phénomène.. Donald Trump a lui aussi fini par annuler ses meetings. Dans la sphère complotiste qui gravite autour de lui, on ne manque pas de suggérer que les démocrates en rajoutent sur les meetings parce qu’ils savent que c’était un des points forts de Trump.
Par ailleurs, les 3 candidats restant ont tous plus de 70 ans et sont donc dans la population à risque, ce qui pose des questions sur leur capacité à mener une campagne normale, sur ce qui se passerait en cas de maladie de l’un ou l’autre, etc.
Sur un tout autre plan, l’irruption du coronavirus dans la campagne pourrait avoir un impact important sur le débat d’idée. En effet, la gestion de ce sujet de santé publique a un lien immédiat avec l’efficacité du système de santé américain. Aujourd’hui, il est probable qu’en raison de l’absence de couverture santé et du coût du test, des patients atteints ne se signalent pas, ne sont pas comptabilisés et mettent en péril une bonne gestion de l’épidémie. La question du coût des soins et de leur nécessaire gratuité au moins dans certains cas devrait donc rapidement être dans l’actualité.
A ce stade, cela n’a pas eu d’effet sur la primaire démocrate, alors qu’on aurait pu penser que Bernie Sanders, qui propose la mise en place d’une couverture santé publique universelle (« Medicare for all ») pourrait en bénéficier. Le sujet est peut-être arrivé trop tard, et Bernie Sanders ne semble pas, de façon étonnante, avoir à ce stade essayé d’utiliser ce point d’appui pour justifier son programme ambitieux.
Reste que si l’épidémie perdure et reste dans l’actualité dans les semaines et mois qui viennent, et au-delà d’éventuelles critiques sur la gestion par Donald Trump de la crise, les démocrates pourraient utiliser le sujet pour remettre en cause les positions de Trump contre ObamaCare, mettre en avant a contrario leur projet d’extension du dispositif (plus ou moins graduelle selon le nominé), caractériser un impact concret des inégalités aux États-Unis et amener l’élection sur un sujet concret et un terrain plus favorable que l’état de l’économie, par exemple.
Par ailleurs, l’impact du coronavirus sur les cours de la bourse américaine est déjà important, avec des chutes régulières. Sans rentrer dans les analyses économiques expliquant cette chute, la conséquence « politique » immédiate est qu’un des indicateurs les plus régulièrement mis en avant par le Président Trump pour décrire son « extraordinaire » bilan économique, à savoir le cours de Wall Street, est en train de lui échapper.
A ce stade, impossible d’évaluer la nature et l’ampleur des conséquences économiques (et évidemment, c’est, avant de mettre en péril l’élection de Trump, surtout problématique pour un certain nombre de secteurs et personnes précaires), mais Trump risque de revoir sa stratégie de campagne basée largement sur le bilan économique. Il a d’ailleurs immédiatement réagi en proposant une batterie de mesures de soutien de l’économie.
Enfin, Donald Trump a une propension pathologique à dire que tout est parfait sous sa présidence – et surtout que c’est grâce à lui. Le président ne peut sans doute pas grand chose à l’irruption du virus aux Etats-Unis et on ne doute pas de sa capacité à rejeter la faute ou à faire porter le chapeau des conséquences économiques sur d’autres, que ce soit sur la mondialisation en générale (ce qui lui permettra de consolider sa rhétorique protectionniste) ou sur les démocrates qu’il accuse déjà de dramatiser à l’excès la situation pour le fragiliser (il s’attaque ainsi aux gouverneurs démocrates qui essayent de pallier les insuffisances de l’état fédéral dans la gestion de l’épidémie).
Surtout, le risque est grand de le voir prendre des mesures davantage pensées pour conserver un bon bilan notamment économique en vue de sa réélection que pour gérer la crise de santé publique. Avec en corollaire, le risque d’une mauvaise gestion, de dérapages médiatiques, d’annonces immédiatement contredites, de friction avec son administration, etc.
Tout ceci s’est déjà déroulé sur d’autres sujets sans que cela le perturbe, sans conséquences sur l’économie ou sur sa popularité. Mais peut-il tirer à nouveau sur la corde sur un tel sujet ? L’opinion publique ni résolument pro-Trump ni résolument anti-Trump continuera-t-elle à fermer les yeux, au motif que les Etats-Unis vont plutôt bien économiquement, sur les dérapages présidentielles si la gestion est chaotique ? La bourse elle-même et les milieux économiques, qui ont pour l’instant fait crédit à Donald Trump de ses mesures très favorables pour les entreprises, les investisseurs et pour les riches en oubliant tous ses errements (y compris la guerre commerciale ou sa politique internationale parfois périlleuse pour certains intérêts économiques américains), vont-ils continuer à lui faire confiance ou adopter une attitude plus frileuse en raison des risques liés à une présidence erratique en période de fortes incertitudes ?
Si Trump a résisté à tout jusqu’à présent, on n’a pas non plus trop de mal à imaginer la spirale négative dans laquelle la décision aberrante ou le tweet de trop pourrait l’entraîner. En ouvrant la voie à une défaite en novembre, mais aussi à plusieurs mois, d’ici là, de chaos au sommet de ce qui reste la première puissance mondiale, alors même qu’il va sans doute s’agir de gérer une pandémie et crise économique mondiale.