Les résultats du « Big Tuesday » le 10 mars ont confirmé, encore plus qu’attendu, l’avance de Joe Biden et l’élan de sa campagne.
En arrivant en tête et en remportant plus de délégués que Bernie Sanders dans le Missouri, mais surtout dans le Michigan (dont Sanders avait fait une priorité1Sanders avait remporté contre toute attente l’état en 2016. Cela avait redonné un élan à sa campagne et lui avait permis de contester jusqu’au bout la nomination d’Hillary Clinton. L’état ayant été ensuite perdu par Mme Clinton lors de l’élection générale, il était par ailleurs considéré comme représentatif de la capacité du nominé démocrate à « reprendre » certains états pour battre Donald Trump en 2020.) et dans l’Etat de Washington (que tout le monde pensait acquis à Sanders), Biden a non seulement accru son avance en nombre de délégués mais surtout démontrer sa capacité à avoir un soutien large au sein de l’électorat divers du parti démocrate. A contrario, on voit mal où Sanders pourrait rattraper son retard, puisqu’il est désormais battu dans les Etats du Sud, du Nord Est, du Midwest et même sur la côte Ouest.
En ne faisant pas de déclaration le soir du 10 mars (alors qu’il profitait toujours de cette opportunité d’une exposition médiatique « gratuite »), Sanders a montré qu’il réfléchissait à la suite de sa campagne. Dans une déclaration faite le lendemain, il reconnaissait avoir subi une défaite importante, tout en rappelant son programme ambitieux et en appelant Joe Biden à clarifier sa position sur un certain nombre de sujets qui lui sont chers (couverture santé universelle, gratuité des études universitaires, protection du droit à l’avortement, politique migratoire, etc.).
De son côté, en se gardant d’afficher un triomphalisme excessif, Joe Biden avait tendu la main à Bernie et à ses électeurs dans sa déclaration le soir de « Big Tuesday » en saluant la campagne de Bernie et en disant qu’il était prêt à accueillir tout le monde pour le soutenir.
On imaginait donc que le débat du 15 mars pouvait être un moment d’union lors duquel Biden donnerait des signaux à l’électorat de Sanders en reprenant à son compte tout ou partie de certaines mesures progressistes, préparant, après un nouveau round de primaires prévues le 17 mars dans trois états importants (Illinois, Floride et Arizona2La primaire dans l’Ohio, autre état clé pour l’élection générale de novembre, prévue le 17 mars a été reportée en raison du coronavirus. Les autres ont été maintenues, y compris parce que le vote anticipé par correspondance est possible et largement utilisé., un retrait de Sanders dans lequel celui-ci pourrait appeler à voter pour lui en mettant en avant cette inflexion progressiste.
Mais ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé, à la surprise des observateurs (et à la déception de nombreux démocrates de toute tendance) :
-
-
- le ton des échanges est resté dur. Il ne faut probablement pas l’imputer à une animosité entre les deux hommes3Comme cela pouvait être le cas entre Sanders et Clinton. Manifestement, les deux hommes s’apprécient plutôt. En tout cas, ils ne cessent de le répéter tous les deux. mais sans doute à l’incapacité de Bernie Sanders de ne pas paraître systématiquement en colère et à la volonté de Biden de montrer qu’il peut être un débatteur coriace. Ce point est en effet important tant Biden est souvent présenté comme trop tendre pour affronter Trump (sans même parler de son bégaiement ou de ses phrases tortueuses, qu’il a d’ailleurs très bien contrôlés lors du débat).
-
- Biden n’a pas vraiment saisi les occasions qui se sont présentées pour endosser des mesures progressistes. Il faut dire que Sanders a tendu ces perches en rappelant les prises de position passées de Biden sur certains sujets et donc en mettant ce dernier en difficulté. Lequel Biden a plutôt cherché, suivant sa tendance habituelle, à défendre son bilan qu’à se tourner vers l’avenir.
-
- L’arrière plan de la crise de coronavirus aurait pu servir de catalyseur pour montrer la proximité idéologique des deux candidats, partisans d’un rôle important de l’état et du renforcement de l’état-providence. Au contraire, les longs échanges ont plutôt accentué la différence. Sanders a ramené le sujet sanitaire à l’absence de couverture sociale universelle et les possibles impacts économiques à l’incapacité de faire face aux lobbys des grandes entreprises pour réduire les inégalités et la précarité. Biden, souhaitant sans doute marquer la différence avec un Trump qui n’a pas encore vraiment endossé le costume de président pour gérer la crise, a insisté sur ce que serait sa gestion quotidienne de la crise et les résultats concrets à obtenir rapidement, renvoyant les « révolutions » à plus tard. Il a même contesté le lien avec « Medicare for all » et bien sûr défendu la gestion par Obama de la crise financière de 2008. Au final, l’opposition entre le « pragmatique » prônant le retour à la normale et le « révolutionnaire » est apparue très forte.
-
Les deux candidats ont bien su jouer leur partition et peuvent se satisfaire de leur prestation. Mais Bernie n’aura sans doute pas inversé la tendance et ramené à lui les électeurs modérés qui ont sans doute été rassurés par la posture présidentielle de Biden sur le coronavirus. Biden de son côté n’aura sans aucun doute pas convaincu les partisans les plus fervents de Bernie.
Biden aura néanmoins peut-être touché une partie des électeurs progressistes (par exemple les partisans d’Elizabeth Warren) en en promettant de nommer une femme afro-américaine à la Cour Suprême et en prenant l’engagement de prendre une femme comme vice-présidente. Biden avait déjà clairement affirmé qu’il ne ferait qu’un seul mandat s’il était élu et qu’il souhaitait être un pont vers une nouvelle génération. Les vice-présidents étant souvent bien placés pour être investis, il ouvre ainsi la voie pour l’élection d’une première femme présidente. Ceci peut lui attirer des sympathies chez les jeunes militants des droits civiques en général, mais pas chez les partisans les plus fervents de Bernie dont la priorité réside en premier lieu dans l’évolution du modèle capitaliste américain4Bernie lui-même n’a pas voulu s’engager sur le fait de prendre une femme comme vice-présidente, insistant sur le fait que cela peut-être une femme mais que ce qu’il attendrait alors serait surtout que ce soit une vraie « progressiste »..
C’est donc avant tout une occasion manquée pour faire l’union du parti, préparer la suite et se mettre dès à présent en ordre de marche pour affronter Trump. Pour Bernie qui n’aura pas trouvé dans ce débat une voie de sortie par le haut de la primaire. Mais surtout pour Biden, qui n’aura peut-être pas beaucoup de nouvelles opportunités si la campagne continue à se réduire en raison du coronavirus ou si Bernie se retire à court terme.