Et si le Coronavirus mettait la question de la précarité et de l’Etat-providence au cœur du débat présidentiel ?

Au fur et à mesure que les décisions de restriction des interactions sociales s’étendent aux Etats-Unis et que l’économie subit les premiers contrecoups de la situation mondiale, on réalise (quand on est français… mais peut être aussi quand on est américain) combien la précarité et l’absence de « filets de sécurité » sont préjudiciables en temps de crise et constituent des handicaps pour la gestion correcte de la pandémie.

Évidemment, les inégalités en matière d’accès aux soins ont rapidement été dans le débat. Plus de 80 millions d’américains seraient pas ou très mal couverts. Donc de nombreuses personnes malades n’ont pas les moyens de se tester ou de se soigner. Même si le gouvernement fédéral a annoncé que les tests seraient gratuits (ce que certains états, comme celui de New York, avaient déjà mis en place), la complexité du recours aux divers dispositifs « gratuits » est importante1A noter également que le président Trump, dans sa volonté de limiter l’immigration, a pris une disposition, validée récemment par la Cour Suprême, selon laquelle l’accès à la carte verte (le fameux permis de séjour de long durée) serait exclu pour les immigrés ayant eu recours à certains programmes de l’Etat providence, dont le dispositif Medicaid (au motif que seuls les immigrés capables de se subvenir à eux-mêmes devraient pouvoir rester aux Etats-Unis). Les professionnels de santé avaient alerté, sans succès, sur le risque de baisse de la vaccination, de non recours aux soins en cas d’épidémie, etc.. La question du coût des soins n’est par ailleurs pas claire à ce stade2Les messages du gouvernement indiquent aux personnes malades d’aller voir leur « medical provider ». Lequel est le médecin agréé pour par l’assurance… pour ceux qui en ont une. Les autres iront dans les dispensaires publics, qui alertent déjà sur les limites de leur capacité, ou aux urgences privées (pour lesquelles il faut le plus souvent payer avant d’entrer… et laisser sa carte de crédit pour les frais liés à d’éventuels soins).. C’est tout l’enjeu du débat sur une couverture santé publique universelle au cœur de la primaire démocrate depuis plusieurs mois.

Au-delà, il n’y a pas de système obligatoire d’indemnités journalières en cas de congé maladie. Si certaines entreprises l’ont mis en place dans le cadre de cette crise, et si une loi a été préparée en urgence pour instaurer des indemnités financées par l’Etat fédéral pour les salariés des entreprises de moins de 500 salariés (démocrates comme républicains considèrent que les grandes entreprises peuvent le prendre en charge), de nombreux salariés sont à ce stade obligés d’aller travailler pour toucher un salaire et risquent de propager le virus.

Autre exemple : les maires hésitent à fermer les écoles publiques car elles nourrissent gratuitement certains enfants le midi et on craint des conséquences importantes si ce repas n’est plus fourni. De la même façon, la question se pose dans les universités (dont de nombreuses ont annoncé, en ordre dispersé, qu’elles fermaient jusqu’à nouvel ordre) où un certain nombre d’étudiants dépendent fortement des cantines universitaires pour se nourrir, ce qui renvoie également au coût des études. On s’interroge aussi évidemment sur la façon dont certains parents pourront garder les enfants en l’absence d’aide à la garde d’enfants et alors que de nombreux parents ne pourront pas ne pas aller travailler.

Cette question renvoie donc aussi et enfin à la situation des très nombreux américains – ou immigrés – qui ont des emplois très précaires (employés de maison, livreurs, salariés dans l’hôtellerie restauration ou l’industrie du spectacle, souvent très dépendants des pourboires) ou sont auto-entrepreneurs (phénomène démultiplié par l’ « uberisation » de l’économie), qui ne bénéficient d’aucun ou de très peu de filet de sécurité ou de protection de leur emploi… et qui pourront difficilement supporter des mesures fortes et longues de restriction des interactions sociales.

D’où une main qui tremble au niveau de gouvernement fédéral, des gouverneurs ou des maires lorsqu’il s’agit de prendre des mesures pour ralentir la propagation du virus… D’où aussi un débat intéressant entre républicains et démocrates sur certaines mesures économiques à prendre pour limiter les conséquences économiques de la pandémie : l’administration Trump privilégie une baisse des cotisations salariales (pour que l’augmentation de salaire qui en résulte soutienne la consommation et la demande) tandis que les démocrates considèrent qu’il s’agit plutôt d’aider les plus précaires et voudraient renforcer les filets de sécurité existants (indemnisation du chômage, « food stamps »3Il s’agit des bons d’alimentation attribués à certains ménages pour leur permettre de s’approvisionner.notamment).

Les démocrates avaient déjà affûté leurs arguments contre les milliardaires (avec Trump puis Bloomberg dans le paysage électoral) et le poids des lobbys et de la finance. Ils avaient aussi en commun le projet de taxer les plus riches (à des degrés divers, certes) pour financer une meilleure couverture santé, la garde d’enfants ou la gratuité des études universitaires. Mais dans un pays où le poids du gouvernement fédéral et de l’administration en général est culturellement regardé avec suspicion, où l’idée de responsabilité individuelle et de rêve américain reste profondément ancrée dans les esprits américains4L’importance de ces idéaux est sans doute variable selon les catégories de la population. Les jeunes ou les immigrés récents sont sans doute moins marqués. D’où l’importance du vote latino et du vote des jeunes pour l’élection générale de novembre 2020, tant ces catégories sont concernées par les emplois précaires dans le secteur de l’hôtellerie-restauration ou de la livraison à domicile., ces arguments semblaient faibles face à un Donald Trump surfant sur une situation économique prospère.

Au-delà de son impact sur l’économie, qui peut enlever un argument à Donald Trump, la crise du coronavirus pourrait bien également remettre au centre du débat la question de l’Etat providence et de la précarité et ne pas limiter l’élection à un referendum « pour ou contre Trump ». Pour cela, il faudra aussi que Joe Biden (s’il est, comme c’est le plus probable, le candidat démocrate) ne se limite pas à taper sur Trump mais consolide son programme avec des mesures sociales progressistes pour attirer autant que possible l’électorat précaire.

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