Bernie peut-il mettre fin proprement à sa campagne ?

Les résultats définitifs du « Big Tuesday » du 10 mars ont confirmé le retard de Bernie Sanders et son absence de réserves de vote et de marge de manœuvre pour rattraper son retard.

Sa stratégie basée sur la participation des jeunes, le ralliement des latinos et le soutien des ouvriers et des banlieues qui l’avaient préféré à Hillary Clinton en 2016 (puis avait parfois préféré Trump à Clinton) n’a pas fonctionné : la participation des jeunes n’a pas décollé (au contraire de celle des afro-américains ou des électeurs des banlieues… mais au profit de Biden), les ouvriers se sont ralliés à Biden (montrant que leur vote de 2016 était peut-être plus un vote de rejet de Mme Clinton que d’adhésion à Sanders), et la percée dans l’électorat latino n’est pas suffisamment marquée.

On voit mal comment il pourrait élargir sa base électorale désormais. D’abord parce qu’il s’est enfermé dans son positionnement et son programme très « progressiste » qui remettrait fondamentalement en cause l’organisation du système de santé ou de la fiscalité des Etats-Unis. Ensuite parce que sa capacité à garder sa ligne politique et son inflexibilité sont, au-delà du fait qu’elles correspondent à son caractère, sa marque de fabrique. Adoucir son programme pourrait lui aliéner une partie de son électorat sans lui garantir de récupérer d’autres voix.

Enfin, l’épidémie de Coronavirus limite la capacité de mener campagne et de rebondir : la primaire démocrate est passée au second plan médiatique (d’autant plus qu’elle paraît jouée), les meetings de campagne lors desquels Bernie galvanisait ses militants sont annulés et son organisation sur le terrain, qui était une des forces – en théorie – de sa campagne ne peut plus multiplier les porte-à-porte, réunions chez l’habitant, etc.

Pour autant, s’il apparaît désormais clair pour tout le monde que la primaire démocrate est jouée, la campagne n’est sans doute pas terminée du point de vue de Bernie et il s’agit maintenant à la fois de sortir par le haut pour lui-même et d’avoir une influence sur la suite de l’élection présidentielle. Bernie a en effet sans aucun doute encore les deux objectifs qui l’ont conduit à s’engager dans la course : battre Donald Trump et tirer le parti démocrate vers la gauche pour qu’un prochain président démocrate soit le plus progressiste possible et essaie de mettre en place des réformes ambitieuses.

Remplir ces deux objectifs supposent de négocier au mieux son ralliement sur le fond (pour que la plate-forme démocrate incorpore autant que possible son programme1Bernie pourrait déjà considérer que sa campagne a permis de tirer vers la gauche le parti démocrate. Mais, et c’est bien son caractère intransigeant qui parle encore une fois, il juge manifestement cela encore insuffisant.) comme sur la forme (pour contribuer à l’union sacrée du parti démocrate afin que les partisans de Bernie aillent voter pour Biden, plus qu’ils ne l’ont manifestement fait en 2016).

Après l’occasion manquée du débat du 15 mars, le calendrier risque de devenir de plus en plus pressant. D’abord parce que les résultats à venir, et ce dès le 17 mars avec les primaires dans l’Illinois, la Floride et l’Arizona, vont probablement confirmer l’avance de Biden : le maintien de Bernie aura de moins en moins de sens. Ensuite parce que l’épidémie de coronavirus a déjà conduit à quelques états à reporter leur primaire2La primaire dans l’Ohio, prévue le 17 mars, a été reporté à fin juin. Les primaires de Georgie et la Louisiane prévues dans les prochaines semaines ont également été reportées. et si l’élection est considérée comme jouée l’intérêt de pousser des électeurs à se rendre dans les bureaux de vote et à prendre un risque sanitaire va nécessairement se poser.

Pour autant, les appels au retrait lancés par certains rares soutiens de Biden dès la semaine dernière ont été jugés trop prématurés. Espérer rallier les supporters de Bernie suppose de lui offrir une porte de sortie honorable et de traiter respectueusement ses partisans et leurs convictions. Les Bernie Bros n’étant jamais très loin du complotisme et de la conviction que la primaire est truquée par « l’establishment » ou que tout est fait pour les écarter3Ils pourraient ainsi considérer qu’une fin accélérée du duel à cause du coronavirus les a privés d’une « remontada » alors que le coronavirus aurait pu convaincre des électeurs de rallier le projet de « medicare for all »., le parti démocrate doit mieux les traiter qu’en 2016 et intégrer leurs aspirations.

On se demande donc pourquoi Biden n’a pas déjà donné plus de signaux marquants sur les sujets emblématiques portés par Sanders, même s’il a déjà peu à peu repris à son compte un certain nombre de propositions sur la lutte contre le changement climatique, l’imposition des millionnaires ou le coût des études universitaires. Et ce d’autant que les différences de programme sur de nombreux sujets restent marginales.

Car le temps presse pour Biden aussi : quand Bernie se sera retiré de la campagne, il risque d’être difficile de parler à nouveau directement à certains de ses partisans. Et surtout, on se rend compte que si depuis une vingtaine de jours la campagne de Biden ressemble à un parcours rêvé, il lui restera beaucoup de travail pour calibrer son programme et son discours pour rassembler le parti démocrate et attirer les déçus de la politique pour affronter Donald Trump en novembre.

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