La différence de prise en compte de l’épidémie de coronavirus selon les états américains est frappante, entre ceux qui en sont à un quasi-confinement (appelé ici « shelter in place ») comme la Californie et ceux pour lesquels s’appliquent uniquement les recommandations diffusées par le gouvernement fédéral le 16 mars pour 15 jours afin de ralentir la diffusion du virus (« distanciation sociale » et gestes barrière, auto-quarantaine pour les personnes atteintes, simple recommandation de ne pas sortir pour les personnes vulnérables, incitation au télétravail), avec tous les niveaux intermédiaires imaginables.
D’où une impression de désordre, des discours contradictoires selon les responsables politiques locaux et un certain nombre de décisions laissées à la main des acteurs privés eux-mêmes (par exemple certaines grandes chaînes de magasins ou de fast food décident par elle-mêmes d’aller plus loin que les restrictions imposées par leur état et ferment dans certains endroits, etc.). Bien sûr, de nombreuses décisions susceptibles d’être prises relèvent en temps normal des états eux-mêmes et non du gouvernement fédéral et le document sur le ralentissement de l’épidémie évoqué plus haut renvoie chacun aux consignes des autorités locales.
L’absence de consignes fédérales plus strictes ne fait pas l’objet de réelle polémique et peu de voix s’élèvent pour demander une mesure fédérale stricte (le débat porte d’ailleurs plutôt ces jours-ci sur la volonté affichée du président Trump d’assouplir ces consignes pour ne pas bloquer trop longtemps l’économie). Ceci traduit à la fois une situation sanitaire disparate (en tout cas telle qu’elle est perçue à ce stade, puisque les états ont aussi mis en œuvre des stratégies variables en matière de dépistage) et un attachement à la fois des citoyens et de la classe politique au fédéralisme. Nul doute aussi que Donald Trump, même s’il est omniprésent médiatiquement (on y reviendra dans une chronique dédiée), ne souhaite pas porter la responsabilité d’un « shut down »1On notera l’utilisation du même mot que lors des blocages institutionnels au Congrès pour voter les rallonges budgétaires pour financer le fonctionnement de l’état fédéral en fin d’année… et que Trump n’a aucune peine à assumer un arrêt des services publics. économique et qu’il est à l’aise avec l’idée que les gouverneurs soient à la manœuvre sur ce sujet.
Mais ce n’est pas le seul levier dont le gouvernement pourrait disposer depuis qu’il a déclaré le 13 mars l’état d’urgence national. A ce stade cette déclaration s’est essentiellement traduite par l’assouplissement de certains règles applicables aux hôpitaux et centre de soins pour faciliter la gestion des malades, et par l’affectation de fonds fédéraux aux états pour la mise en place d’un certain nombre de mesures sanitaires que ceux-ci n’auraient pas pu financer par eux-mêmes.
Le Président Trump a fini, après avoir retardé la décision, par accepter de mobiliser l’armée et l’organe fédéral de gestion des catastrophes2Le FEMA, déjà mobilisé par exemple pour le tremblement de terre à Porto Rico. On se souviendra à ce propos de la gestion, qu’on qualifiera de distante, de cette catastrophe par le président Trump à qui il avait déjà été largement reproché de ne pas avoir mobilisé l’arsenal fédéral à sa disposition pour construire des hôpitaux de campagne.
De nombreuses voix s’élèvent depuis plusieurs jours pour que le président utilise la totalité des pouvoirs fédéraux dont il dispose pour organiser au niveau fédéral l’approvisionnement et la répartition des équipement médicaux nécessaires au traitement des malades et pour réquisitionner à cette fin une partie du secteur privé pour produire rapidement et massivement les équipements en question3Il s’agirait d’invoquer le Defense Production Act introduit en 1950 pour organiser l’effort de guerre américain (implication des industries civiles, contrôle des prix et des salaires, etc.) pendant la guerre de Corée et qui pourrait s’appliquer à la situation présente, ce que Donald Trump a admis tout en précisant ne pas vouloir le mobiliser..
Au-delà de la question politique (il se trouve que les états ayant mis en œuvre les mesures les plus strictes et qui en appellent au gouvernement fédéral pour traiter leurs difficultés sont presque tous, à ce stade, gouvernés par des démocrates4Le président ne se prive pas d’ailleurs de critiquer la gestion de ces gouverneurs quand l’occasion se présente comme lorsqu’il a reproché au gouverneur de New York d’avoir refusé en 2015 d’acheter un stock d’appareils respiratoires), cela renvoie à un deux principes directeurs de la doctrine politique et économique du Président Trump.
Le premier, on en a déjà parlé, est sa méfiance, pour ne pas dire plus, envers l’administration en générale et fédérale en particulier.
Le deuxième est sa confiance totale dans le secteur privé pour traiter le sujet au mieux. On était frappé lors des premières conférences de presse présidentielles, organisées à partir du 13 mars (elles sont désormais quotidiennes), par la mise en avant systématique du secteur privé pour la résolution des problèmes. On manque de test ? Google a mis en place une application mobile d’auto-diagnostic ! On a besoin de tests rapidement ? Le président a tordu le bras à son autorité de validation des médicaments pour accélérer les agréments et le privé fera le reste. En la matière, la conférence du 13 mars était, pour un regard français, étonnante, avec dans la foulée des annonces présidentielles, un défilé de chefs d’entreprises du secteur médico-pharmaceutique (pour indiquer leurs efforts pour créer des tests et les produire rapidement), du secteur numérique (Google donc) et de la distribution pour affirmer que les magasins resteraient ouverts, etc.
On notera que de nombreuses voix critiques cette approche (en premier lieu le gouverneur de l’état de New York). D’abord sur le plan organisationnel : une prise en main plus précoce par le gouvernement fédéral aurait permis aux états les plus touchés d’être mieux préparés plus tôt, d’éviter les pénuries5que le gouvernement fédéral attribue à la mondialisation et à l’externalisation d’une partie de la production de matériel médical, donc aux gouvernements passés et d’éviter les rivalités entre états pour se fournir en test, masques et appareils respiratoires, auprès des entreprises privées.
Mais aussi sur le plan économique : la confiance dans le secteur privé repose à la fois sur la confiance dans leur sens des responsabilités et leur patriotisme et sur l’idée que le mécanisme d’offre et demande conduit le secteur médico-pharmaceutique à produire en masse. Or, il s’agit aussi d’une question financière car les états souhaitent que les prix des équipements soient maîtrisés (alors que le prix des masques a été multiplié par 9, celui des appareils respiratoires par 2,5, etc.) et l’incitation à produire est alors fragilisée.
Donald Trump a martelé qu’il ne tolérerait pas les manipulations de prix à la hausse sans qu’on comprenne bien la traduction concrète de cette mesure6a priori cela se limite à ce stade à sanctionner les individus ou vendeurs qui stockeraient pour augmenter artificiellement les prix de produits qui figureraient dans une liste de produits sensibles avec risque de pénurie, liste qui n’est pas encore établie. Selon la rhétorique habituelle du Président et de son entourage, les Etats-Unis ne vont pas commencer à prendre l’exemple du Venezuela et à prendre des mesures de contrôle de prix ou de réquisition. Le président a aussi expliqué que les patrons des secteurs concernés l’avaient alerté sur leur fortes inquiétudes sur ce type de mesures qui fragiliseraient encore plus l’économie.
Ceci renvoie aussi à la vision du monde d’un Président pour lequel le pouvoir se caractérise avant tout par la capacité à être en position de force pour réaliser des bons deals avec les grands de ce monde (dirigeants politiques ou économiques), lui qui se voit comme un « deal maker » de génie. Le plus important étant d’ailleurs d’annoncer les « deals » en question plutôt que de s’assurer d’une manière ou d’une autre de leur l’application.