Donald Trump peine à adopter une posture présidentielle en période de crise

L’irruption du coronavirus a complètement modifié le paysage politique américain. Tout le monde était tourné vers l’élection présidentielle de novembre 2020 lors de laquelle le président était censé arriver fort de son bilan économique tout en faisant face à un rejet important d’une partie de la population en raison de sa personnalité et de ses méthodes de gouvernement très éloignées des standards habituels. Désormais, l’incertitude est totale sur l’ampleur des conséquences sanitaires et économiques pour les Etats-Unis. Mais les crises de cette ampleur sont aussi l’occasion, aux Etats-Unis comme ailleurs, pour les responsables politiques aux commandes de révéler ou d’exprimer des qualités de leadership inattendues ou d’amener les citoyens à faire corps autour du chef1Cf. la popularité de George W. Bush (y compris chez les démocrates) dont la compétence était souvent mise en doute, mais qui était président pendant et après le 11 septembre 2001.. D’où l’idée d’un point à date sur la façon dont le président se comporte face à cette crise.

Dans un premier temps, le Président Trump a paru surtout considérer le coronavirus comme un trouble-fête susceptible de gâcher sa réélection, ce qui l’a conduit à vouloir ne pas croire à la gravité de la situation et à en minimiser les conséquences possibles, avec pour priorité de maintenir le cours de Wall Street et de ne pas entrer dans un spirale économique négative. Il est probable aussi qu’il n’ait pas réellement pris la mesure du sujet, en raison de sa méfiance habituelle envers la science et les experts (au delà de son climato-scepticisme, il a par le passé fait des déclarations anti-vaccins) comme envers l’administration (le fameux « deep state » accusé par ses partisans et les médias de l’ultra-droite de vouloir miner sa présidence).

De même a sans doute joué l’influence qu’exercent sur lui les animateurs populistes et largement complotistes de Fox News prompts à dénoncer le coronavirus comme un « complot chinois » pour déstabiliser les Etats-Unis ou comme le nouveau prétexte des démocrates (un nouveau « hoax ») pour chercher des noises au Président2Un des plus fervents partisans du président, le représentant de Californie Devin Nunes (devenu célèbre pour son soutien aveugle au président lors de l’ « impeachment ») appelait ainsi dimanche 15 mars les californiens à sortir et aller au restaurant pour soutenir l’économie..

Il se contentait alors d’indiquer que le virus pourrait sans doute disparaître rapidement (« au printemps par miracle »), que « le virus n’a aucune chance face aux Américains », de se féliciter d’avoir « très tôt » fermé les frontières (Trump a en effet ordonné l’arrêt des vols de Chine le 31 janvier) et d’être celui « qui gère le mieux la crise dans le monde » tout en indiquant qu’il appartenait aux gouverneurs de prendre les mesures adaptées et de se préparer. Le tout en insistant sur sa priorité : faire que l’économie subisse les conséquences les plus limitées possibles, etc. Quant aux messages de santé publique, ils étaient très limités (et parfois inexacts)3Trump a par exemple indiqué le 8 mars que tout le monde pouvait être testé, avant d’être démenti très vite par les autorités sanitaires..

C’est à partir du 11 mars que l’approche du président semble avoir progressivement changé, avec une adresse solennelle à la Nation depuis le bureau ovale le 12 mars4La deuxième seulement depuis son investiture. Elle a marqué un changement de style par rapport à de précédentes interventions en tenue de campagne (i.e. en arborant les casquettes de la campagne 2020, etc.)., puis surtout la conférence de presse du 16 mars lors de laquelle le président a pour la première fois adopté un ton grave, relayé des messages de santé publique et salué sans polémique le travail mené par les autorités sanitaires et les gouverneurs.

On peut identifier, sans certitude et sans exhaustivité, plusieurs explications à ce changement de ton : le sujet est considérablement monté dans les médias (y compris d’ultra-droite) depuis une semaine, en particulier après les annonces en cascade de suppression des compétitions sportives en cours (la NBA déclenchant le mouvement), qui ont marqué le grand public.

Dans le même temps, les gouverneurs ont pris les choses en main, critiquant le président et se posant en protecteur des citoyens et en vrais « commandeurs en chef » locaux5Les sondages montrent d’ailleurs un taux de satisfaction et de confiance vis-à-vis de la gestion du coronavirus par les gouverneurs supérieur à celui exprimé vis-à-vis du gouvernement fédéral.. De même, c’est le vice-président Mike Pence, chargé par Trump de piloter la réponse fédérale, qui apparaissait depuis quelques temps comme le vrai « commander in chief ».

Le tout a probablement incité Donald Trump, dont le sens politique et l’instinct en matière de communication sont remarquables, à se mettre plus en avant sur le sujet pour ne pas être décalé des préoccupations montantes dans la société américaine. Pour ne pas limiter cette évolution à du pur opportunisme politique du président, et pour souligner aussi la solidité et la résilience des institutions américaines dans une présidence chaotique, il est probable aussi que les efforts des autorités sanitaires pour le convaincre de la gravité du sujet ou les réunions du week-end dernier avec les gouverneurs de tout bord, l’ont convaincu de l’importance du rôle de l’État fédéral et de la nécessité d’agir.

Ce changement de ton a été accueilli avec soulagement par les observateurs. A juste titre, car même quand on souhaite que le président ne soit pas réélu en novembre, on aimerait autant que ce ne soit pas aux prix d’une catastrophe sanitaire et économique aux États-Unis. On ne peut que souhaiter que face à une situation aussi préoccupante, le président endosse enfin les habits présidentiels qu’il n’a jamais vraiment revêtus depuis son investiture, quitte à ce qu’il en tire un bénéficie politique lors de l’élection de novembre 2020.

Je me mettrais un 10 sur 10 [sur la gestion de cette crise]

Donald Trump

Pour autant, même si les progrès sont notables, Donald Trump n’est pas encore totalement à la hauteur de l’enjeu en terme de posture6A noter par exemple la propension du côté de Trump et de ses partisans à parler de « virus chinois » ou de « kung flu », malgré les alertes sur le caractère raciste de ces propos et sur l’impact possible sur le petit commerce (restaurants, etc.) des asiatiques américains. Ou son ennui manifeste dès qu’il s’agit de rentrer dans le détail du virus.. Parce que les rodomontades sur le fait qu’il s’attribuerait 10 sur 10 sur la gestion de la crise ou que tout va bien se passer, ou les informations imprécises ou erronées en matière de santé publique7Annonce par exemple que les anti-paludéens permettent de traiter le coronavirus, démentie dans la foulée par les autorités sanitaires rappelant que rien n’est sûr sur le sujet qui reste à l’étude. ne sont pas seulement anecdotiques : elles empêchent la population de prendre conscience de la gravité de la situation et minimisent les alertes des experts sur l’impréparation du système de santé.

Conséquence notable de cette attitude dans un pays toujours plus polarisé : un sondage réalisé le 17 mars par NPR/PBS/Marist Poll montre que si 70% des Américains jugent le coronavirus préoccupant, c’est le cas pour seulement 58% des républicains contre 84% des démocrates. Et si ce taux a augmenté depuis le précédent sondage début février, en revanche la part des Américains jugeant que le coronavirus est un réel danger a baissé, notamment chez les républicains (et la part de ceux qui jugent la médiatisation du sujet exagérée augmente dans le même temps). De même le Président se glorifie en permanence de bousculer la bureaucratie et l’administration. Tout ceci n’est évidemment pas sans conséquence sur la confiance dans les experts et sur l’appropriation par les citoyens des préconisations de santé publique de ces mêmes experts (distanciation, gestes barrière, etc.).

Par ailleurs, Trump ne peut s’empêcher d’attaquer les élus démocrates, ou certains gouverneurs pour leur gestion de la crise, et à mettre sur le dos de ces prédécesseurs les faiblesses du système de santé américain ou des autorités sanitaires8Il n’est bien entendu pas responsable de l’organisation du système de santé américain (en terme d’équipement mais aussi de prise en charge et financement des soins) qui n’est pas adapté pour gérer des épidémies de ce genre. Mais la réaction tardive pour déclarer l’urgence sanitaire seulement le 13 mars a retardé la mise en ordre de marche du système de santé., alors même qu’il a besoin des gouverneurs qui détiennent des leviers d’action essentiels pour préparer une réponse sanitaire cohérente et coordonnée9Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, chacun agissant dans un certain désordre, ce qui là encore, n’aide pas la population à prendre la mesure de la situation et à adopter les attitudes individuelles requises. et des élus pour prendre les mesures sanitaires et économiques exceptionnelles.

La polarisation politique10Là encore, Trump n’est pas seul responsable tant démocrates et médias classiques critiquent chacun de ses gestes., les relations extrêmement tendues avec le camp démocrate et les blocages institutionnels permanents depuis l’élection de 2016 ne sont pas un terreau favorable à une réponse d’union nationale que le président appelle de ses vœux dans les discours officiels (qu’on lui prépare)… tout en continuant à la rendre compliquée par ses tweets intempestifs et par les messages d’une grande violence que son équipe de campagne continue d’envoyer en son nom pour lever des fonds pour l’élection de Novembre.

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