Les enquêtes d’opinion révèlent l’étendue des faiblesses des démocrates en vue des midterms

Alors que les élections de mi-mandat de novembre prochain sont cruciales pour Joe Biden et pour les démocrates, les dernières enquêtes d’opinion confirment que la situation est très préoccupante pour le Président et son parti.

Une opinion publique globalement mécontente de l’administration Biden

Le site Real Clear Politics retranscrit les résultats des différents sondages sur la popularité du Président, son action sur différents sujets, etc. Si les résultats varient parfois de façon non négligeable entre les différents instituts de sondage, ils reflètent néanmoins tous une tendance importante : Joe Biden n’est à son avantage sur aucun sujet.

Un sondage de Marist Poll, institut réputé pour son sérieux, avait pourtant laissé penser que le discours sur l’état de l’Union du 1er mars, combiné à un soutien de l’opinion publique sur l’approche adoptée par Biden sur la guerre en Ukraine,  pouvait être le début d’une remontée de la côte de popularité du Président. Quelques semaines plus tard, les observateurs sont revenus sur cette hypothèse : l’appréciation par les américains du Président et de son action est revenue aux niveaux très préoccupants de début 20221Le dernier sondage de Marist Poll situe Biden exactement à son niveau pré-« state of the Union »..

La côte de popularité du Président reste désespérément bloquée autour de 40%, et entre 60% et 70% des américains considèreraient que les Etats-Unis vont « dans la mauvaise direction ».

Comme la situation économique et l’inflation sont dans le même temps le premier sujet de préoccupation des américains, la perception extrêmement défavorable de l’action présidentielle en la matière, que les sondeurs traduisent par l’écart entre les satisfaits et le mécontents, lequel atteint jusqu’à -30 points dans certains sondages, est forcément un lourd handicap en période électorale et elle explique sans doute très largement la faible côté de popularité du Président et les inquiétudes relatives à l’avenir.

Mais, les enquêtes d’opinion montrent que le mécontentent des américains ne se limite pas à la politique économique de Joe Biden : l’action du Président ne trouve grâce à leurs yeux sur aucun sujet, ou presque.

Prenons un sondage d’ABC News paru mi-mars (sachant que d’autres sondages donnent des résultats du même ordre) : seule la gestion du coronavirus bénéficie d’un écart légèrement positif entre contents et mécontents, mais avec un part d’américains satisfaits bien moindre qu’il y a plusieurs mois. Pour le reste, les chiffres sont catastrophiques : 58% des américains interrogés sont mécontents de la gestion de la politique économique, 70% désapprouvent la gestion de l’inflation ou des prix de l’essence, 58% de la gestion de la délinquance et de la criminalité… et même 54% de la gestion du changement climatique.

Ce point mériterait d’être creusé mais on peut sans doute y voir la déception des activistes par rapport à l’absence d’action sur le sujet, combinée à la crainte de ceux qui trouvent que Biden est justement trop proche des activistes dans sa façon de parler du changement climatique. Et donc probablement une illustration du fait que l’opinion publique, quelles que soient les segments électoraux, voit quand il s’agit de juger Biden plutôt le verre à moitié vide que le verre à moitié plein – on y reviendra plus loin dans cette chronique.   

Mais même lorsque les américains se déclarent nettement favorables aux mesures précises adoptées dans la gestion du dossier ukrainien (par exemple l’embargo sur le pétrole russe, qui a pourtant des conséquences sur l’inflation),  seule une très courte majorité se dit satisfaite de l’action du Président sur le dossier, toujours selon le sondage IPSOS/ABC.

Les réponses à une question posée dans une enquête commanditée par le Wall Street Journal et réalisée par des sondeurs ayant déjà travaillé pour les démocrates et pour les républicains, ce qui lui donne du crédit dans le milieu des observateurs politiques, ont d’ailleurs frappé les esprits : 41% des américains seulement considèrent que Joe Biden est un « leader fort », contre 57% qui pense le contraire.

La réaction américaine à l’invasion de l’Ukraine a été ferme et immédiate et même d’une ampleur inattendue. Mais Biden souffre de la comparaison avec la posture et l’image de son prédécesseur et aussi, et peut-être surtout, d’une forme de schizophrénie des américains en matière de politique étrangère (les Etats-Unis devraient continuer à « diriger » le monde mais sans en payer le prix économique ou militaire). Reste qu’en période de tensions internationales fortes et alors qu’au-delà de la guerre un Ukraine, l’essor de la puissance chinoise est considérée comme un danger existentiel, il n’est pas bon pour le Président d’être accusé de faiblesse.

Un autre résultat de l’enquête du Wall Street Journal a marqué les esprits : 39% des personnes interrogées considèrent que Biden « se consacre aux sujets qui comptent le plus pour eux », mais 50% estime qu’il essaye d’agir correctement. Comment interpréter cela ? Sans doute cela traduit le fait que les américains considèrent toujours plutôt que Biden est quelqu’un de bien (et d’autres sondages confirment cette appréciation positive sur la personnalité du Président), mais qu’il n’est pas un bon Président. Quant à savoir s’il y a, dans ces deux chiffres, un point d’appui pour remonter la pente, ou plutôt matière à s’inquiéter…

Au-delà des appréciations sur le Président lui-même, l’enquête du Wall Street Journal de début mars a cherché à comparer la perception par les personnes interrogées des républicains et des démocrates sur les principaux sujets d’actualité. Sur de nombreux sujets, à l’exception du coronavirus et la santé, une majorité d’américains jugent les républicains mieux à même de traiter correctement les problèmes que les démocrates.

Cela n’est pas surprenant et c’est même plutôt habituel sur les questions de lutte contre la criminalité, d’immigration ou sur la politique économie et la fiscalité. Cela l’est évidemment plus quand les américains mettent à égalité ou presque démocrate et républicain s’agissant de la prise en compte des classes moyennes.

Les difficultés rencontrées par Joe Biden rejaillissent donc sur le parti démocrate dans son ensemble, ce que traduit le fait que parmi les personnes interrogées dans l’enquête du Wall Street Journal, 46% des personnes interrogées se déclarent prêtes à voter républicain en novembre prochain, contre 41% prêtes à voter démocrate, un écart jugé significatif selon les standards américains  et préoccupant pour les démocrates. En effet, ce résultat doit être mis en regard du fait que 40% des personnes interrogées se déclaraient républicains ou plutôt républicaines, et 42% démocrates ou plutôt démocrates.

Un « écart d’enthousiasme » défavorable aux démocrates

Cela étant, les chiffres évoqués jusqu’à présent concernent l’appréciation globale des américains et la traduction dans les résultats électoraux n’est pas immédiate.

En premier lieu, parce qu’il s’agit d’élections locales, dans un contexte américain où les opinions politiques et par suite les résultats des élections ne sont pas du tout homogènes sur l’ensemble du territoire, et ce sans commune mesure avec les disparités territoriales que l’on peut constater en France. En 2020,  la moitié des états ont été remportés par un des candidats avec plus de 20 points d’écart sur son concurrent : 13 par Trump, et 12 Biden. 

Si Joe Biden ou les démocrates perdent du terrain dans des bastions républicains et démocrates, cela ne change pas grand-chose au résultat global.

A la Chambre des représentants, seuls comptent les quelques dizaines de sièges (sur 435) où la victoire d’un des deux camps n’est pas garantie d’avance (ou presque) par le découpage des circonscriptions. Le nombre maximum de sièges ayant changé de parti lors de midterms n’a jamais dépassé 63 depuis la fin de la deuxième guerre mondiale (en 2008, lors du premier mandat de Barack Obama). Même en 2018, lorsque les républicains avaient subi une déroute au milieu du mandat Trump, seuls 40 sièges avaient basculé du côté démocrate.

S’agissant du Sénat, seuls comptent les sièges en jeu dans des Etats dits « pourpres »2Pour traduire le fait qu’ils ne sont ni républicains donc « rouges » ni démocrates donc « bleus »., où l’écart entre Biden et Trump en 2020 était faible, ceux où le sortant est d’une couleur politique différente du candidat arrivé en tête lors des élections présidentielles de 2020 ou issu d’un parti différent de celui du gouverneur, ce qui traduit une possibilité d’alternance. Soit … de sièges sur les qui seront en jeu en novembre.

Sous cet angle, l’analyse territoriale de l’inflation, qui montre que celle-ci est plus importante que la moyenne nationale dans certains « battleground states » (autre terme désignant les Etats où aucun parti n’est clairement majoritaire), comme la Géorgie ou l’Arizona où les démocrates vont chercher à défendre des sièges de sénateurs, n’est pas très bon signe pour les démocrates.

Ensuite, la participation électorale aux Etats-Unis est en général très faible (50 à 60% pour les présidentielles), et encore plus pour les élections intermédiaires de mi-mandat (de l’ordre de 40%).

Les taux de satisfaction sur l’action de l’ « administration » (au sens du gouvernement) au pouvoir ou l’appréciation des partis comptent donc évidemment mais une mobilisation différenciée des mécontents ou des satisfaits peut contrebalancer ou au contraire accentuer ce paramètre. On pourrait dire que c’est donc l’intensité du mécontentement ou au contraire du soutien qui est le paramètre à prendre compte. C’est ce que traduit le concept de « enthousiasm gap » (ou écart d’enthousiasme) régulièrement utilisé par les analyses politiques, pour expliquer une partie de l’écart possible entre les enquêtes d’opinion nationales et les résultats dans les urnes.

Il s’agit alors d’identifier l’état d’esprit à l’approche des élections des trois grandes catégories d’électeurs : sympathisants républicains, sympathisants démocrates et « indépendants » qui ne sentent proches d’aucun parti ou ne veulent pas s’affilier (même si certains d’entre eux votent toujours pour le même parti quand ils votent), sachant que cette dernière catégorie est aussi la plus susceptible de s’abstenir.

La plupart des enquêtes d’opinion détaillent d’ailleurs les réponses en utilisant ces catégories. Sans surprise, les républicains désapprouvent massivement l’action du Président, tandis que les démocrates restent majoritairement satisfaits de Joe Biden, même si la part des démocrates mécontents aurait augmenté récemment, pour atteindre fin mars 20% selon Marist Poll. Le fait que 55% des indépendants aient une vision négative (dont 35% très négative) du bilan de Biden n’est pas rassurant non plus.

Si on creuse un peu plus ces chiffres et si on se fie aux analyses qualitatives des observateurs politiques (qui s’appuient notamment sur des « focus groups » qui permettent de mieux comprendre les ressorts de l’évolution de l’opinion), le tableau est très inquiétant pour les démocrates, car Biden et son parti avec lui sont en difficulté dans tous les segments électoraux. 

Les conservateurs motivés pour stopper l’essor du progressisme

Pour les conservateurs qui fondent leur opinion avant tout sur des questions idéologiques (et pas seulement pour les fanatiques Trumpistes), Biden est, on l’a dit, un Président faible sur le plan extérieur. Mais il serait aussi un Président faible sur le plan intérieur, puisque son insistance à faire passer son programme « Build Back Better », soutenu par l’aile gauche du parti, illustrerait le fait qu’il est aux mains des progressistes, conformément d’ailleurs au portrait fait de lui pendant la campagne présidentielle par les médias d’ultra-droite.

Biden n’avait pas d’autres choix que de chercher à concilier les points de vue dans la mesure où, dans un Sénat avec 50 démocrates et 50 républicains, toute défection d’un démocrate, modéré ou progressiste, lors d’un vote est rédhibitoire. Il n’en reste pas moins que l’image d’un Président accommodant avec les progressistes est un argument de mobilisation majeur pour les républicains, qui en font évidemment des tonnes sur le sujet.

Le risque d’un vote sanction des « indépendants »

Pour les conservateurs modérés ou les indépendants qui fondent leur vote sur la situation économique ou sur le bilan concret du Président et qui auraient aimé voir Washington fonctionner à nouveau, l’inflation est un lourd handicap, tout comme l’incapacité du Congrès à adopter la moindre loi significative, depuis l’accord obtenu au printemps 2021 sur un plan infrastructures.

Certes Biden continue à afficher sa volonté d’obtenir des accords bipartisans et les rallonges budgétaires ont été votées avec l’accord des deux partis en mars 2020, sans les drames qui émaillent régulièrement ce processus (et les fameuses périodes de « shut down » lors desquelles les services publics ferment quelques jours faute de budget pour payer les salaires). Mais le psychodrame autour du programme « Build Back Better » et l’échec à faire la synthèse entre aile gauche et aile modérée au sein de son propre parti semblent aujourd’hui effacer tout le reste dans l’esprit des électeurs.

Les sondeurs, les organisateurs de focus group et la presse rapportent aussi un phénomène qui pourrait bien être très défavorable aux démocrates lors des prochaines élections : l’apparition d’une catégorie de la population pas toujours intéressée, habituellement, par la politique mais bien décidée à se faire entendre pour manifester son mécontentement vis-à-vis de la gestion de la pandémie et qui pourrait se mobiliser massivement au profit des républicains en novembre.

Les experts désignent cette catégorie sous le nom de «  Covid Moms », par analogie avec les « soccer moms » – terme qui désigne les mères de famille des classes moyennes des banlieues résidentielles qui passent beaucoup de temps à véhiculer leurs enfants pour leurs activités sportives. Ce terme est entré dans le langage courant des analystes politiques en 1996, lorsque Bill Clinton avait manifestement ciblé ce segment électoral lors de sa campagne de réélection3Sarah Palin, gouverneur de l’Alaska choisie comme co-listière par le candidat républicain John McCain lors de la présidentielle de 2008, se présentait par exemple en 2008 comme une « hockey mom », pour démontrer sa proximité avec les américains ordinaires..

Les « Covid moms » désignent les mères de famille très critiques sur la gestion de la scolarisation des enfants pendant la pandémie. Les critiques portent sur l’obligation de port du masque, qui nuirait au développement des enfants et à leur capacité d’apprentissage. Sur la suppression d’un certain nombre d’activités périscolaires et de sorties. Mais aussi sur la scolarisation à distance imposée puis les fermetures régulières de classe en raison de l’apparition de cas, qui ne seraient pas justifiées scientifiquement compte tenu de l’impact limité du Covid sur les enfants, et qui empêcheraient ces mères de famille de travailler.

La prudence excessive de l’administration Biden et son inféodation supposée aux syndicats d’enseignants qui privilégieraient leur santé à l’intérêt des enfants, justifieraient alors un vote sanction aux prochaines élections, pour les élections au Congrès mais aussi pour les élections au poste de gouverneurs ou pour les exécutifs locaux, puisque les mêmes critiques s’appliquent aux exécutifs locaux démocrates.

Les succès rencontrés ces derniers mois par des candidats républicains aux élections des conseils d’administration des écoles (ce sont ces « boards » qui peuvent décider des modalités d’application des mesures sanitaires, quand les échelons exécutifs au niveau des Etats ou comtés leur ont laissé une marge de manœuvre, ce qui est souvent le cas), avec une mobilisation sans précédent illustrent bien ce qui est vu comme un gros risque par les démocrates.

Les républicains ont évidemment attisé cette colère et très bien perçu le potentiel d’une campagne axée sur la question de l’école.

Ils s’efforcent ainsi de faire coaguler à leur profit, sous la bannière de la protection des droits des parents à choisir l’éducation des enfants, les critiques sur la gestion de la pandémie avec les craintes relatives à la volonté des exécutifs démocrates d’imposer des programmes scolaires « progressistes ». On pense ici au lobbying important, dans la foulée du mouvement « Black Lives Matter », pour que l’enseignement de l’histoire mette davantage en avant l’esclavage et la période ségrégationniste. Ou aux débats récurrents sur l’éducation sexuelle, la façon d’aborder les questions de genre, etc.

Même si les parents ont totale liberté de choisir pour les enfants des écoles religieuses où on continue à enseigner le créationnisme et à diaboliser l’homosexualité, l’évolution d’une partie de la société dans une direction totalement différente est perçue par de nombreux américains comme une menace pour leur pays mais aussi pour leur propre liberté4Ces groupes n’hésitent pas à plaider devant les tribunaux que l’octroi de droits aux LGBTQ+ restreint leur propre liberté religieuse.. Et c’est donc un ressort important de la mobilisation électorale des électeurs chrétiens et ultra-conservateurs.

La campagne victorieuse menée en novembre 2021 par le candidat républicain au poste de gouverneur de Virginie (Etat que Biden avait remporté avec 10 points d’avance sur Trump un an plus tôt) illustre le potentiel de cet argument. Le républicain Glenn Youngkin avait tout axé sur la question des écoles en insistant sur la question des masques et de l’enseignement à distance, tout en mettant en avant sa volonté de ne pas voir la définition des programmes scolaires aux mains des démocrates, accusés de vouloir enseigner l’histoire des Etats-Unis de façon trop négative et culpabilisante pour les enfants blancs. La déclaration de son adversaire démocrate selon laquelle «’les parents ne devraient pas dire aux écoles ce qu’elles doivent enseigner » avait été considérée comme une gaffe majeure et déterminante pour le résultat final.

Ainsi, entre esprit revanchard des Trumpistes (rappelons qu’une partie significative des électeurs républicains continuent à considérer que Biden a « volé » son élection), activation de la peur du « gauchisme » et du « wokisme » qui mobilisent bien au-delà des fanatiques MAGA, vote sanction en raison de l’inflation ou par désapprobation de la gestion de la pandémie, tout porte à croire que les républicains disposent d’arguments importants pour mobiliser largement leur base et au-delà.

La mobilisation forte de l’opposition au parti au pouvoir est un classique des élections de mi-mandat, mais les experts politiques estiment que le contexte est cette année particulièrement propice à une participation massive des électeurs proches du parti républicain.

Un enthousiasme très limité côté démocrate

Les démocrates peuvent-il compenser cela par une forme d’enthousiasme de leur base militante ? On peut fortement en douter à l’heure actuelle.

D’abord parce que si Biden a nettement gagné la primaire démocrate puis été élu assez nettement lors de la présidentielle, il a surtout été le choix de la raison plutôt que celui du cœur. Obama évidemment, mais aussi Hillary Clinton, bien que contestée et détestée par une frange de son parti, ou Bernie Sanders avaient su créer une vague d’enthousiasme chez une partie des démocrates : il n’est d’ailleurs pas rare de voir des « goodies » d’Hillary, Bernie ou Obama dans l’espace public.

Ce n’est pas le cas de Biden qui n’avait pas vraiment de « base » au sein du parti démocrate quand il s’est lancé dans la course à la Présidence. Il n’a pas réussi à en constituer une depuis et le soutien des démocrates n’est pas très ferme, comme le montre les enquêtes d’opinion : parmi les personnes interrogées qui se déclarent démocrates, celles qui se déclarent « très satisfaites » de l’action du Président sont à peine plus nombreuses que celles qui se déclarent « plutôt satisfaites » (alors que côté républicains, 80% des personnes interrogées sont très insatisfaites).

Pour les démocrates modérés, Biden s’est embourbé dans les discussions avec les progressistes, faute d’avoir fait valoir le fait que sa victoire à la primaire avait tranché le débat sur les priorités politiques et acté le fait que les progressistes étaient minoritaires. Il n’est pas le Président modéré rassurant qu’il promettait d’être et qui prépare une reconsolidation du parti autour de son aile modérée. Le soutien n’est donc pas enthousiaste de ce côté.

Du côté des progressistes, la volonté affichée de traiter avec l’aile gauche du parti est évidemment saluée et comme un acquis des primaires de 2016 et 2020 qu’il convient de faire fructifier. La reprise par le Président de thèmes qui étaient considérés comme totalement hors sujet (ou politiquement dommageables) encore en 2016 est perçue comme un succès idéologique important. Ainsi, le vocabulaire de la lutte contre le changement climatique est désormais « mainstream » au sein du parti démocrate, et les progressives savent qu’ils le doivent largement à Biden, lequel s’est emparé sans hésitation du sujet pendant la campagne présidentielle et ne l’a pas abandonné, loin de là, après son élection.

Mais la volonté affichée par Biden de travailler avec l’aile gauche du parti démocrate ne suffira pas pour mobiliser les militants progressistes si elle ne se traduit pas des résultats concrets.

Or, sous cet angle, Biden n’a pas de résultat concret ou structurant sur les priorités de l’aile gauche, à savoir le changement climatique, les inégalités raciales, les violences policières envers les minorités, la protection du droit de vote contre les velléités républicaines de réinstaller des restrictions à l’exercice des droits civiques, ou encore la réduction de la dette étudiante.

Autant de sujets sur lesquels, il faut bien le dire, les chances d’aboutir au Congrès sont très réduites  dans le contexte politique actuel et compte tenu de la fragilité de la majorité démocrate dans les deux chambres et notamment au Sénat.  L’échec de « Build Back Better » en témoigne : il peut évidemment être mis sur le compte du positionnement de sénateurs modérés démocrates, mais il est probable que les progressistes considèrent que c’est aussi un échec de Biden lui-même.

La déception et le sentiment que le Président allait peut-être renoncer à une partie de son agenda progressiste ont été accentués du côté des progressistes quand le Président a choisi de n’aborder aucun des sujets qui leur tiennent à cœur à l’aile gauche lors de son discours sur l’état de l’Union du 1er mars dernier. Il n’a ainsi pas parlé d’inégalités raciales, à peine effleuré la question des violences policières (en marge d’un passage très repris et volontairement mis en avant par la Maison Blanche sur la dénonciation du slogan « defund the police ») et traité ses propositions sur le changement climatique sous le prisme de la lutte contre l’inflation et non comme un sujet en soi.

Biden a clairement choisi de ne pas faire du « State of the Union » une tribune politique pour se démarquer des républicains, préférant réaffirmer sa volonté de chercher des consensus et d’unifier les américains. Ce choix correspond à l’esprit de la constitution sur que doit être ce discours. Mais il aurait pu à plusieurs reprises envoyer des signaux à la base militante démocrate sans réellement risquer de susciter des polémiques.

Les progressistes peinent sans doute à accepter la réalité d’un rapport de force au Congrès (et probablement dans l’opinion) qui ne leur est pas favorable. Mais Ils considèrent aussi et peut-être surtout que Biden pourrait utiliser la marge de manœuvre que lui donnent les attributions du pouvoir exécutif. De leur point de vue, dès lors que Biden a pris des engagements sur l’agenda politique des progressistes pendant la primaire démocrate puis pendant la campagne présidentielle, pour obtenir le soutien actif de l’aile gauche du parti, il doit utiliser tous les moyens à sa disposition pour essayer de tenir ses promesses.

Or, il n’a par exemple pas annulé un certain nombre de décisions prises par Donald Trump via des « executive orders » (qu’on pourrait comparer à des décrets présidentiels), par exemple en matière de politique migratoire. Les règles décrétées par l’administration Trump au printemps 2020 lors de l’irruption de la pandémie de Covid-19 (par exemple le fait que les demandeurs d’asile ne peuvent pas rester aux Etats-Unis, car ils sont susceptibles d’importer le virus, alors que les restrictions à l’entrée des touristes sont levées) n’ont toujours pas été levées. Elles sont très mal perçues par les militants démocrates, encore plus depuis qu’il apparaît clairement qu’elles constituent aujourd’hui un obstacle pour l’accueil de réfugiés ukrainiens.

L’administration Biden a finalement annoncé le 1er avril une levée de ce dispositif fin mai, mais le mal est sans doute fait dans l’esprit des progressistes, d’autant plus que l’administration Biden n’a pas présenté cela comme une décision « politique » mais comme une décision « technique » des autorités sanitaires.  Il faut dire que les modérés s’inquiètent de voir un nouvel afflux de migrants centre-américains donner des munitions supplémentaires à leurs adversaires républicains à quelques mois des élections.

Biden aurait aussi pu tenter d’effacer une partie de la dette étudiante via un « executive order » concernant les montants empruntés via des programmes publics ou de renforcer certaines obligations environnementales au travers de l’agence pour la protection de l’environnement.

Les juristes sont partagés sur la solidité juridique de telles mesures et le risque est réel qu’elles soient annulées par le pouvoir judiciaire et notamment par une Cour Suprême résolument conservatrice et politisée.

Mais il y avait aussi peut-être un intérêt politique à prendre ces décisions et à tester la Cour Suprême, quitte à en faire ensuite un argument électoral auprès des progressistes : les démocrates pourraient ainsi plaider, jugements défavorables de la Cour Suprême à l’appui, pour un renforcement de la majorité démocrate pour pouvoir agir au Congrès, ou moins conserver le Sénat (dont on rappelle qu’il doit valider la nomination par le Président des juges proposés pour les juridictions fédérales et pour la Cour Suprême) pour pouvoir espérer infléchir le conservatisme de la Cour Suprême.

Au-delà de la base militante progressiste, l’attitude de certains segments électoraux traditionnellement acquis aux démocrates, et notamment des minorités latino et afro-américaine, est également un sujet de préoccupation.

L’érosion de l’avantage démocrate au sein de l’électorat latino, déjà perceptible en 2020, pourrait bien s’accentuer, ceux-ci ayant été particulièrement touchés par la pandémie (sur le plan sanitaire comme sur le plan économique, la crise ayant beaucoup touché les petits commerces ou les emplois dans certains secteurs comme l’hôtellerie / restauration où les latinos sont par exemple très présents) ou par l’inflation.

Enfin, si environ 70% des afro-américains auraient un avis favorable sur l’action de Joe Biden, ce chiffre est faible par rapport à ceux de ses prédécesseurs démocrates. C’est aussi en net recul par rapport au résultat obtenu par Biden lors de la présidentielle de 2020 puisqu’il aurait alors recueilli entre 85 et 90% des votes afro-américains lors de l’élection de 2020 (même si l’effet repoussoir de Trump jouait sans doute particulièrement dans cet électorat).

Là encore, il faut bien dire que les discours (sans aucun doute sincères) de Joe Biden, pendant la campagne présidentielle, sur la lutte contre les inégalités raciales ou la protection des droits civiques ne se sont guère traduits concrètement. La nomination à la Cour Suprême de la première juge afro-américaine de l’histoire de cette institution suffira-t-elle à remobiliser l’électorat afro-américain ? Les doutes sont permis.

L’ « enthousiasm gap » est bien réel aujourd’hui et on le retrouve d’ailleurs dans un chiffre éclairant d’une enquête d’opinion menée par Gallup et la Knight Foundation : 34% des démocrates déclarent avoir suivi l’actualité politique en 2021, alors que 69%  déclarent avoir suivi de près l’année 2020. Côté républicain, la baisse est bien plus faible (40% contre 45%). Si cela se traduit dans les taux de participation des segments électoraux, les démocrates ont du souci à se faire.

Il est évidemment trop tôt pour en tirer une conclusion définitive sur une élection qui se déroulera dans 7 mois, alors même qu’il est bien difficile de prévoir ce que ce seront les contextes international et économique à cet horizon. 

Reste que le sentiment d’urgence est, à juste titre, bien présent du côté démocrate. Il s’agit désormais rapidement pour les démocrates d’établir un plan de bataille et de choisir la bonne stratégie pour redresser la situation. Compte tenu de l’étendue des points de faiblesse, ce choix n’est pas simple, d’autant que résoudre un problème (par exemple donner des signaux aux progressistes) peut conduire à en accentuer un autre (en l’occurrence désaffection des modérés, mobilisation des conservateurs). Quelle est la meilleure stratégie ? Ce sera l’objet d’une prochaine chronique.

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