Sans surprise, Donald Trump a été acquitté à l’issue de la procédure d‘ « impeachment » engagée suite aux événements du 6 janvier dernier lorsque ses supporters avaient envahi le Capitole pour tenter d’empêcher que Joe Biden soit définitivement déclaré vainqueur de l’élection présidentielle.
On utilise l’expression « sans surprise » puisque l’affaire était déjà scellée au premier jour du « procès » au Sénat, lorsque seuls 6 sénateurs républicains avaient considéré, aux côtés de leurs 50 collègues démocrates, que le fait de condamner un Président n’étant plus en fonction était constitutionnel. On avait alors tout de suite compris que de nombreux républicains se réfugieraient derrière cet argument d’inconstitutionnalité de la procédure pour ne pas condamner Donald Trump et ainsi éviter de s’attirer les foudres de l’ancien Président et de ses supporters, sans avoir pour autant à cautionner son comportement.
Plutôt que de revenir en détail sur les échanges entre accusateurs et avocats de Trump – en réalité, la gravité des faits reprochés est difficilement contestable, de même que l’implication du Président dans les événements du 6 janvier – attardons nous sur quelques enseignements pas franchement rassurants de cet épisode.
Une classe politique extrêmement tendue et déchirée
Certes Trump a été acquitté et seuls 7 républicains l’ont désigné coupable1Il en aurait fallu 17 pour atteindre le seuil de deux tiers des sénateurs requis pour une condamnation.. Mais plusieurs autres, tout en votant « coupable » ont eu des mots très durs pour l’ancien Président et son comportement, au premier rang desquels le leader des républicains au Sénat Mitch McConnell. Son discours (brillant, comme souvent), délivré à l’issue du vote, a marqué les esprits : s’il a expliqué son vote d’acquittement par des considérations juridiques, c’est peut-être lui qui a, encore plus, que les accusateurs démocrates2La procédure d’ « impeachment » prévoit que ce sont des élus à la Chambre des représentants qui viennent présenter l’acte d’accusation et plaider pour la condamnation., livré le réquisitoire le plus accablant contre Donald Trump.
McConnell, qui ne fait jamais rien par hasard et compte bien redevenir le maître du Sénat en 2022, craint en réalité au moins autant la menace des électeurs Trumpistes que celle agitée par de nombreux contributeurs financiers du parti républicain qui ont menacé de fermer les robinets financiers pour les candidats qui marqueraient trop fortement le soutien à l’ancien Président. Et sans cette manne financière, il paraît bien difficile d’envisager de gagner les sièges les plus disputés et de reconquérir le majorité au Sénat.
Mais la dureté du discours montre aussi que McConnell compte bien d’une manière ou d’une autre mettre Trump et son clan au ban du parti. Trump, resté silencieux pendant son procès3L’impossibilité de recourir à ses porte-voix Twitter et Facebook lui a sans doute évité d’aggraver son cas., a violemment attaqué Mitch McConnell le 16 février dans un communiqué, bien décidé à maintenir son emprise sur le parti.
Mais Trump ne sort pas, à titre personnel, de cette épreuve indemne. Il n’a d’ailleurs pas fanfaronné comme il l’avait fait à l’issue de son acquittement après le premier « impeachment » début 2020.
Bien sûr, il est encore défendu par de nombreux élus qui lorgnent du côté des électeurs « MAGA » dans la perspective des élections de mi-mandat de 2022 et de la présidentielle de 2024, et notamment des primaires pour obtenir l’investiture républicaine.
Mais on ne parierait pas que ces élus aillent jusqu’à soutenir un retour en politique du Président ou se rangent derrière sa famille ou ses « fidèles ». On les voit plutôt espérer secrètement que Trump passe rapidement plus de temps à jouer au golf qu’à fomenter son retour ou à tirer les ficelles du parti, pour passer à autre chose sans trop de douleurs.
Le soutien apporté à Liz Chenez (que les partisans de Trump souhaitaient écarter d’un poste à responsabilité au sein du groupe républicain à la chambre des représentants en raison de son vote en faveur de l’impeachment) par une majorité de représentants républicains à la Chambre des représentants, lors d’un vote, certes à bulletin secret, quelques jours avant le procès au Sénat, montre que le soutien à Trump a aussi des limites pour de nombreux cadres du parti.
Reste qu’à court terme au moins, la guerre interne au parti républicain va continuer à faire rage, sous les projecteurs des médias dont on sent qu’ils sont davantage tentés de traiter ces bagarres politicardes que les premiers pas de la Présidence « normale » de Joe Biden.
C’est en réalité toute la classe politique qui sort divisée de ces différents épisodes : l’attitude de nombreux élus républicains au Congrès, finalement assez désinvoltes par rapport aux événements du 6 janvier et toujours défenseurs virulents de Trump, a ulcéré les démocrates qui se sont sentis – à juste titre – physiquement menacés (et cela ne devrait guère s’atténuer dans les mois qui viennent puisqu’au fur et à mesure que les enquêtes avancent, on découvre qu’un certain nombre d’insurgés envisageaient sérieusement d’enlever ou de tuer les figures du parti démocrate, ou les « traîtres » républicains4Les extraits des bandes de vidéos surveillance diffusés par les démocrates pendant le procès ont montré qu’on a été très proche du drame à plusieurs reprises.). Il faut donc s’attendre à des échanges verbaux d’une grande virulence dans les semaines et mois qui viennent.
Loin d’être un électrochoc suscitant une forme d’union nationale pour la défense des institutions américaines et de la démocratie américaine tout court, l’assaut sur le Capitole a accentué les tensions au sein de la classe politique.
Le parti démocrate lui-même n’est pas à l’abri de tensions internes : au-delà des divergences sur les priorités d’action, plutôt bien gérées par Biden jusqu’ici, une partie des élus – et des militants, très revanchards, ont été déçus que le procès ait été un peu trop rapide. Cette frustration a été renforcée par les rebondissements du dernier jour du procès où les démocrates ont été à deux doigts de faire déposer des témoins. Pendant ce temps, une autre frange du parti ne cache pas son soulagement de pouvoir passer à autre chose et de se consacrer désormais pleinement à la gestion des crises sanitaire et économique .
Des institutions encore affaiblies
L’assaut sur la Capitole, pour spectaculaire qu’il ait été, et même si le bilan humain aurait pu être bien plus lourd, n’a jamais porté en lui une menace réelle de coup d’état ou de prise de pouvoir par Trump et ses alliés5C’est en tout cas l’avis de l’auteur, que certains qualifieront peut-être d’optimiste.. De même, les tentatives répétées de remise en cause du résultat par Trump ont échoué malgré sa virulence et son absence totale de scrupules. On pourrait dès lors considérer que les institutions américaines sortent renforcées de ces épreuves.
Mais si une majorité de cadres du parti républicain ont fini par reconnaître la victoire de Biden, certains irréductibles continuent à nier la défaite de Trump – et ses avocats ont refusé de reconnaître pendant l’« impeachment » que les résultats n’avaient pas été entachés par des fraudes. Et les manœuvres de certains élus locaux républicains pour changer les règles de vote ou les procédures de validation des résultats et de désignation des grands électeurs dans certains états montrent que certains n’ont pas abandonné l’idée d’utiliser tous les leviers possibles pour obtenir la « victoire » dans les urnes.
Surtout, à deux reprises en un an, sur des sujets totalement différents mais graves chacun dans leurs registres, les sénateurs républicains, à quelques exceptions près, ont refusé de voter contre un membre de leur parti, pour la seule raison que c’était un membre de leur parti soutenu par une frange significative de leur électorat.
Car les arguments juridiques mis en avant par les républicains (inconstitutionnalité du procès, protection du Président par le premier amendement à la constitution sur la liberté d’expression) ne tenaient pas une seconde : les plus éminents constitutionnalistes américains ont de façon écrasante estimé qu’il était parfaitement conforme à la lettre (et à l’esprit) de la constitution de condamner un Président, même une fois son mandat terminé, pour des faits intervenus avant son départ. Plus de 140 constitutionnalistes de toutes les tendances politiques et de toutes les écoles juridiques, ont également publié une lettre ouverte à la veille du procès au Sénat pour signaler que les protections relatives au premier amendement ne s’appliquaient pas en l’espèce. Ceci n’a pas empêché une quarantaine de républicains de s’accrocher sans scrupules à ces « arguments ».
On est loin du rôle de régulateur sage, détaché des contingences immédiates, que le Sénat était censé avoir dans l’esprit des pères fondateurs rédacteurs de la constitution américaine.
Au final, c’est la procédure même d’« impeachmenet »,un des garde-fous les plus importants contre les dérives possibles du pouvoir exécutif qui a été vidée de sa substance. Car si Donald Trump est acquitté après une conduite post-électorale ayant conduit à l’envahissement du Congrès, on se demande ce qu’il faudrait qu’un Président républicain fasse pour amener les républicains à condamner massivement un des leurs6Pour se défendre, on notera que les républicains disent que les démocrates, dans la même situation, n’auraient pas agi autrement..
Le Sénat ne fonctionne plus que comme un organe partisan qui utilise outrageusement certains outils procéduriers à disposition du parti minoritaire pour empêcher le passage de nombreux textes (comme le « filibuster » déjà évoqué dans de précédentes chroniques, qui permet de bloquer des textes faute de pouvoir disposer de 60 votes sur les 100 sénateurs).
Quant à l’« indépendance » du vote des sénateurs, elle est de plus en plus théorique et rhétorique et les consignes de vote comme le script pré-établi par les leaders priment. Si une preuve en était encore nécessaire, il suffit de mentionner qu’après avoir voté contre une motion démocrate ouvrant la possibilité de recourir à des témoins, le sénateur républicain de l’Alaska Dan Sullivan a benoîtement interrogé le président de séance pour savoir ce sur quoi il venait de voter précisément.
Dans le même temps, la Cour Suprême est elle aussi devenue un instrument politisé et partisan détourné de son objet initial de garant de la Constitution tel qu’il était pensé par les pères fondateurs, pour servir des objectifs politiques.
Cela commence à faire beaucoup de piliers des institutions qui dysfonctionnent.
Une résignation inquiétante chez les médias et le grand public
Les médias ont évidemment couvert massivement et intégralement l’« impeachment »7A l’exception de Fox News, dont le traitement très variable suivant les segments reflète les divisions des conservateurs quant à l’attitude à adopter par rapport à Donald Trump.. Mais l’auteur a été surpris du traitement des résultats du vote, y compris par les médias les plus virulents habituellement contre Trump et ses affidés.
Plutôt que de s’indigner contre le faible nombre de républicains ayant choisi de protéger les institutions et d’envoyer un signal fort contre toute future tentative d’attaque contre les institutions par un Président, ils sont surtout insisté sur le fait que les quelques républicains ayant voté pour la condamnation de Donald Trump n’avaient pas vraiment pris de risque, les uns ayant déclaré ne pas vouloir se représenter à l’issue de leur mandat, les autres venant d’être élus pour 6 ans, les derniers enfin étant déjà classés dans les anti-Trump depuis longtemps. Comme si d’une certain façon, ce vote était un peu « facile » pour ces républicains et comme si cela justifiait a contrario le vote des sénateurs qui ont préféré leur avenir politique et électoral à une position de principe.
Les médias américains sont-ils désabusés à ce point sur leur classe politique ? Ont-ils intégrés les enjeux partisans et les considérations électoralistes à ce point ?
Ils reflètent tout simplement peut-être la réaction majoritaire du grand public, qui ne semble pas s’être passionné pour l’« impeachment ». On pourrait mettre cela, pour certains américains et journalistes, sur le compte de la lassitude : ils croyaient en avoir fini avec Donald Trump et le voilà de nouveau sur le devant de la scène.
Mais les témoignages d’américains ordinaires rapportés par la presse évoquent surtout une lassitude ou un mépris pour les manœuvres politiciennes en arrière-plan de l’ « impeachment » et pour une classe politique d’abord intéressée par ces combats politiques qui ne concernent pas le quotidien des américains : quand Washington se décidera enfin à régler les problèmes de l’Amérique ?
Manifestement, les démocrates n’ont pas réussi à faire endosser par le grand public les légitimes questions de principes justifiant l’« impeachment », signe de plus de la difficulté à communiquer et du fossé qui s’agrandit entre la classe politique et les citoyens ordinaires.
Donald Trump a fait beaucoup de dégâts pendant son court mandat. Il n’a cependant fait que révéler et accélérer les fragilités et les dysfonctionnements du système politique américain et la faillite de ses élites politiques depuis de trop nombreuses années.
Joe Biden, qui est sans doute une des personnalités politiques américaines qui reste le mieux connecté aux américains ordinaires, mais qui continue, contrairement à ses compatriotes, à croire au pouvoir de la politique au sens noble du terme, ne s’y trompe pas. Interrogé sur l’« impeachment » le 16 février, il s’est contenté de répondre : « on a parlé pendant les 4 dernières années uniquement de Donald Trump. Je souhaite qu’on parle pendant les 4 ans qui viennent des américains ».