Le « Trumpisme sans Trump » : le pari risqué des républicains

Le parti républicain s’attendait à une lourde défaite, si ce n’est une déroute, lors des élections générales de 2020, c’est-à-dire à une défaite du Président Trump, entraînant avec lui la majorité républicaine au Sénat et accentuant encore la majorité démocrate à la Chambre des représentants, dans le prolongement des résultats de 2018 qui avaient été largement interprétés comme un vote sanction contre le Président.

Mais il n’en a rien été : si Donald Trump a été battu nettement au niveau du vote populaire1Biden ayant obtenu plus de 7 millions de voix de plus que le Président sortant., il n’était pas très loin de l’emporter dans les quelques états qui ont décidé de la majorité au collège électoral. Dans le même temps, la majorité républicaine au Sénat va peut-être être sauvée (si le parti républicain gagne un des deux sièges en jeu en Géorgie) et, au lieu de perdre encore du terrain à la Chambre des Représentants, le parti républicain a repris 13 sièges aux démocrates, n’en concédant que 3, ramenant à ce stade24 élections n’ont pas encore donné leur verdict définitif. la majorité démocrate à seulement 4 sièges.

Les républicains (et pas seulement les soutiens les plus fervents du Président Donald Trump) ont tôt fait d’attribuer ces succès à la formidable capacité de mobilisation du Président, capable d’amener dans les urnes de nouveaux électeurs qui n’ont pas seulement voté pour le Président mais en ont profité, pour la plupart, pour voter également pour les autres candidats républicains en course dans leur état.

Les candidats républicains au Sénat qui paraissaient les plus menacés se sont ainsi a posteriori félicités d’être jusqu’au bout fidèles au Président, malgré la tentation de prendre leurs distances au regard des sondages, et encore plus quand ils ont constaté qu’ils ont le plus souvent (dans l’Iowa, la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, le Montana, le Kansas ou le Kentucky) recueilli moins de voix que Donald Trump lui-même.

Les grands élus influents du parti, au premier rang desquels le leader de la majorité républicaine au Sénat Mitch McConnell ou le chef du groupe républicain à la Chambre des représentants Kevin McCarthy en ont immédiatement tiré la conclusion qu’il fallait écarter d’emblée l’option de tourner la page du « Trumpisme ». L’heure d’une grande reconstruction du parti sur les ruines laissées par quatre années passées sous la domination de Donald Trump n’a pas sonné, au grand dam des républicains anti-Trump, qui ont déployé beaucoup d’énergie (et beaucoup d’argent) pour infliger une sévère défaite au « Trumpisme » mais qui vont sans doute devoir passer encore quelque temps au purgatoire.

Au contraire, les cadres du parti semblent largement convaincus qu’ils doivent envisager les prochaines élections en construisant sur les bases posées par Donald Trump, et l’assument très clairement.

Alors qu’ils auraient pu attendre simplement que l’animal blessé s’épuise, les républicains ont le plus souvent emboîté le pas du Président sortant dans sa croisade médiatico-juridique pour tenter de remettre en cause le résultat du scrutin présidentiel. Le nombre de cadres jouant un rôle actif dans le parti qui ont aujourd’hui reconnu la victoire de Joe Biden est toujours aussi réduit (une poignée de sénateurs, quelques gouverneurs).

Les républicains savent évidemment que l’agitation du clan Trump n’aboutira à rien, si ce n’est à renforcer la crispation des plus fervents supporters du Président et à délégitimer le futur Président Joe Biden. Autant qu’un profond cynisme (après tout, compliquer la prise de pouvoir, et par suite, le début de mandat de Joe Biden peut avoir des retombées positives sur les élections de 2022), leur attitude traduit surtout la volonté de garder le « Trumpisme » au cœur du parti.

La première raison est pragmatique et liée à la crainte des conséquences que pourrait avoir, pour un futur candidat, quel que soit le poste brigué, un affrontement avec Donald Trump. En quelques tweets rageurs, relayés par la « Trumposphère » et l’ultra-droite, Trump conserve sans doute le pouvoir de ruiner une carrière politique.

Qui lâche le Président sortant a toutes les chances d’avoir en face de lui lors d’une prochaine primaire pour obtenir l’investiture républicaine, un candidat « pro-Trump », pis un candidat explicitement soutenu par ce dernier3Trump a par exemple déjà encouragé ses alliés à se présenter en 2022 contre le gouverneur républicain de l’Ohio qui a osé affirmé que Joe Biden avait gagné l’élection.. Les républicains n’ont pu que constater en 2018 comme en 2020 que le soutien de Donald Trump était un élément clé pour remporter une primaire.

Et même quand Trump n’intervient pas soutenir un candidat, ce sont souvent des candidats très « radicaux » et prompts à copier le style du Président sortant qui ont gagné les primaires républicaines en 2018 ou en 2020. Ce n’est d’ailleurs qu’une traduction de la polarisation politique du pays, encore plus exacerbée chez les militants, quel que soit le parti4Le parti démocrate fait le même constat : les électeurs des primaires sont souvent plus enclins à voter pour des candidats progressistes que l’électorat qui se déplace lors de l’élection générale..

On a du mal à imaginer que beaucoup de républicains croient sérieusement à une nouvelle candidature de Donald Trump en 2024, qui aura 78 ans en 2024 et qu’on voit bien plutôt chercher, comme il l’a fait toute sa vie, à faire fructifier sa notoriété et son passé présidentiel, plutôt qu’à risquer une nouvelle défaite. En revanche, il est bien possible, au moins dans un premier temps, que Trump laisse planer le doute ou cherche, pour aider ses futurs projets5On parle d’une chaîne de télévision pour concurrencer Fox News. Le fait de rester sur la scène politique peut également l’aider à jouer au martyre et à crier au complot lors de futurs démêlés avec la justice., à garder la main-mise sur le parti avec les quelques atouts qu’il aura en main : sa popularité, son pouvoir de nuisance mais aussi son fichier d’électeurs et de militants, ressource extrêmement précieuse pour mener une campagne de terrain efficace. Et il serait sans doute téméraire de se fâcher avec lui dès à présent.

Cela étant, il n’y a pas que du pragmatisme, du cynisme ou de l’hypocrisie, derrière le soutien affiché par le parti républicain à Donald Trump. Certains considèrent en effet que sa victoire en 2016 et sa performance de 2020 ne sont pas du tout une parenthèse à refermer mais au contraire les fondations d’une coalition électorale élargie donnant de nouvelles perspectives au parti.

En effet, après les deux défaites face à Barack Obama, et alors que depuis 1992, un seul candidat républicain, George W. Bush pour sa réélection en 2004, a réussi à remporter le vote populaire, le parti républicain ne pouvait que faire le constat que l’évolution démographique du pays : augmentation de la part des minorités dans la population, percée du « progressisme » dans les élites économiques des métropoles des côtes Est et Ouest, etc. Une stratégie électorale basée sur les seuls électeurs blancs des classes moyennes aisées est sans doute maintenant vouée à l’échec.

En réalité, le parti doitsa survie au sein des institutions autant au système du collège électoral qu’à la surreprésentation des zones rurales au Sénat6Pour mémoire, chaque état dispose de deux sièges au Sénat, qu’il ait 40 millions d’habitants comme la Californie ou 500 000 habitants comme le Wyoming. ou à sa capacité par des tactiques diverses et variées, à priver certains électeurs (notamment les afro-américains ou les classes populaires) du droit de vote ou d’une représentation à hauteur de leur poids dans la population.

Or Donald Trump a ouvert de nouvelles perspectives en gagnant nettement en 2016 le vote des électeurs blancs non diplômés (i.e. des classes populaires blanches) et même en élargissant un peu sa base électorale à une partie des électeurs afro-américains et « latinos » des classes populaires en 2020, ce qui lui a permis de remporter assez nettement la Floride ou le Texas et aux autres candidats républicains (au Congrès ou pour les assemblées législatives locales) dans ces états de réaliser également des performances inattendues.

Tout cela en limitant finalement les défections au sein de l’électorat traditionnel du parti républicain, malgré un bilan discutable et un style peu compatible avec les valeurs que portent normalement une partie de l’électorat conservateur. Bien sûr, certains électeurs diplômés des banlieues résidentielles se sont tournés en 2018 vers les candidats démocrates, ce qui a conduit à la nette victoire démocrate à la Chambre des représentants. Et en 2020, une partie d’entre eux a voté Biden et a contribué à la victoire de ce dernier dans certains « battleground states » qui ont décidé du scrutin. Mais cela n’a pas été une hémorragie aussi importante qu’initialement craint.

Car finalement Trump, s’il a donné l’impression de gouverner largement à vue, de n’avoir pas toujours respecté ses promesses, ou de changer régulièrement d’avis et de priorités, présente, au bout de 4 ans, un bilan de nature à satisfaire différentes catégories d’électeurs.

Baisse des taxes, dérégulation et suppression des normes environnementales pour les tenants de la « loi du marché », avec parmi eux des gros financeurs des campagnes électorales républicaines, c’est-à-dire la base historique du parti républicain.

Nominations de juges ultra-conservateurs à tous les niveaux du pouvoir judiciaire et surtout à la Cour Suprême, déclarations tonitruantes anti-avortement, pro armes à feu et pour la défense de la liberté religieuse, pour consolider l’alliance que Reagan avait passé avec les conservateurs « sociétaux », dont les réseaux sont utiles pour les campagnes de terrain et qui sont également prêts à financer massivement les campagnes électorales.

Et enfin, et c’est la nouveauté introduite par Donald Trump, mesures « populistes ». Dans le contexte américain, le terme « populisme » désigne avant tout une approche économique issue d’un mouvement né à la fin du 19ième siècle pour s’opposer au développement du capitalisme moderne, au pouvoir excessif des élites urbaines et économiques et aux inégalités, qui se traduisaient par la revendication de politiques s’adressant directement aux problèmes classes populaires et rurales : lutte contre les monopoles ou le pouvoir des banques, protectionnisme, etc.

Transposé dans le contexte des années 2020, le « populisme » de Donald Trump s’est traduit par la guerre commerciale avec la Chine ou la limitation drastique de l’immigration7L’auteur ne dit pas que ces mesures sont pertinentes pour aider les travailleurs les plus précaires. Mais c’est ainsi qu’elles sont présentées par leurs adeptes, qu’ils soient d’ailleurs « Trumpistes » ou « populistes » de gauche. qui sont normalement contraire à la doctrine économique du parti républicain.

Cela inclut aussi le soutien important apporté aux ménages américains, et notamment le complément fédéral aux allocations chômage et le chèque de 1200 dollars attribué au printemps sous conditions de ressources, autant de mesures que le Président a imposé dans le paquet de soutien à l’économie malgré les réticences de nombreux républicains. Ce n’est sans doute pas pour rien que Donald Trump a gagné en Floride en remportant 51% des voix, pendant que dans le même temps, la proposition, soumise par referendum, d’augmenter le salaire minimum en vigueur dans cet état pour le fixer à 15 dollars était adoptée en recueillant plus de 61% des voix.

A cela s’ajoute la diabolisation permanente des démocrates, traités, au choix, de « libéraux » ou de « socialistes », quitte à avoir recours à la désinformation, qui a permis de faire le liant en donnant un objectif commun, certes défensif, mais très évocateur qui a sans doute fini de convaincre les électeurs hésitant parce qu’ils ne se reconnaissaient pas dans l’une ou l’autre des approches évoquées ci-dessus.

Donald Trump a donc réussi, de façon chaotique et probablement en suivant son instinct (ou son génie politique, diront ces fans) plutôt qu’ une stratégie construite, un amalgame improbable là où ses prédécesseurs avaient échoué, ce qui leur avait parfois coûté cher (l’exemple le plus prégnant étant celui de George Bush père, battu en 1992 en raison des 19% des suffrages voix recueillis par Ross Perot, candidat « populiste » et libertarien).

De même, alors que Donald Trump lui-même, et son entourage proche, représentent l’archétype de l’électorat républicain traditionnel (un vieil homme blanc riche), il a paradoxalement redonné du sang neuf au parti républicain : tous les sièges de représentants repris par les républicains l’ont été par des femmes ou par des candidats issus des minorités ethniques (ou les deux). Ils rejoignent une nouvelle génération de républicains élus dans le sillage de Donald Trump et qui partagent souvent cette idéologie composite : ultra-conservateurs du point de vue sociétal, méfiant sur l’intervention de l’état dans l’économie et très virulent contre toute idée « socialiste », mais prêts à soutenir les plans de relance fédéraux dans le cas du coronavirus.

Côté républicain, le pari semble dès lors être le suivant : garder les ingrédients qui ont fait le succès du Président auprès de l’électorat populaire et approfondir ce qui a permis de commencer à percer dans l’électorat « latino » ou afro-américain et de lancer une nouvelle génération d’élus, tout en bénéficiant du fait d’avoir des porte-drapeaux moins clivants pour récupérer les électeurs effrayés par le style atypique du Président et consolider l’électorat républicain traditionnel (et minimiser dans le même temps la capacité de mobilisation des démocrates, largement basée en 2018 et 2020 sur le discours anti-Trump). Autrement dit, faire du « Trumpisme sans Trump » en gardant les bonnes grâces de Donald Trump, le temps qu’il se retire du paysage.

Ce raisonnement et cette stratégie paraissent évidemment limpides et particulièrement séduisantes. Mais tout n’est pas aussi simple et le « Trumpisme sans Trump » n’est pas sans présenter des risques importants.

Une inconnue majeure réside dans la capacité à fidéliser les électeurs mobilisés en 2020 par Donald Trump.

Bien sûr, le bilan du Président sortant n’est sans doute pas pour rien dans sa performance électorale. Trump a été le catalyseur de frustrations et des angoisses d’une partie de la population qui n’attendait qu’une opportunité pour exprimer ce ressentiment dans les urnes et il n’est pas aberrant de considérer que la défaite de Donald Trump n’a pas mis fin aux attentes de ces électeurs.

Il est d’ailleurs difficile pour les républicains, même lorsqu’ils se déclarent comme des soutiens du Président, de s’entendre sur ce qui, dans son discours, est le plus important pour les électeurs : les mesures « populistes » pour faire face à la peur du déclassement, le conservatisme pour préserver les « valeurs de l’Amérique », la baisse des impôts et la peur d’une politique économique interventionniste « socialiste » ? Chacun y va de sa théorie en fonction de ses propres convictions, d’autant que Donald Trump et les républicains ont fait campagne en 2020, de façon assumée, sans programme électoral officiel.

On pourrait voir là, comme le font d’ailleurs certains commentateurs américains, des similitudes avec le Péronisme ou le Gaullisme, dans lequel chacun a pioché ce qui lui convenait, sans parvenir à incarner complètement l’héritage d’un mouvement qui reposait d’abord sur la figure du chef.

Autrement dit, la question est bien de savoir si le « Trumpisme » qui fait le succès du Président dans l’électorat populaire et peu diplômé ne se résume pas tout simplement, même si cela défie largement l’entendement, à la personnalité et au style du Président : les électeurs n’ont-ils pas d’abord voté pour un businessman à succès et sans état d’âmes, un « homme fort », un « combattant » refusant le diktat du politiquement correct, engagé dans une lutte à mort avec les « libéraux » et les « élites » intellectuelles et économiques ?

On ne voit pas bien, parmi les jeunes loups et louves aux dents longues (ou les vieux crocodiles opportunistes) qui peuplent les « talk shows » d’ultra-droite, qui pourrait être capable de reprendre le flambeau avec le même parcours d’entrepreneur, le même capital en matière de notoriété, le même charisme, le même talent instinctif de communicant, la même maîtrise des réseaux sociaux et de la désinformation.

Les républicains sentent pourtant bien qu’ils doivent trouver un moyen de garder sous tension, au sens propre comme figuré du terme, les électeurs pro-Trump en utilisant le même genre de rhétorique.

Le risque est dès lors d’en faire trop et/ou de le faire mal et c’est bien ce qui menace les deux candidats républicains pour les sièges de sénateurs de Géorgie qui seront attribués le 5 janvier prochain dans le cadre d’un deuxième tour8Pour mémoire, les lois électorales de Géorgie prévoient qu’un candidat doit recueillir plus de 50% des voix pour être élu. Kelly Loeffler et David Perdue ont d’abord repris à leur compte la théorie de la fraude électorale au point de demander la démission du « secretary of state » de l’état, élu républicain chargé de l’organisation de l’élection. Ils ont recours outrageusement à la rhétorique anti-démocrate de la « Trumposphère », se multipliant dans les « talk shows » d’ultra-droite (et refusant de répondre aux invitations des autres médias), etc. Les deux candidats espèrent également bénéficier d’un appui concret de Donald Trump, qui a prévu de se rendre en Géorgie pour faire campagne le 5 décembre – ce qui traduit surtout l’état de dépendance dans lequel sont les républicains.

Le premier danger de cette posture est conjoncturel et presque propre à la Géorgie : à force de dénigrer le processus électoral et de hurler que l’élection a été faussée, les deux candidats républicains pourraient bien démobiliser leurs propres électeurs, enfermés dans le conspirationnisme au point de ne plus aller voter du tout.

Certains supporters fanatiques de Donald Trump, dont un avocat en pointe du combat juridique bien que ne faisant pas partie de l’équipe juridique « officielle » de Trump, ont même appelé à boycotter l’élection, considérant que Loeffler et Perdue n’en faisaient pas assez pour soutenir le Président sortant.

Les candidats républicains en Géorgie, leurs relais médiatiques sur Fox News ou au sein du parti républicain ou du clan Trump en ont pris conscience et s’activent pour inciter les électeurs à voter, en brandissant l’objectif de revanche par rapport à la première élection.

Le parti républicain local est dans le même temps en train de se déchirer, les attaques portées contre le « secretary of state » ou le gouverneur, mais aussi contre les nombreux militants anonymes ayant participé comme scrutateurs au processus (et ayant recompté plusieurs fois les bulletins pour satisfaire aux caprices du Président), n’ont pas du tout plu et certains élus républicains à des fonctions exécutives en lien avec l’élection ont élevé la voix. Même s’ils continuent à appeler à voter pour les candidats républicains le 5 janvier, ce ne sont pas les meilleures conditions pour faire une bonne campagne de terrain.

Le deuxième danger est plus structurel et dépasse le cadre de la seule élection en Géorgie : plus les candidats républicains singeront Donald Trump pour fidéliser ses électeurs, moins ils ramèneront au bercail les électeurs modérés partis voir ce qui se passait du côté démocrate, et plus ils donneront des munitions aux démocrates pour surfer encore un peu sur la vague « anti-Trump » en continuant à faire de ce dernier un épouvantail.

Garder Donald Trump comme figure tutélaire du parti républicain, miser sur des diatribes anti-démocrates et sur la guerre culturelle pourrait bien être contre-productif vis-à-vis des électeurs

indépendants ou républicains modérés qui souhaitent rapidement oublier un mandat Trump qu’ils perçoivent comme une anomalie historique.

En réalité, la stratégie que semble envisager le parti républicain pour les années à venir repose sur des prémisses très fragiles : les républicains ont peut-être obtenu des résultats inespérés au regard des sondages, ils n’en ont pas moins perdu la Présidence, au mieux diminué leur majorité au Sénat, qui ne sera plus qu’une deux voix et au pire perdu cette majorité, et ils n’ont pas récupéré la majorité à la Chambre des représentants, ne récupérant qu’un dizaine de sièges sur les 46 perdus en 2018. Le « Trumpisme » a pu payer par endroit, mais il n’a pas été, en 2020, une stratégie gagnante au niveau général.

Les républicains oublient en effet un peu vite que ce sont dans des « red states » (les états traditionnellement républicains, nommés ainsi en référence à la couleur du parti républicain) que les voix drainées par Donald Trump ont permis à ce dernier de gagner confortablement (dans l’Ohio ou l’Iowa par exemple), aux sénateurs sortants républicains d’être réélus nettement en dépit des pronostics (en Caroline du Sud, dans l’Iowa, dans le Montana, au Kansas ou dans le Kenticky, etc.) ou à plusieurs candidats de récupérer des sièges de représentants perdus en 2018 (dans l’Iowa et la Caroline du Sud toujours, dans l’Oklahoma ou l’Utah, par exemple9Les autres sièges ont été repris dans des zones à forte population latinos ou dans des enclaves républicaines dans le Michigan, le Minnesota ou l’état de New York.).

Dans ces états, les démocrates n’ont pas pu compenser l’effet de la mobilisation pro-Trump et ses retombées positives sur les autres candidats républicains par le rejet du Président sortant, faute de pouvoir disposer d’un vivier suffisamment important d’électeurs susceptibles d’être sensibles au discours anti-Trump.

Mais dans les « blue states » (en référence à la couleur bleu du parti démocrate), les candidats républicains à la Chambre des représentants défaits en 2018 n’ont pas repris leurs sièges. Dans le Colorado, le sénateur sortant républicain, qui a affiché son soutien à Trump jusqu’au bout, a nettement perdu.

Dans l’Arizona, désormais un « purple state » (on attribue la couleur pourpre aux états n’étant ni clairement républicain, ni clairement démocrate),la sénatrice républicaine sortante a été battue.

Dans le Nebraska (un des seuls états à désigner un partie de ses grands électeurs au collège électoral par arrondissement), en passe de devenir un « purple state », Donald Trump a été battu nettement dans un arrondissement « purple » où le candidat républicain à la Chambre des représentants a lui été réélu en développant un discours modéré et en refusant de se revendiquer comme le candidat du Président. De même, le candidat républicain au Sénat, qui avait pris ses distances publiquement avec Trump quelques semaines avant l’élection a été élu en obtenant davantage de voix que le Président.

Les républicains ont un objectif pour 2022 : éviter de perdre la majorité au Sénat en 2022 et essayer de reconquérir la majorité à la Chambre des représentants en 2022. Pour cela, il ne suffira pas de consolider sa position dans les « red states ». Si pour une partie importante des sièges de sénateurs ou de représentants, une victoire lors la primaire équivaut à une victoire finale, tant les états ou circonscriptions concernés sont majoritairement républicains, ce n’est pas le cas dans les « purple states ». Et si un positionnement « Trumpiste » y offrira de bonnes chances de victoire à la primaire, cette étiquette peut aussi être un lourd handicap lors de l’élection générale.

En particulier, trois sénateurs républicains sortants seront particulièrement en péril en 2022, mais cette fois dans des états comme la Pennsylvanie, le Wisconsin, la Caroline du Nord (où le sénateur républicain sortant n’a gagné cette année qu’avec une marge infime), c’est-à-dire soit des « blue states » soit des « purple states ». Il y aura aussi une nouvelle élection en Géorgie , qui est désormais un « purple state »10Joe Biden est arrivé en tête de justesse en 2020, deux ans après une élection très serrée pour le poste de gouverneur, gagnée par le candidat républicain., puisqu’une des deux élections en suspens ne vise qu’à désigner celui ou celle qui terminera le mandat d’un sénateur élu en 2016 et démissionnaire pour raison de santé. Dans le même temps, peu de sortants démocrates seront réellement en danger et la majorité du Sénat se jouera donc en 2022 dans des états où les républicains ont clairement perdu du terrain pendant les 4 ans de Présidence Trump.

Les résultats en Géorgie le 5 janvier prochain auront valeur de test sur l’efficacité du choix s’en tenir au « Trumpisme ». Cette élection est pourtant particulière à plus d’un titre : incertitude sur la mobilisation un 5 janvier et deux mois seulement après une élection crispée et serrée dont tout le monde est sorti lassé, faiblesses des candidats (les deux républicains s’ils multiplient les démonstrations d’allégeance à Trump, sont en réalité des incarnations parfaites des élites économiques que ce dernier prétend déboulonnerIls sont d’ailleurs tout les deux accusés d’avoir profité des informations en leur possession au début de la pandémie pour spéculer en bourse), ombre de Trump planant encore largement sur le paysage politique, etc.

Le risque est dès lors pour les républicains (comme pour les démocrates) d’en tirer des conséquences stratégiques un peu trop définitives pour les prochains scrutins : en cas de victoire, le parti républicain s’en tiendra sans doute à son « Trumpisme sans Trump », au risque d’une grande désillusion dans deux ans. En cas de défaite, la vision positive sur les élections de 2020 qui prévaut actuellement dans le camp républicain pourrait bien être sérieusement remise en cause, avec en perspectives d’intenses débats internes, entre ceux qui expliqueront que les candidats n’étaient pas assez « Trumpistes » et ceux qui retrouveront de l’énergie pour plaider pour un retour à un positionnement plus classique du parti républicain et pour tirer définitivement un trait sur l’expérience Trump.

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