Trump peut-il être le candidat républicain à la présidence en 2024 ?

Passer en douceur à l’après-Trump plutôt que solder rapidement l’héritage du Président ayant échoué à se faire réélire : telle était clairement l’option retenue par la plupart des grandes figures du parti républicain, lorsqu’elles ont fait le choix, fin 2020 et début 2021, de ne pas critiquer frontalement Donald Trump ou son bilan et surtout de ne pas condamner son refus d’assurer une transition apaisée avec son successeur. Le moins qu’on puisse dire est que tout n’a pas fonctionné comme prévu.

L’objectif était clair : tourner la page des 4 années précédentes tout en maintenant dans le giron du parti républicain l’électorat que Trump avait réussi à attirer en 2016 et 2020.

Autrement dit, il s‘agissait de garder les avantages de l’aventure Trump (le ralliement au parti républicain des électeurs d’un électorat blanc frustré et nostalgique jusqu’à présent éloigné des urnes), sans les inconvénients (la personnalité et les errements de Trump lui-même). Quitte à détourner le regard de l’attitude irresponsable de Trump après sa défaite et à démontrer une fidélité, au moins de façade, à son héritage si ce n’était à sa personne.

En reprenant par ailleurs à leur compte tout ou partie des thèses populistes de l’ancien Président, les républicains pensaient pouvoir conserver le soutien des électeurs MAGA et ainsi construire le Trumpisme sans Trump.

Les républicains avaient surtout l’espoir que Trump s’efface peu à peu du paysage politique. Dans ce scénario « idéal », Trump aurait sans doute continué pendant un certain temps son cirque médiatique, prétendant qu’il avait gagné l’élection ou se cherchant des excuses, mais il se serait peu à peu satisfait de sa retraite dorée à Mar-a-Lago, préférant jouer au golf et se vanter de ses trous en un, que de continuer à jouer un rôle politique national. D’autant qu’à de rares exceptions près, les candidats battus lors des élections présidentielles américaines ne se représentent pas.

A défaut de ce scénario idéal, les républicains imaginaient que l’ancien Président, s’il voulait continuer à jouer un rôle politique national, serait bien obligé de mettre de l’eau dans son vin s’agissant de la contestation de l’élection, notamment parce que son attitude lors de l’insurrection du 6 janvier pouvait lui causer des ennuis judiciaires. Voire parce qu’il réaliserait que la remise en cause du processus démocratique risquerait de lui aliéner définitivement une partie de l’électorat indépendant et modéré, qui avait pu jusqu’à présent passer outre ses excès, dès lors que la situation économique était bonne.  

Trump, qui est indéniablement un très bon communicant, notamment dans le registre du dénigrement, aurait alors pu jouer un rôle dans la campagne des midterms 2022, en étant par exemple un porte-parole efficace des critiques sur le bilan de Joe Biden. Et on aurait bien vu plus tard s’il était amené à faire partie de l’équation politique en 2024.

Le problème pour les républicains est double : non seulement Trump paraît manifestement décidé à rester au centre de l’arène politique, mais surtout il est resté focalisé sur la contestation de l’élection de 2020, qui reste le thème principal de ses interventions publiques.

Et il utilise son influence et sa mainmise sur une partie de l’électorat républicain, non pas pour aider les républicains à gagner les midterms, mais pour forcer un maximum d’élus et de candidats républicains à lui faire allégeance. 

Dans le même temps, Trump poursuit une stratégie très agressive de collecte d’argent, au point de capter une grande partie des flux des donateurs républicains, au détriment des finances du parti ou d’autres candidats – ce qui est d’autant plus gênant pour ces derniers que Trump conserve ce trésor de guerre, au lieu de le dépenser pour soutenir des candidats républicains, y compris ceux auxquels il apporte son soutien. Traditionnellement, les candidats ou personnalités politiques disposant de ressources importantes en utilisent une partie pour aider leurs alliés qui manquent d’assise financière, ce qui peut être décisif tant les moyens financiers comptent, dans un pays où il n’existe pas de limite pour les dépenses de campagne et où les spots télévisés ou radio jouent un rôle important. Trump considère, lui, que son soutien vaut de l’or en tant que tel.

Les républicains ont dès lors tous les inconvénients sans les avantages. 

Certes, les électeurs MAGA sont bien restés dans le giron républicain mais avec pour seul objectif de faire revenir Trump, et le risque de les voir s’éloigner du parti le jour où Trump s’effacera ou le jour où la rupture entre le parti et lui sera consommée est au moins aussi important que fin 2020 ou début 2021.

Dans le même temps, la contestation de l’élection de novembre 2020 reste au cœur du débat politique interne au parti républicain et des primaires républicaines. Faute d’avoir adopté une position claire, les républicains ont laissé prospérer le « big lie » (c’est-à-dire l’idée selon laquelle Biden ne l’a emporté que grâce à la fraude électorale) au-delà de la seule base militante MAGA. Et il est de plus en plus compliqué, pour ne pas dire impossible, de s’attaquer au « big lie » côté républicain, ce qui pourrait bien s’avérer être un boulet au moment des élections générales et coûter, à court terme, des sièges de sénateurs ou de gouverneurs.

Tant pis pour les républicains, pourrait-on dire : après tout, ils auraient pu se douter que l’égo de Trump l’emporterait sur toute autre considération.

Quant à l’idée selon laquelle les républicains pourraient rester dans une sorte d’entre-deux, en évitant de se prononcer dans un sens ou dans l’autre sur le « big lie », jusqu’à ce que celui s’éteigne naturellement, elle était évidemment illusoire. Avec Donald Trump, il n’y a jamais d’entre-deux : on est avec lui et il faut le prouver régulièrement ou on est contre lui et on s’attire alors ses foudres. 

Et c’est bien ce qui pose au problème aux républicains : parce qu’ils n’ont pas œuvré à défaire l’emprise de Trump sur le parti républicain, celle-ci a bel et bien été renforcée depuis janvier 2021.

Ainsi, pendant que les possibles opposants restaient silencieux, les partisans ne sont pas restés inactifs et ont pris le contrôle du parti au niveau local mais aussi au niveau national, avec les dérives qui vont avec.

A deux exceptions près (Liz Cheney, qui subit depuis de multiples tentatives de déstabilisation et devra lutter pour garder l’investiture républicaine dans le Wyoming, et Adam Kinzinger, victime du redécoupage électoral dans l’Illinois et auxquels les républicains se garderont bien de proposer une nouvelle circonscription), les républicains avaient refusé de participer à la commission d’enquête parlementaire sur les événements du 6 janvier.

La justification de ce refus, au printemps 2021, ne reposait pas sur la défense de l’insurrection ou la minimisation des événements, mais sur l’inutilité de cette commission, la dénonciation de manipulation politique et de l’acharnement envers le Président sortant, le souhait de se tourner vers l’avenir, etc.

En novembre 2021, le parti a changé de registre, à l’instigation des Trumpistes, dans une déclaration condamnant officiellement Cheney et Kinzinger pour leur participation à la Commission, en expliquant que les événements du 6 janvier au Capitole relevaient d’un « discours politique légitime »,  autrement dit de la liberté d’expression et d’opinion protégée par la Constitution et son premier amendement (ce qui n’a pas manqué de susciter des débats).

Trump lui-même a su parfaitement jouer de la peur qu’il inspire pour susciter des déclarations d’allégeance, tenir dans le creux de sa main les figures du parti qui seraient tentées de s’opposer à lui et continuer à consolider sa mainmise et son image de faiseur et défaiseur de carrière politique.

Cette habilité s’est notamment exprimée lorsqu’on a appris que Kevin McCarthy, leader des républicains à la Chambre des représentants, avait, dans des conversations privées avec des collègues républicains juste après les événements du 6 janvier, indiqué qu’il souhaitait demander à Trump de démissionner.

On aurait pu croire que Trump entrerait dans une rage folle et l’accuserait de jouer double-jeu. Il faut dire que McCarthy, dont la réputation de girouette n’est plus à faire, a soufflé le chaud et le froid, en janvier 2021, avant de se rallier définitivement à Trump lors d’une visite, très médiatisée et mise en scène, à Mar-a-Lago pour « baiser l’anneau » du Parrain qui lui avait valu de nombreuses critiques.

Mais Trump, en bon connaisseur de la psychologie des traitres et des repentis, sait bien que ce n’est pas la sincérité de ses soutiens qui compte, mais plutôt le niveau de leur dépendance vis-à-vis de lui. Il a préféré se féliciter des dénégations de McCarthy (alors même que les conversations avaient été enregistrées et ont donc été rendues publiques !) : il a sans doute considéré que McCarthy, pour se rattraper, allait devoir redoubler de loyauté et de Trumpisme dans les semaines et mois qui viennent. Car McCarthy n’a aucune envie d’avoir un candidat Trumpiste en face de lui pour l’élection à la présidence de la Chambre des représentants, si les républicains venaient à conquérir la majorité en novembre prochain.

Le message est clair : «  d’une manière ou d’une autre, je vous tiens tous ». Le résultat de cela est que Trump est bel et bien aujourd’hui le leader du parti.

Si la primaire républicaine pour la présidentielle de 2024 avait lieu demain, et si Trump était candidat, il y a fort à parier qu’il n’y aurait pas grand-monde côté républicain pour tenter sa chance contre lui.

Et pourtant, une candidature Trump n’est sans doute pas ce que souhaitent une majorité des élus et cadres républicains, loin de là.

Il y a d’abord évidemment ceux qui sont restés férocement never-Trumper, même s’ils se sont bien gardés de le dire publiquement.

Il y aussi ceux qui n’ont pas forcément une mauvaise image de Trump mais considèrent qu’une candidature Trump en 2024 serait risquée, compte tenu d’un niveau de popularité qui reste très faible, avec un taux d’opinion défavorable très important. Les enquêtes d’opinion « sérieuses »1On entend par là celles réalisées par des instituts renommés, par opposition aux instituts aux méthodes douteuses, tel Rasmussen, réputé pour avoir des résultats toujours flatteurs pour Trump. estiment qu’environ 40% des américains ont une opinion favorable sur Donald Trump, contre environ 55% d’opinion défavorables (soit, ironie du sort, à peu près les mêmes chiffres que Joe Biden actuellement).  Le rejet très fort de la part d’une partie de la population, exprimé lors de la présidentielle de 2020, a sans doute été exacerbé par l’attitude de Trump dans les semaines ayant suivi l’élection.

Il y a enfin les nombreux prétendants à la succession, de l’ancien vice-Président Mike Pence à la nouvelle génération représentée par les sénateurs ultra-conservateurs Cotton ou Hawley, en passant par le gouverneur de Floride Ron de Santis ou la gouverneure du Dakota du Sud Kristi Noem. Ceux-là sont prêts à attendre jusqu’à 2028, mais ne manqueraient pas de tenter leur chance si Trump n’était pas en piste en 2024.

Les résultats de certains enquêtes d’opinion accréditent (tout au moins dans l’esprit des détracteurs de l’ancien Président, qui s’accrochent à ce qu’ils peuvent…) l’idée que l’électorat républicain est par ailleurs peut-être moins accroché à Donald Trump qu’on pourrait le croire ou le craindre (selon le point de vue où on se place).

L’évolution dans le temps des résultats d’une enquête effectuée régulièrement par le Wall Street Journal et NBC viendrait illustrer cette théorie. En octobre 2020 (soit juste avant l’élection présidentielle), 54% des électeurs républicains auxquels on demandait s’ils se considéraient « davantage un supporter de Donald Trump ou un supporter du parti républicain » disaient donner la primeur à l’allégeance à Trump (contre 38% au parti républicain). En janvier 2021, le résultat était équilibré. En mars 2022, à la même question, 53% des électeurs républicains donnaient la primeur au parti républicain, et 40% à Donald Trump, résultat qui a frappé les esprits.

Il y a ensuite l’idée, issue de focus groups et d’enquêtes qualitatives menées par des stratèges républicains, selon laquelle si les électeurs républicains conservent une bonne opinion de Donald Trump et si Trump arrive nettement en tête dans les quelques sondages sur une hypothétique primaire rassemblant les possibles candidats identifiés à ce stade2Les observateurs donnent un crédit limité à ces sondages très en amont d’une primaire, dès lors qu’ils donnent toujours un avantage aux plus connus des potentiels candidats testés, les sondages évoluant dès que les scrutins approchent et que les électeurs commencent à connaître et donc avoir une opinion sur les différents prétendants..

Une enquête poussée du sondeur Tony Fabrizio, proche du parti républicain et ayant travaillé pour l’administration Trump, classait ainsi début 2021 les électeurs républicains en cinq tribus : les « never-Trumpers », les « post-Trumpers » (qui apprécient le Président mais veulent passer à autre chose), les « Trump Boosters » (qui ont une vision très positive de Donald Trump et pourraient voter pour lui, mais qui se considèrent « républicains » avant d’être « Trumpistes », et qui pourraient donc délaisser Trump), les « Die hard trumpers » (qui se considèrent « Trumpistes » avant d’être « républicains ») et enfin les « infowars » ou conspirationnistes qui soutiennent totalement Trump (et sont sans doute « irrécupérables » par un parti républicain « normalisé »). Les deux premières tribus, prête à passer à autre chose, représenteraient environ un tiers des électeurs républicains, comme les deux dernières qui soutiennent fortement Trump : ce sont alors les « Trump booster », qui pourraient semble-t-il basculer d’un côté ou de l’autre, qui décideraient sans doute de l’avenir de Trump en cas de candidature de ce dernier.

Mais, comme souvent dans ce genre de situation, aucun républicain qui se voit un avenir politique national ne veut être le premier à poser publiquement la question du post-Trumpisme ou du risque de faire de l’ancien Président le candidat républicain à la Présidence en 2024. Et encore à tenter de faire ne serait-ce que la moindre pichenette qui pourrait peut-être faire tomber Trump de son piédestal.

Et tout le monde se regarde, en espérant que quelqu’un se lancera ou surtout un événement qui fragiliserait ou déstabiliserait Donlad Trump.

Les affaires, peut-être ? Trump (comme son père avant lui) a toujours réussi à échapper à la justice et il y a de bonnes chances qu’il continue à passer entre les gouttes malgré les multiples procédures engagées3Ce qui en dit long, au passage, sur les failles du système judiciaire américain s’agissant des criminels en col blanc..

Même si la commission d’enquête parlementaire sur le 6 janvier venait à prouver l’implication directe de Trump dans l’insurrection du 6 janvier, on voit mal les républicains, qui ont nié toute légitimité à cette commission, s’appuyer sur ses résultats (à moins d’une preuve matérielle irréfutable… et encore) pour tenter d’écarter Trump du jeu.

Les anti-Trump ont un temps espéré que la guerre en Ukraine puisse fragiliser Trump, compte tenu de sa proximité affichée avec Vladimir Poutine. Et ce encore plus quand Trump a déclaré publiquement que Poutine était un génie qui avait géré de façon maline la situation, au tout début de l’offensive russe. Mais si les élus républicains au Congrès soutiennent l’aide militaire massive apportée à l’Ukraine (et critiquent l’absence de fermeté de Biden vis-à-vis de son homologue russe), ils font mine d’ignorer la position de Trump sur le sujet.

Il faut dire que les électeurs ordinaires n’accordent en réalité que peu d’importance, dans la hiérarchie des sujets, à la crise en Ukraine. Quant aux électeurs MAGA, comme le rappellent souvent les observateurs, ils n’apportent en réalité aucune importance au contenu précis de ce que peut dire Trump. Pour reprendre une formule souvent utilisée : « les anti-Trump prennent au sérieux ce qu’il dit mais pas Donald Trump lui-même ; pour ses électeurs, c’est le contraire ».

Les anti-Trump en sont dès lors réduits à espérer que les résultats des primaires de ce printemps démontrent que l’influence de Trump sur la base électorale républicaine n’est pas aussi forte que cela.  Ils œuvrent sans doute en coulisses pour aider les adversaires des candidats soutenus par Trump, en mobilisant leurs ressources financières et leurs réseaux.

Car Trump, pour entretenir son image de faiseur de rois4Et parce qu’organiser une levée de fonds à Mar-a-Lago et ainsi remplir les caisses de l’ancien Président était semble-t-il un bon moyen d’obtenir son soutien , lequel ne se traduit pas, d’ailleurs, par un soutien financier., s’est largement engagé dans ces primaires, en apportant publiquement son soutien à de nombreux candidats. En prenant parfois le risque de ne pas soutenir les candidats les mieux placés pour aider des Trumpistes résolus ou des défenseurs du « big lie », ou pour essayer de faire perdre des sortants avec lesquels il souhaite régler un contentieux.

Tout le monde suit donc de très près les sondages et les résultats des primaires pour les sièges de sénateur dans l’Ohio et en Pennsylvanie, deux scrutins dans lesquels Trump n’a pas choisi la facilité en soutenant des candidats qui n’étaient pas en tête dans les sondages – et qui par ailleurs ne correspondent pas forcément au portrait type d’un candidat MAGA. Le candidat de Trump dans l’Ohio était un « never Trumper » féroce en 2016, celui qu’il soutient en Pennsylvanie est un animateur de shows télévisés ayant par nature fricoté avec les élites culturelles et libérales – ce que ne manque pas de souligner ses opposants dans leurs spots de campagne.

Il en est de même pour les postes de gouverneur de l’Idaho, de l’Ohio ou du Nebraska, où Trump a choisi de soutenir des adversaires des gouverneurs sortants ou d’appeler à la défaite de ces derniers, alors que ces candidats sortants bénéficient d’un réel avantage sur la ligne de départ.

On suivra aussi et surtout le résultat, fin mai, de la primaire pour l’investiture républicaine pour briguer le poste de gouverneur de Géorgie. Elle oppose en effet le gouverneur sortant, Brian Kemp, allié fidèle de Trump jusqu’à novembre 2020, lorsque Kemp a refusé d’intervenir dans la certification du résultat des élections en Géorgie, s’attirant l’ire du Président, à David Perdue, ex-sénateur, défait en janvier 2021, devenu depuis, un peu à contre-emploi d’ailleurs, un allié du Président5Sans doute parce qu’il y voyait un moyen de relancer sa carrière politique..

Les républicains misent d’ailleurs davantage sur les primaires pour instiller le doute sur l’emprise de Trump sur l’électorat républicain, que sur les élections générales de novembre, dès lors que le contexte national et le vote sanction contre Biden et les démocrates pourraient bien permettre à des candidats Trumpistes affirmés d’être élus malgré le handicap que le « big lie » pourrait représenter.

Mais si par exemple, un candidat Trumpiste venait à perdre un siège de sénateur visé par les républicains (en Pennsylvanie, dans le Wisconsin ou dans le Nevada), ou si, après avoir gagné la primaire, David Perdue venait à perdre l’élection pour le poste de gouverneur de Géorgie contre Stacey Abrams, étoile montante du parti démocrate, honnie des conservateurs et qui deviendrait la première femme afro-américaine gouverneure aux Etats-Unis, nul doute que l’image de Trump s’en ressentirait. 

Une défaite l’un ou l’autre de ses poulains montrerait les limites de son pouvoir.

Est-ce que des défaites de candidats soutenus par le Président seraient suffisantes pour enclencher une cabale anti-Trump susceptible de le déstabiliser et de faire monter un ou plusieurs opposants crédibles et capables de le battre ? Rien n’est moins sûr.

D’abord parce qu’on peut prédire à l’avance que Donald Trump déclarera avoir fait carton plein, même si certains de ses poulains sont défaits.

Non pas qu’il ne suive pas un compte très précis de son taux de réussite, comme il l’avait fait en 2018 ou 2020. Mais parce qu’avec l’aplomb qu’on lui connait, il fera porter la responsabilité d’éventuelles défaites de ses candidats à ces derniers et en tirera prétexte pour ne pas les compter dans son bilan ! Il n’a d’ailleurs déjà pas hésité à retirer son soutien à plusieurs candidats courant droit à la défaite, y compris des proches de longue date comme le congressman de l’Alabama Mo Brooks, qui était un des organisateurs du meeting du 6 janvier 2021.

Ensuite, parce que même si Trump subit quelques revers, il serait très étonnant qu’il n’y ait pas une ou plusieurs primaires emblématiques où son soutien aura permis au vainqueur de l’emporter, ce dont il ne manquera pas de se vanter exagérément, tout comme ses soutiens.

Les primaires tenues depuis début mai illustrent bien cette dynamique.

Les résultats ont ainsi été mitigés pour Trump le 10 mai : « son » candidat pour le poste de gouverneur du Nebraska a perdu. Mais « son » candidat en Virginie Occidentale pour un siège à la chambre des représentants très disputé (la primaire opposait deux congressmen sortant dont la circonscription a été fusionnée), Alex Mooney, a battu David McKinley qui était pourtant soutenu par le populaire gouverneur de l’Etat et par le sénateur (« démocrate » mais bénéficiant d’une importante côte de popularité dans son état majoritairement républicain) Joe Manchin qui, étonnamment, avait pris position dans une primaire d’un parti qui n’est pas le sien ! McKinley avait le handicap d’avoir à la fois voté pour la création d’une commission parlementaire sur les événements du 6 janvier et pour la loi de financement des infrastructures portée en 2021 par Biden et les démocrates – autant de facteurs expliquant le soutien de Trump à son adversaire.

Nul doute que Trump mettra d’abord en avant son succès face à l’« establishment » en West Virginia et le risque qu’il y a à voter « contre lui » au Congrès, même quand il s’agit de voter pour les intérêts de ses électeurs (la Virginie Occidentale est un état très pauvre qui bénéficiera significativement des investissements publics dans les infrastructures) et il faut reconnaître que ce résultat montre son influence sur une partie de l’électorat. Quant à la défaite de son poulain dans le Nebraska, elle sera mise sur le compte des casseroles du candidat6Il faut dire qu’il avait à répondre à des accusations étayées d’agressions sexuelles.. Et on retiendra donc peut-être surtout le résultat susceptible de traduire l’influence de Trump, davantage que celui qui pourrait mettre en doute cette dernière.

Le traitement médiatique des résultats des primaires républicains dans l’Ohio, tenues le 3 mai dernier, a également donné un aperçu de la façon dont Trump pourrait sortir renforcé de cette étape importante pour son avenir politique, même s’il ne gagne pas systématiquement. J.D. Vance, en retard dans les sondages lorsque l’ancien Président en a fait son poulain, a finalement gagné la primaire avec 10 points d’avance. En revanche, le gouverneur sortant Mike DeWine, pourtant très critiqué par Trump, a aussi gagné. Mais les médias – et pas seulement Trump lui-même – ont d’abord retenu la victoire de J.D Vance7Et quand même un peu le fait que Trump ne se souvenait plus de son nom quelques jours avant l’élection., mise au crédit de Trump, et, quand ils en ont parlé, minimisé celle de Mike DeWine.

Au-delà de cela, et même si Trump subit des revers importants, il se posera encore la question de trouver un courageux pour jeter la première pierre…

Mais un autre facteur pourrait rentrer en jeu8En dehors de l’âge de Trump et de possibles problèmes de santé. : Donald Trump déteste perdre. Et il ne sera candidat en 2024 que s’il est absolument certain de l’emporter. Si les signaux ne sont pas positifs, il pourrait hésiter devant une deuxième défaite. A contrario, son égo peut aussi le conduire à vouloir être le premier Président battu qui se représenterait et serait réélu depuis Grover Cleveland en 1892. D’autant que cela accréditerait la fable selon laquelle il n’a pas perdu en 2024. Le profil du candidat ou de la candidate démocrate pressentie pourrait d’ailleurs jouer un rôle important dans cette décision : Trump est sans aucun doute persuadé de pouvoir battre Biden et avide de revanche.

Que Trump se présente ou non, la situation de toute façon sera très compliquée pour les républicains.

S’il se présente et est défait lors de la primaire, il faudra essayer de conserver à tout prix les électeurs MAGA, ce qui pourrait bien être délicat, car on voit mal Trump se rallier à celui ou celle qui l’aurait défait.

S’il est bien le candidat investi, les républicains ne pourront que le soutenir, et ce que son ennemi intime Mitch McConnell, leader républicain au Sénat, s’est senti obligé de déclarer récemment. L’idée d’une scission du parti et d’une candidature « républicaine modérée » semble s’éloigner tant les rangs des anti-Trumpistes revendiqués sont clairsemés mais il est certain que certains républicains se mobiliseront contre Trump, comme ils l’ont fait en 2020 (sans que cela ait manifestement beaucoup d’impact, de leur propre aveu). 

Mais si Trump n’est pas candidat à l’investiture, les républicains devront choisir entre deux options.

La première serait le retour à une candidature classique, celle d’un « country club republican », critiquant la dépense publique et l’interventionnisme étatique dans l’économie, mais relativement modéré (en comparaison de Trump et de la galaxie MAGA) sur les questions sociétales, susceptible d’attirer les électeurs indépendants et modérés lors de l’élection générale. Alors que la base électorale du parti s’est radicalisée depuis 2016, on voit mal comment une telle candidature pourrait passer la barre lors de la primaire du parti.

A contrario, une candidature ultra-conservatrice aurait plus de chance lors de la primaire, mais des difficultés lors de l’élection générale, sauf à être capable d’embarquer les électeurs MAGA.

Mais les événements de ces derniers mois ont montré que le Trumpisme sans Trump relevait largement de l’illusion, ou plutôt de la quadrature du cercle. Le Trumpisme repose bien sur Trump lui-même et si le Trumpisme a une base idéologique (« America First », ou plutôt « White Christian America First »), Trump s’efforce de la faire passer au second plan derrière sa personnalité et ce qu’il représente lui-même pour ses supporters.

En réalité, ce qui mobilise les électeurs MAGA, c’est la rancune et l’esprit de revanche envers les institutions politiques, les élites mondialisées, les minorités ethniques ou sexuelles qui feraient l’objet de trop d’attention, etc. Sentiment que Trump avait perçu et su incarner en 2016, puis perpétuer tout au long de son mandat (bien que faisant lui-même justement parti des élites abhorrées et des vainqueurs de la mondialisation).

En réalité, les multiples critiques de l’establishment de tout bord et l’opposition féroce des médias « traditionnels » confortaient les supporters de Trump dans l’idée que « si tous ceux que nous détestons et qui sont responsables de nos problèmes  sont contre lui, c’est bien parce qu’il est de notre côté ».  Or ces critiques, Trump les attirait – et les attire toujours – non pas d’abord en raison de son positionnement sur le fond, mais bien en raison de sa personnalité, ses frasques, ses transgressions. Bref, parce qu’il est Donald Trump. Personne ne peut être mieux Trump que Trump lui-même, et réparer ce qui est perçu comme son principal handicap (sa personnalité) reviendrait à lui faire perdre ce qui le différencie des autres et attirent une partie des électeurs.

On voit cependant que certains prétendants à la succession essayent de recycler la recette dans un registre un peu différent, non sans succès. Le Trumpisme reposait sur un affrontement entre la « bienséance » et la transgression permanente (comme en témoignait la violence des attaques personnelles portées par Trump contre ses adversaires, n’hésitant pas à moquer le physique, à dénigrer la famille, etc.).

Pour certains, l’avenir du parti républicain pourrait bien reposer sur l’exacerbation de l’affrontement entre, d’un côté, le politiquement correct (la « wokeness » et la « cancel culture ») présenté comme responsable de la décadence, morale et tant qu’à faire économique, des Etats-Unis, et de l’autre, la défense de la liberté et des vraies valeurs américaines conservatrices. Bref sur une « culture war » exacerbée, utilisant l’outrance et la transgression en premier lieu sur des sujets de fond (et pas tant à propos de la personnalité du candidat).

Ce n’est pas pour rien que c’est sur ce créneau que certains candidats putatifs tentent de construire leur notoriété en réorientant la colère et la frustration des électeurs MAGA.  C’est le cas des sénateurs Cruz, Cotton ou Hawley, qui ont saisi la tribune offerte par la procédure de « confirmation » de la candidate à la Cour Suprême proposée par Joe Biden9La constitution prévoit que le Président désigne les juges, mais la personne proposée doit faire l’objet d’un vote favorable du Sénat pour pouvoir effectivement prendre ses fonctions et siéger. pour insister notamment sur les dérives de l’enseignement dans les écoles publiques (lequel ferait la promotion de l’homosexualité ou culpabiliserait trop les enfants blancs par rapport au passé esclavagiste des Etats-Unis). C’est d’ailleurs en jouant sur ce registre que le candidat républicain a gagné facilement le poste de gouverneur de Virginie en novembre 2021.

Ron De Santis, le gouverneur de Floride est l’exemple le plus frappant – et le plus réussi, si on en croit les sondages qui le donnent comme le concurrent potentiellement le plus sérieux de Trump en cas de primaire – de cette approche.

S’il se sait incapable d’égaler Trump en matière de personnalité, De Santis va en revanche parfois beaucoup plus loin que ce dernier dans le registre de la « guerre culturelle » et de la défense des « libertés ». Il a ainsi débordé l’ancien Président en critiquant le soutien de ce dernier à la vaccination contre le Covid (et Trump a d’ailleurs été plusieurs fois secoué lors de meeting quand il abordait le sujet). Et il est passé maître dans l’art de créer des affrontements idéologiques lui permettant de se présenter comme le rempart contre « eux » (les « progressistes » qui veulent imposer leurs idées et réduire les libertés, qui seraient soutenues par tout l’écosystème politique et médiatique).

Au risque (ce que n’osait pas faire Trump, malgré ses rodomontades, et ce qui n’est guère l’habitude des élus républicains) de s’aliéner des intérêts économiques puissants, quand il a récemment supprimé les avantages fiscaux dont bénéficie Disneyworld en Floride au motif que la compagnie Disney avait critiqué, sous la pression des élites culturelles progressistes, la loi, dite « don’t say gay » par ses détracteurs, qui menace de poursuite les enseignants des écoles publiques de Floride, qui aborderait de façon inappropriée la question de l’homosexualité ou l’homoparentalité en classe.

Le tout avec une habilité médiatique certaine et en étant capable de traduire ses annonces dans des décisions et mesures concrètes, contrairement à Trump – l’amateurisme et l’incompétence de l’entourage de ce dernier ont en effet pendant 4 ans empêché un certain nombre d’annonces problématiques d’être finalement traduites dans les faits.

Si Trump n’est pas candidat en 2024, il n’est pas certain qu’on y gagne au change.

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