Les midterms : des enjeux qui vont au-delà de la fin du mandat Biden

Alors que leurs chances de succès aux élections de mi-mandat de novembre 2022 semblent aujourd’hui réduites, on pourrait se demander si les démocrates ne vont pas être tentés de passer la seconde moitié du mandat Biden pour pertes et profits.

Ils miseraient alors sur un redressement en 2024, à la faveur d’un ou d’une nouvelle candidate donnant un nouvel élan à leur parti. Ils pourraient aussi s’appuyer sur l’absence totale de volonté des républicains d’agir pendant deux ans alors que les circonstances économiques (inflation, etc.) et internationales réclameront sans doute des interventions de la puissance publique. Autrement dit, il s’agirait de « viser le coup d’après », selon une stratégie dont on sait pourtant, des deux côtés de l’Atlantique, qu’elle amène souvent bien des désillusions.

Cette option peut être tentante pour de nombreux élus démocrates au Congrès puisqu’ils ne sont pas directement menacés à l’occasion des midterms : le savant découpage des circonscriptions limite fortement le nombre de sièges de représentants à la Chambre réellement disputés (quelques dizaines seulement sur 434 lorsqu’un des deux partis l’emporte nettement – une quarantaine par exemple en 2018). De même, le nombre de sièges de sénateurs réellement disputés est limité et dans de nombreux Etats. Au final, la « vraie » élection est la primaire interne au parti et non pas l’élection générale de novembre.

Enfin, les sortants bénéficient d’un avantage certain en matière de notoriété, dans un pays où les électeurs sont peu intéressés par la politique, mais aussi s’agissant de moyens financiers. Ils ont souvent pu accumuler des ressources pendant leur mandat puisque les promesses de financement des campagnes à venir font partie des leviers utilisés par les lobbys pour promouvoir leurs positions.

Mais ce serait sans compter sur le fait que les élections représentent aux Etats-Unis plus qu’une passion pour les mordus de la politique et les candidats eux-mêmes : c’est aussi une activité économique à part entière, qui brasse énormément d’argent, représente une source de revenus importantes pour les médias locaux et pour tout un écosystème de conseillers politiques, instituts de sondage, agences de communication, etc. Il ne peut donc pas vraiment y avoir de campagne électorale à bas bruit ou limitée dans les moyens mobilisés.

Plus sérieusement, on peut écarter l’hypothèse d’une campagne a minima pour plusieurs raisons.

La première tient aux résultats des quelques élections de 2021 et notamment celle dans le New Jersey, avec la victoire très étriquée du gouverneur sortant alors que d’une part il bénéficiait d’une bonne côte de popularité et d’autre part Joe Biden avait gagné cet état en 2020 très largement en obtenant plus de 57% des suffrages contre 41% à son adversaire. Ce résultat a agi comme un coup de semonce : personne n’est à l’abri d’une défaite. Il faudra faire campagne, même là où la victoire peut paraître acquise.

Ensuite, en même temps qu’on votera aux Etats-Unis en 2022 pour les élus au Congrès, ce seront aussi de nombreux postes exécutifs ou judiciaires locaux qui seront en jeu, et le risque de les voir emportés dans un raz-de-marée républicain n’est pas neutre. Cela a été là encore le cas en 2021 où des résultats surprenants ont été enregistrés, avec des candidats républicains élus contre des personnalités démocrates bien installées, parfois sans avoir réellement mené campagne, par simple rejet de la situation économique ou de la gestion de la pandémie.

Si le vote sanction portera d’abord sur Joe Biden et à un moindre degré sur les élus au Congrès, il ruisselle, si on peut dire, sur l’ensemble du bulletin de vote – rappelons en effet qu’on vote un seul document sur lequel figure tous les scrutins. C’est donc tout le tissu local d’élus démocrate qui est en péril en novembre prochain.

Or, une lourde défaite et une vague républicaine au Congrès et dans les élections locales auront des conséquences qui vont bien au-delà de la perte de quelques postes en 2022 ou d’un échec du mandat Joe Biden. Elle fragilise l’agenda démocrate sur le moyen et long terme.

Perdre la main sur des postes de gouverneurs ou de « secretary of state » de certains états (qu’on pourrait assimiler à des ministres de l’intérieur des états) ou le contrôle des assemblées législatives locales, c’est, au-delà de voir appliquer un agenda républicain en matière de contrôle des armes ou de droit à l’avortement, perdre le contrôle de l’organisation des élections et par exemple de la certification des résultats des prochaines élections présidentielles.

On sait le rôle joué en 2020 par les gouverneurs et « secretaries of state », parfois républicains, dans les états où les résultats étaient contestés par Donald Trump (en Géorgie, Arizona, Michigan ou Pennsylvanie), pour garantir le respect du vote des électeurs.

La frange Trumpiste du parti républicain est bien décidée à essayer d’installer à ces postes, si besoin en écartant lors des primaires les candidats républicains sortants accusés de « trahison », des candidats qui contestent ouvertement les résultats de l’élection présidentielle de 2020 et en font même leur principal argument de campagne, en promettant de reprendre la main sur la procédure électorale s’ils parviennent au pouvoir. Le même phénomène a d’ailleurs lieu au niveau des comtés, qui sont responsables dans certains Etats de l’organisation des élections.

Les élections aux assemblées législatives des Etats revêtent aussi un enjeu majeur pour les élections suivantes car ce sont ces assemblées qui fixent les règles électorales. On a vu depuis un an se multiplier les réformes des lois électorales initiées par des assemblées d’Etat dominées par les républicains. Sous couvert de renforcer les garanties sur la sincérité et la régularité du scrutin, ces évolutions visent surtout à compliquer l’exercice du droit de vote, en ciblant évidemment plus particulièrement les électeurs pauvres ou afro-américains présumés favorables aux démocrates.

Pour les démocrates, perdre lourdement en 2022, c’est donc aussi donner aux républicains des leviers pour se créer des conditions électorales plus favorables en 2024, dans une forme de cercle vicieux qu’il convient d’arrêter au plus tôt, d’autant que les chances de voir le Congrès légiférer pour imposer un cadre fédéral sur les règles électorales, ce que souhaitent les démocrates, seraient dans le même temps réduites.

Les démocrates sont aussi parfaitement conscient que les chances de récupérer rapidement un Congrès qui serait perdu en 2022 sont réduites, et pas seulement en raison d’une éventuelle évolution défavorable du processus électoral. Si l’espoir de récupérer la Chambre des représentants dans la foulée de l’élection d’un ou une démocrate à la Présidence en 2024 n’est pas déraisonnable, les perspectives au Sénat sont beaucoup moins réjouissantes.

En effet, les membres du Sénat sont renouvelés à raison d’un tiers tous les deux ans. Plusieurs sièges démocrates qui seront renouvelés au Sénat en 2024 seront fortement en péril, même en cas de victoire démocrate à la présidentielle. Ainsi, les sièges démocrates dans le Montana, en Virginie Occidentale (celui du fameux Joe Manchin qui bloque depuis des mois l’agenda de réforme de Joe Biden) ou dans l’Ohio ont été gagnés en 2018 à l’occasion d’une vague démocrate lors des midterms de 2018 portée par une forte mobilisation anti-Trump. Vue la facilité avec laquelle Trump a gagné ces 3 états en 2020 (57% des voix dans la Montana, 68% en Virginie Occidentale, 53% dans l’Ohio), il risque d’être très difficile pour les démocrates de conserver ces sièges en 2024, à l’exception du siège de Joe Manchin si ce dernier se représente1Mais Manchin peut-il être vraiment compter aujourd’hui comme faisant partie de la majorité démocrate ?.

Face à ces 3 sièges sérieusement en péril, les démocrates auront peu de perspective de reprendre des sièges aux républicains en 2024. En effet, les sièges républicains en jeu concernent des bastions républicains. Certes, le fantasme d’une victoire au Texas ou en Floride est toujours présent mais il est basé sur une approche démographique de plus en plus mise en doute par les résultats récents : si la part de la population latino augmente dans ces Etats, les latinos votent dans les faits de moins en moins nettement démocrates et le parti démocrate, longtemps convaincu qu’il suffisait de parler d’immigration pour bénéficier des suffrages « latinos », ne sait plus trop comment s’y prendre avec cet électorat – on en parlait ici en 2020.

Autrement dit, avec une bonne chance de faire -3 en 2024, les démocrates doivent conserver la majorité et même gagner des sièges en 2022 s’ils veulent espérer tenir à nouveau le Sénat en 2024.

Cela peut paraître très difficile dans le contexte mais la carte des sièges en jeu en 2022 est théoriquement favorable aux démocrates et les circonstances locales peuvent les aider dans les courses au Sénat présentées comme les plus disputées.

Ainsi, en Géorgie, la probable mobilisation démocrate – notamment dans l’électorat afro-américain – pour élire au poste de gouverneure la très populaire Stacey Abrams (qui serait la première afro-américaine gouverneure d’un état américain) peut être favorable au sénateur sortant démocrate Raphael Warnock.

Le fait que plusieurs gouverneurs républicains modérés et populaires localement, tel Larry Hogan dans le Maryland ou Chris Sununu dans le New Hampshire ne se lancent pas dans la course pour le Sénat (parce qu’ils craignent une défaite lors de la primaire républicaine en raison de leur positionnement modéré ou parce qu’ils voient peut-être plus loin et espèrent se positionner pour la nomination républicaine en 2024 sur un registre « never Trumper ») devraient éviter des déconvenues dans ces états démocrates.

A l’inverse, les démocrates peuvent espérer gagner un siège républicain en Pennsylvanie, où la course semble très ouverte avec le sénateur sortant qui prend sa retraite, des prétendants républicains jugés peu convaincants au contraire des prétendants démocrates. Sachant que l’ombre de Biden, régional de l’étape, sera peut-être moins un handicap en Pennsylvanie qu’ailleurs. De même dans le Wisconsin, certes gagné de justesse par Biden en 2020, le candidat républicain sortant peut être fragilisé par un positionnement pro-Trump très clivant (sans parler de ses déclarations anti-vaccinations).

Ce n’est d’ailleurs pas le moindre espoir des démocrates pour 2022, on y reviendra dans une chronique prochainement : espérer que, compte tenu de l’emprise du courant Trumpiste sur la base du parti républicain, ce dernier se retrouve avec des candidats extravagants (pour être gentil) et repoussoirs pour une grande partie de l’électorat.

Ainsi, même si la Chambre des représentants est peut-être déjà perdue pour 2022, sauver le Sénat paraît possible.

Même si un Sénat démocrate ne pourra pas faire grand-chose entre 2022 et 2024, cela revêt un enjeu majeur de moyen terme pour le parti démocrate. Il s’agit de ne pas grever tout espoir de bénéficier à nouveau en 2024 du « trifecta » – terme utilisé pour désigner la situation où la Maison Blanche, le Sénat et la Chambre sont aux mains du même parti.

Entre le risque de pas maîtriser le Congrès pendant plusieurs cycles électoraux et celui de voir se multiplier les règles électorales susceptibles de limiter la participation de leur base électorale, on comprend bien pourquoi les démocrates sont très préoccupés par la situation politique actuelle et par les perspectives d’un raz-de-marée républicain en novembre prochain2On reviendra dans une prochaine chronique sur les stratégies envisagées pour éviter cette déroute..

Et on peut s’inquiéter avec eux : si les républicains reprennent le Congrès et notamment le Sénat, on peut oublier tout espoir de voir s’améliorer l’accès aux soins des plus vulnérables, de baisser le coût de l’éducation sans même parler de la question du contrôle des armes à feu, etc. On peut aussi oublier tout espoir de voir s’engager une vraie politique de lutte contre le changement climatique au niveau fédéral3Avec même le risque de voir les mesures mises en place par certains états comme la Californie être remises en cause par le Congrès ou par la Cour Suprême.. Autant de sujets pourtant cruciaux mais sur lesquels les républicains n’ont aucune intention d’agir – et l’assument.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.