« Election day », « election night »… et peut-être « election week »

« Election day , la journée des élections générales, le fameux « mardi après le 1er lundi du mois de novembre » est un moment qui symbolise la démocratie pour les Américains, qui sont toujours prêts à rappeler que les Etats-Unis sont « la plus grande démocratie du monde ».

La soirée électorale, « Election Night », est aussi une institution, avec les résultats des états qui tombent petit à petit (les bureaux de vote ferment à 22h, heure de la côté Est, dans les états de l’Ouest) pour aboutir au verdict final en ce qui concerne le collège électoral, souvent au milieu de la nuit du mardi au mercredi, l’appel du candidat vaincu au vainqueur, le discours de « concession » du perdant (ou de la perdante en 2016) et le discours de la victoire prononcé par le vainqueur devant une foule enthousiaste.

Cette soirée est d’autant plus suivie ces dernières années que les grands médias utilisent parfaitement les moyens à leur disposition pour récupérer des données et les représenter graphiquement.

CNN était un des précurseurs en la matière avec le célèbre John King, qui présente au fur et à mesure les chiffres du dépouillement comté par comté (en précisant toujours la part des voix qui a été décompté), zoomant sur les comtés les plus importants (on sait déjà qu’il faudra regarder tel ou tel comté de Floride où la population a une moyenne d’âge très élevée qui pourrait donc donner une indication sur le vote des seniors, tel ou tel comté ouvrier remporté de justesse par Trump en 2016 pour voir dans quelle mesure il peut compter sur le vote des blancs non diplômés, tel district afro-américain en Géorgie ou Caroline du Nord pour estimer la participation de cet électorat et son possible impact, etc.), comparant les scores et les niveaux de participation avec les scrutins présidentielles précédents, simulant en direct des scénarios de composition du collège électoral, etc.

Le tout avec bien sûr sept ou huit plateaux télévisés de commentateurs politiques qui commentent au fur et à mesure les résultats, reviennent sur la campagne électorale et les paramètres les plus importants de l’élection, tout en analysant les autres scrutins qui se déroulent en même temps que l’élection présidentielle, avec sans doute cette année une attention particulière sur le renouvellement d’une partie du Sénat.

On notera qu’on est bien loin des insupportables plateaux de soirées électorales des élections françaises où les proches des candidats se succèdent de chaîne en chaîne pour s’écharper et dérouler les éléments de langage fournis par leur parti. Les Américains traitent évidemment la politique comme un spectacle et l’objectif des soirées électorales est bien sûr d’accrocher les téléspectateurs par tous les moyens pendant des heures à leur poste de télévision. Les chaînes de télévision misent pour cela non pas sur des joutes verbales mais sur un traitement façon « événement sportif » avec le déluge de chiffres et de statistiques dont les Américains raffolent lorsqu’ils regardent des matchs de football américain, basketball ou baseball.

La soirée électorale de 2020 ne devrait pas manquer à cette tradition1On l’aura compris, l’auteur en salive d’avance et conseille de se brancher sur CNN.. Mais elle aura aussi un goût particulier.

D’abord parce qu’avec la pandémie, cela fait déjà plusieurs semaines que les électeurs votent et on a déjà eu droit aux reportages multiples sur les files d’attente et aux micro-trottoirs de sortie des bureaux de vote. Les préconisations sanitaires ont d’ailleurs conduit les candidats à revoir leur plan sur les « événements » de la soirée électorale. Joe Biden devrait suivre les résultats en petit comité. Donald Trump, qui comptait organiser un événement avec plusieurs milliers de personnes dans un de ses hôtels de Washington, a finalement renoncé et sera à la Maison Blanche – mais on croit comprendre que les invités seront nombreux (encore un événement « superspreader » comme lors de l’annonce de la nomination de la juge à Cour Suprême, lors duquel le Président, son entourage et plusieurs sénateurs et autres personnalités républicaines, ont contracté le virus ?).

La soirée électorale sera surtout différente en raison de la tension qui règne. La pandémie, la crise économique, la polarisation du pays et les fractures idéologiques contribuent à cette tension même si, après tout, on peut imaginer que le climat n’était pas bien meilleur en 1968 ou 1972, en pleine guerre du Vietnam, en 2004 pour la réélection de George W. Bush au milieu des contestations sur la guerre en Irak (sans même revenir à l’élection de 1918 en pleine pandémie de grippe espagnole).

C’est en réalité l’attitude du Président par rapport à la soirée électorale elle-même et au traitement des résultats qui change tout. En effet, dans la droite ligne de ses efforts de désinformation sur de potentielles fraudes dans l’usage du vote par correspondance, qui visaient à entamer la confiance de l’opinion publique dans la sincérité des résultats, le Président a dans les derniers jours été clair sur deux points : il souhaite que les résultats définitifs soient annoncés dès le soir de l’élection et lui et ses avocats sont déjà prêts à utiliser l’arme du contentieux juridique pour contester les résultats et notamment le décompte des votes par correspondance.

Or, il est déjà acquis que certains des « battleground states » ne pourront pas annoncer des résultats définitifs le soir de l’élection.

En premier lieu, il faut rappeler que les résultats définitifs ne sont jamais établis le dernier soir. Les règles établies par la Constitution et le Congrès prévoient en effet que les états ont quinze jours pour certifier les résultats, ce qui explique que la réunion du collège électoral qui procède à l’élection formelle du Président se tient toujours mi-décembre.

Habituellement, les grands médias s’appuient sur les premiers résultats pour désigner le vainqueur d’un état2L’expression américaine est « to Call a State ».. La référence en la matière est l’agence Associated Press, qui joue depuis l’élection de 1848 un rôle de consolidation des résultats officiels au fur et à mesure. Tous les médias n’attribuent eux-mêmes les états à l’un ou l’autre des candidats que lorsqu’Associated Press s’est prononcée, à l’exception du groupe Fox qui dispose de sa propre équipe, très respectée également pour son professionnalisme, pour faire ce travail.

Mais cette année, le poids du vote par correspondance (60% des bulletins, contre 40% en 2016) change la donne, pour deux raisons.

La première tient au fait que 22 états, dont certains états clé de l’élection (Ohio, Minnesota, Caroline du Nord et Pennsylvanie), acceptent de décompter les votes par correspondance parvenus après le 3 novembre (dans des délais qui varient suivant les états), compte tenu des retards de transmission par la poste à la fois du matériel de vote et des bulletins retournés.

Dans le cas de la Pennsylvanie, les bulletins reçus jusqu’au vendredi 6 novembre seront décomptés mais leur validité reste encore incertaine, car saisie d’un contentieux intenté par les républicains sur cette disposition introduite cette année, la Cour Suprême a refusé de se prononcer en urgence (maintenant par défaut le jugement de la Cour Suprême de l’état de Pennsylvanie). Par prudence, les autorités de Pennsylvanie ont décidé de mettre de côté les bulletins « tardifs » au cas où ils seraient invalidés a posteriori.

Il est difficile d’estimer l’importance du phénomène et le nombre de bulletins concernés, mais il apparaît évident que les bulletins arrivés tardivement représenteront sans aucun doute une faible proportion du total, tant les autorités comme médias ou organisations de défense des droits civiques ont insisté par tous les moyens sur le risque qu’il y avait à transmettre tardivement son vote par correspondance.

La deuxième raison expliquant l’impossibilité de divulguer des résultats définitifs rapidement concerne une part beaucoup plus importante des bulletins. Elle tient au fait que dans plusieurs états, dont le Wisconsin et toujours la Pennsylvanie, le traitement des votes par correspondance, qui prend du temps (plus en tout cas que celui d’un bulletin déposé en personne puisqu’il faut vérifier les signatures par exemple), n’a pu commencer que le 3 novembre.

En effet, les lois électorales de ces états interdisent tout décompte anticipé – pratique en vigueur dans d’autres états, on y reviendra. Les élus locaux républicains du Wisconsin et de la Pennsylvanie ont d’ailleurs tout fait, au motif qu’un décompte anticipé pourrait remettre en cause la sincérité du processus électoral, pour ne pas revenir sur cette règle (que le Michigan, par exemple, a assouplie, commençant à traiter le vote par correspondance dès le 2 novembre). Dès lors que les mêmes expliquent ensuite qu’il faut donner le résultat le plus rapidement possible, on en vient rapidement à la conclusion que tout est fait pour préparer le terrain à une contestation juridique de la validité de ces bulletins.

Ainsi, dans les états qui ne dépouillent qu’au dernier moment les votes par correspondance, les premiers résultats diffusés ne représenteront donc que ceux du vote en personne (certains comtés de Pennsylvanie ont déjà expliqué que, faute de moyens humains, ils ne traiteraient les votes par correspondance qu’à partir du 4 novembre).

Comme toutes les enquêtes d’opinion montrent que suite à la « campagne » de désinformation menée par Donald Trump, et alors que les démocrates poussaient les électeurs à voter le plus tôt possible, les électeurs républicains seront très probablement surreprésentés dans le vote en personne et sous-représentés dans le vote par correspondance.

Donald Trump et les républicains le savent et en appelant à déclarer le vainqueur le 3 novembre au soir., Ils misent sur ce qu’on appelle le « red mirage » (le mirage rouge, en référence à la couleur du parti républicain) qui veut que les premiers résultats surestiment le score des républicains (habituellement on attribue cela au fait que ce sont les comtés ruraux, moins peuplés, qui donnent leurs résultats en premier).

On pourrait se rassurer en considérant que tous les grands médias, y compris le groupe Fox, ont déployé des trésors de pédagogie pour expliquer, d’une part, que les certitudes sur le vainqueur de plusieurs états pourraient prendre du temps à être établies, et d’autre part, qu’ils ne déclareraient le vainqueur des états (et au final du scrutin) qu’une fois ces certitudes établies, en se référant (sauf Fox, donc) uniquement à Associated Press.

Mais dans le camp Trump on imagine manifestement pouvoir bénéficier de la caisse de résonance des réseaux sociaux pour diffuser sa propre interprétation des premiers résultats et on a savamment entretenu la confusion entre les différents sujets pour justifier une remise en cause politique et donc probablement juridique, de l’inclusion dans les résultats des bulletins décomptés tardivement.

En effet, le camp Trump met dans le même sac « prise en compte des bulletins tardifs » (c’est-à-dire les bulletins parvenus après le 3 novembre « cachet de la poste faisant foi ») laquelle est peut-être contestable juridiquement3Non pas tant pour des suspicions de fraude que pour une simple question de respect des dates limites. (ce que confirme plusieurs décisions de justice qui ont annulé les dispositions prises par certains états, comme le Wisconsin, pour prendre en compte ces bulletins) et « décompte tardif des bulletins parvenus dans les temps », qui n’a aucune raison d’être contestée juridiquement.

Le « plan » du camp Trump semble bel et bien de s’appuyer sur la question des « bulletins tardifs » qui ne représenteront qu’une faible partie des votes et ont donc peu de chances de changer le sort du scrutin, pour contester l’ensemble des bulletins par correspondance décomptés tardivement, qui eux peuvent représenter un volume important de votes et donc avoir un fort impact sur le résultat final. Avec l’espoir d’en tirer parti d’abord en Pennsylvanie, état peut-être décisif pour le résultat final, et qui cumule justement « dépouillement tardif » et « prise en compte des bulletins tardifs ».

Le pire n’est cependant pas certain, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, il n’est pas certain que le Président Trump ait vraiment envie de s’aventurer sur cette voie. On se demandera d’ailleurs jusqu’au bout s’il y croit lui-même ou si ses dernières déclarations relèvent de son goût pour la provocation et les bravades, ou visent à préparer sa sortie en cas de défaite.

Ensuite, Donald Trump ne pourra se retrouver en situation de contester les résultats en Pennsylvanie (ou dans le Wisconsin ou l’Ohio) que s’il obtient par ailleurs des bons résultats dans les autres états. En effet, la route vers la victoire, le « path to 270 », est étroite pour le Président sortant. Elle passe impérativement ou presque par une victoire en Pennsylvanie, d’où sa focalisation sur le sujet des fraudes dans cet état. Mais elle passe aussi impérativement par une victoire dans les états de la « Sun Belt ».

Or, la plupart de ces états ferment leur bureaux de vote assez tôt et ont des modalités de vote et de décompte des bulletins qui permettront sans doute, sauf en cas de scrutin serré, d’avoir des résultats presque consolidés et de désigner le candidat ayant remporté ces états dans la soirée et peut-être même avant minuit (au passage, on signalera que les premiers résultats de ces états pourraient donner lieu à un « blue mirage », c’est-à-dire un trompe l’œil favorable au démocrate,puisqu’ils dévoileront surtout les résultats du vote par correspondance dépouillés à l’avance).

C’est le cas notamment de la Floride, qui a commencé depuis des semaines à décompter les bulletins de vote par correspondance et de vote anticipé, mais aussi de la Géorgie, de la Caroline du Nord ou de l’Ohio (on pourrait aussi évoquer l’Arizona qui devrait publier ses résultats très vite, mais qui a un décalage horaire de deux heures avec la côte Est).

Si Joe Biden l’emporte dans l’un ou plusieurs de ces états, la question des bulletins tardifs de la Pennsylvanie n’aura plus d’intérêt ou presque. Cela n’empêchera sans doute pas Donald Trump de menacer, de pleurnicher, de se chercher des excuses et d’accuser les médias, la Chine, etc. de lui avoir volé la victoire, mais les discussions se situeront sur un autre plan que celui de la contestation formelle des résultats électoraux.

En revanche, dans le cas où Donald Trump conserverait la Floride, la Géorgie, la Caroline du Nord, etc., les deux candidats auront encore toutes leurs chances et ce sera bien le résultat en Pennsylvanie qui fera la différence.

On s’engagera alors dans une période d’incertitude et de tensions politiques (que les médias appellent déjà « election week », qui pourrait bien se terminer devant la Cour Suprême.

Quel narratif s’imposera alors dans les médias et surtout dans l’opinion publique  ? Celui du Président Trump se déclarant prématurément vainqueur, accusant le camp adverse de fraude et allant au contentieux pour « confirmer sa victoire » (par exemple pour tout simplement empêcher la finalisation du décompte des bulletins tardifs), ou celui, qui correspondrait à la réalité, appelant à la patience pour attendre les résultats définitifs et éventuellement, si un camp le juge nécessaire, passer par la case contentieux ?

On n’est pas obligé, là encore, d’envisager le pire. Après tout, les résultats des sondages montrent que sa tentative de travestissement de la réalité s’agissant de la pandémie n’a pas vraiment été efficace. Au-delà de sa base électorale, qui est persuadée à 95% qu’il va gagner l’élection (une part importante de ces supporters pensent même qu’il va gagner de façon écrasante le vote populaire), est-il vraiment crédible ? Même s’il s’agite beaucoup, il pourrait bien être obligé de se conformer très vite à la procédure « normale » et, en cas de défaite, de se soumettre au rituel du discours de concession de la défaite.

L’attitude des médias du groupe Murdoch (et de Fox News en particulier) sera alors déterminante. Si certains médias4On ne parle pas des réseaux sociaux, où la tempête aura lien quel que soit le scénario, et qui sont démunis pour freiner la propagation des messages de Donald Trump. accréditent le narratif de Trump (c’est ce que fait Fox News jusqu’à présent, qui continue à parler de fraude électoral, de la nécessité d’avoir rapidement un vainqueur, etc.), on risque de replacer la discussion au niveau d’un débat d’opinion – un peu comme lorsqu’on met sur le même plan (sur Fox News ou dans le discours de certains membres du parti républicain) les « opinions » des défenseurs de la lutte contre la changement et celles des climato-sceptiques.

Certains ont d’ailleurs à juste titre dénoncé le traitement médiatique des déclarations du Président Trump, notamment le fait de les présenter comme une stratégie électorale comme une autre, accréditant là encore l’idée que c’est une option possible (et donc pas loin d’être légitime) pour gagner les élections. C’est oublier un peu vite que, dans une démocratie, s’affranchir des « élections » et remettre en cause ce qui fonde la démocratie n’est pas une « stratégie électorale » mais une stratégie de conquête du pouvoir par tous les moyens, ce qui est évidement différent.

L’attitude du parti républicain sera aussi déterminante. Les cadres du parti et les « grands élus » se sont fait très discrets ces derniers jours, évitant manifestement d’être en situation de s’exprimer sur la question de la reconnaissance du résultat des élections, à l’explication de la Présidente du parti apparemment peu gêné par les déclarations présidentielles, ce qui laisse le narratif de Trump se déployer du côté de ses partisans républicains.

On n’a jamais beaucoup vu les cadres républicains s’opposer à Donald Trump, une fois celui-ci élu, même lorsqu’il frisait avec la remise en cause des institutions. Certes, quelques voix s’étaient élevées au printemps pour critiquer l’hypothèse du recours à l’armée pour ramener l’ordre lors des manifestations du mouvement « Black Lives Matter ». Mais on a aussi bien vu en début d’année, au moment du procès d’ « impeachment » (qui reposait sur des agissements graves et avérés du Président) qu’un seul sénateur, l’ancien candidat républicain à la Présidence en 2012 Mitt Romney, était prêt à sacrifier le soutien du « pays MAGA » (du nom donné aux supporters les plus fervents du Président, en référence à son slogan de 2016 « Make America Great Again ») pour voter en conscience pour préserver les institutions.

On peut malgré espérer que certains élus républicains, tel Mitt Romney ou d’autres sénateurs, prendront si nécessaire la parole pour appeler à une résolution « normale » : décompte de tous les bulletins, re-comptage en cas de scrutin serré, puis le cas échéant contentieux. On parierait même que Joe Biden, très respectueux des institutions, a déjà contacté certains des piliers du Sénat, qu’il connaît depuis longtemps, pour leur demander de jouer cette partition au besoin. Cela pourrait isoler Donald Trump dans sa fuite en avant, même s’il ne manquerait pas de fustiger ces «  RINO » (« republicans in name only » i.e. « Républicains qui n’en ont que le nom »).

Dans tous les cas, il n’est pas certain qu’en allant au contentieux, le Président ou les élus républicains aient gain de cause, notamment s’agissant de la contestation du vote par correspondance en général. Les tentatives grossières en la matière menées ces derniers jours (par exemple au Texas pour essayer d’écarter plus de 100 000 bulletins de vote par correspondance déposées dans des « drive through », sans véritable motif) ont ainsi été déboutées.

Le président de la Cour Suprême, le Chief Justice John Roberts, tout conservateur qu’il soit, est manifestement très respectueux des institutions et de l’indépendance de la plus haute juridiction des Etats-Unis et il fera probablement tout pour éviter une « décision » politique. L’ombre de 2000 plane sur la Cour qui avait alors stoppé le décompte des bulletins en Floride, et on peut miser sur le fait que le Chief Justice essaiera de délivrer une décision indépendante et solide juridiquement, pour préserver autant que possible la légitimité du Président élu, quel qu’il soit. On le voit mal, par exemple proposer d’interrompre le décompte des bulletins de vote pour s’en tenir aux scores enregistrées lors de la soirée électorale.

Reste que le renforcement en dernière minute de la coloration conservatrice de la Cour Suprême via la nomination de la juge Amy Coney Barrett5Les optimistes estiment qu’elle va se récuser et ne participera pas au vote. A peine arrivée et alors qu’elle siégera à vie à la Cour Suprême, le risque serait trop important d’entacher définitivement sa réputation. prive le Chief Justice Roberts de la position de pivot qu’il avait jusqu’à présent.

Et une prise de position récente du juge Brett Kavanaugh, ancien de l’équipe de juristes qui avait travaillé pour le candidat Bush en 2000, sur un contentieux électoral remonté jusqu’à la Cour Suprême fin octobre a entretenu le doute : il a ainsi écrit qu’il était concevable de considérer que « les états devaient être en mesure de finaliser leur résultat le soir de l’élection ou aussi vite que possible », avant de modifier cette phrase suite au tollé soulevé par cette considération sans aucune base juridique.

Il faut enfin signaler que si la Cour Suprême invalidait in fine les « bulletins tardifs », et seulement eux, rien ne dit que cela puisse suffire à donner la victoire à Donald Trump.

C’est avec tous ces sujets en tête que les observateurs mais aussi de nombreux citoyens ordinaires s’apprêtent à vivre avec une certaine appréhension la soirée électorale.

Ils auront aussi au fond d’eux, quelles que soient leurs opinions politiques, la crainte que la situation dégénère non seulement au niveau politique, mais aussi dans la rue, y compris en cas de victoire incontestée de l’un ou l’autre des candidats.

Peu d’incidents ont eu lieu jusqu’à présent (quelques actes d’intimidation des électeurs par des miliciens, des heurts entre partisans lors de défilés, un coup de pression sur des membres de la campagne Biden, d’ailleurs encouragé par le Président) mais ils ont été, à juste titre, relayés et dénoncés par les médias. Il ne faut pas exagérer le risque, même s’il est certain que les réseaux sociaux serviront de chambre d’écho à d’inévitables appels à exprimer publiquement son soutien à l’un ou l’autre des candidats. S’il ne fait aucun doute que Joe Biden appellera au calme et dénoncera tout débordement, quel qu’il soit, on en est moins sûr pour ce qui est du Président6Même si ce dernier justifie, avec l’art de retourner les sujets qu’on lui connaît, sa volonté d’avoir un résultat dès le 3 novembre par la nécessité de maintenir l’ordre..

Enfin, on ne peut conclure ce qui est la dernière chronique pré-électorale sans évoquer une crainte plus profonde qui elle n’est sans doute pas bipartisane. Celle de voir Donald Trump élu dans les règles après avoir mené la campagne qu’il a mené, sans jamais chercher à s’adresser à d’autres électeurs que sa base électorale, en attisant les divisions, en ayant recours en permanence, et son attitude sur les résultats n’en est qu’un ultime avatar, à la désinformation et au conspirationnisme, etc.

Sans jamais non plus cacher son incompétence, son manque d’empathie, son narcissisme, ni le fait que la notion d’intérêt collectif lui est totalement indifférente et que seuls ses propres intérêts (notamment financiers) dictent son action. Une dernière provocation résume parfaitement tout cela.

Les médecins gagnent plus d’argent si quelqu’un meurt. Vous le savez bien, n’est pas ? Nos médecins sont des personnes très malines. C’est pour cela qu’ils disent « Je suis désolé mais il y a beaucoup de morts du Covid ».

Donald Trump, le 30 octobre dans le Michigan

Donald Trump pourrait remporter plus de voix qu’en 2016, même s’il est battu. Si suffisamment d’américains considèrent, après l’avoir vu à l’œuvre pendant 4 ans, qu’il mérite d’être reconduit à la Présidence , c’est que les Etats-Unis vont tout simplement droit dans le mur en klaxonnant.

Une réflexion sur « « Election day », « election night »… et peut-être « election week » »

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