Un débat affligeant qui soulève de vraies inquiétudes sur la fin du processus électoral

Donald Trump voulait mettre en pièce son adversaire démocrate Joe Biden lors du premier débat présidentiel. En réalité, c’est le débat lui-même qu’il a mis en pièce – et il a sans doute par la même occasion perdu une précieuse opportunité de changer la tournure d’une élection dans laquelle tous les sondages le donnent perdant.

« Fiasco », « mascarade », « bordel dans un feu de poubelle dans un train qui déraille », « pire débat de l’histoire américaine » : à l’issue de cette heure et demi de « débat », journalistes et commentateurs étaient tout simplement atterrés.

Car si le modérateur Chris Wallace a tout essayé (humour, fermeté, rappel des règles acceptés par les équipes des candidats) pour mettre un peu d’ordre dans la discussion en canalisant Donald Trump et s’en tenir autant que possible aux 6 thèmes de discussion qui avaient été annoncés1A savoir la vacance à la Cour Suprême, la pandémie, le mouvement pour la justice raciale, le bilan des candidats, l’économie et la bonne tenue des élections., le Président a tué toute discussion, interrompant sans cesse Joe Biden, refusant de répondre aux questions qui lui étaient adressées, se plaignant de la partialité du modérateur, etc.

Personne ne pouvait être surpris de voir Donald Trump se comporter comme le « troll » des réseaux sociaux qu’il est au quotidien, irrespectueux, insultant, geignard, fanfaron, capable de nier les évidences et de débiter des rafales de mensonges (on plaint les fact-checkers chargés d’analyser au plus vite les déclarations des candidats). Mais de là à imaginer que sa prestation se résumerait presque à cela…

Même du côté des médias d’ultra-droite, on a eu du mal à défendre l’attitude du Président. Les habituels affidés ont tenté d’expliquer que Trump était simplement combatif (en bon « commandant en chef ») ou qu’il avait été obligé d’être « viril » (mais incorrect)pour faire face à un Biden qui « refusait le débat » et un modérateur « l’empêchant de mener le débat » comme il l’aurait voulu, reprenant l’argumentation classique sur la partialité des médias.

Mais d’autres voix influentes et très écoutées par le président (Tucker Carlson, régulièrement cité dans ces chroniques, ou Rush Limbaugh, figure tutélaire des animateurs de podcasts et de talk-shows d’ultra-droite) ont reconnu que le ton du Président l’avait sans doute desservi. Et même un membre de l’équipe chargée de l’aider à préparer le débat a laissé entendre qu’il avait été excessif par rapport à ce qui était initialement prévu.

Car au-delà de ce comportement, la question qui se pose est la suivante : quel était l’objectif du Président pour ce débat ? Manifestement, déstabiliser Joe Biden et tout miser sur un effondrement de celui-ci. Avec deux risques : que Biden fasse face, et que Trump lui-même en fasse trop dans le registre de l’agressivité et exacerbe le dégoût que sa personnalité inspire à une majorité d’américains. Et c’est manifestement ce qui s’est produit.

Le choix stratégique consistant à ne jamais vraiment chercher à élargir son électorat mais à galvaniser sa base et à saper le soutien envers Joe Biden, clairement assumé (cf. voir ce tweet de Trump reprenant à son compte, après le débat, une analyse d’un animateur de podcast très écouté dans le Trumposphère) est discutable. Mais encore faudrait-il exécuter correctement ce plan. Et le Président a tout simplement été mauvais dans son registre.

La majeure partie du temps, plutôt que d’attaquer Biden sur ses vrais points faibles et sur des sujets grands publics, il a multiplié les attaques personnelles indécentes (la plus marquante a peut-être été celle où il a interrompu Biden qui faisait l’éloge de son fils Beau décédé pour lui rappeler que son autre fils, Hunter, avait été renvoyé de l’armée pour des problèmes de drogues2L’attaque a en réalité donné à Biden l’occasion d’expliquer qu’il était fier que son fils, qui avait comme des millions d’américains des problèmes d’addiction, ait réussi à la surmonter. Ou quand l’empathie de l’un accentue encore l’image d’un Président qui méprisent les faiblesses des américains ordinaires.) ou s’est contenté de canarder son adversaire de références à de multiples théories conspirationnistes d’extrême-droite sur Biden, Obama ou Hillary Clinton3Cela va des accusations d’espionnage de sa campagne en 2016, aux insinuations sur la participation de fils de Biden à un scandale de corruption en Ukraine, en passant par la mise en doute des diplômes obtenus par Biden..

Or, il ne s’agissait pas mardi de parler aux accrocs de Fox News, de la Trumposphère ou des réseaux sociaux d’ultra-droite sur lesquels ces théories tournent en boucle mais bien de s’adresser à tous les américains, lesquels ne connaissent pas vraiment ces théories et encore moins les mots clés censés être évocateurs. Et on peut supposer qu’une bonne partie d’entre eux n’avaient pas, le plus souvent, la moindre idée de ce à quoi le Président faisait référence.

Trump a aussi été paresseux sur les attaques politiques : il s’est contenté de traiter son concurrent de « socialiste » et de marionnette de la gauche, faisant la partie facile à Biden, forcément préparé et qui a réglé le sujet en deux phrases : « je suis le parti démocrate aujourd’hui, et c’est moi qui ait validé le programme démocrate  ». Trump était en réalité sans ressource pour creuser les sujets ou mettre Biden en réelle difficulté sur le fond4Il a ainsi expliqué que Biden voulait baisser le budget des forces de l’ordre… alors même que ce dernier venait, littéralement dans les secondes qui précédaient, d’affirmer on ne peut plus clairement le contraire..

Etait-il convaincu que la parole politique est tellement dévalorisée qu’on le croirait davantage que son concurrent, même lorsqu’ils sont tous les deux sont sur le même plateau ? Ou, trop confiant, a-t-il tout simplement été pris au dépourvu par le simple fait que Biden puisse lui tenir tête ?

Car Biden était manifestement beaucoup mieux préparé et s’est plutôt bien tenu à ce qu’il avait prévu de faire, à la fois sur la forme et sur le fond.

Tout le monde se demandait en amont du débat comment Biden pourrait gérer les attaques et les mensonges assénés par Trump. On savait que Biden déteste cette façon de faire de la politique et ne souhaitait pas rentrer dans ce jeu mais on prévoyait aussi qu’il ne pourrait pas tout laisser passer.

Biden a, et c’était évidemment un plan construit à l’avance, alterné entre langage corporel (hochements de tête, haussements d’épaules et sourires narquois), utilisant ainsi efficacement le fait que l’écran était le plus souvent divisé en deux pour montrer les deux candidats simultanément, et interruption pour répondre immédiatement aux attaques les plus graves (avec plus ou moins de bonheur et de pertinence) ou tout simplement les nier5Il faudrait compter le nombre de fois où Biden a dit « ce n’est pas vrai »..

Même s’il a lui aussi été insultant envers son adversaire, quand il était excédé (il y avait peut-être une part de calcul, car si certains électeurs démocrates n’étaient sans doute pas mécontents que Biden dise son fait à Donald Trump – son « will you shut up, man ? » est immédiatement devenu viral et la campagne Biden en a fait un T-Shirt), cela traduit d’abord le besoin d’extérioriser le dégoût sincère que lui inspire Trump. Le ton employé par moment par Biden a surpris mais cela n’a sans doute pas entamé son image de « good and decent guy » (« type bien et décent »), d’autant qu’il était, même dans ces moments-là, plus dignes que son concurrent.

Il a d’ailleurs su saisir quelques opportunités, par exemple quand il s’est lancé dans un plaidoyer pour le vote et pour le respect du résultats des élections, de confirmer sa stature d’homme d’Etat et sa capacité à être « présidentiel », et d’accentuer le contraste avec un Président en exercice qui n’endossera manifestement jamais le costume.

Sa dernière phrase était ainsi marquante : « je ne serai pas Président uniquement pour les démocrates, je serai le Président des démocrates et des républicains ». Au final, comme l’ont souligné plusieurs observateurs (démocrates évidemment), « si on a pu voir par un moment un Président sur la scène du débat, ce n’était pas Donald Trump ».

Biden aura surtout veillé, et c’était là encore préparé (il l’a lui-même expliqué le lendemain du débat), à regarder la caméra plus qu’à se tourner vers son adversaire. Cela lui a permis d’éviter plus facilement d’être entraîné dans le piège du combat de coqs, mais, plus important, il s’est de ce fait adressé directement aux américains (alors que Trump a passé son temps à débattre avec le modérateur ou avec Biden) en évoquant leur difficultés, registre dans lequel il excelle, ou en les prenant à témoin.

« Les millionnaires et les milliardaires comme lui, en pleine pandémie, s’en sortent très bien. […] Mais vous, chez vous, vous qui vivez à Scranton ou Claymont6Villes de Pennsylvanie et du Delaware, Biden est né dans la première et a passé son adolescence dans la deuxième., ou dans les petites villages et les villes ouvrières américaines, est-ce que vous allez si bien que ça ? »

Joe Biden, interrogé sur la différence d’appréciation de la situation économique entre les deux candidats

« La question, ce n’est pas sa famille, ou ma famille. C’est votre famille. Il ne veut tout simplement pas parler de ce dont vous avez besoin, vous, les Américains. Mais c’est de cela dont nous devons parler ! »

Joe Biden, s’adressant face caméra aux téléspectateurs alors que Trump insistait sur l’argent gagné par le fils de Joe Biden en travaillant pour des entreprises étrangères

Évidemment, les limites oratoires de Joe Biden, et notamment ses difficulté à être incisif et concis et son absence de répartie, sont aussi apparues clairement.

On a eu le sentiment qu’à de nombreuses reprises, il aurait pu davantage mettre en difficulté son adversaire sur le fond ou mieux mettre en avant ses propres atouts (et qu’il aurait peut-être aussi pu être davantage mis en défaut par un adversaire un peu plus précis et rigoureux, ce que Trump n’aura été en pratique que pendant les 5 premières minutes du débat).

Car au final (et cela lui est largement reproché par Trump et son entourage depuis mardi soir) c’est davantage Chris Wallace qui a mis en difficulté le Président avec des questions le mettant souvent en face de ses contradictions7C’est ainsi que Wallace a fait une sorte de fact-checking par anticipation. ou des ses positions les plus problématiques pour le commun des américains (sur l’assurance santé par exemple).

Mais de la même façon que les critiques envers le modérateur semblent bien sévères (qui aurait aimé être à sa place ?), on peut se demander quelle personnalité politique aurait pu parfaitement gérer un Donald Trump se comportant de cette façon.

Et si Biden a été loin d’être parfait, il a fait passer quelques messages de fond sur les crises sanitaires, économiques, sociétales exacerbées par les 4 ans de Présidence Trump.

Il a aussi plutôt bien réussi à garder l’équilibre entre son profil modéré et les gages donnés aux électeurs de la gauche du parti démocrate, détaillant les propositions de réforme de la police ou son plan de lutte contre le changement climatique sans endosser les slogans et les étiquettes progressistes (tels « defund the police » ou « green new deal ») repoussoirs pour l’électorat modéré.

Enfin, Biden a réussi à placer « punchlines » bien préparées et et susceptibles d’être relayées sur les réseaux sociaux ou reprises par les médias dans les jours qui suivent.

« It is what it is because you are who are »

Joe Biden, faisant référence au Président qui, interrogé début août sur le bilan de la pandémie – à l’époque, les Etats-Unis venait de franchir le seuil des 150 000 morts, avait déclaré « it is what it is » (« c’est comme ça »)

On avait beaucoup reproché à Hillary Clinton de ne pas en avoir asséné suffisamment lors des débats de 2016 et d’avoir à cause de cela perdu la bataille de communication du « post débat » qui influence ceux qui ont regardé comme ceux qui n’ont pas regardé. Cette fois-ci, les premiers compte-rendus retiennent au moins autant les piques et saillies de Biden que celles de Trump.

Mais il ne restera de toute façon probablement pas grand chose de ce débat au-delà des images de cacophonie et d’échanges d’invectives. Et ce sont doute les électeurs qui sont les premiers frustrés.

Plusieurs émissions spéciales organisées autour du débat avaient réuni des panels d’électeurs indécis, pour recueillir à chaud leurs impressions : unanimement, ils ont expliqué qu’ils n’avaient malheureusement rien appris alors qu’ils attendaient d’en savoir plus sur la substance des politiques des candidats.

On pourrait craindre dès lors que ce débat accentue le dégoût de nombreux électeurs – ceux qui ont regardé comme ceux qui n’en auront vu que des compte-rendus ou des extraits – envers leur classe politique et la « politique » en générale et de ce fait augmente l’abstention (qui dépassait nettement 40% sur les derniers scrutins).

Soucieux de limiter les dégâts, certains observateurs se sont même demandés s’il fallait maintenir les débats suivants (le camp Biden a évidemment tout de suite écarter cette option8Trump aurait été trop content de traiter son adversaire de lâche., expliquant que si le débat avait été éprouvant et lamentable en raison de l’attitude du Président, Biden comptait bien participer aux deux autres débats prévus pour continuer à essayer de présenter son projet aux américainsEt ce d’autant que le deuxième débat sera dans un tout autre format, avec des échanges avec des américains ordinaires, registre dans lequel Joe Biden devrait être bien pus à l’aise que Donald Trump.).

Plus créatifs, d’autres ont proposé de faire une campagne de promotion du vote anticipé s’appuyant sur la médiocrité du débat et de la campagne : « Vous en avez marre de cette campagne ? Votez au plus vite, par correspondance ou dans les bureaux de vote déjà ouverts ! Vous pourrez éteindre votre télévision et passer à autre chose. »

Quoi qu’il en soit, les électeurs avaient-ils encore des illusions ? Ce « spectacle » affligeant traduit tout simplement l’état du débat politique en général aux Etats : pas de substance, beaucoup de théâtre, un climat délétère et des divisions de plus en plus difficiles à combler – on a ainsi souvent eu l’impression au cours du débat que les deux candidats ne parlaient pas du même pays.

Mais dégoût de la politique ne semble pas vouloir dire, cette année, faible participation. Au contraire, selon tous les indicateurs, celle-ci devrait être en nette hausse, au moins par rapport à 2016. Si les mesures d’audimat ont enregistré une baisse d’audience par rapport à 2016 (sans qu’on sache si elle est liée à un développement du streaming et du visionnage en différé ou à un désintérêt pour le débat9Là encore, il faudrait distinguer entre les américains qui s’attendaient au pire et qui n’ont pas voulu s’infliger cela et ceux qui sont dépolitisés.), ils ont aussi constaté, ce qui est plus surprenant, que seuls 5% des téléspectateurs qui regardaient au pic d’audience n’ont pas été jusqu’au bout.

Entre ceux qui veulent remporter ce combat entre les deux Amériques (ils votent sans doute des deux côtés) et ceux qui veulent tenter de passer à autre chose (on les verrait plutôt voter Biden et c’est sans doute une des explications de son avance), et ceux qui veulent avoir leur mot à dire en période de crise, il apparaît bien que de nombreux américains ont compris l’importance de cette élection – c’est peut-être le seul point rassurant de cette campagne électorale.

Au final, la plupart des observateurs de tout bord considèrent surtout que le débat n’aura sans doute pas été un tournant de la campagne, tant il a été décevant.

Les réactions des deux camps ont été très prévisibles : du côté de Trump, on a loué la combativité d’un Président qui est le seul à défendre les américains, dénoncé l’absence de réponse de Biden aux attaques personnelles, critiqué la partialité de Chris Wallace ou des commentaires a posteriori des médias, et bien sûr répété que Biden avait confirmé qu’il avait en réalité un « agenda » socialiste (on notera quand même des dissensions sur ce point, qui traduisent à leur façon les difficultés rencontrées par les conservateurs pour déterminer le bon angle d’attaque sur Biden : du côté de Breitbart, on essaye en effet plutôt, comme en 2016, de séduire tous les électeurs « anti-système » en expliquant aux électeurs de Sanders que Biden méprise l’aile gauche du parti).

Côté Biden, on a expliqué avoir voulu parlé directement aux citoyens américains, dénoncé l’absence de propositions du côté du Président pour aider les américains et faire face aux différentes crises qui frappent le pays, et appelé à voter pour que le résultat de l’élection soit indiscutable. On s’est aussi félicité de voir que le débat avait permis à la campagne de Biden de lever en ligne une quantité d’argent record ce qui suggère, selon les standards américains, un certain enthousiasme derrière le vote Biden (à défaut peut-être de traduire de l’enthousiasme derrière le candidat).

Bref, personne n’a versé excessivement dans le triomphalisme et chacun est resté sur ses positions et ses messages.

Pour autant, cela ne veut pas dire que ce débat n’aura aucune conséquence sur l’élection du 3 novembre prochain, y compris d’ailleurs sur les élections pour le Congrès (de nombreux républicains étant manifestement très inquiets, après la « performance » du Président, des dommages collatéraux sur leur crédibilité et sur leurs chances d’être élus).

Il a éclairci la situation, éliminé quelques incertitudes et probablement figé encore davantage plusieurs paramètres décisifs de la campagne électorale.

Ainsi, après ce débat, aucun téléspectateur ne pourra sérieusement considérer que Biden est un vieillard sénile incapable de tenir tête à une opposition, ce qui élimine sans doute définitivement un des angles d’attaque privilégiés du camp Trump (évidemment, plutôt que de le reconnaître, à l’exception notable de Tucker Carlson, on explique dans la Trumposphère que Biden a été aidé par le modérateur10Ou qu’il aurait eu les questions à l’avance. ou qu’il était équipé d’une oreillette – la polémique avait été lancée avant le débat et avait plutôt d’amusé Biden).

Biden est sans doute frustré de n’avoir pas été en mesure de réaliser la performance brillante qui lui aurait peut-être définitivement donné la victoire. Mais il pourra se consoler en se disant que si le débat n’a pas rempli sa mission de donner à voir aux électeurs « where the candidates stand » (i.e. où les candidats se situent sur les grands sujets politiques), il a au moins permis de clarifier « who they are » (i.e. ce qu’ils sont).

Car on ne voit pas comment le débat pourrait changer en bien la perception majoritairement négative que les américains, et particulièrement certains catégories dont il a, semble-t-il, perdu le soutien entre 2016 et 2020 (femmes des classes moyennes, personnes âgées) ont du Président sortant. On parierait même plutôt sur le contraire tant il a été la caricature de lui-même. Comme le résumait une électrice indécise interrogée immédiatement après le débat sur CNN, « j’aime ce que Trump dit mais je déteste sa façon de le dire et je ne peux pas voter pour lui ».

En 2016, de nombreux électeurs avaient fait le pari de choisir un Président qui n’était pas un professionnel de la politique. En 2020, le débat en aura peut-être définitivement persuadé certains que finalement, un homme politique classique capable d’avoir un comportement « présidentiel » n’est peut-être pas une si mauvaise option.

Les prochains sondages tenteront d’identifier qui a été considéré comme le « gagnant » (on devrait en l’occurrence plutôt parler de « perdant ») et si cela influe plus globalement les intentions de vote.

Les premiers sondages immédiatement après le débat, réalisés par les différentes chaînes d’information en continue notamment, étaient très partagés, traduisant probablement davantage les préférences politiques des audiences de ces différentes chaînes que l’impact du débat. Le bilan réalisé par le New York Times le lendemain du débat, qui se limite aux sondages jugés « sérieux », va plutôt, mais prudemment, dans le sens d’une « victoire » de Biden. Un sondage plus qualitatif sur un principe avant / après réalisé par FiveThirtyEight et Ipsos décèle lui aussi des tendances très légèrement en faveur de Biden.

Dans une élection « normale » et avec des candidats « normaux », Donald Trump devrait pâtir de sa prestation et Joe Biden devrait consolider ou accroître son avance.

Mais Donald Trump a réussi à passer au travers de tellement de tempêtes et de polémiques depuis 6 mois sans que les sondages ne le donnent définitivement distancé – il a encore plus de 40% d’intentions de vote au niveau national, ce qui paraît quand même assez incroyable (certains le qualifient de Phénix tandis que d’autres le comparent à Freddy Krueger) – que les experts se gardent bien de conclure que ce débat scelle le sort de l’élection et prédisent plutôt que les positions resteront inchangées, ce qui est, en soi, un succès pour Joe Biden qui fait la course en tête.

Certains ont d’ailleurs voulu voir dans le comportement du Président lors du débat l’expression d’une colère et d’un ressentiment par rapport à une élection dont il voit bien qu’elle lui échappe et dont il est incapable d’infléchir le cours, à cause (selon lui) des médias qui lui en veulent, du virus chinois11L’auteur ne résiste pas à la tentation de rapporter la rumeur diffusée par le camp Biden selon laquelle que le camp Trump aurait demandé que les règles du débat spécifie l’interdiction pour le modérateur de citer le nombre de victimes de la pandémie., etc. Focalisé sur ces griefs, il n’a d’ailleurs pas vraiment pris la peine de donner une vision de ce que pourrait un deuxième mandat.

Mais la fin du débat dessine dans le même temps un scénario de fin de campagne très inquiétant. Sommé par le modérateur Chris Wallace et par Joe Biden d’appeler au calme, et surtout de se désolidariser nettement des groupes d’ultra-droite et des suprémacistes blancs pour que les élections se passent dans un climat serein, le Président a tout simplement refusé, demandant plutôt à ces groupes, certes de « se mettre en retrait » mais surtout de « se mettre en attente », rajoutant que « il fallait que quelqu’un fasse quelque chose avec les antifa et gauche » et déclenchant une énorme polémique dans laquelle il se débat depuis le débat.

Puis, appelé une nouvelle fois (il avait déjà refusé récemment, comme en 2016 d’ailleurs) à s’engager à tenir compte des résultats des élections, quels qu’il soient, il ne s’est pas contenté d’évacuer la question. Il a mis une fois de plus en doute la régularité des élections en dénonçant sur la base d’allégations mensongères les fraudes liées au vote par correspondance. Et il a ainsi qualifié le scrutin de « truqué » et souhaité assez clairement que le vainqueur soit déclaré le soir du 3 novembre, c’est-à-dire sans attente le décompte de tous les bulletins.

Il ne s’agit peut-être plus désormais pour Donald Trump de gagner les élections à la régulière (ou si on se place de son point de vue, en respectant les règles imposées par un « système » qui ferait tout pour l’écarter du pouvoir), mais de trouver les moyens de rester au pouvoir en s’exonérant le cas échéant des résultats du processus électoral (on reviendra sans doute plus en détail sur le sujet dans une prochaine chronique).

On peut donc déjà imaginer que la suite de la campagne de Donald Trump pourrait consister à continuer à mettre en doute et décrédibiliser l’ensemble du processus électoral et à galvaniser ses plus fervents supporters pour qu’ils l’aident à « sauver l’Amérique », c’est-à-dire à rester au pouvoir. Jusqu’où est-il prêt à entrer dans cette logique ? Personne ne le sait, pas plus qu’on ne connaît la capacité des institutions à affronter cette situation inédite. Ça promet, hélas.

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