Incapables de s’entendre, le Congrès et l’exécutif laissent les ménages américains livrés à eux-mêmes face à la crise économique

On savait que les discussions pour un nouveau train de mesures de soutien de l’économie, destinées notamment à prendre la suite d’un certain nombre de décisions prises au printemps dernier qui arrivaient à échéance fin juillet – tel le complément fédéral aux indemnisations chômage distribuées par les états ou le moratoire sur les expulsions locatives, seraient difficiles.

Mais on imaginait que la raison l’emporterait pour ne pas laisser de nombreux américains vulnérables sans soutien, alors que le nombre d’américains ayant perdu un emploi reste très élevé (si les chiffres officiels arrêtés à la mi-août ont enregistré une baisse du chômage, ramené à 8,2% après la création de 1,4 millions d’emplois entre mi-juillet – il en manquerait encore plus de 11 millions pour compenser les pertes d’emplois enregistrées depuis le début de la pandémie – d’autres sources indiquent que 29 millions d’américains auraient bénéficié d’allocations chômage au mois d’août) et que les rebonds de la pandémie ont empêché un redémarrage serein de l’économie.

Tous les experts économiques s’accordaient sur le fait que les mesures du printemps s’étaient avérés très efficaces pour soutenir la consommation et avaient évité à de nombreux ménages de sombrer dans la précarité1Même si compte tenu de la fragilité des filets de sécurité et de la forte précarité dans laquelle se trouvaient déjà de nombreux américains pré-pandémie, la situation est loin d’être rose comme en témoigne l’explosion du recours à l’aide alimentaire apporté par les associations..

Las, c’est plutôt une spirale négative qui s’est enclenchée dans les discussions de fin juillet entre républicains et démocrates au Congrès. Et lorsque la Maison Blanche est intervenue pour tenter de dégager un compromis, comme elle l’avait fait en mars dernier, elle a finalement surtout contribué à embourber les discussions et à bloquer davantage la situation.

Rappelons que les démocrates avaient tiré les premiers et placé les républicains devant leurs responsabilités en proposant dès le 12 mai un nouveau plan de 3 milliards de dollars qui prolongeait le complément fédéral au chômage, attribuait un nouveau chèque de 1500 dollars – sous conditions de ressource, accordait des crédits fédéraux aux budgets des exécutifs locaux pour les soutenir dans leurs efforts pour gérer la pandémie ou pour garantir que le scrutin de novembre se tiendrait dans des conditions sanitaires correctes.

Ce sont d’abord les sénateurs républicains qui ont peiné en juillet à trouver un compromis interne sur les mesures à adopter. Les discussions ont révélé des dissensions idéologiques fortes entre d’un côté, les tenants de la rigueur budgétaire opposés à un nouveau paquet de dépense, ceux qui considèrent que le soutien aux chômage dissuadent les américains de reprendre un travail ou les anti-interventionnistes refusant de renflouer les états fédérés, et de l’autre une frange plus pragmatique, ou opportuniste et inquiète pour sa réélection2Un tiers des sénateurs est à renouveler et plusieurs sénateurs républicains seront potentiellement en difficulté au moment de remettre en jeu leur mandat début novembre., c’est selon, consciente que l’opinion publique est plutôt favorable à une poursuite de l’intervention du gouvernement fédéral américaine en soutien de l’économie et des ménages.

Le leader républicain au Sénat, Mitch Mc Connell3Dont le portrait réalisé par le New Yorker en avril dernier est édifiant., s’étant montré incapable de trouver un accord interne pour mettre sur la table une contre-proposition, la Maison Blanche, soucieuse d’éviter un échec alors que le Président Trump espère encore mettre en avant ses compétences économiques et son bilan économique, est intervenue dans les discussions fin juillet. Les discussions ont continué à achopper sur le complément fédéral aux indemnisations chômage, que les républicains voulaient limiter à 400 dollars et/ou plafonner pour qu’un chômeur ne touche pas davantage que son salaire précédent4Ce qui au passage supposait de mettre en place un nouveau dispositif de gestion et de distribution que les gouverneurs – de tout bord – ont rapidement jugé impossible à activer rapidement, ce qui aurait rendu la mesure largement ineffective..

Mais si Trump lui-même a laissé son secrétaire au Trésor Steve Mnuchin (l’équivalent du ministre de l’économie et des finances), un des rares membres de son gouvernement resté à son poste depuis bientôt 4 ans, et son propre « chief of staff »5L’équivalent, en France, du secrétaire général de l’Elysée. mener les discussions avec les leaders du Congrès6Souvent d’ailleurs en bilatéral avec les leaders démocrates au Sénat et à la Chambre des représentants, prenant acte ainsi de la faiblesse et de l’inefficacité de Mitch Mc Connell., il a en réalité largement parasité les négociations.

Tout d’abord en insistant catégoriquement sur plusieurs demandes qu’il était en réalité le seul à porter et plus particulièrement un allégement des cotisations sociales sur les salaires – on pourrait mentionner aussi sa volonté d’inclure le financement de la reconstruction du siège du FBI, qui n’a rien à voir avec la pandémie ou la crise économique7Le Président est soupçonné par ses détracteurs de vouloir favoriser un de ses complexes hôteliers, situé à proximité du chantier qu’il pousse..

Or démocrates comme républicains sont opposés à la mesure sur les cotisations sociales, les premiers parce qu’ils considèrent qu’il est prioritaire d’affecter les moyens sur les personnes sans emploi et non sur ceux qui ont gardé leur emploi, les deuxièmes en raison du coût, et tous parce que ces cotisations abondent le budget de la « sécurité sociale » américaine (laquelle, créé en 1935 par Franklin Delano Roosevelt, finance un dispositif public de pensions, les allocations pour personnes en situation de handicap ou les rares dispositifs publics d’assurance santé), pour lequel il faudrait trouver un nouvelle source de financement8Au-delà du cas présent, cette question du financement de la « sécurité sociale » est un sujet de débat politique permanent et sensible. Bernie Sanders avait ainsi tenté de fragiliser Joe Biden pendant la primaire démocrate en rappelant qu’il avait voté par le passé pour diminuer ce budget..

Ensuite, en soufflant le chaud et le froid sur plusieurs sujets de désaccord politiques, notamment le renflouement des budgets des exécutifs locaux et des services postaux (le fameux US Postal Service), puisque le Président a d’abord indiqué qu’il refuserait catégoriquement de signer une loi incluant ce type de mesures, puis en précisant qu’il n’opposerait pas un veto.

Et comme Donald Trump n’a jamais participé lui-même aux discussions – alors que l’implication personnelle du Président est habituelle en cas de désaccord profond au Congrès sur des sujets qui tiennent à cœur à l’exécutif, on imagine que la tâche de ses négociateurs, disposant d’un mandat manifestement fluctuant, n’était pas des plus simples.

Après de multiples réunions infructueuses, les démocrates avaient consenti à ramener le coût du train de mesures de 3 000 milliards de dollars à 2 000 milliards de dollars mais sans céder sur leurs lignes rouges (poursuite du complément fédéral au chômage de 600 dollars, renflouement des états, financement de US Postal Service), sans que cela ne permette de débloquer la situation.

Mi-août, à l’approche de la fin de la session parlementaire, et à quelques jours du début de la convention démocrate à laquelle succéderait la convention républicaine, Trump a finalement annoncé vouloir agir à son niveau par des « executive orders » (qu’on pourrait appeler des décrets présidentiels), à la surprise générale dans la mesure où c’est bien le Congrès qui est compétent sur les questions budgétaires.

Il a très rapidement mis sa menace à exécution et signé fièrement devant les caméras le 8 août plusieurs documents censés pallier l’incapacité du Congrès à s’entendre pour légiférer. Mais en pratique, ces décrets et déclarations n’ont que peu de portée : le Président a par exemple demandé aux services compétents d’étudier les voies et moyens pour limiter les expulsions locatives, ce qui n’a le même effet qu’un moratoire.

Il a suspendu et donc reporté, mais pas annulé (car cela ne fait pas partie des compétences du pouvoir exécutif) les cotisations sociales, ce qui fait que tant les employeurs, chargés de la collecte, que les salariés s’interrogent sur la réalité de la mesure et hésitent déjà à mobiliser immédiatement ces sommes, puisqu’ils peuvent être amener à les payer plus tard… On notera que Trump, sans vergogne, a indiqué qu’évidemment s’il était réélu, la suspension se transformerait en annulation (alors qu’il n’aura pas plus le pouvoir d’annuler ces cotisations après sa réélection qu’il ne l’a aujourd’hui).

Le Président a utilisé une marge de manœuvre budgétaire à sa main (qui pourrait s’épuiser rapidement si le chômage reste élevé et si un budget voté par le Sénat ne prend pas le relais) pour assurer un complément de 300 dollars aux indemnités chômage, tout en intimant aux états fédérés de prendre à leur charge 100 dollars supplémentaires. Aujourd’hui, tous les états ou presque ont obtenu le budget prévu pour financer les 300 dollars mais seule une poignée a commencé à effectuer les paiements, et très peu ont prévu de mettre en œuvre un complément de 100 dollars, notamment pour des raisons budgétaires puisque leurs ressources sont limitées.

Et on est simplement resté là mi-août. Et alors que les discussions reprennent après la pause estivale du Congrès, les négociations semblent toujours être dans l’impasse.

Le seul sujet sur lequel la situation paraît pouvoir se débloquer concerne la question des difficultés financières de l’US Postal Service. Les arguments donnés par le Président pour justifier son refus de renflouer ce service ont suscité un tollé et mis mal à l’aise y compris les élus républicains ruraux, conscient de l’importance pour leurs électeurs de ce service public9Le bâtiment de l’US Postal Service est souvent le seul baîtment public encore existant dans de nombreuses petites villes américaines.. Il faut dire que l’US Postal Service, symbole historique de la pérennisation de la conquête de l’Ouest, est l’administration publique qui bénéficie de la meilleure image dans l’opinion publique américaine.

En effet, le Président a expliqué que la poste allait acheminer des votes par correspondance pour les élections générales alors que lui-même déclare presque jour10On ne compte plus les tweets sur le sujet. que c’est un facteur de fraude massive que les démocrates souhaitent utiliser pour lui voler sa réélection.

Il a aussi accusé la poste de mauvaise gestion – visant plus particulièrement le contrat en l’US Postal Service et Amazon, qu’il juge trop favorable au géant du commerce en ligne, dont le patron est un des ses ennemis personnel, puisque Jeff Bezos est aussi le propriétaire du Washington Post, dont la ligne éditoriale est très critique envers le Président11C’est aussi pour le Washington Post que travaille Bob Woodward qui vient de publier un livre très critique et très commenté sur Donald Trump..

Or il s’avère que la rationalisation engagé par le récemment nommé PDG de l’US Postal Service Louis DeJoy12Qui se trouve être un important contributeur aux campagnes électorales du Président, et qui a des parts dans des concurrents de l’US Postal Service. est particulièrement violente pour les employés mais aussi pour le réseau (suppression massive de boîtes aux lettres, etc.). DeJoy, auditionné par le Congrès les 21 et 24 août a finalement suspendu ses réformes et la chambre des représentants (convoquée en urgence par la présidente démocrate Nancy Pelosi) a voté, à l’initiative de la majorité démocrate mais avec le soutien d’une trentaine de républicains, des crédits pour soutenir la poste américaine.

Un accord bipartisan se dessine sur ce sujet important et critique pour le bon déroulement des élections en novembre prochain (la part des électeurs susceptibles d’utiliser le vote par correspondance sera probablement en très nette augmentation par rapport aux précédents scrutins) mais sans réel lien avec la crise économique. De même le Congrès comme le Président semblent vouloir traiter rapidement la question des impasses budgétaires dans laquelle va se retrouver sans doute dès octobre l’administration fédérale, afin d’éviter à quelques jours de l’élection le psychodrame des « shut down » de l’administration fédérale13Lorsque les administrations n’ont plus de budget et que le Congrès et l’exécutif n’arrivent pas à s’entendre sur les rallonges à accorder, les administrations concernées ferment et les employés restent chez eux – et ne sont pas payés..

Mais rien ne semble résolu en revanche sur les mesures de soutien de l’économie14Au-delà des mesures monétaires de la banque centrale, qui injecte massivement de l’argent dans l’économie. et des ménages. Le 10 septembre, une nouvelle proposition républicaine, surnommée le « skinny billl » (pour « loi maigrichonne ») dans la mesure où il ne prévoit « que » 650 milliards de dollars de dépenses et écarte la plupart des mesures proposées par les démocrates, a finalement été bloqué lors de son examen au Sénat – à majorité républicaine – faute d’une majorité suffisamment nette. Et de plus en plus, le scénario d’une absence d’accord d’ici l’élection présidentielle de début novembre semble se dessiner.

Cet absence de soutien aux ménages depuis fin juillet (et même si de nouvelles mesures étaient adoptées rapidement) et le fait que le soutien au PME (au travers de prêts ou quasi-subventions aux employeurs qui conservaient leurs salariés) s’est lui aussi éteint fin août, pourrait avoir des conséquences économiques très problématiques : impact sur la consommation donc sur la reprise économique, renforcement de la précarisation des ménages les plus pauvres (les emplois détruits pendant la pandémie sont le plus souvent des emplois précaires et mal payés15Comme le prouvent les statistiques officielles par secteur diffusées début septembre, et le fait le salaire moyen est en hausse, preuve que ce sont les emplois les moins bien rémunérés qui ont été détruits durablement.).

Mais l’absence d’accord au Congrès pour un soutien financier aux exécutifs locaux renforcera également les difficultés budgétaires de ces derniers, avec des conséquences sur le financement des écoles publiques, des services de secours ou de sécurité, mais aussi des dispositifs d’assurance santé financés par les états, des pensions de retraite des fonctionnaires locaux, etc.16Cf. document du « think tank » progressiste EPI qui estime que ce sont environ 5 millions d’emplois qui sont en jeu si le gouvernement fédéral ne vient pas au secours du budget des exécutifs locaux..

Et si Donald Trump se glorifie des chiffres de l’emploi, met en avant une reprise en « super V », les experts parlent désormais plutôt de « courbe en K », avec les indices boursiers qui atteignent des sommets (à la grande satisfaction du Président), symbole d’une reprise économique qui bénéficie aux plus riches17Plus de la moitié des actions de la bourse américains sont détenues par 1% des américains, tandis que la moitié la plus pauvre des américains n’en détient que 0,7%., et une précarité qui augmente, ou d’une courbe en W, où le début de reprise constaté depuis mai serait annihilé par l’absence de soutien à la consommation et/ou par un regain du virus, qui semble encore loin d’être maîtrisé, à l’automne.

Cette situation aura également probablement des conséquences politiques fortes dans la perspective des élections du 3 novembre prochain.

Tout d’abord, le Congrès a une nouvelle fois fait preuve de son incapacité à fonctionner normalement. Si les républicains semblent les premiers responsables (ils n’ont pas voulu se lancer suffisamment tôt dans la discussion d’autant qu’ils s’est avéré qu’ils étaient divisés sur le fond, leur leader n’a pas réussi à régler ses différends internes lesquels ont été exposés sur la place publique, etc.) et si leur refus de soutenir les américains ordinaires pourraient leur être préjudiciable en novembre prochain, les démocrates n’en sortiront pas indemnes non plus.

Certes, leur fermeté peut se justifier par des arguments de fond et il aurait été délicat politiquement de ne pas tenir leurs lignes rouges (tout comme il était tentant de piéger les républicains et de les pousser à afficher leurs divergences), mais on ne peut s’empêcher d’imputer l’échec en partie aux relations exécrables entretenues par Nancy Pelosi par exemple avec le Président et les leaders républicains, dont ces derniers ne peuvent pas être tenus pour seuls responsables.

Et on ne voit pas bien qui peut vraiment sortir gagnant, aux yeux du grand public, de la guerre de communication qui fait rage pour rejeter la responsabilité sur l’autre camp (voir par exemple les déclarations du sénateur ultra-conservateur Macro Rubio ou le communiqué des élus démocrates à la chambre des représentants et au sénat).

Au final, c’est bien une nouvelle fois toute la classe politique et de l’« establishement » dont l’image pâtit des blocages parlementaires. D’autant plus que si la suspension des travaux s’explique par la pause estivale habituelle du Congrès, elle correspond cette année à la période pendant laquelle se tiennent les conventions démocrate et républicaine, ce qui ne fait que renforcer l’impression pour le grand public d’hommes et femmes politiques davantage intéressés par leur « tambouille » politicienne et leur avenir personnel que par le sort des américains ordinaires.

C’est à nouveau un sujet majeur, très haut dans l’actualité et les préoccupations des citoyens américains, sur lequel le Congrès n’a pas réussi à légiférer. En effet, malgré les déclarations volontaristes des uns et des autres après le meurtre de George Floyd, aucun accord n’a pu être trouvé depuis fin mai pour légiférer au niveau fédéral sur les violences policières.

Cela n’a certes pas empêché des évolutions au niveau local puisque l’ordre public relève des prérogatives des municipalités, comtés et états fédérés, mais le nouvel incident très grave impliquant un policier et un afro-américain intervenu à Kenosha le 24 août a montré que rien n’avait été vraiment résolu et républicains et démocrates ont ainsi raté une occasion majeure de montrer leur utilité et leur capacité à transcender les affrontements partisans.

On comprend alors pourquoi l’importance du vote a été martelée tout au long de la convention démocrate, notamment dans les discours très remarqués de Barack Obama ou de Michelle Obama.

On pourrait alors considérer que le grand gagnant de tout cela serait Donald Trump, qui avait fait du « nettoyage » de Washington un de ses arguments de campagne majeur en 2016 – on se souvient que ses supporters scandaient régulièrement son mantra « drain the swamp ! » (pour « asséchez le marigot ! »).

En effet, en revendiquant de prendre la main pour sortir de l’impasse (qu’il impute bien sûr aux démocrates, accusés notamment de vouloir laisser l’économie dans l’ornière pour être mieux placer lors des élections de novembre, ou d’être de dangereux gauchistes prêts à dépenser sans compter l’argent de contribuables), il se présente comme un Président qui agit (l’expression américaine serait « the one who gets things done ») et qui permet au pays d’avancer en passant outre une administration (le « deep state ») et un « establishement » paralysés par des querelles politiciennes qui ne concernent pas les américains.

Mais à y regarder de plus près, cette séquence est surtout un coup médiatique de court terme qui pourrait bien s’avérer problématique plus tard pour le candidat Trump.

D’abord, parce que ce psychodrame écorne l’image du « deal maker », i.e. de l’homme d’affaires qui sait négocier à son avantage et qui est donc le meilleur pour gérer l’économie américaine, que Trump cherche à véhiculer depuis 2016. En réalité, Trump ne sait pas négocier autrement que lorsqu’il est dans une position de force totalement déséquilibrée (ou en utilisant des moyens illégaux, dirons ses détracteurs en se référant aux multiples contentieux affrontés par Trump lors de sa carrière d’entrepreneur), ne sait pas déléguer, n’est pas fiable, etc. Si tout le monde l’avait déjà remarqué s’agissant de la politique internationale, en voilà une nouvelle preuve sur le terrain national.

L’impact sur l’électorat de ce constat reste cependant difficile à évaluer, même si on a noté que les démocrates avaient pris le temps de donner un temps de parole conséquent à Michael Bloomberg, dont l’image de businessman et de self made man n’a pas été entamée par son piètre résultat lors des primaires démocrates, pour tirer à boulets rouges sur le prétendu talent d’homme d’affaires du Président.

Dans le même ordre d’idée, le recours permanent à des « executive orders » s’il marque les dysfonctionnements du Congrès, traduit aussi la volonté du Président et de son entourage de se débarrasser d’un pouvoir législatif qu’il aimerait réduire à celui de chambre d’enregistrement des nominations18Mitch Mc Connell a toujours d’ailleurs été partisan de cette vision du Sénat. pendant que le pouvoir exécutif gouvernerait seul.

Or si le Congrès a une très mauvaise image, la séparation des pouvoirs reste sans doute un des piliers importants de la société américaine. Les démocrates s’en sont également saisis en agitant le spectre d’un deuxième mandat Trump lors duquel le Président, qui prend déjà des libertés importantes avec la séparation des pouvoirs (et avec la répartition des compétences entre gouvernement fédéral et états fédérés), se sentirait encore davantage les mains libres.

Mais le problème le plus concret et donc le plus susceptible d’avoir des conséquences sur la réélection du Président réside surtout dans le fait, on l’a dit, que les décrets présidentiels n’auront qu’un impact très limité sur les ménages américains et sur l’économie réelle elle-même.

Trump est un habitué de ce genre de « coups » médiatiques et des annonces non suivies d’effet. Il avait par exemple triomphalement annoncé la fin de la réforme de l’assurance santé introduite par son prédécesseur (le fameux ObamaCare) quand la chambre des représentants avait voté une loi dépeçant ce qui était un des symboles de la Présidence Obama… avant que le Sénat ne rejette le texte, ce qui fait que l’ObamaCare est toujours en vigueur.

On peut aussi penser à une multitude d’ « executive orders » sur la politique migratoire, sans réelles conséquences (ou annulés par la justice), aux événements glorifiant la construction du mur à la frontière américano-mexicaine, ou plus récemment à un « executive order » sur les violences policières pris début juin après la mort de George Floyd, très largement vide de contenu.

Mais autant la réalité de certaines annonces (sur l’immigration ou dans le domaine diplomatique par exemple) est parfois difficile à percevoir par le grand public, autant, dans le cas présent, les locataires en difficulté vont bien percevoir qu’ils sont quand même expulsés ; les chômeurs vont bien se rendre compte que les annonces du Président n’ont pas eu de conséquence immédiate sur leur compte en banque – en revanche tous constateront que les déclarations optimistes ont fait monter la bourse, et les démocrates auront beau jeu d’insister sur le fait que le Président parle beaucoup des américains ordinaires pénalisés par la mondialisation mais n’agit en réalité que pour les riches.

Certaines enquêtes, dont l’enquête en ligne de SurveyMonkey pour le compte du New York Times montrent déjà que l’optimisme du Président n’est pas partagé : plus de 62% anticipent une situation économique et un chômage important pour les cinq prochaines années, et la moitié des américains ayant perdu un emploi pensent qu’ils ne retrouveront jamais cet emploi19Chiffre cité par le New York Times sur la base des données détaillées de l’enquête de SurveyMonkey. alors qu’ils étaient selon plusieurs enquêtes 80% à espérer retrouver cet emploi fin avril.

La colère des américains convaincus que les élites et l’ establishement » ne comprennent pas et, pire, ne s’intéressent pas à leurs problèmes quotidiens, qui a porté Trump au pouvoir en 2016, pourrait bien en 2020 se retourner contre un Président qui se présentera sans doute devant les électeurs en fanfaronnant sur son bilan, sur une reprise économique historique et sur la bonne santé de la bourse, au milieu d’une économie dévastée largement par son incompétence et son ego.

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